Souvigny, fille de Cluny, met en valeur son patrimoine

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1. Prieuré de Souvigny
Photo : Didier Rykner
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Des élus qui s’intéressent à leur patrimoine, des habitants qui s’impliquent dans sa sauvegarde, cela fait plaisir à voir et donne un peu d’espoir. Souvigny, un village de moins de 1900 âmes, riche d’un patrimoine exceptionnel (ill. 1), a bien compris que celui-ci était un atout et une richesse davantage qu’une charge. Mieux même : en se promenant, dans les rues, on n’y voit pas ce mobilier urbain misérable, bacs à fleurs en béton ou en plastique ou panneaux publicitaires vantant les mérites de yaourts, qui défigurent tant de villes en France. Bref, la mairie de Souvigny a du goût, une chose trop rare pour ne pas être signalée.

Sa principale (mais pas unique) richesse est son prieuré dépendant de Cluny. La restauration de la nef, effectuée entre 2006 et 2008 par les monuments historiques et l’architecte en chef François Voinchet [1], est la seule note de (très) mauvais goût que l’on trouve dans le village. L’État a imposé de repeindre la nef en jaune sous prétexte qu’il s’agirait du « dernier état connu », celui du XVIIIe siècle. C’est absurde : on conserve un état du XVIIIe siècle dans une église du moyen-âge quand il existe encore. On ne le refait pas. Voilà à nouveau un exemple de cette mode désastreuse du jaune. Les architectes en chef des monuments historiques trouvent toujours des « traces » de cette couleur sur les murs. Des traces tellement probantes qu’il avait fallu six mois pour arriver à se mettre d’accord sur la teinte exacte qui viendrait « orner » l’intérieur de l’église. Le résultat est désastreux (ill. 2), ce dont les élus ne disconviennent pas. Ni roman, ni XVIIIe siècle. Juste moderne et moche. On projette de restaurer un jour le transept et le chœur, et ceux-ci sont déjà résignés : il faudra bien « harmoniser » l’ensemble (ill. 3). Et bien non. S’il faut harmoniser, ce devrait être en grattant l’enduit indûment ajouté, pas en badigeonnant le reste du monument (à grands frais, évidemment).


2. Bas-côté gauche de la nef
Souvigny, église prieurale
Photo : Didier Rykner
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3. Église prieurale de Souvigny
On voit la différence entre la partie restaurée en
jaune et le transept, qui n’a pas été restauré
Photo : Didier Rykner
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4. Chapelle vieille de l’église prieurale
Gisants de Louis II de Boubon et d’Anne d’Auvergne
Photo : Service de presse
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Mais ne parlons plus de ce qui fâche, et attardons-nous sur la récente restauration de la « chapelle vieille », à droite du chœur (ill. 4), qui nous semble au contraire fort réussie, effectuée sous le contrôle de la Direction régionale des affaires culturelles par l’architecte en chef Richard Duplat, et qui vient juste de se terminer. Ces travaux, soutenus par la DRAC et le Conseil général de l’Allier ont bénéficié d’un mécénat important de l’homme d’affaire suédois, installé en Suisse, Frederik Paulsen, grâce à sa rencontre improbable, en Géorgie, avec un habitant de Souvigny qui l’a persuadé de l’importance du monument [2].
La clôture de chœur et les gisants de Louis II de Bourbon et d’Anne d’Auvergne ont été restaurés pour la première (de manière respectueuse de son histoire), et simplement nettoyés pour les seconds. Mais la grande découverte, exceptionnelle même, est le décor peint de la voûte (ill. 5), qui subsistait sous un enduit gris et dont nul ne soupçonnait l’existence auparavant. Datant du début du XVe siècle, il représente un chœur d’anges musiciens. La qualité en est remarquable. Si le fond bleu (en azurite) est irrémédiablement dégradé et désormais d’une teinte ocre, les anges sont étonnamment bien conservés [3].
On trouve également dans cette même chapelle une Mise au tombeau du Christ du XVIe siècle (ill. 6).


5. France, XVe siècle
Chœur d’anges
Voute peinte de la chapelle vieille récemment redécouverte
Photo : Didier Rykner
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6. France, XVIe siècle
Mise au tombeau
Pierre - 125 x 250 cm
Souvigny, église prieurale
Photo : Didier Rykner
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Mais il serait dommage de quitter ces lieux sans en terminer la visite. Dans la nef jaune ont été installés en 2009 les deux gisants des saints abbés de Cluny, Mayeul et Odilon (ill. 7), brisés pendant la Révolution et retrouvés en 2134 morceaux (!) au début des années 2000 grâce à des fouilles archéologiques. Ces fragments avaient servi à combler leur caveau. Les sculptures furent reconstituées comme un grand puzzle par le restaurateur Benoît Vincent du Puy. Notons tout de même que le corps de l’un d’eux n’a pas été entièrement retrouvé et est en grande partie une restitution moderne : peut-être d’autres fouilles permettront-elles de les découvrir ?
Signalons également un grand meuble de pierre : l’armoire qui conservait les reliques des deux saints, lesquels sont peints sur les portes (ill. 8).


7. France, XIIIe siècle
Gisants de saint Mayeul et saint Odilon après leur reconstitution
(seule la tête du gisant de gauche est authentique)
Souvigny, église prieurale
Photo : Didier Rykner
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8. France, XVe siècle
Armoire
Pierre et bois peint
Souvigny, église prieurale
Photo : Didier Rykner
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Symétriquement à la chapelle vieille se trouve la chapelle neuve, qui conserve le tombeau mutilé du duc Charles Ier de Bourbon et de son épouse Agnès de Bourgogne. De sa statuaire importante subsistent seulement les gisants et les lions à leurs pieds (ill. 9 et 10). On connaît le nom du sculpteur, Jacques Morel, le contrat pour sa réalisation daté du 24 juin 1448 ayant été retrouvé.


9. Jacques Morel (vers 1390-1459)
Tombeau de Charles Ier, duc de Bourbon
et d’Agnès de Bourgogne

Marbre
Souvigny, église prieurale
Photo : Didier Rykner
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10. Jacques Morel (vers 1390-1459)
Tombeau de Charles Ier, duc de Bourbon
et d’Agnès de Bourgogne
, détail
Marbre
Souvigny, église prieurale
Photo : Didier Rykner
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Disons un mot maintenant de deux tableaux conservés dans l’église, mais en état très préoccupant.
Le premier est une œuvre importante du XVIIe siècle, sans doute de Jacques Blanchard, (ill. 11) attribution proposée en 2011 par Guillaume Kientz et reprise par Guillaume Kazerouni dans un ouvrage publié par le Musée des Beaux-Arts de Rennes [4], qui vient de sortir et fait le point sur les œuvres réapparues depuis l’exposition de Jacques Thuillier [5]. L’attribution formelle ne pourra être faite sans que l’œuvre soit restaurée. Et malgré toute sa bonne volonté, la municipalité – qui n’avait apparemment pas conscience de l’importance de la toile – ne peut le faire pour l’instant. Celle-ci serait en revanche très intéressée par un mécénat – et pourquoi pas un mécénat de compétence ? Nous nous associons donc à elle pour lancer un appel aux lecteurs de La Tribune de l’Art. Si parmi eux, certains souhaitaient prendre en charge [6] tout ou une partie de la restauration de ce tableau, ils feraient une bonne action (que nous répercuterions largement). Il faut encourager les communes comme Souvigny.


11. Attribué à Jacques Blanchard (1600-1638)
La Vierge couronnant une sainte en compagnie
de saint Pierre et saint Paul

Huile sur toile
Souvigny, église prieurale
Photo : Didier Rykner
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12. France, vers 1840
Évangéliste ?
Huile sur toile
Souvigny, église prieurale
Photo : Didier Rykner
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Un autre beau tableau est, lui aussi, dans un triste état (ill. 12). La mairie s’interroge d’ailleurs sur la propriété de l’œuvre, car elle se trouve dans la chapelle neuve qui – originalité - appartient encore aux Bourbon. Mais le cartel qui se trouve sur le cadre lève le doute : la toile a été offerte à l’église, qui depuis 1905 est propriété de la ville.
Le tableau, manifestement du XIXe siècle, et certainement d’un bon peintre, fait peine à voir. Nous pensions qu’il avait pu être victime d’un incendie, ce qui nous a été confirmé par le responsable du musée. Très noirci et craquelé dans sa partie inférieure droite, il se déchire sur le haut. Le laisser ainsi le condamne à une disparition programmée. Il serait plus que souhaitable, en attendant une hypothétique et coûteuse restauration, que la DRAC l’inscrive ou le classe (ce qui ne semble pas être le cas), puis le dépose et le sécurise.


13. France, XIXe
Sainte Élizabeth et saint Jean-Baptiste
Vitrail
Souvigny, église prieurale
Photo : Didier Rykner
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14. France, XIXe
Sainte Joseph
Vitrail
Souvigny, église prieurale
Photo : Didier Rykner
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On signalera aussi l’orgue du XVIIIe siècle, rare exemple entièrement conservé (il y en a seulement deux en France, à Poitiers, et ici) du facteur du roi, François-Henri Clicquot, avant de poursuivre ce tour trop rapide de l’église par les vitraux : ceux du chœur, qui datent de 1438 (une partie a été détruite en 1918 lors de l’explosion accidentelle de l’atelier de chargement d’obus de Moulins) mais aussi ceux du XIXe siècle, notamment dans les chapelles du déambulatoire. Non qu’ils soient plus importants, bien sûr, mais ce type d’œuvre est souvent moins regardé ; or certains de ces vitraux (ill. 13 et 14) sont très beaux. Nous n’avons pas vu d’inscription et ne connaissons donc pas leur(s) auteur(s) ni la manufacture qui les a produits (nous sommes preneur de toute information à ce sujet).


15. France, XIIe siècle
Colonne du Zodiaque
Pierre
Souvigny, Musée
Photo : Didier Rykner
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16. Reste du cloître de l’église prieurale
Photo : Didier Rykner
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Notre visite de l’église prieurale se termine dans la partie réservée aux abonnés, où nous publions un court article et une petite vidéo sur la surprenante sacristie du XVIIIe siècle, peinte à fresque.
Mais le visiteur a encore beaucoup à voir à Souvigny. Le musée lapidaire, où il peut découvrir une étonnante sculpture du XIIe siècle, la tour du zodiaque (ill. 15), le très beau jardin, les restes du cloître (ill. 16). Une autre partie du bâtiment appartient à l’évêché de Moulins qui n’en permet pas la visite…


17. À droite, la Porterie, XVIIe siècle
Souvigny
Photo : Didier Rykner
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18. Vue sur le chevet de l’église prieurale du jardin de la Porterie
Photo : Didier Rykner
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À proximité immédiate, on pourra voir l’ancienne église, aujourd’hui centre d’exposition, et la Porterie (ill. 17), privé mais ouvert au public, très beau bâtiment du XVIIe siècle, dont le jardin offre un point de vue superbe sur le chevet de l’église (ill. 18). À peine parti de Souvigny, on a déjà envie d’y revenir.

Didier Rykner

Notes

[1L’architecte est décédé avant la fin des travaux, en 2007.

[2Le coût total des travaux était de 488 144 €. La DRAC a contribué pour 174 665 €. Le conseil général et plusieurs mécénats (Fondation Souza, Vieilles Maisons françaises et la Fondation Paulsen) pour 313 479 €.

[3Cette peinture murale a été restaurée par une équipe dirigée par Didier Legrand.

[4Sylvain Kerspern nous fait remarquer qu’il avait publié le tableau en 2009, en proposant déjà le nom de Blanchard (voir ici (addendum du 12/6/15).

[5Nous reparlerons de ce livre.

[6Rappelons que ce type de mécénat bénéficie d’une déduction fiscale de 66% pour un particulier, 60% pour une entreprise.

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