Notre-Dame : le Musée de l’Œuvre en bonne voie, les vitraux de Viollet-le-Duc menacés

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Le président de la République visitait aujourd’hui le chantier de Notre-Dame un an jour pour jour avant la réouverture au public prévue le 8 décembre 2024. La charpente est presque terminée (ill. 1) et la structure de la flèche s’élève désormais à 96 mètres (ill. 2), redonnant enfin sa silhouette au monument.
Emmanuel Macron a fait trois annonces à la suite de cette visite. Deux sont excellentes, il convient de le dire. La troisième est inacceptable, et nous y reviendrons.


1. Travaux de reconstruction de la charpente en cours le 29 novembre 2023
Photo : Didier Rykner
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2. La silhouette de Notre-Dame en cours de restitution (état le 29 novembre 2023)
Photo : Didier Rykner
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La première, donc, concerne l’absurde polémique renaissante sur le plomb, lancée par l’ancienne adjointe à la mairie de Paris chargée de la santé, Anne Souyris, nouvellement élue au Sénat (ce qui en dit long sur la baisse de niveau des politiques français). Nous nous permettons de renvoyer au chapitre entier que nous consacrons au plomb dans notre ouvrage sur Notre-Dame [1], et rappellerons seulement que si le plomb est effectivement un métal à manier avec précaution, son retour sur le toit de la cathédrale, mis en œuvre par des professionnels habitués à travailler avec ce matériau, ne présente évidemment aucun risque pour la population, d’autant qu’il est prévu de traiter les ruissellements d’eau de pluie qui pourraient en contenir des traces. Le président a donc confirmé le choix fait au début du chantier, d’autant que les travaux réalisés en atelier d’élaboration de la couverture sont déjà bien avancés, et que la pose de celle-ci commencera bientôt.

3. La cour de l’Hôtel-Dieu
Photo : Didier Rykner
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La deuxième décision était très attendue mais son issue était encore incertaine il y a quelques jours. Il s’agit de la création du Musée de l’Œuvre et son installation dans l’Hôtel-Dieu (ill. 3). Nous renvoyons à l’excellent article récent de L’Express par Agnès Laurent, qui rappelle toutes les réticences que ce projet a suscité, et suscite encore, avec comme principal opposant l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris dont il est vrai que le patrimoine est le cadet des soucis, et les musées encore davantage. Rappelons que le Musée de l’APHP est depuis des années en réserve, l’hôtel particulier qui l’abritait ayant été vendu, et qu’après avoir promis de le réinstaller dans l’Hôtel-Dieu (déjà), l’Assistance Publique n’a pas tenu parole.

L’annonce publique par le chef de l’État de la création de ce Musée de l’Œuvre est donc fondamentale même si tous les obstacles ne sont pas encore levés. Il semble que ce soit bien un vrai et grand musée qui sera créé, mais encore faut-il qu’il dispose des espaces nécessaires pour exposer toutes les œuvres, dont certaines sont de très grande taille, comme les Mays restant encore en réserves de certains musées (notamment le Louvre et Arras) ou le tapis du chœur de la cathédrale. Nous ne voulons pas d’un musée au rabais, mais bien d’un lieu qui se rapproche de ce qu’est le Musée de l’Opera del Duomo à Florence. Son accès doit par ailleurs se trouver sur le parvis.
Un point n’a pas été abordé par le président, il concerne la suite des fouilles à la croisée du transept et dans le chœur qui doivent absolument être menées pour retrouver les sculptures du jubé qui y restent encore enfouies et qui formeront un élément essentiel de ce musée (voir notre article).

4. Alfred Gérente (1821-1868)
sous la direction d’Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1869
Vitrail de la chapelle Saint-Éloi, 1865
(première chapelle du bas-côté droit)
Menacée d’être déposée et remplacée par un vitrail contemporain
Photo : Janericloebe (Domaine public)
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La troisième décision en revanche, est totalement inadmissible. Alors que le ministère de la Culture avait déjà examiné l’hypothèse de remplacer les vitraux de Viollet-le-Duc des chapelles de la nef par des œuvres contemporaines et y avait renoncé officiellement (voir la brève du 24/11/20), Emmanuel Macron vient de faire, tout seul dans son coin, sans respecter aucune des procédures normales de décision, le choix de mettre ce projet en œuvre dans six chapelles sur sept du bas-côté sud.
Il répondrait ainsi à une demande de Mgr Ulrich, l’archevêque de Paris, sachant par ailleurs que le clergé rêve depuis longtemps, au moins depuis 2010, d’un tel geste. Or comme l’a révélé la journaliste de Libération Bernadette Sauvaget, sur un plateau de BFMTV auquel nous participions ce matin, c’est le président de la République lui-même qui a demandé au prélat de lui écrire une lettre pour lui demander d’installer ces vitraux contemporains. Nous avons pu confirmer cette information par une autre source, précisant qu’il avait fait transmettre cette demande via l’établissement public de reconstruction de Notre-Dame.

L’une des raisons avancée par Emmanuel Macron est de « marquer le XXIe siècle ». Mais le XXIe siècle a déjà marqué Notre-Dame par l’incendie, et cela suffit peut-être. Il a dit qu’au mois de juillet « cette proposition avait été présentée dans son principe aux commissions compétentes », ajoutant qu’il y « souscrit pleinement », laissant entendre que ces « commissions » auraient ainsi donné leur accord. C’est un énorme mensonge que profère le président de la République. La commission compétente, c’est-à-dire la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, réunie en juillet pour décider du mobilier de la cathédrale (voir l’article) n’a à aucun moment débattu de cette question qui avait été tranchée dans le sens d’une conservation des vitraux de Viollet-le-Duc par la ministre de la Culture de l’époque, Roselyne Bachelot. Mgr Ulrich s’était contenté d’y faire allusion dans son intervention de présentation au début de cette commission.

Ces vitraux en grisaille, quoique fort simples et purement décoratifs (ill. 4), font partie d’un programme élaboré par Viollet-le-Duc répondant à des objectifs précis, qui correspondent par ailleurs à une étude historique poussée faite par l’architecte. En installant dans le chœur haut des vitraux figuratifs, dans le déambulatoire des vitraux « légendaires », dans les transepts les apôtres, les prophètes, les évangélistes, les rois de Juda et des anges et, enfin, dans la nef, des grisailles, Viollet-le-Duc expliquait que « cette disposition est conforme autant qu’on peut en juger par le laconisme des textes, à ce qui existait avant la destruction des verrières en 1758. Avec ce programme et les essais, il sera facile, au moins possible, d’arriver à un ensemble complet et harmonieux surtout si le travail est réparti à chaque artiste en fonction de son talent »

Vouloir supprimer ces vitraux historiques, protégés monument historique, pour les remplacer par des vitraux contemporains figuratifs constituerait donc une profonde altération de l’œuvre de Viollet-le-Duc, sur une partie qui n’a pourtant à aucun moment été touchée par l’incendie. Il ne s’agit pas ici d’une restauration, mais d’un vandalisme volontaire dont on peut douter qu’il soit accepté par les innombrables donateurs de la souscription nationale pour Notre-Dame. Ces vitraux, dont l’enlèvement nuirait à l’équilibre lumineux et à l’intégrité de l’état historique de la cathédrale, doivent y être conservés, d’autant qu’ils ont déjà été nettoyés et consolidés lors de la restauration de ces chapelles.
Quant à leur installation dans le Musée de l’Œuvre annoncée par le président de la République, elle est profondément grotesque : volontairement sobres, ils n’ont d’intérêt qu’in situ dans le lieu pour lequel ils ont été créés. Leur exposition dans le musée prendrait en outre beaucoup de place inutile, aux dépends d’autres œuvres.

Il est tout de même invraisemblable que la restauration de Notre-Dame de Paris, qui devrait avoir lieu dans un climat de concorde et d’unité nationale, soit à nouveau perturbée par des décisions telles que celles-ci qui vont relancer des polémiques dont on pourrait fort bien se passer, occultant l’avancée très satisfaisante de ce chantier.

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