Vandalisme sur une chapelle néo-gothique en Alsace

1. Johan Van Soolen
Chapelle Herzog, Wintzenheim
Au premier plan, gargouilles déposées
dans les années 1980
Etat en 2007
Photo : D. R.
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La chapelle Herzog, dans le quartier de Logelbach à Wintzenheim près de Colmar, porte le nom de ses commanditaires, une famille d’industriels, Antoine Herzog (1786-1861) et ses fils Antoine (1816-1892) et Eugène (1819-1858) [1]. Cet élégant bâtiment néo-gothique en grès rose (ill. 1), inspiré par la Sainte Chapelle de Paris, fut construit à partir de 1860 sur les plans de l’architecte Johann van Soolen et consacré en 1862. Son chevet est orienté vers le sud, contrairement à l’usage. L’extérieur est orné de statues : sur les côtés, dix apôtres (deux manquent, soit qu’ils n’aient jamais été sculptés, soit qu’ils aient été enlevés) et sur les deux tourelles de la façade, les saints patrons de la famille Herzog, saint Eugène et saint Antoine. Toutes ces figures sont en grès gris et probablement dues aux ciseaux d’Henri Fonderie, sculpteur français né à La Haye en 1836, auteur du tympan du portail représentant Le Christ en croix entouré par la Vierge et saint Jean.


2. « Si j’avais un marteau... »
Vandalisme en cours sur la chapelle Herzog
à Wintzenheim,
inscrite à l’Inventaire supplémentaire
des monuments historiques
Juin 2009
Photo : D. R.
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En 1984, la chapelle fut acquise par la commune et inscrite en totalité à l’Inventaire des Monuments Historiques, y compris les sculptures. Dans le compte-rendu d’une réunion de la Commission régionale du Patrimoine historique, archéologique et ethnologique chargée le 20 juin 1994 de se prononcer sur l’opportunité d’un classement, on peut lire que M. Bischoff, représentant la Fédération des sociétés d’histoire d’Alsace : « estime que la "Sainte-Chapelle du Logelbach" est le plus exceptionnel monument néo-gothique de Haute-Alsace. Il relève l’exccellente qualité de la sculpture, qu’il rapproche de la sculpture rémoise du XIIIe siècle. » Le classement, alors demandé par la commune, fut proposé par cette commission à l’unanimité moins l’abstention de cinq voix (sur dix-huit votants) mais il fut finalement refusé par la Commission supérieure des Monuments Historiques. Si le dossier précise qu’en raison d’infiltrations des eaux de pluie, certains éléments sculptés étaient très abîmés, notamment des gargouilles qu’on avait dû déposer il y a plusieurs années (elles se trouvent sur l’esplanade, devant l’édifice ; ill. 1) et que la corniche menaç[ait] de se déstabiliser, nulle part les statues en pied ne sont mentionnées comme étant en mauvais état de conservation.


3. Attribué à Henri Fonderie (1836- ?)
Saint Jean
Grès gris
Wintenheim, chapelle Herzog
A gauche, état du 21/6/09 ; à droite, état du 26/6/09
Photo : D. R.
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4. Attribué à Henri Fonderie (1836- ?)
Saint Matthieu
Grès gris
Wintenheim, chapelle Herzog
A gauche, état du 21/6/09 ; à droite, état du 26/6/09
Photo : D. R.
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Les photos illustrant cet article témoignent de la qualité de la statuaire [2]. Hélas, tout cela n’est plus qu’un souvenir : la protection Monuments Historiques n’a pas empêché le maire de la ville, Serge Nicole, sans que la Direction Régionale des Affaires Culturelles soit même informée, de commander à une entreprise locale l’« épuration » de ces statues et des éléments décoratifs sculptés, sous prétexte que ceux-ci menaçaient la sécurité du public (ill. 2 à 9). Les clichés parlent d’eux-mêmes : les œuvres sont pour la plupart détruites au-delà du réparable, les visages en particulier (à l’exception de celui de Thomas) ayant été complètement martelés.
A nos interrogations, la mairie a répondu que ces mesures ont été prises « pour des raisons de sécurité », et s’est appuyée sur deux « rapports » - il s’agit en réalité de courriers de deux pages chacun des services des Monuments Historiques datant respectivement de 1996 et de 2004 - pour les justifier.


5. Attribué à Henri Fonderie (1836- ?)
Saint Barthélémy
Grès gris
Wintenheim, chapelle Herzog
A gauche, état du 21/6/09 ; à droite, état du 26/6/09
Photo : D. R.
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6. Attribué à Henri Fonderie (1836- ?)
Saint Thomas
Grès gris
Wintenheim, chapelle Herzog
A gauche, état du 21/6/09 ; à droite, état du 26/6/09
Photo : D. R
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La mairie nous a faxé ces documents. Dans le premier (1996), l’architecte des Bâtiments de France énumère les désordres de la chapelle. Parmi ceux-ci, il confirme le mauvais état de plusieurs parties de la balustrade haute dont certains éléments risquent de chuter, ainsi que d’une gargouille de l’angle sud-est. En ce qui concerne les sculptures, il signale qu’elles sont « dégradées » sans préciser davantage, et en ajoutant simplement que le Saint Barthélémy (ill. 5) « se feuillette à de très nombreux endroits ». Nulle part il ne laisse penser que ces sculptures pourraient représenter un quelconque danger.
Dans le second, en 2004, signé à nouveau par l’architecte des Bâtiments de France qui a entre-temps changé, il est précisé à nouveau que les balustrades en grès rose sont très dégradées, que trois ont déjà été déposées et que les huit restantes posent un problème de sécurité « même si les façades latérales ne sont pas accessibles au public ». Il ajoute : « Les sculptures en grès gris pourraient également être nettoyées », ce qui prouve donc qu’elles ne sont pas dangereuses puisqu’il n’est question ici que de les « nettoyer ». L’architecte termine sa lettre en signalant que « les travaux sur des bâtiments inscrits sur la liste supplémentaire des Monuments Historiques doivent faire l’objet d’une déclaration auprès du préfet de région [et que] tous travaux effectués sur un bâtiment inscrit nécessitent un dossier de permis de construire ».


7. Attribué à Henri Fonderie (1836- ?)
Saint André
Grès gris
Wintenheim, chapelle Herzog
Etat du 29/6/09 après vandalisme
Photo : D. R.
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8. Attribué à Henri Fonderie (1836- ?)
Saint Paul
Grès gris
Wintenheim, chapelle Herzog
Etat du 29/6/09 après vandalisme
Photo : D. R.
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On voit donc mal ce qui pourrait, dans ces deux courriers (dont le plus récent a cinq ans !), justifier aujourd’hui le martèlement de sculptures protégées au titre des Monuments Historiques. Si ces statues étaient menaçantes, ce n’était pas pour le public qui ne peut accéder à l’aplomb des façades, qui sont depuis longtemps interdites d’accès par des grilles. S’il fallait absolument empêcher la chute de pierres (dont les photos montrent qu’elle ne semblait pas imminente, les sculptures apparaissant plutôt en bon état avant la « purge ») il était toujours possible de mettre des filets de protection en attendant une restauration. Il fallait dans tous les cas se rapprocher de la DRAC.


9. Chapelle Herzog, côté est
Etat du 26/6/09 après vandalisme
Photo : D. R.
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Or, celle-ci nous a confirmé qu’elle n’avait pas été informée et qu’elle avait encore moins donné son autorisation. Elle n’a été prévenue que récemment. Elle va demander des explications à la mairie et souhaite pouvoir récupérer les gravats (ill. 10) qui seraient encore conservés par l’entreprise pour envisager une restauration des sculptures. Cela semble parfaitement illusoire : il est fort peu probable qu’il soit possible de retrouver des morceaux en suffisamment bon état après que ces œuvres ont été martelées et que les morceaux sont tombés sur le sol.


10. Chapelle Herzog, côté est
Etat du 26/6/09 après le vandalisme municipal
Tas de gravats après que les sculptures ont été martelées
On voit sur la photo les grilles qui empêchent le public
d’accéder sur les côtés du bâtiment
Photo : D. R.
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Nous avions écrit dans un premier temps qu’il était sidérant qu’un élu ne sache pas qu’aucun travaux sur des monuments historiques - et à plus forte raison aucune dégradation ou destruction - n’est possible sans autorisation de la DRAC. Cette ignorance n’aurait pas exonéré le maire de Wintzenheim de ses responsabilités. Mais il s’avère que le courrier reçu en 2004, et sur lequel s’appuie le maire pour justifier son action, explique clairement qu’il n’avait pas le droit d’agir ainsi. Celui-ci était donc parfaitement au courant et a agi sciemment.
Rappelons que le vandalisme sur des monuments historiques protégés est puni par la loi. Depuis 2008, le ministère de la Justice et celui de la Culture ont même obtenu une aggravation des peines (voir []). L’article 714-1 du code du patrimoine prévoit que : « La destruction, la dégradation ou la détérioration est punie d’une peine de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende lorsqu’elle porte sur un immeuble ou un objet mobilier classé, inscrit ou protégé [...] » Nous sommes exactement dans ce cas.

Depuis la récente réforme du code du patrimoine, c’est désormais aux propriétaires que revient la maîtrise d’ouvrage sur les monuments historiques. Une restauration de cette chapelle, qui sera de toute façon nécessaire, verra donc la mairie de Wintzenheim en assurer la direction. Décidément, on marche sur la tête.

English version

Didier Rykner

Notes

[1Les informations historiques de cet article ont été trouvées dans le dossier de recensement monuments historiques de la chapelle, consulté à la Médiathèque de l’Architecture et du patrimoine, section Archives courantes et documentation immeuble.

[2Par un pur hasard, un de nos correspondants a pris en photo les sculptures de la façade est le 21 juin 2009, trois jours avant le forfait. Nous n’avons pas de photos de la façade ouest avant.

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