Vandalisme et vols dans la chapelle de l’ancien Hôpital Laënnec

1. Intérieur de la chapelle de l’ancien hôpital Laënnec
7 décembre 2010
Photo : Didier Rykner
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Le mardi 7 décembre 2010, plusieurs membres des familles La Rochefoucauld et Turgot, ainsi que de l’Association à la mémoire du Cardinal de La Rochefoucauld, visitaient la chapelle de l’Hôpital Laënnec pour se rendre sur la tombe de leurs aïeux et constater de visu l’état du bâtiment (ill. 1).

Presque entièrement vidée de son mobilier historique, la chapelle fait peine à voir. Seuls demeurent à leur place la chaire, classée monument historique, qui a cependant perdu la croix la surmontant qui semble avoir bel et bien disparu ; les deux autels latéraux portant chacun un retable classé monument historique et que la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) a, à raison, laissé sur place car ils forment un ensemble pratiquement immeuble par destination ; la clôture en bois peint du chœur (classée), en piteux état [1] ; et l’autel principal (classé).


2. Philippe de Champaigne (1607-1674)
L’Ange gardien
Huile sur toile - 210 x 180 cm
Paris, chapelle de l’ancien hôpital Laënnec
Photo : Didier Rykner
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3. Claude François, dit Frère Luc
Sainte Marguerite
Huile sur toile - 200 x 154 cm
On voit le tabernacle vandalisé,
la porte arrachée et disparue
Paris, chapelle de l’ancien hôpital Laënnec
Photo : Didier Rykner
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Si le tableau de Philippe de Champaigne (ill. 2) est connu, la Sainte Marguerite (ill. 3) qui lui fait pendant était d’attribution incertaine [2]. En réalité, Guillaume Kazerouni l’avait signalée dans un article du numéro des Dossiers de l’art consacré aux peintures du XVIIe siècle dans les églises de Paris (voir l’article) : il s’agit d’une œuvre indiscutable de Frère Luc, un artiste bien connu des lecteurs de La Tribune de l’Art.


4. Tabernacle de l’autel de droite
où se trouve le tableau de Frère Luc
Le tabernacle a été désolidarisé de l’autel
et la porte a disparu
7/12/10
Photo : Didier Rykner
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5. Autel central
La porte du tabernacle a disparu
7/12/10
Photo : Didier Rykner
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Si ces toiles, dont on s’interrogeait sur le sort, sont donc bien toujours présentes dans la chapelle, les tabernacles des trois autels ont été vandalisés : leurs portes, arrachées, ont disparu (ill. 3, 4 et 5). Or, lors de l’inventaire fait par la DRAC au moment de la vente de l’hôpital, ces portes étaient toujours en place comme nous l’a confirmé la conservatrice des monuments historiques qui en avait fait des photos. Nous pouvons d’ailleurs voir ces portes sur des clichés de famille pris lors de baptêmes dans la chapelle en 1992 et en 1995 (ill. 6, 7 et 8).
Nous avons interrogé Allianz, la compagnie qui a acheté les bâtiments historiques de Laënnec et qui est responsable de la chapelle. Celle-ci, par la voix d’Olivier Wigniolle, nous a répondu qu’« à la suite d’une tentative de vol, l’une des portes de tabernacle a été mise en sureté ». Nous avons alors cherché à savoir où étaient les deux autres portes des tabernacles, quelle était celle qui avait été mise en lieu sûr, si la DRAC avait été informée et si plainte avait été déposée, mais Olivier Wigniolle nous a répondu qu’il n’« avait rien à ajouter de plus que ce qu’[il m’avait] indiqué, n’ayant pas nécessairement les réponses à [mes] questions ».
C’est ennuyeux. On comprend mal que le vandalisme et le vol d’objets classés, appartenant qui plus est à un établissement public [3], n’aient pas été signalés au ministère de la Culture alors que, manifestement, Allianz en a eu connaissance. On comprend encore plus mal qu’aucune plainte, apparemment, n’ait été déposée [4]


6. Intérieur de la chapelle de l’hôpital Laënnec
Février 1995
Photo : Archives privées
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7. Tabernacle de l’autel de gauche avec sa porte
Décembre 1999
Photo : Archives privées
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8. Tabernacle de l’autel central avec sa porte
Février 1995
Photo : Archives privées
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Les auteurs de ce vol et de ce vandalisme encourent pourtant (article 311-4-2 du code pénal) une peine de dix ans de prison et 150 000 € d’amende puisqu’il s’agit du vol d’objets mobiliers classés et que, circonstance aggravante, le vol a été précédé d’un acte de détérioration. Maintenant que le ministère de la Culture est informé de ce vandalisme et de ces vols, il est nécessaire qu’il porte plainte.
On signalera par ailleurs qu’un tableau du XVIIe siècle anonyme [5] (ill. 9), non classé monument historique mais qui n’en appartient pas moins au domaine public d’un établissement public (l’APHP) et reste donc inaliénable et imprescriptible tant qu’il n’a pas été déclassé, est porté manquant. Il n’est ni dans la chapelle, ni au musée de l’APHP qui ne pouvait le récupérer car il était trop grand, ni au dépôt des œuvres d’art de la Ville de Paris, ni au Fonds National d’Art Contemporain (FNAC) où il aurait pu être déposé... Allianz nous a assuré que ce tableau n’a jamais été en leur possession, ce qui est probable contrairement aux portes des tabernacles.


9. France, XVIIe siècle
La Trinité terrestre
Huile sur toile - 218 x 170 cm
Autrefois dans la chapelle de l’hôpital Laënnec
Tableau non localisé
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Tout cela fait beaucoup. Au scandale de la vente de ce patrimoine à des promoteurs qui veulent transformer la chapelle en salle de réunion s’ajoutent donc des faits délictueux dont on ne connaît pas les auteurs mais qui manifestement ont été perpétrés alors que la chapelle était fermée et sous la surveillance théorique des nouveaux propriétaires de l’hôpital, sans que ceux-ci s’en émeuvent. La disparition de la toile du XVIIe siècle, qui n’est peut-être pas un vol mais une négligence, nécessite comme pour les tabernacles le dépôt d’une plainte afin qu’une enquête puisse être menée par la Brigade de Répression du Banditisme. Il faut espérer que celle-ci fasse la lumière sur cette affaire et, espérons-le sans trop y croire, permette de retrouver le tableau et les portes des tabernacles.

Didier Rykner

Notes

[1Des morceaux de cette barrière se trouvent derrière l’autel principal.

[2Elle est classée comme Anonyme du XVIe siècle.

[3Ce point est indiscutable : la loi précise clairement qu’un objet classé appartenant à un établissement public ne peut être vendu à un privé (article L622-14 du code du patrimoine).

[4La conservatrice des monuments historiques nous a confirmé que la DRAC d’Ile-de-France n’était pas au courant de ces vols et de ce vandalisme. Allianz n’a pas pu nous dire si une plainte avait été déposée. L’OCBC nous a renvoyé vers la Brigade de Répression du Banditisme en charge des vols d’œuvres d’art sur Paris et le service de presse que nous n’avons contacté qu’au dernier moment n’a pas encore pu répondre à notre question. Si une plainte avait effectivement été déposée, nous le ferions savoir aux lecteurs. Il reste que s’il y avait eu plainte, il serait très étonnant que la DRAC n’en aie pas connaissance.

[5Nous n’avons malheureusement pas de meilleure image que cette mauvaise photocopie.

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