Versailles complète le service en Meissen de la reine Marie Leszczyńska

3/12/20 - Acquisition - Versailles, Musée national du Château - C’est une saga à rebondissements qui vient de connaître un nouvel épisode : depuis plusieurs années, la conservation du château de Versailles [1] s’efforce de réunir les éléments dispersés de l’un des plus célèbres cadeaux diplomatiques du XVIIIe siècle européen. Il s’agit d’un nécessaire à thé et à chocolat, produit par la manufacture de porcelaine de Meissen et offert par le roi de Pologne et prince-électeur de Saxe Auguste III (1696-1763) ) à la reine Marie Leszczyńska (1703-1768) en 1737. Ce service (ill. 1) a notamment été étudié par Jeffrey H. Munger, ancien conservateur au Metropolitan Museum de New York, à l’occasion de l’exposition Fragile Diplomacy : Meissen Porcelain for European Courts, 1710-1763 qui eut lieu à l’hiver 2007 au Bard Graduate Center : son catalogue indique qu’il s’agissait du premier présent destiné à un membre de la famille royale française.


1. Les pièces du service en porcelaine de Meissen de la reine Marie Leszczyńska réunies au Château de Versailles à l’occasion de l’exposition Le goût de Marie Leszczyńska dans l’appartement de la Dauphine
Photo : Didier Saulnier
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La situation singulière de la reine en faisait une destinataire privilégiée pour ce cadeau diplomatique : Marie Leszczyńska, qui avait épousé Louis XV en 1725, était la fille de l’ancien roi de Pologne Stanislas Leszczyński, qui vivait en exil en France depuis le mariage royal. La mort d’Auguste le Fort, en 1733, avait lancé la Guerre de Succession de Pologne pour laquelle la France soutenait Stanislas Leszczyński, éphémère souverain entre 1704 et 1709, qu’elle souhaitait remettre sur le trône. Les puissances européennes ne l’entendirent pas de cette oreille et la Russie comme l’Autriche soutinrent la candidature de Frédéric Auguste de Saxe, qui devint alors le roi Auguste III, tandis que la France obtint pour Stanislas la Lorraine. Il reçut donc en viager les duchés de Lorraine et de Bar, qui devaient revenir à la France après sa mort. Probablement désireux d’apaiser les tensions restées très vives avec la France, Auguste III avait eu la délicatesse de commander ce service comportant une cinquantaine de pièces, toutes ornées des armes d’alliance de la souveraine : les aigles polonais voisinent avec les fleurs de lys françaises.

2. Manufacture de porcelaine de Meissen
Théière, 1737
Porcelaine dure - 11,6 x 20 x 10 cm
Londres, Victoria & Albert Museum, The Rosalinde and Arthur Gilbert Collection
Photo : V&A
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Demi-frère du roi de Pologne, Maurice de Saxe (1696-1750) servit d’intermédiaire : le fils adultérin d’Auguste le Fort était au service du roi de France depuis plusieurs années. Dix ans plus tard, en 1747, il sera également l’artisan du second mariage du Dauphin avec Marie-Josèphe de Saxe, fille d’Auguste III, scellant définitivement la réconciliation franco-polonaise. Les archives d’État de Dresde nous renseignent sur les circonstances de la commande du nécessaire : comportant douze bols à thé et leurs soucoupes, douze tasses à chocolat et leurs soucoupes, un grand bol à rincer, une chocolatière, deux théières (ill. 2), un pot à lait, un support de théière, une boîte à sucre et une boîte à thé, celui-ci avait été livré à l’Electeur de Saxe le 27 mars 1737. Richement dorées, ornées de vues de ports, de Chinois de fantaisie et de scènes militaires, les cinquante-six pièces coûtèrent 500 thalers, l’emballage revenant à 32 thalers. Un autre document, datant du 29 septembre 1737, fut signé par le comte de Brühl, Premier ministre de Saxe et directeur de la manufacture de Meissen : il précisait que le nécessaire devait être offert à Marie Leszczyńska par Maurice de Saxe en personne. Il fut transporté jusqu’en France dans un coffret de maroquin rouge, confié au marchand-mercier Jean-Charles Huet, qui reçut 28 thalers pour cette mission. On le retrouve dans l’inventaire après-décès de la souveraine à Versailles, dressé en 1768, qui décrit dans le grand cabinet de la reine une « caisse couverte de même basane rouge à compartiments en taffetas bleu, garnie de très belle porcelaine de Saxe ».


3. Manufacture de porcelaine de Meissen
Jatte à rincer, 1737
Porcelaine dure - 8,3 x 16,2 cm
Versailles, Musée national du château
Photo : RMN-GP/C. Fouin
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Une vingtaine de pièces de ce prestigieux nécessaire sont aujourd’hui connues : parmi celles-ci, l’une des plus importantes ne reviendra hélas jamais à Versailles car elle appartient à la collection Gilbert, présentée au Victoria & Albert Museum de Londres. Il s’agit de l’une (ill. 2) des deux théières du nécessaire, dont l’autre reste à retrouver. C’est en 2014 que le Château de Versailles put acquérir sa première pièce : la jatte à rincer (ill. 3), qui était passée en vente chez Sotheby’s à Londres en 1982 puis chez Christie’s à Paris en 2009.


4. Manufacture de porcelaine de Meissen
Chocolatière, trois bols à thé et quatre sous-tasses, 1737
Porcelaine dure
Versailles, Musée national du château
Photo : RMN-GP/C. Fouin
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Une seconde salve d’acquisitions eut ensuite lieu en 2017, lorsque plusieurs éléments du service ressurgirent à l’occasion d’une vente organisée chez Christie’s à Paris : Versailles acheta alors plusieurs bols à thé et leurs soucoupes ainsi que la chocolatière, élément essentiel du nécessaire, pour un montant global de 140 000 € [2] (ill. 4).


5. Manufacture de porcelaine de Meissen
Tasse à chocolat, vers 1737
Porcelaine dure - 6,5 x 9 cm
Versailles, Musée national du château
Photo : RMN-GP/C. Fouin
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6. Manufacture de porcelaine de Meissen
Bol à thé et sa soucoupe, vers 1737
Porcelaine dure
Sèvres, Musée national de céramique
Photo : RMN-GP/M. Beck-Coppola
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A la fin de l’année 2017, une tasse à chocolat (ill. 5) put rejoindre la chocolatière grâce à un précieux don de M. Raymond Laugier ; l’ensemble des pièces qui avait pu être rachetées par Versailles, augmenté de cette tasse à chocolat prêtée pour l’occasion, avait été dévoilé au public lors de l’exposition Les Visiteurs de Versailles. Ce fut également l’occasion d’admirer un autre bol à thé et sa soucoupe (ill. 6) venus du Musée national de céramique de Sèvres, à qui ils ont été offerts en 1936 : souhaitons cependant un futur dépôt de ces deux pièces à Versailles, tant il est regrettable de les conserver dans un autre musée français mais isolés du reste du nécessaire.

7. Manufacture de porcelaine de Meissen
Pot à lait, 1737
Porcelaine dure - 17,5 cm
Versailles, Musée national du château
Photo : RMN-GP/C. Fouin
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Le destin était décidément favorable à la reconstitution du service : le pot à lait (ill. 7) ressurgit à l’hôtel Drouot, à l’occasion d’une vente organisée le 6 juin 2018 par Binoche & Giquello : Versailles put faire valoir son droit de préemption pour 36 064 €, renonçant pour l’occasion à y adjoindre deux tasses à chocolat et leurs soucoupes ainsi qu’une troisième soucoupe isolée qui étaient proposées dans la même vente (voir la brève du 26/10/18). 2018 se termina d’une manière heureuse : une nouvelle tasse à chocolat, assortie de sa soucoupe, était proposée chez Christie’s à Paris en décembre 2018 : adjugées 13 750 €, ces deux pièces rejoignirent le château de Versailles (voir la brève du 13/12/18). A partir du printemps 2019, l’exposition Le goût de Marie Leszczyńska (voir l’article) nous permit de revoir l’ensemble des treize pièces patiemment acquises par Versailles mais cette présentation était provisoire et il faut espérer qu’un nouvel emplacement sera choisi afin de pouvoir continuer à montrer ce nécessaire à thé et à café aux visiteurs.


8. Manufacture de porcelaine de Meissen
Bol à thé et sa soucoupe, vers 1737
Porcelaine dure - 4,6 x 7,8 cm (bol) et 12,9 cm (soucoupe)
Versailles, Musée national du château
Photo : Lempertz
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Le 13 novembre 2020, un bol à thé et sa soucoupe (ill. 8) étaient proposés aux enchères en Allemagne, chez Lempertz à Cologne : adjugés 16 250 €, ils ont pu à leur tour reprendre la route de Versailles, comme l’ensemble du nécessaire le fit au XVIIIe siècle.

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