Nombreuses questions autour de l’incendie de l’hôtel Lambert

Alors que le bilan se précise, marqué essentiellement par la disparition du Cabinet des bains [1], un des rares décors peints du XVIIe siècle subsistant à Paris, le seul d’Eustache Le Sueur encore en place intégralement in situ, de nombreuses questions doivent être posées à propos de l’incendie qui a ravagé une partie de l’hôtel Lambert (ill. 1 et 2).


1. Incendie de l’hôtel Lambert, vue prise dans
la nuit du 9 au 10 juillet 2013
Photo : D. R.
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2. La toiture de l’hôtel Lambert prise après
l’incendie le 10 juillet 2013
Photo : Didier Rykner
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1. Le contexte

Nous évacuerons immédiatement celle - non exempte d’arrières-pensées pas toujours avouables - de la légitimité des propriétaires.
D’une part, un hôtel particulier, par nature, est conçu comme une habitation pour un... particulier. L’hôtel Lambert est toujours demeuré dans le domaine privé et son achat par l’État ou par la ville de Paris, comme certains l’ont suggéré, n’était ni naturel, ni forcément une meilleure solution, non seulement en raison du coût, mais surtout parce que le caractère public d’un édifice n’a jamais été le gage absolu de sa bonne conservation. L’État a le devoir régalien de garder dans le domaine public les biens lui ayant toujours appartenu et faisant partie de son histoire, comme l’Hôtel de la Marine, ou comme le Pavillon de la Muette, construit pour Louis XV par Gabriel et actuellement scandaleusement mis en vente par France-Domaines [2], il n’a pas vocation à posséder tous les monuments historiques majeurs. On ne voit pas comment - et pourquoi - on pourrait empêcher des Qataris d’acheter un bien en France.

En revanche, un édifice comme l’hôtel Lambert, essentiel pour le patrimoine français et pour l’histoire de l’art, ne peut être entièrement cédé au bon vouloir de son propriétaire. Lorsque celui-ci l’a acquis, il connaissait parfaitement les contraintes et les servitudes qui s’attachaient au monument. La polémique qui a précédé les travaux était nécessaire. Elle s’est résolue par un compromis - il en faut bien - parce que l’État avait failli, en n’imposant pas tout ce que le caractère classé lui permettait d’imposer. Les travaux furent réduits, certes. Ils étaient tout de même surdimensionnés comme l’a rappelé Alexandre Gady dans Le Figaro. Nous avons recueilli de nombreux témoignages de voisins immédiats du chantier ou de personnes ayant pu pénétrer sur celui-ci qui nous ont décrit les quantités de béton utilisées, les gaines passées dans tout le bâtiment, la multiplication des corps de métiers travaillant simultanément, la pression mise par les propriétaires pour réduire les délais... Les associations, notamment Paris-Historique qui fut en pointe dans l’opposition, se sont battues contre la multiplication des câblages et autres circuits techniques dans les charpentes [3] On ne peut traiter un monument du XVIIe siècle, encore moins un chef-d’œuvre de Le Vau, comme une construction neuve. L’ampleur du chantier a augmenté les risques qu’il faisait courir au monument. L’État avait les moyens de les limiter plus strictement car le bâtiment est classé entièrement, mais on ne fâche pas la famille de l’émir du Qatar. Cette démission de l’État est coupable. A ce titre, le communiqué de presse du ministère, affirmant que « la préservation de ces décors s’explique notamment par la qualité des restaurations menées sur l’édifice ces deux dernières années, en particulier le renforcement de tous les planchers » est assez pathétique. Certes, il est exact que le renforcement des planchers, notamment au-dessus de la galerie d’Hercule, a permis d’éviter le pire. Mais on peut considérer tout au contraire que les travaux sont probablement aussi la cause de l’incendie.

Autre point, entièrement de la responsabilité des propriétaires : l’opacité qui a régné sur ce chantier. Tout avait pourtant à peu près bien commencé : au moment de la polémique, l’hôtel avait été plutôt généreusement ouvert à la visite, des spécialistes mais aussi des journalistes ou des riverains. Nous avions pu nous même pénétrer dans l’édifice avec quelques confrères et le visiter de fond en comble ou presque. Son mauvais état nous avait frappé : incontestablement, les Rothschild ne l’avaient pas suffisamment entretenu. La transparence était alors à peu près bonne même si Alain-Charles Perrot nous avait alors menti sur un point ce qui pouvait nous inciter à la prudence sur le reste (voir notre article).
Nous en étions reparti avec une promesse : les journalistes spécialisés pourraient suivre de près le déroulement des travaux. Sur ce point, les Qataris n’ont pas tenu leurs engagements. Alors que le chantier était jusqu’alors sous la responsabilité du fils du propriétaire, un véritable amateur de l’art français du XVIIe siècle, selon tous les témoignages, son père a repris la main et a totalement cessé de communiquer. L’hôtel s’est refermé sur lui-même et plus aucune personne extérieure au chantier n’a été autorisée à y entrer. Toutes nos demandes de visite ont été rejetées [4].

3. Fausses fenêtres peintes sur la façade de l’hôtel Lambert
donnant sur la rue Saint-Louis-en-l’Isle
Celles-ci ne repose sur aucune certitude historique
Photo : Didier Rykner
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Cette opacité ne peut qu’attiser les soupçons. Si la restauration des décors a été menée, à notre connaissance, au mieux par les meilleurs spécialistes, qu’en a-t-il été de tous les autres travaux d’aménagement qui touchaient ce bâtiment qui, rappelons le, est entièrement classé ?
Les seules choses que l’on peut voir à l’extérieur, du travail de l’architecte en chef, sont par ailleurs assez consternantes : la mise en place de pots-à-feu modernes disproportionnés (nous en avions déjà parlé), le nettoyage excessif de la façade qui lui donne une sècheresse qu’elle n’avait pas (qui disparaîtra peut-être lorsqu’elle se sera patinée à nouveau), les fausses fenêtres grotesques créées sur la façade donnant sur la rue Saint-Louis-en-l’Isle (ill. 3)... Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, toutes ces options (installation de pots à feu, fausses fenêtres...) n’ont jamais été validées par le Comité scientifique. Celui-ci n’est arrivé qu’après la signature du protocole qui autorisait les travaux. Ces choix étaient déjà actés dans les autorisations de travaux, et le comité n’a pu que les amender dans le sens le moins désastreux. Nous avions déjà dit à quel point les pots à feu sont fantaisistes. Les fausses fenêtres ne le sont pas moins. Il n’y a aucune trace historique de leur existence. Une fois de plus, tout cela vient de la fertile imagination de l’Architecte en chef. Sur ce point, le propriétaire est lui-même plus victime que responsable.

Bref, le 9 juillet 2013, veille de l’incendie, les défenseurs du patrimoine n’étaient pas entièrement rassurés sur le devenir de l’hôtel Lambert. Ils ne savaient même pas s’ils pourraient en revoir un jour l’intérieur. Ou le voir, tout simplement.
Nous l’avons dit, en effet : un édifice de l’importance de celui-ci, même s’il appartient à un privé, est soumis à des servitudes. Une n’est pas prévue par la loi, mais elle devrait l’être, pour quelques bâtiments emblématiques : l’obligation, d’être ouvert, ne serait-ce qu’une fois par an, au public. Nous avons publié des photos du Cabinet des bains. Et beaucoup de lecteurs nous ont fait remarquer que notre titre (« ce que nous ne verrons plus ») n’était pas adapté. Car en réalité, on ne le voyait jamais. Il était déjà très difficile de pénétrer dans l’hôtel lorsque les Rothschild en étaient propriétaires ; depuis trois ans tout était fermé, et il est probable que tout le sera dans les années à venir.
Imaginons qu’un jour le château de Vaux-le-Vicomte soit à vendre (ce n’est heureusement pas le cas grâce à l’action remarquable des Vogüé, mais rien n’est jamais définitif dans un domaine comme celui-ci). Qui l’achèterait ? L’État, désargenté et pour lequel le patrimoine n’est pas une priorité ? Un riche français, s’il en reste encore ? Ou bien plutôt un milliardaire chinois ou saoudien qui n’y viendrait qu’une semaine par an et le fermerait complètement le reste de l’année ? Cette dernière hypothèse n’est désormais plus impossible. Comment pourrait-on accepter la fermeture au public de Vaux-le-Vicomte ? Comment a-t-on accepté que l’hôtel Lambert devienne absolument invisible ?

Si une nouvelle loi patrimoine doit être votée (nous sommes de moins en moins persuadé de sa nécessité - nous reviendrons ultérieurement sur ce point), il faudrait qu’elle inclue, pour une liste bien déterminée (et réduite en nombre) de monuments, une obligation d’ouverture minimale. L’hôtel Lambert devrait en faire partie.

2. L’incendie

Nous avons enquêté de manière approfondie sur le déroulement de l’incendie. Non parce que nous pensons qu’il y ait eu une quelconque intention criminelle. C’est peu probable et c’est à la police et aux assurances de déterminer les causes réelles de ce sinistre, ce qui n’est pas dans nos moyens [5]. Mais pour faire un certain nombre de constats et poser des questions qui méritent d’être posées, et sur lesquelles nous méritons d’avoir une réponse.

L’incendie a démarré vers 1 h 30, mais il couvait certainement depuis un moment. Au moins a-t-il été repéré à ce moment par des riverains qui ont senti la chaleur et l’odeur qu’il dégageait, et ont été dérangés par de la fumée. Avant le déclenchement du feu, contrairement aux mois précédents, les lumières de l’hôtel Lambert étaient semble-t-il entièrement éteintes, ce qui était inhabituel [6]. La question que l’on peut se poser est celle-ci : le chantier était-il surveillé dans la nuit du 9 au 10 par un ou des gardiens de nuit ? Il semble qu’il l’était par un gardien de nuit. Celui-ci aurait fait une ronde à 22 h sans rien détecter, et il aurait été réveillé par les pompiers. Nous avons voulu en savoir davantage en questionnant en vain les pompiers, l’architecte en chef et l’entreprise Bouygues. Le lieutenant-colonel Le Testu, que nous avions filmé juste après l’incendie, nous a d’abord dit qu’il ne pensait pas qu’il y avait eu d’alarme et nous a indiqué se renseigner pour confirmer nos informations que les pompiers avaient dû casser la porte du chantier pour entrer dans le bâtiment, mais il ne nous a jamais rappelé. Nous avons reçu par la suite le message lapidaire suivant des sapeurs-pompiers de la Ville de Paris : « La BSPP n’est pas habilitée à répondre à vos questions. Merci de vous rapprocher de la société qui avait en charge la restauration de ce patrimoine ». Manifestement, ceux-ci ont eu l’ordre de ne pas nous répondre. Bouygues, nous le disions, ne nous a pas davantage répondu, pas davantage que le propriétaire [7].

Autre question, toujours à propos de la sécurité : avait-t-on installé, dans l’hôtel, un réseau armé d’incendie, c’est-à-dire un réseau sec passant par des gaines techniques et permettant d’amener l’eau à un certain de nombre de points où elle peut être utilisée par les pompiers en cas de sinistre ? Ce réseau n’est pas obligatoire lorsqu’il s’agit d’un établissement ne recevant pas le public, mais il peut être utile. Nous n’avons pas eu davantage de réponse.
Pourquoi a-t-on laissé sur le chantier, dans les étages, des bouteilles d’acétylène, qui risquent d’exploser et ont freiné l’intervention des pompiers. Cette information est donnée par le lieutenant-colonel Le Testu (voir cette interview sur LCI ou lire cet article du Monde). Celles-ci sont nécessaires pour effectuer les soudures, mais il est d’habitude recommandé de regrouper les produits inflammables dans un local spécifique.

S’il est désormais certain que l’incendie a pris dans les combles de l’hôtel Lambert, pendant quelques jours, une rumeur a circulé prétendant que le feu serait parti d’un autre immeuble, le 7 du quai d’Anjou et qu’il se serait propagé vers l’hôtel Lambert.
Nous nous étions rendu dès le lendemain du sinistre, le 11 juillet, au 7 quai d’Anjou. Et nous avons pu constater que les combles (transformés en bureau) et tous les autres étages sont intacts. Il n’y a eu aucun départ de feu, qui est resté toujours localisé sur les charpentes de l’hôtel Lambert (et qu’on peut d’ailleurs bien voir à partir du 7 quai d’Anjou). Ce départ de feu provenant de la charpente de l’hôtel, à gauche sur la cour, est confirmé par ce qui pouvait se voir de l’autre côté de la rue Saint-Louis-en-l’Isle.

Signalons enfin qu’Alain-Charles Perrot, lors d’une réunion organisée à l’hôtel Lambert pour les riverains avant le début des travaux, leur avait très doctement expliqué que jusqu’ici la sécurité incendie de l’hôtel était nulle, et que tout allait désormais changer...

3. Un chantier complexe

On peut en définitive se demander comment un chantier aussi sensible que celui-ci, dans un monument fragile, a pu prendre feu avec une telle facilité et sans que l’incendie soit immédiatement détecté. Nous n’avons manifestement rien trouvé dans notre enquête qui démontrerait des pratiques interdites. Mais ce qui s’est déroulé depuis trois ans sur la voie publique devant le bâtiment, rue Saint-Louis-en-l’Isle, mérite d’être rapporté.
Lors d’une réunion d’information qui s’est tenue à la mairie du IVe arrondissement le 9 septembre 2010, des engagements oraux avaient été pris auprès des riverains et en présence de la maire d’arrondissement (à l’époque Dominique Bertinotti) : le chantier devait être contenu et les chargements et déchargements devaient se faire à l’entrée de la rue, celle-ci restant libre, avec un espace disponible suffisant ; les camions devaient se contenter d’y circuler en dehors des horaires de passage des enfants. Cette rue étroite est en effet fréquentée par de nombreux enfants en bas âge se rendant à l’école du 21 rue Saint-Louis-en-l’Isle.


4. Travaux en cours devant l’hôtel Lambert
Photo : La Tribune de l’Art
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5. Travaux en cours devant l’hôtel Lambert
2010/2011
Photo : La Tribune de l’Art
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Or, très rapidement, la rue a été largement occupée par le chantier. Les livraisons de matériaux (pierres, parpaings, etc.) plutôt que se faire aux endroits prévus pour cela, ont eu lieu devant l’entrée de l’hôtel Lambert et l’immeuble qui lui fait face. Selon Colette Guez, présidente du conseil de quartier : « Il avait été convenu lors d’une réunion de présentation du chantier que les camions ne seraient pas là au passage des enfants. Il a fallu se battre sans arrêt pour faire respecter la sécurité. Il n’est pas normal que les livraisons aient eu lieu entre 8 h 10 et 8 h 50 le matin à l’heure où les enfants passaient ». Les camions s’y arrêtaient longuement pour charger et décharger. Nous publions ici quelques photos prises par des riverains, depuis le début des travaux et qui font froid dans le dos. On y voit notamment des camions passer à quelques centimètres des enfants.


6. Travaux en cours devant l’hôtel Lambert
2011/2012
Photo : La Tribune de l’Art
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7. Travaux en cours devant l’hôtel Lambert
Photo : La Tribune de l’Art
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8. Travaux en cours devant l’hôtel Lambert
Jour du dépôt de plainte
Photo : La Tribune de l’Art
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Cette situation a été régulièrement dénoncée par les riverains et le conseil de quartier. Malgré des promesses maintes fois répétées par l’entreprise, rien ne changeait.
Devant ces nombreuses protestations, la maire du IVe arrondissement est intervenue plus fortement et les nuisances ont cessé pendant quelques mois, pour reprendre après son départ. Une plainte a même été déposée le 16 novembre 2012 par un riverain pour mise en danger de la vie d’autrui et non respect des règles de sécurité.

Bref, notre enquête (les personnes que nous avons rencontrées n’ont pas voulu être citées nommément - à l’exception de Mme Guez - mais tous les témoignages concordent) montre que si le chantier des décors était mené avec précaution, le reste était, au moins à l’extérieur, dirigé au mieux comme un gros chantier de BTP, certainement pas comme un chantier concernant un monument historique insigne.
Nous posons une simple question : à l’intérieur, hors de la vue des riverains, cela se passait-il plus délicatement, avec davantage de soins ?

4. Les leçons à en tirer

Lorsque Aurélie Filippetti s’est adressée aux journalistes devant l’hôtel Lambert, le 10 juillet, nous lui avons demandé si elle exigerait que le chantier, qui jusqu’à présent était totalement opaque contrairement aux engagements des Émiratis, serait plus transparent, notamment pour la presse, celle-ci nous a répondu (ou plutôt n’a pas répondu) par un « ce n’est pas le moment de polémiquer ». Si ce n’est pas le moment de polémiquer, alors qu’un trésor national vient d’être gravement endommagé et que manifestement de nombreuses questions non résolues se posent, on peut se demander quand il est légitime de le faire.
Bien au contraire : il serait normal que le ministère de la Culture, plutôt que de continuer à se comporter comme s’il s’agissait d’une affaire purement privée ou à prétendre maîtriser des événements qui lui échappent, prenne ses responsabilités et exige ce qu’il exigerait si le propriétaire de ce monument n’était pas un membre de la famille royale du Qatar : une parfaite transparence et un vrai contrôle. L’hôtel Lambert est un monument historique classé, il y a donc des contraintes que le frère de l’émir connaissait avant de l’acquérir. La polémique est nécessaire, car avant de lui appartenir, ce bâtiment appartient au patrimoine français, et cette part là est inaliénable.

Au delà, il faudrait également se poser la question de la sécurité des chantiers sur les monuments historiques. Il y a quelques semaines, l’Hôtel de Ville de la Rochelle était également victime des flammes alors qu’un chantier de restauration se terminait. Si l’on faisait le compte, on constaterait que plus de la moitié des incendies qui se sont déclarés dans des monuments historiques ces dernières années sont dus à des travaux de restauration.
Or, si les règlements de sécurité de bâtiments recevant du public sont devenus totalement excessifs, souvent au détriment de l’édifice lorsque celui-ci est un monument historique [8], nous avons découvert que la règlementation des chantiers, entièrement tournée vers la sécurité des ouvriers, délaisse totalement celle du monument.

Faisons une liste (non exhaustive) de ce qui devrait, très rapidement, être imposé sur des chantiers de monuments historiques :

 présence d’une alarme incendie ; tous les spécialistes que nous avons consultés nous ont confirmé que l’installation de détecteurs était parfaitement possible sur un chantier, mais que cette mesure était rarement mise en œuvre ; dans un article du site News-assurances, une spécialiste travaillant chez le courtier en assurance Aon explique : « Certains contrats [d’assurance] haut de gamme exigent la mise en place de moyens de prévention comme des détecteurs de fumée ou des extincteurs qui doivent être placés dans les combles ou les tableaux électriques par exemple ». Pourquoi ces dispositifs ne sont-ils pas imposés par la législation pour les chantiers monuments historiques ?

 rondes régulières de sécurité ; d’après nos sources, nous l’avons dit, une ronde avait bien été menée à 22 h. Cela s’est révélé totalement insuffisant. Il faudrait prévoir des rondes à intervalles plus courts et réguliers (minimum une heure) ; cela se passe ainsi sur certains chantiers, mais rien n’est imposé par la législation.

 stockage sécurisé des liquides et gaz inflammables ; sur certains chantiers, les bonbonnes sont stockées dans un local spécifique isolé de toute source de chaleur potentielle ; manifestement, si l’on en croit les pompiers, ce n’était pas le cas à l’hôtel Lambert ; la législation devrait l’imposer.

 emploi d’entreprises spécialisées : rien n’empêche une entreprise non spécialisée dans les monuments historiques d’assurer le rôle d’entreprise générale (c’est-à-dire d’avoir la responsabilité de l’ensemble des travaux) ; ainsi, sur ce chantier, les restaurateurs spécialisés monuments historiques étaient des sous-traitants de l’entreprise générale, Bouygues Construction ; la législation l’autorise, ce qui paraît très étonnant.

 règlementation de l’intervention des différents corps de métiers : si le nombre maximum d’ouvriers sur le chantier n’était pas dépassé, le nombre de corps de métiers travaillant simultanément était très important. Or, selon un spécialiste de ce domaine : « Dans un chantier de bâtiment lorsqu’on multiplie les corps d’état, il y a des "risques de non respect des ouvrages déjà réalisés". Ces chantiers nécessitent un ordonnancement très compliqué. Cela peut être très bien géré, mais pour que ça fonctionne dans des mêmes lieux, il faut une très très bonne organisation ». Ne faudrait-il pas, dans un monument comme celui-ci, limiter le nombre de corps de métiers travaillant simultanément ?

Notre enquête démontre clairement que l’incendie de l’hôtel Lambert n’est pas uniquement dû à la fatalité. Le communiqué du ministère de la Culture ne fait aucune allusion à toutes ces questions et il semble que la multiplication des sinistres survenant sur les chantiers monuments historiques ne donne lieu à aucune remise en cause de la législation existante.
Alors que le moindre fait divers provoque souvent une volonté de légiférer dans l’urgence et sans aucun recul, peut-être serait-il temps que le ministère de la Culture se saisisse réellement de cette question et n’attende pas son hypothétique loi patrimoine pour tirer toutes les conséquences de cette triste affaire.

Didier Rykner

Notes

[1Nous pouvons cependant révéler que la corniche du plafond peint a survécu. Des morceaux devraient pouvoir être retrouvés dans les décombres. Par ailleurs, il y a eu deux effondrements limités (environ 20 x 30 cm), sur les plafonds des vestibules avant la galerie d’Hercule.

[2Voir à ce sujet l’article d’Alexandre Gady dans le dernier numéro de L’Estampille-L’Objet d’art, juillet-août 2013, n° 492, p. 34-35.

[3L’annexe au protocole d’accord qui a permis le lancement des travaux stipulait en effet : « le Propriétaire a également fourni à l’Association les plans d’études techniques et, celle-ci les ayant étudiés, a pris acte de la situation et, dans le cadre de la conclusion d’un compromis global, a renoncé à ses demandes sur ce point ». Il était en effet nécessaire, pour débloquer la situation, de céder sur certains points, l’État n’ayant pas pris ses responsabilités.

[4Depuis l’incendie, il semble qu’au moins Paris-Match ait été autorisé à entrer sur les lieux avec le propriétaire comme en témoigne cet article.

[5Selon Le Nouvel Observateur du 19 juillet : « le feu a pris dans un local sous les toits, renfermant trois climatiseurs "sous tension" ». Selon nos propres informations, depuis deux mois des essais de mise en marche des installations techniques étaient effectués.

[6On lit notamment un témoignage dans cet article de Metro : « la nuit dernière tout était éteint ». Nous en avons recueilli un autre.

[7Nous avons, dans un premier temps, contacté le service presse de Bouygues, qui nous a orienté vers Bouygues Construction. Bouygues Construction ne nous a pas répondu mais nous a mis en contact avec Christopher Gilmore, de Gardiner & Theobald, représentant du maître d’ouvrage, c’est-à-dire du propriétaire. Celui-ci nous a dit ne pouvoir répondre à nos questions car la procédure judiciaire et celle concernant les expertises d’assurance sont encore en cours.

[8Les règlements de sécurité deviennent infiniment plus stricts dans les bâtiments publics que dans les habitations privées, ce qui est absurde.

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