Un dessin de Delacroix préempté par l’Assemblée nationale

3/12/2 - Acquisition - Paris Bibliothèque de l’Assemblée nationale - Soucieux de réformer Sparte, Lycurgue se rendit à Delphes pour interroger Apollon sur les lois qu’il souhaitait définir. Plutarque raconte que la Pythie le salua en lui déclarant qu’il était «  aimé du dieu, et dieu lui-même plutôt qu’être humain  », et lui assura qu’Apollon lui garantissait la meilleure des constitutions. De retour à Sparte, Lycurgue fixa avec les citoyens la « Grande Rhêtra  », sans doute la plus ancienne constitution grecque, qui passait donc pour avoir été dictée par Apollon. Parmi ces lois : instituer un sénat de trente personnes, et laisser au peuple le pouvoir de contredire et de décider.


1. Eugène Delacroix (1798-1863)
Lycurgue consulte la pythie, 1838-1847
Paris, Bibliothèque de l’Assemblée nationale
Photo : Assemblée nationale
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Eugène Delacroix a représenté Lycurgue venu consulter la Pythie sur l’un des médaillons de la bibliothèque de l’Assemblée nationale (ill. 1). Un dessin préparatoire à cette peinture était mis en vente à Paris par Ader-Nordmann le 1er décembre dernier. Adjugé 7 500 euros, il a été préempté par l’Assemblée nationale (ill. 2). La composition est inversée par rapport à l’œuvre finale, mais la disposition des personnages est sensiblement la même. On connaît plusieurs esquisses pour cette composition, le Louvre notamment conserve un pastel ainsi qu’une aquarelle, et l’Université du Michigan possède une huile (ill. 3 et 4).


2. Eugène Delacroix ( 1798 - 1863)
Lycurgue consulte la pythie, vers 1838
Crayon noir, graphite et estompe sur papier calque doublé - 22 x 28 cm
Paris, Bibliothèque de l’Assemblée nationale
Photo : Ader-Nordmann
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Sous la Restauration, un vaste chantier de rénovation du Palais Bourbon fut entrepris à partir de 1828, dirigé par l’architecte Jules de Joly, et poursuivi sous la Monarchie de Juillet. Eugène Delacroix fut chargé de décorer le Salon du Roi en 1833, puis la bibliothèque en 1838, chantier titanesque, retardé pour de multiples raisons, qu’il acheva seulement en 1847. Il lui fallait orner la voûte composée de cinq coupoles, chacune dotée de quatre pendentifs, ainsi que les culs de four des hémicycles aux deux extrémités. Il choisit d’évoquer « la marche de l’humanité vers le savoir et la connaissance » : le premier hémicycle est soumis à la barbarie avec Attila foule au pied l’Italie et les Arts, tandis qu’à l’autre bout, le second voit naître la civilisation avec Orphée venu policer les Grecs et leur enseigner les Arts et la Paix. Ces deux compositions peintes sur un enduit de cire furent réalisées sur place.


3. Eugène Delacroix (1798-1863)
Étude pour un pendentif : Lycurgue consulte la Pythie
Pastel - 25,3x 32 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : RMN-GP/ Michel Urtado
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4. Eugène Delacroix (1798-1863)
Lycurgue consulte la Pythie vers 1840
Huile sur toile - 32,8 x 41,2 cm)
Michigan, University of Michigan Museum of Art
Photo : UMMA
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Entre les deux, les cinq coupoles marquent cette progression vers la civilisation, grâce aux Sciences, à la Philosophie, à la Législation, à la Théologie et à la Poésie, chacune illustrée, sur les quatre pendentifs, par un épisode de la vie de quatre personnages tirés de l’Antiquité, de la Bible ou de la Mythologie. Ces compositions furent peintes sur toile en atelier puis marouflées. Pour les Sciences, Delacroix retint Hippocrate, Pline l’Ancien, Archimède et Aristote ; pour la Philosophie, il convoqua Sénèque, Socrate, les bergers chaldéens, Hérodote ; la Théologie est illustrée par Adam et Ève, la captivité de Babylone, saint Jean Baptiste, et le drachme du tribut ; enfin la Poésie apparaît dans l’éducation d’Achille, elle est aussi incarnée par Hésiode et par Ovide, par Homère également dont Alexandre fit enfermer les œuvres dans une cassette en or après bataille d’Arbelles ; ce sujet fut davantage développé par le peintre en 1840 dans la bibliothèque du Palais du Luxembourg (actuel Sénat) puisqu’il occupe le cul-de-four latéral ; le musée Delacroix avait d’ailleurs acheté une maquette préparatoire à ce décor en 2017 (voir la brève du 7/12/17).

Enfin pour la Législation, le peintre puisa dans la vie de Cicéron qui accusa Verrès d’abus de pouvoir, de détournement de fonds, de vol d’œuvres d’art. Il choisit aussi
Démosthène qui haranguait les flots de la mer pour s’aguerrir au tumulte et à l’agitation des assemblées du peuple d’Athènes. Sur le troisième pendentif, il représenta Numa et la nymphe Égérie lui dictant les réformes religieuses. Et enfin Lycurgue sur le quatrième. Le choix de tous ces personnages n’avait rien d’évident. De nombreux dessins témoignent des recherches de Delacroix, et des différents sujets auxquels il pensa. Une feuille passée chez Christie’s Paris en juin 2010 montre qu’il envisagea de montrer saint Paul sur le chemin de Damas, dans une composition en raccourci assez séduisante. Dans la marge de ce dessin, des inscriptions trahissent les tâtonnements de l’artiste et l’idée déjà du personnage de Lycurgue : « la Pythonisse/ Lycurgue la consulte/ou un autre/le jeune Pompée/consulte la Pythonisse/dans la Pharsale ».
Ce décor rencontra le succès auprès du public et de la critique : « Là il est fougueux, hardi jusqu’à l’impossibilité, ici il est gracieux, rêveur, tendrement recueilli et sa couleur toujours intelligente s’accommode aux mille exigences de ses conceptions dont l’originalité imprévue rajeunit des sujets tombés dans la banalité [...] Saisir dans une action, dans un mouvement, dans une pensée, l’instant le plus expressif et aussi le plus fugitif, voila un des grands problèmes de la peinture ; c’est le but constant de M. Delacroix, il l’atteint souvent. [1] »

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