Les musées des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon, des collections exceptionnelles en danger

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1. Jacques-Germain Soufflot (1713-1780)
Hôtel de Lacroix-Laval
Musée des Arts décoratifs de Lyon
Photo : Didier Rykner
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La menace d’une fermeture des Musées des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon n’est pas une chose nouvelle. Nous nous en étions inquiété il y a un peu plus d’un an, mais des solutions étaient alors à l’étude pour éviter ce qui constituerait indiscutablement une catastrophe patrimoniale majeure. Hélas, comme nous le verrons, l’indifférence de la ville de Lyon et celle du ministère de la Culture rendent possible un scénario qui reste pour beaucoup inconcevable. Pierre Arizzoli-Clementel, qui fut son directeur entre 1993 et 1996, ne veut pas y croire : « Je ne ne peux pas parler de la fermeture parce que je ne l’envisage pas, c’est absolument impossible. Il s’agit d’une collection de tissus qui couvre le monde entier, et la collection de soierie lyonnaise est l’histoire de Lyon. C’est un endroit unique. »


Un peu d’histoire

2. Hôtel de Villeroy
Musée des Tissus de Lyon
Photo : Didier Rykner
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Malgré leur richesse, ces deux musées qui ne forment en réalité qu’une seule entité [1], sont mal connus du grand public, et il est essentiel de connaître leur histoire pour comprendre comment on a pu en arriver à cette situation.

L’origine du musée remonte au XIXe siècle. À la suite de la première exposition universelle de 1851, les soyeux lyonnais n’obtiennent aucun prix. Ils en concluent que pour affirmer leur supériorité, un musée est nécessaire, une idée qui datait d’avant la Révolution. Il ouvrira ses portes en 1864. La Chambre de commerce menait déjà une politique active d’acquisition avec des experts mandatés pour prospecter. Ils emploient notamment Natalis Rondot, grand spécialiste des arts appliqués à l’industrie. Cette politique d’acquisition, très ambitieuse, suscite de nombreux dons. Des fouilles à Antinoë en Égypte sont financées par Guimet et la chambre de commerce, ce qui fait entrer des tissus coptes exceptionnels, dont dix costumes complets de dignitaires. Guimet lui-même offre beaucoup d’œuvres. Dès 1843, une mission commerciale est envoyée en Chine. Ils collectent dans ce pays, et, connaissant parfaitement le métier, ne recueillent que des chefs-d’œuvre. À ces acquisitions s’ajoutent les objets primés aux expositions universelles. Tissus et art décoratif sont donc collectionnés dès l’origine, même si le programme, qui s’avère très ambitieux, est revu à la baisse dans les années 1870 pour s’orienter davantage vers les textiles. En 1891 le musée devient le musée historique des Tissus et les collections d’arts décoratifs (qui comprennent aussi bien des tableaux et dessins que des objets d’art) est mise en caisse ou déposée dans d’autres musées, notamment celui des Beaux-Arts. Ce n’est qu’en 1925 que sera inauguré le Musée des Arts décoratifs logé dans l’hôtel de Lacroix-Laval (ill. 1), l’un des premiers édifices construit par Soufflot. L’hôtel de Villeroy (ill. 2) qui lui est contigu abrite, lui, le Musée des Tissus.


3. Album d’échantillons de velours pour
gilet d’homme, milieu du XVIIIe siècle
Lyon, Musée des Tissus
Photo : Didier Rykner
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Des collections uniques

4. Raoul Dufy (1877-1953)
Maison Bianchini-Férier (fabricant)
La Jungle, 1919
Satin 2 lats de liseré à effet damassé. Soie et coton
Lyon, Musée des Tissus
Photo : MTMAD
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Si les soieries lyonnaises sont à l’origine de la collection, le musée conserve 4500 ans d’histoire du textile, de l’Antiquité à nos jours, concernant tous les continents. Le seul point faible est l’Afrique noire. Il y a environ 2,5 millions d’œuvres, mais dans celles-ci, des albums d’échantillons (ill. 3) qui renferment des centaines de pièce comptent pour un. Il s’agit de la plus importante collection de textiles au monde, les seules pouvant rivaliser sont celles du Metropolitan Museum, du Victoria & Albert Museum et du Los Angeles County Museum of Art. Christine Descatoire, conservatrice en charge de l’orfèvrerie et des tissus occidentaux au Musée de Cluny nous explique qu’elle s’est récemment rendue au musée pour une exposition qu’elle prépare : « Je voulais voir des tissus médiévaux, notamment des broderies. Il y a une collection considérable, qui constitue une référence, et c’est comme ça dans tous les domaines. Ce que j’ai vu en tissus médiévaux, seulement une petite partie de la collection est absolument incroyable ». Tous les spécialistes, français et étrangers, que nous avons consultés sont aussi dithyrambiques. Pour Muriel Barbier, conservatrice chargée des collections textiles et mobilier du Musée national de la Renaissance à Écouen : « Il s’agit d’une collection exceptionnelle pour les historiens du textile, la collection de référence en France toutes périodes confondues. Elle couvre toutes les aires géographiques et toutes les périodes de l’histoire de l’humanité. C’est rare et précieux. » En Suisse, la directrice de la Fondation Abegg, Regula Schorta, le confirme : « C’est un des très rares musées du textile qui couvre presque tous les champs, les thèmes, les régions. Son importance est mondiale. Je veux souligner aussi le rôle très important que joue le musée dans le domaine de la restauration des textiles anciens et ses activités de formation qui concernent aussi l’étranger.  » Au LACMA, Sharon S. Takeda [2], ne dit rien d’autre : « Le musée des Tissus est un des plus importants au monde dans ce domaine. Sa collection de textiles, encyclopédique, rivalise en qualité avec celles des plus grands musées internationaux tandis que son fonds historique concernant la soie et les archives relatives liés à l’industrie lyonnais est unique [3]. » Elle ajoute : « Les conservateurs en textile et arts décoratifs du monde entier utilisent les archives et la bibliothèque du Musée des Tissus pour leurs recherches sur leurs propres collections [4]. » Au Victoria & Albert Museum, Lesley Miller [5] est à l’unisson : « Le musée des Tissus est une des plus importante collections mondiales aussi bien en taille qu’en qualité, que pour sa couverture géographique et chronologique. Il est aussi unique pour ses collections de soie de l’industrie locale qui avait – et a encore – une importance internationale. Il contribue à la recherche au niveau mondial grâce à ses réserves, sa bibliothèque, son parcours permanent et ses expositions temporaires [6]. »


5. Giovanni Francesco Barbieri,
dit le Guerchin (1591-1666)
Saint Matthieu
Sanguine - 27,7 x 18,5 cm
Lyon, Musée des Arts décoratifs
Photo : MTMAD
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6. Boiseries de l’hôtel de Régny
Lyon, Musée des Arts décoratifs
Photo : Didier Rykner
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7. Francesco Xanto Avelli (1487-1542)
Pyrrha et Deucalion
Majolique à lustre métallique
Lyon, Musée des Arts décoratifs
Photo : Didier Rykner
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Outre les textiles, le musée conserve les dessins de fabriques qui se comptent en dizaine de milliers. En 1999 les archives de la maison Bianchini Ferrier qui avait travaillé pendant dix ans avec Raoul Dufy ont été offertes (ill. 4). Il y a donc des centaines de dessins de cet artiste. Il y a aussi plus de 1500 tissus de l’atelier simultané de Sonia Delaunay. Le musée conserve pas moins de 200 dessins d’Antoine Berjon, la plus grande collection au monde de velours Grégoire…
Le musée des Arts décoratifs compte aussi environ dix mille dessins de maîtres anciens dont seule une petite partie a été étudiée. On y trouve des feuilles de Rosso Fiorentino, de Philippe de Champaigne, de Guerchin (ill. 5) de David, d’Ingres ou des raretés absolues, comme vingt dessins d’Hugues Sambin. Il possède des boiseries (ill. 6) une collection de majolique de référence (ill. 7), des émaux, des armes, des ivoires (ill. 8), des tabatières, des tapisseries, des vitraux, du mobilier, des tableaux aussi (ill. 9) dont le premier de Corneille de Lyon conservé dans la ville, légué en 2010 et dont nous n’avions pas parlé. Tout cela n’est qu’un échantillon infime du fonds, à titre d’exemple.


8. Nicolas Pfaff (vers 1556-vers 1612)
Danaé et la pluie d’or, vers 1607-1611
Ivoire
Lyon, Musée des Arts décoratifs
Photo : Didier Rykner
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9. Attribué à Philippe de Champaigne (1602-1674)
Portrait de trois enfants
Huile sur toile - 170 x 145 cm
Lyon, Musée des Arts décoratifs
Photo : Didier Rykner
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Une Chambre de commerce ponctionnée par l’État

Pourquoi la Chambre de commerce de Lyon, pourtant fière de ce patrimoine, est-elle amenée aujourd’hui à envisager sa fermeture ? La faute en revient, indiscutablement, à l’État. Celui-ci a en effet ponctionné de deux manières les chambres de commerce : entre 2015 et 2017, elles vont perdre environ 40% des recettes fiscales (en provenance des entreprises) qui leur sont affectées. Et en 2015, l’État s’est servi dans leur fond de roulement. Pour Lyon, c’est un chèque de 15 millions d’euros que la CCI a dû signer au trésor public, soit la quasi intégralité de sa trésorerie ; elle n’a désormais plus qu’à peine trois mois de fonctionnement en caisse. Au 1er janvier 2015, un plan de réduction du personnel de -15% a été engagé, qui n’a pas touché le musée, celui-ci étant déjà notoirement en sous-effectif (en cinq ans, ses effectifs ont déjà été réduits de 28 équivalent temps plein à 22). En 2016, un nouveau plan social est prévu et on comprend bien qu’une chambre de commerce dont le cœur de métier est touché par des réductions de poste ne peut pas continuer à garder un musée qui ne relève pas de son activité. D’autant que les fusions de régions en cours entraînent également des réorganisations des Chambres de commerce. Lyon va fusionner le 1er janvier 2016 avec Roanne et Saint-Étienne. Et si la CCI de Lyon est attachée fortement à son musée, ce n’est évidemment pas le cas des deux autres qui n’ont aucun lien historique avec lui et ne comptent pas, surtout dans le contexte actuel, en avoir la charge. La volonté de la CCI de Lyon n’est donc pas en cause ; elle souhaiterait conserver les musées si cela était possible, mais ça ne l’est pas. Elle veut, quoiqu’il en soit, éviter à tout prix une fermeture dont elle a conscience qu’il s’agirait d’une catastrophe, et cela fait près de deux ans qu’elle s’est rapprochée des acteurs institutionnels pour examiner avec eux les conditions d’un transfert de la tutelle des musées. La CCI est prête à donner les collections (rappelons qu’il s’agit de deux musées de France), mais aussi la jouissance des hôtels particuliers qui les abritent et qui lui appartiennent également. Dès que les réductions budgétaires ont été annoncées, fin 2013, ce transfert de tutelle a été envisagé. Reste à savoir vers qui.

La ville indifférente

Le président et le directeur de la CCI, Emmanuel Imberton et Alain Fauveau, ainsi que Maximilien Durand, le directeur du musée, se sont d’abord tournés vers la Ville de Lyon, juste avant les élections municipales. Très rapidement, malgré une entrée en matière encourageante de la part de l’adjoint à la Culture et bien que celui-ci soit devenu le premier adjoint, les portes se sont refermées, De multiples contacts ont été pris, mais il apparaît que le maire, Gérard Collomb, n’est pas très sensible au problème. Il semble ne pas avoir pris conscience de l’importance du sujet. Nous avons contacté la ville qui nous a fait la déclaration suivante « La ville de Lyon ne se désintéresse pas du sort du musée des tissus et des arts décoratifs de Lyon. Nous faisons partie du tour de table de réflexion sur son avenir et celui de ses collections. Il y a une réunion prochaine au mois de janvier sur ce sujet en Préfecture » Qu’une solution soit en voie d’être trouvée, et que la ville s’en préoccupe n’est pas l’impression qui ressort de notre enquête. Les réunions qui ont eu lieu jusqu’à présent n’ont abouti à aucun résultat et, comme nous l’a dit Alain Fauveau, « personne jusqu’à présent n’a accepté de s’asseoir autour de la table ». Il est vrai que le contexte n’est pas facile pour la ville de Lyon, au moment où celle-ci vient de récupérer le musée des Confluences et le Musée Gallo-Romain. On peut comprendre que la Ville [7] soit handicapée par le Musée des Confluences, un véritable gouffre financier : son budget de fonctionnement est de 18 millions d’euros, dont 15 millions sont financés par la métropole. Nous ne jugerons pas de la pertinence de ce nouvel équipement qui paraît tout de même totalement démesuré. Car les chiffres des Musées des Tissus et des Arts décoratifs sont infiniment plus modestes.

Un musée actif et en bonne santé financière

10. Vue de l’exposition Le Génie de la Fabrique
au Musée des Tissus de Lyon
Photo : Didier Rykner
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Contrairement à ce que pourrait faire croire un rapport, demandé à l’Inspection générale des Affaires culturelles, sur lequel nous reviendrons un peu plus loin, ces deux musées sont à la fois peu coûteux lorsqu’on les compare à leur activité, et très largement autofinancés. La situation n’est pas celle de musées à la dérive, elle est au contraire très saine. Le budget actuel (insuffisant, mais qui permet aux musées d’exister encore) est d’environ 2,7 millions d’euros en année normale, 2,5 millions les dernières années. Les ressources propres se montent en moyenne à 800 000 à 1 000 000 d’euros par an. Cela donne un taux d’autofinancement de 45 à 47%, ce qui est tout à fait remarquable. Il le doit à la billetterie, à une boutique en régie directe, un peu à de la location d’espace, mais surtout à un service culturel et pédagogique très actif qui permet, par exemple, de faire des visites en plusieurs langues (anglais, italien, espagnol, chinois, russe, arabe et japonais !), les visiteurs étrangers étant nombreux en proportion. La médiation si chère à nos ministres de la Culture n’est pas un vain mot ici.


11. Arthur Martin
Tenture « à la Bérain » 1873
À gauche, la tenture fabriquée par la Maison Mathevon et Bouvard
Lampas fond satin de 8, broché à plusieurs lats
liés en sergé de 3 lie 1. Soie.
175 x 75,8 cm
À droite, le modèle dessiné par Arthur Martin
Gouache sur papier - 171 x 80 cm
Lyon, Musée des Tissus
Exposition Le Génie de la Fabrique
Photo : Didier Rykner
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Les deux musées ont une activité extraordinaire compte tenu de leur faible budget. Depuis l’arrivée de Maximilien Durand à leur tête il y a cinq ans à peine, pas moins de 24 expositions ont été organisées. Il prête énormément, il mène une politique d’acquisition remarquable avec un suivi très fin du marché, il suscite d’importantes donations, il organise des conférences, des concerts. Nous prendrons comme exemple l’actuelle exposition organisée au Musée des Tissus : le Génie de la Fabrique (ill. 10 et 11). Malgré un budget en 2015 à peu près nul pour les expositions, celle-ci est certainement l’une des plus belles et des plus fascinantes que l’on puisse voir actuellement. Entièrement montée à partir de ses collections, elle retrace l’histoire de la soierie à Lyon. Si aucun catalogue papier n’a pu être édité, un catalogue en ligne est librement disponible et chaque œuvre bénéficie d’une notice scientifique. On ne saurait trop recommander de visiter cette exposition pour comprendre la richesse du fonds du musée (ce qui est montré est éblouissant, mais ne constitue qu’une infime partie des collections). Tous les spécialistes français et étrangers que nous avons interrogés ont souligné la grande compétence de Maximilien Durand et de son équipe. Sophie Desrosiers, maître de conférence à l’EHESS [8] : « Pendant des années je n’étais pas allé au musée parce que c’était un endroit mort. On a la chance maintenant d’avoir un directeur jeune, dynamique, qui a une connaissance extraordinaire du textile. L’exposition Antinoë a été jugée comme une des expositions les plus remarquables de l’année. » Bref, nous sommes devant un musée aux collections de niveau international, avec une équipe réduite mais motivée et compétente. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’un musée. Depuis sa création en 1954, le CIETA (Centre International d’Étude des Textiles Anciens), association internationale qui regroupe les grands musées de textile et les spécialistes de cette discipline, a son siège au Musée des Tissus. Le rôle de cette association est d’animer un réseau de spécialistes, de promouvoir, de normaliser, de former les professionnels de l’étude du textile deux fois par an. Deux postes du musée lui sont dédiés. Roberta Cortopassi, conservateur du patrimoine au C2RMF, chef de la filière Arts décoratifs, département Restauration, souligne l’importance de ce CIETA : « Il s’agit du centre d’étude probablement le plus important au monde, que tout le monde nous envie, et où toute l’Europe vient. » Celui-ci possède également un atelier de restauration qui emploie deux restaurateurs (contre trois naguère) et qui travaille en relation avec le C2RMF. Il compte également une documentation unique en France sur le textile.

Le Centre International d’Étude des Tissus Anciens (CIETA)

12. L’atelier de restauration du Musée des Tissus de Lyon
Photo : Didier Rykner
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Le musée des Tissus n’est donc pas qu’un musée. C’est un centre d’étude, un centre de documentation, un centre de formation, un centre de restauration (ill. 12) reconnu internationalement dans un domaine où les spécialistes sont rares et où la France fait figure de tête de pont : Sophie Makariou, directrice du Musée Guimet, a tenu à souligner ce point : « la France a toujours été en pointe dans le domaine du textile. Les Français ont créé la nomenclature et le vocabulaire utilisé internationalement. Tous les spécialistes à travers le monde se servent des outils mis au point à Lyon par le CIETA qui est intimement lié au musée des Tissus. C’est un domaine d’excellence dans la recherche française qui est âprement convoité. S’il fermait, le CIETA quitterait Lyon pour l’étranger : il y a bon nombre de gens à Londres ou en Suisse qui ne demanderaient pas mieux que de voir le CIETA chez eux. », ce que confirme Roberta Cortopassi : « Si le musée ferme, le CIETA sera certainement récupéré à l’étranger. C’est donc tout un patrimoine intellectuel et un centre de recherche majeur qui disparaîtrait de Lyon et de France ». On pourrait imaginer qu’un tel patrimoine et un tel savoir faire intéresse le ministère de la Culture, Fleur Pellerin ne cessant de faire de grandes déclarations d’amour à la Culture, « meilleur rempart contre le terrorisme ». Et bien non. Le musée des Tissus a beau conserver une des plus belles collections de textiles islamiques et le musée des Arts décoratifs un ensemble important de céramiques islamiques, le ministère de la Culture agit en Ponce Pilate. « La Culture, il n’a rien contre » pour reprendre un mot qui n’est pas le nôtre. Et le président directeur du Louvre Jean-Luc Martinez fait preuve aussi d’une indifférence coupable.


13. Constantinople, première moitié du IXe siècle
Suaire de saint Austremoine, dit « suaire de Mozac »
Lyon, Musée des Tissus
Photo : Didier Rykner
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14. Flandres, première moitié du XVIe siècle
Croix de chasuble avec le Portement de croix
Broderie en soie
Lyon, Musée des Tissus
Photo : Didier Rykner
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Le Louvre botte en touche

Car Maximilien Durand, le directeur du musée, a eu une idée que l’on peut qualifier de géniale, et qui a reçu l’accord de la CCI. Alors que quelques-uns des plus grands musées mondiaux possèdent d’importantes collections de textiles (notamment, on l’a dit, le Metropolitan Museum, le Victoria & Albert Museum et le Los Angeles County Museum of Art), celles du Louvre sont quasiment inexistantes. Le musée parisien ne cessant de proclamer son caractère universel [9], son amour de la province et son rôle national bien au delà de la capitale, l’idée consistait donc à lui proposer d’annexer les deux musées, celui des tissus pouvant former un nouveau département (ill. 13 à 16), et celui des Arts décoratifs ayant une collection remarquable et parfaitement complémentaire avec les siennes propres. Jean-Luc Martinez, qu’il a rencontré le 23 décembre 2014, a paru dans un premier temps intéressé. Pour très vite faire marche arrière. Lui non plus ne veut plus entendre parler de cette idée, ce que suffit à démontrer clairement la réaction que nous avons reçue du Louvre [10]. Les avantages pour le Louvre, pour Lyon et pour le musée sont pourtant évidents. Cela apporterait au premier une collection unique au monde, qui devrait le rendre encore plus « universel ». Pour Lyon, cela apporterait un grand prestige : avoir une antenne (cette fois-ci légitime et non artificielle) du Louvre constituerait un argument touristique indéniable. Pour le musée enfin : en le sauvant définitivement et en lui donnant la visibilité internationale qu’il mérite, mais aussi en lui permettant de devenir très attractif pour le mécénat. Une solution, comme nos technocrates aiment les qualifier, de « gagnant/gagnant ». Et pour un coût très peu élevé, 1,5 million d’euros par an pour survivre, 2 millions pour se développer, qui pourraient être en partie couverts par des subventions, par du mécénat, mais aussi par les ressources internes du Louvre (rappelons qu’il bénéficie de la manne d’Abu Dhabi, bien mal utilisée).


15. France ou Italie, vers 1410-1420
Saint Jean-Baptiste
Broderie en soie, filé métallique argent,
filé métallique doré sur toile de lin
Photo : Didier Rykner
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16. Cycle de broderies de la vie et des
miracles de saint Martin de Tours
pour croix de chasubles et orfrois,
sur des cartons de Barthélémy d’Eyck,
soie et filé métallique or, vers 1440
Lyon, Musée des Tissus
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Ce projet est donc certainement le meilleur, le plus simple, le plus intelligent. Trop intelligent sans doute. Le rapport que nous évoquions plus haut explique doctement qu’une telle solution « paraît être une voie sans issue ». Pourquoi donc ? Parce que « une partie seulement [des collections] est cohérente avec celle du Louvre (tissus coptes et orientaux, tissus médiévaux) […] Le reste (largement majoritaire) de la collection relève d’une approche « musée d’art et d’industrie » liée aux arts décoratifs ou à la mode et n’a pas vocation à être accueilli au Louvre ». On croit rêver devant une telle absurdité proférée dans un rapport du ministère de la Culture. D’une part, nous ne savions pas que le Louvre n’avait que des collections coptes, orientales et médiévales ! La Renaissance, le XVIIe siècle, le XVIIIe, le XIXe, tout cela n’existe donc pas au Louvre ? Ensuite parce qu’il est faux d’exprimer que le reste des œuvres relèvent d’un musée « d’art et d’industrie », ou alors le département des arts décoratifs n’a pas sa place au Louvre. Imaginer que le musée des Tissus serait un musée de la mode, c’est montrer une méconnaissance complète de ses collections. Bien entendu, celui-ci conserve des costumes, mais ils ne forment qu’une part infime du fonds, et dans la plupart des cas il s’agit d’authentiques œuvres d’art. À l’heure où, comme nous l’a dit Sophie Desrosiers : « le domaine des textiles est en plein essor dans le monde », considérer ceux-ci comme une simple industrie révèle un singulier manque de vision.

Il est exact néanmoins qu’une partie des collections (essentiellement celles des civilisations précolombiennes, des arts asiatiques et de la période après 1848) ne relève pas du Louvre. Et alors ? Le Louvre ne se gargarise-t-il pas de faire entrer l’art contemporain dans ses murs ou ne proclame-t-il pas contre toute évidence que les Arts d’Afrique et d’Océanie ont leur place au pavillon des Sessions ? Il s’agit seulement d’acter que le département des textiles sortira en partie (pour une part minoritaire d’ailleurs contrairement à ce que dit le rapport) des champs traités par le Louvre, ce qui n’interdit aucunement de le lui rattacher (quelle loi l’interdit ?). Écrire : « l’acceptation de cette proposition aurait donc nécessité de diviser la collection des tissus du MTAD, pour n’en céder qu’une partie au Louvre » est faux. Rien n’oblige ce démantèlement.

Le transfert au Louvre ne serait pas possible non plus car cela « aurait représenté pour cet établissement une nouvelle charge de l’ordre d’1,7 millions d’euros par an (sans compter les dépenses liées aux développements ultérieurs), qui ne paraît pas susceptible d’être financés dans le contexte actuel de contrainte budgétaire ». Cet argument du « contexte actuel de contrainte budgétaire » revient sans arrêt dans le rapport, montrant bien que la direction des patrimoines est désormais dans les mains de responsables budgétaires qui n’ont plus aucune ambition pour la culture et la protection du patrimoine et qui s’en désintéressent complètement [11]. Mais cette antienne n’est soutenue par aucune réflexion réelle sur le financement possible tel que nous l’esquissions plus haut, sans compter certaines économies d’échelle évidentes. Et sans comparer ce budget nécessaire d’1,7 million d’euros par an avec celui du Louvre : 199 millions d’euros en 2015. Moins de 1% du budget de fonctionnement annuel, voilà ce que coûterait au Louvre (beaucoup moins si l’on prend en compte ce que cela peut lui rapporter) un nouveau département, et un enrichissement majeur. Quel manque d’ambition, quel désintérêt pour la culture et pour des collections exceptionnelles ! Une fois de plus on peut se demander à quoi sert la manne financière donnée par Abu Dhabi qui n’est jamais utilisée pour un projet au service du patrimoine.

La Direction générale des patrimoines s’en lave les mains

Ce désintérêt n’est pas que celui du Louvre nous l’avons dit. Il est aussi et surtout celui de sa tutelle, la Direction générale des patrimoines, et en l’occurrence le Service des Musées de France qui, par son refus d’agir concrètement, porte une responsabilité écrasante dans cette affaire. Nous avons pu parler de ce sujet avec Marie-Christine Labourdette, la directrice des Musées de France [12]. Celle-ci ne veut manifestement pas comprendre que la Chambre de commerce, propriétaire du musée, ne peut plus le prendre en charge. Elle s’obstine à croire que les solutions se construiront avec la CCI. C’est une véritable négation de la situation. Elle insiste par ailleurs, dans la lignée de ce rapport dont elle ne nous a pourtant pas parlé (à croire qu’elle même le trouve insuffisant), sur la question des liens avec l’industrie, renvoyant ainsi la balle aux entreprises lyonnaises. Ces liens existent évidemment dans l’histoire du musée, et dans une partie de ses collections. Mais vouloir le réduire à un musée d’art et d’industrie est une absurdité que nous avons déjà dénoncée. « Le ministère souhaite la préservation du musée et lui donner une nouvelle dynamique en réunissant tous les partenaires autour d’une table ». Voici, en gros, sa position. Qui est exactement celle de Ponce Pilate, comme nous le disions plus haut. Quels partenaires, sachant que la ville ne veut rien savoir, que la CCI ne veut plus avoir la charge du musée et que la Région est pour l’instant évidemment injoignable ? La situation est grave, et des décisions sont urgentes, mais Marie-Christine Labourdette feint de croire que tout cela finira par s’arranger tout seul. « Les solutions sont à construire, dans un calendrier un peu complexe. Aussi bien pour la métropole régionale que pour la région, il faut en discuter sereinement en sachant que l’État appuie cette opération. » Quelle opération serait-on tenté de dire ? Si l’État n’est pas moteur pour sauver une collection qui est davantage encore de son niveau que de celui de la ville, rien ne se passera. Remarquons ici que l’État est totalement schizophrène. Ce qu’il fait d’une main (le ministère de l’Économie), son autre main (le ministre de la Culture) feint de l’ignorer.

Tout cela est d’autant plus inepte que dans l’éventualité d’une fermeture des musées, le ministère de la Culture serait forcé d’agir, dans les pires conditions. Car que se passerait-il ? D’abord, toutes les équipes partiraient, notamment le directeur Maximilien Durand. Il n’y aurait donc plus personne pour prendre en charge les collections. Celles du Musée des Arts décoratifs, y compris les dessins de maître, seraient certainement transférées au Musée des Beaux-Arts de Lyon, ce qui assurerait leur conservation, mais sans doute pas leur présentation au public car on voit mal où elles pourraient être exposées. Les hôtels particuliers seraient évidemment repris par la CCI qui est prêt à les laisser à disposition de la collectivité territoriale en charge de la reprise du musée, mais qui bien évidemment les vendra si rien n’est fait. Il faut savoir qu’un industriel récemment enrichi par la vente de son entreprise a déjà acquis un hôtel immédiatement voisin et a déjà manifesté son intérêt pour cet ensemble immobilier.

Les collections de tissus devraient, quoi qu’il en soit, être transférées soit à un musée, soit à une collectivité territoriale ce qui, compte tenu de leurs importance numérique n’est pas réellement envisageable sauf au Louvre (qui ne pourrait d’ailleurs pas les conserver sans lieu pour les abriter). À terme, celles-ci seraient directement menacées ce qui obligerait (c’est la loi) l’État à intervenir et à financer le conditionnement, le transfert, et la mise à l’abri des collections sans qu’on sache bien avec quel personnel cela pourrait se faire. Le code du patrimoine prévoit que l’État finance la moitié du coût (au maximum) et que le propriétaire (en l’occurrence la CCI) l’autre moitié. On imagine le montant de cette opération, évidemment plusieurs millions d’euros. L’argent qui aurait pu être utilisé pour sauvegarder la collection dans le musée servirait ainsi à en priver les visiteurs et la communauté scientifique. Un gaspillage des deniers publics et une politique de gribouille conduisant à un véritable vandalisme.

L’autre solution logique pour l’État, si l’excellente option du Louvre ne devait pas être retenue, serait de transformer les musées des Tissus et des Arts décoratifs en musée national, ce que l’importance des collections justifierait pleinement. Pour Sophie Makariou, la création d’un « grand département patrimoine » textile, qui n’existe pas aujourd’hui, est un besoin que la création d’un département au Louvre ou celle d’un musée national permettrait de combler : « il serait l’interlocuteur non seulement pour les musées, mais aussi pour les monuments historiques. Le patrimoine textile de la France est extraordinaire et ne se rencontre dans aucun autre pays, par exemple dans les grands trésors d’église français ». Mais la direction des patrimoines et Marie-Christine Labourdette ne veulent pas davantage entendre parler d’un musée national, pas plus que le rapport, et pour les mêmes raisons. Surtout, ne dépensons rien pour sauver ces musées, ils se sauveront tout seul...

L’impossibilité d’une solution CCI

Sauf que c’est exactement l’inverse qui risque d’arriver. Car la situation n’est pas loin d’être désespérée si ni la ville, ni le Louvre, ni le ministère de la Culture ne veulent prendre leurs responsabilités. Alain Faveau nous l’a confirmé, il en est désolé, mais lui prendra les siennes : « L’avenir du musée n’est plus assuré du tout. Cela fait dix-huit mois qu’on travaille sur une solution, et les musées risquent de fermer à brève échéance. Nous ne laisserons échapper aucune solution possible pour les sauver, mais on ne prolongera pas leur durée de vie si rien n’arrive. Cela risquerait de rendre encore plus coûteuse la fermeture. Nous sommes pragmatiques et nous allons prendre une décision. La CCI est bien gérée, elle n’est pas en déficit, et nous ne la mettrons pas en déficit. » Il ne ferme pas la porte à une solution, bien au contraire, mais celle-ci n’arrivera pas seule et par incantations : « L’unique question importante aujourd’hui, c’est qui s’assied autour de la table avec le souci réel et sérieux d’apporter une part significative de la solution pour la sauvegarde des musées. La ville et la métropole ont refusé pour l’instant d’être partie prenante de cette solution. La conclusion que je tire du rapporte diligenté par le ministère de la Culture, c’est que l’État ne s’engage pas davantage sur une solution permettant de dégager un schéma viable. »

Un rapport consternant

Disons un mot enfin de ce fameux rapport que nous avons déjà évoqué. Il est consternant. On passera sur les innombrables coquilles et erreurs factuelles qu’il contient [13] pour parler du fond.
On admirera d’abord sa capacité à jouer de la méthode Coué. Il donne au musée un premier objectif (« L’hypothèse de la fermeture du musée doit être résolument écartée »), qui va de soi puisque c’est la raison d’être de ce rapport, mais qui relève de l’incantation. Car le musée va fermer si aucune solution concrète n’est apportée, et ce rapport n’en imagine aucune. On est dans le domaine du « faut qu’on », « y’a qu’à ». "Y’a qu’à renforcer l’équipe scientifique » (personne n’y avait pensé, mais avec quels moyens ?). « Y’à qu’à développer les relations avec le monde de l’entreprise » (elles existent déjà, l’exposition qui va ouvrir, et qui est un complément du « Génie de la Fabrique », va être constituée entièrement de textiles contemporains qui seront offerts au musée par les industriels). Y’à qu’à développer des grandes expositions de prestige avec le concours de la RMN-GP (comme si le musée n’organisait aucune exposition). « Faut qu’on développe l’éducation artistique et culturelle » (celle-ci est déjà, on l’a vu, une des plus actives qu’on puisse trouver dans un musée). Le rapport semble ignorer tout à fait que ses finances sont saines (45% d’autofinancement) et que développer encore davantage ce qu’il préconise (et qui existe déjà) n’est pas pour l’instant un élément de solution : le problème est de trouver un repreneur institutionnel.

Quant au dernier « faut qu’on » : « faut qu’on développe les ressources propres » (déjà très conséquentes), leurs solutions ne sont même pas dignes d’une mauvaise copie d’économie au collège. L’annexe 5 explique notamment que la boutique (qui marche bien) pourrait marcher encore mieux. Et qu’en la faisant marcher encore mieux, en augmentant d’un coup le chiffre d’affaire de 50% (par quel miracle, on ne sait pas), cela donnerait au musée une ressource supplémentaire de 150 000 euros environ. Sachant que le chiffre d’affaire actuel est d’environ 300 000 euros, on comprend donc que les auteurs confondent chiffre d’affaire et résultat ! En réalité, le résultat de la boutique est de 100 000 euros, mais cela ne prend pas en compte les frais de fonctionnement (personnel, fluides, entretien du matériel et des locaux…). On peut sans doute estimer le résultat net de la boutique à 60 000 euros (en étant très généreux, ce qui représenterait déjà 20% du chiffre d’affaire). Et donc, une augmentation (hypothétique) de 50% du chiffre d’affaire, en admettant que les frais de fonctionnement restent les mêmes, aboutirait au mieux à 50 000 euros supplémentaires au lieu des 150 000 escomptés. L’essentiel est de savoir compter.

On apprend aussi que le développement de la communication (avec quels moyens, on ne le dit pas) permettrait de faire passer le nombre de visiteurs de 68 500 par an à 90 000. Et que l’augmentation du prix d’entrée de 1 € permettrait ainsi de dégager 160 000 euros supplémentaires, grevés de 40 000 € car augmentation de la fréquentation implique un gardien supplémentaire « qui représente une dépense annuelle de 40 000 € environ » . On est vraiment dans « la gestion pour les Nuls »… Et tout est à l’avenant. La seule idée qui pourrait éventuellement permettre de gagner quelques milliers d’euros supplémentaires serait d’augmenter la cotisation des membres du CIETA qui est effectivement assez basse compte tenu du travail fourni par le musée.
Mais tout cela est en réalité inutile, car même si cette « esquisse de chiffrage » était crédible, elle ne dégagerait selon leur propre calcul que 400 à 500 000 euros par an. Il ne faudrait donc plus que 1,5 millions au lieu des 2 millions d’euros nécessaires, ce qui ne changerait en rien l’équation. La CCI ne mettra pas 1,5 million, pas davantage qu’elle ne veut plus mettre 2 millions. La ville de Lyon ne veut pas en entendre parler. Le ministère de la Culture s’en lave les mains. Le Louvre regarde ailleurs.
Rien, dans ce rapport, ne tient la route. Quoi d’étonnant, d’ailleurs, quand on sait que ses auteurs, s’ils ont passé une journée au musée et ont déjeuné avec le président et le directeur de la CCI, n’ont rencontré aucun membre du personnel à l’exception de Maximilien Durand ? Tant que le ministère de la Culture ne prendra pas ses responsabilités, aucune solution ne paraît devoir se dessiner.

La réunion de la dernière chance

La situation actuelle du musée est plus que délicate. Le personnel, à raison, est inquiet de son avenir, le risque de démotivation est évident, et il est à craindre que certains anticipent une fermeture et s’en aillent voir ailleurs, ce qui rendrait encore plus fragile l’équilibre actuel. Les donateurs potentiels, nombreux, hésitent, et on les comprend, à donner à un musée dont la pérennité n’est pas assurée. Sophie Desrosiers, qui possède une collection de textiles boliviens qu’elle a récolté pour ses recherches, nous a confié : « j’étais prête à donner ma collection, mais maintenant je m’interroge » Maximilien Durand attend aussi un don très important d’un ensemble exceptionnel de pièces datées entre 1870 et 1930. Il craint que lui aussi ne soit menacé.
Si les collections resteront inaliénables et imprescriptibles comme pour tout musée de France, a-t-on vraiment envie d’offrir à un musée qui pourrait fermer. L’horizon est presque entièrement bouché et la réunion prévue en janvier est réellement celle de la dernière chance, à moins que les articles qui commencent à paraître et à dénoncer cette situation ne portent leur fruit et ne convainquent les différents acteurs de prendre leurs responsabilités. Tout repose en réalité sur la volonté des pouvoirs publics. La DRAC nous a indiqué que « le préfet est conscient de l’intérêt majeur des collections, de la place de ce musée dans le patrimoine français et de son rayonnement. C’est pour cette raison qu’il a souhaité réunir fin janvier, autour d’une table, l’ensemble des acteurs potentiellement concernés, de manière à étudier toute possibilité d’éviter la fermeture de l’établissement ». On espère simplement qu’il ne se basera pas sur le rapport qu’il a commandé…

Nous conclurons cet article avec le témoignage apporté par Keith Christiansen, directeur des peintures européennes au Metropolitan Museum : « Quand je visite la ville – ce que j’ai fait pour la première fois en 1968 et avec un très grand plaisir dès que je peux, je vais toujours au Musée des Tissus, qui est à mon avis le plus beau de ce genre que j’ai jamais visité. Il a, en plus, un merveilleux hôtel particulier avec un remarquable collection d’arts décoratifs, et des collections exceptionnelles de majoliques de la Renaissance – pour ne prendre que cet exemple. Le musée met toujours en avant le design et les textiles contemporains, reliant le présent au passé, et il fait aussi de merveilleuses expositions. Sa boutique est une publicité évidente pour l’industrie textile de la ville. C’est pour cela que je ne comprends pas comment, une ville qui est fière non seulement de son histoire illustre mais aussi de son rôle aujourd’hui de capitale culturelle – autant que culinaire – peut laisser tomber ce musée essentiel. Ce serait une perte tragique pour nous tous et un coup terrible au prestige culturel qui constitue un aspect essentiel de l’identité de cette ville ». [14]. Nous n’avons rien à ajouter. Le message est transmis à Gérard Collomb, mais aussi à Fleur Pellerin, Vincent Berjot, le directeur général des patrimoines, et Marie-Christine Labourdette. Car la solution ne peut venir que du côté de la ville, ou du côté de l’État. Il faut qu’au moins l’un des des deux le veuille. Leur responsabilité est immense.

Didier Rykner

P.-S.

Une pétition a été lancée pour sauver ces musées. Voir aussi cet article.

Notes

[1Dans ces article, nous parlerons indifféremment « du musée » ou « des musées » lorsqu’il s’agira de l’ensemble, et nous préciserons « Musée des Tissus » ou « Musée des Arts décoratifs » pour distinguer une collection de l’autre.

[2Senior Curator and Department Head, Costume and Textiles

[3« The Musée des Tissus is one of the most important museums of its kind in the world. Its encyclopedic textile collection rivals those in many major international museums in terms of quality while its holdings of historic French silk textiles and archives relating to Lyon’s important silk industry are singular. »

[4« Textile and decorative arts curators from around the world utilize the archives and library at Musée des Tissus in order to conduct research on their own collections. »

[5Lead Curator, Europe 1600-1800, Senior Curator of Textiles and Fashion (before 1800), Furniture, Textiles and Fashion Department.

[6« The Musee des Tissus is one of the most important collections worldwide in terms of its size and range, geographical and chronological coverage. It is also unique in the scope of its holdings of products of the local silk industry, which was – and still is – international in its impact. It contributes to international scholarship through its reserve collections, library, permanent displays and temporary exhibitions. »

[7Rappelons que celle-ci a laissé fermer le Musée des Hospices, autre scandale lyonnais dont il faudra reparler un jour.

[8Enseignante spécialisée dans l’art textile en France et grande spécialistes des textiles médiévaux et Renaissance

[9Un terme dont le président-directeur aime qualifier le musée (voir par exemple ici).

[10« Comme avec de nombreux établissements en France, le Louvre entretient des relations avec le musée des Tissus de Lyon et souhaite, tout comme l’État, qu’une solution soit trouvé à ce dossier important de par la valeur des collections et du lien du musée avec l’histoire de Lyon. Cette solution, pour laquelle une concertation est en cours, doit être construite à Lyon avec la CCI, propriétaire du musée, les acteurs locaux et avec l’appui de l’Etat, attentif à ce dossier. »

[11Rappelons que l’achat des Rembrandt Rothschild était également inconcevable pour la même raison.

[12Rappelons que ce titre disparaîtra lorsqu’elle quittera ce poste, son remplaçant devenant simplement responsable du service des musées de France, au mieux sous-directeur.

[13La plus drôle tout de même : le Getty devient le Ghetty’s, se transformant sans doute en maison de ventes aux enchères.

[14« When I visit the city—which I did for the first time in 1968 and do with enormous pleasure whenever I can—I always go to the Musée des Tissus, which is to my way of thinking the finest museum of its kind I have ever visited. It has, additionally, a marvelous hotel particulier in which is a remarkable collection of decorative arts, with notably superlative holdings of Renaissance maiolica—to mention only one thing. The museum always promotes contemporary design and textiles, relating present to past, and it also does wonderful exhibitions. It’s shop is an open advertisement for the textile industry in the city. So I do not understand how, in a city that prides itself not only on its illustrious history but on it position today as a cultural—as well as culinary—capitol can allow this essential museum can be abandoned. It would be tragic loss for all of us and a terrible blow to the cultural prestige that is an essential part of the city’s identity. »

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