Secteur sauvegardé de Perpignan : destructions et menaces

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1. Démolition du presbytère de Perpignan
21 décembre 2015
Photo : Drong-commonswiki (CC BY-SA 4.0)
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Le 21 décembre 2015, des bulldozers mettaient à bas le presbytère de la cathédrale de Perpignan ainsi qu’une maison mitoyenne (ill. 1). Cette destruction, conduite dans une certaine précipitation, et qui concernait deux immeubles classés comme « à conserver » dans le règlement du PSMV (plan de sauvegarde et de mise en valeur), a été certainement la goutte qui a fait déborder le vase pour les opposants à la politique urbaine et patrimoniale de la mairie de Perpignan. La démolition a été rapide pour des raisons, affirme la ville, de sécurité. Elle prétend que le bâtiment, étant en très mauvais état, menaçait ruine à brève échéance. Il n’aura pas fallu plus de deux semaines, jours pour jour, entre la visite d’un expert mandaté par la ville de Perpignan pour estimer la condition de l’édifice, et sa destruction : le 7 décembre, il faisait son constat, le 8 décembre il rendait son rapport, le 14 décembre, le presbytère était frappé d’un arrêté de péril, et le 21 décembre il était détruit, avec un immeuble mitoyen qui pourtant n’avait, lui, fait l’objet d’aucune autorisation de destruction.


2. Léon Bénouville
Presbytère de la cathédrale de Perpignan, 1899-1900
Aujourd’hui détruit
Photo : Drong-commonswiki (CC BY-SA 4.0)
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3. Emplacement du presbytère après sa
destruction (état actuel)
Photo : Didier Rykner
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Démolir, plutôt que restaurer

Nous avons pu lire le rapport de l’expert. Celui-ci comporte, dès le début, une très grosse erreur factuelle, si grosse qu’elle entache forcément tout le document. L’expert écrit en effet (et il le répète un peu plus loin) que cet immeuble (ill. 2), de par ses caractéristiques, peut être daté vers 1850. Ce qui est faux, puisque son architecte, Léon Bénouville, est né en 1860 et l’a édifié en 1899-1900. Cette erreur n’est pas qu’anodine puisque qu’il affirme un peu plus loin que l’édifice « répond aux critères techniques du mode constructif de l’époque ». Mais de quelle époque ? 1850 ou 1900, une différence d’un demi siècle assez conséquente donc.
L’expert conclut que ses constats (notamment de nombreuses lézardes, documentées par des photos et apparues ces dernières années) impliquent que « cet immeuble ne peut être conservé en l’état, une évolution des désordres est évidente ». Il propose donc dans un premier temps d’envisager « sa consolidation avec la mise en place de systèmes conservatoires, tels que des butons ou autres, qui conduira nécessairement à terme à une réflexion sur un mode réparatoire [sic] définitif de cet immeuble ». Pourtant, la conclusion est bien différente : sans expliquer pourquoi il change ainsi d’avis d’une page à l’autre du rapport, la consolidation n’est tout d’un coup plus préconisée : « Il y a lieu, à notre avis, d’envisager, la déconstruction de ce bâtiment en raison de son état de ruine et du danger qu’il présente. » En réalité, ce rapport apparaît comme extrêmement superficiel. En résumé : on pourrait consolider puis réparer le monument, mais finalement il est préférable de le détruire. À aucun moment pourtant il n’est fait état d’un écroulement imminent, ni d’une impossibilité de le restaurer. Rien n’empêchait, si l’on en croit le rapport sur lequel la mairie s’appuie pour justifier sa décision, de mettre le bâtiment en sécurité, puis de le restaurer. « Envisager » la destruction (terme moins hypocrite que « déconstruction »), ce n’est pas l’imposer comme urgente.
Notons que deux autres « études », encore plus succinctes (3 p. chacune !), préconisent toutes deux la démolition du bâtiment. Mais outre leur légèreté (« il y a des fissures donc ça risque de s’écrouler, donc on démolit »), elles ne sont ni l’une ni l’autre, pas davantage que la première, dues à des architectes du patrimoine. Si tel était le cas, ils n’auraient pas méconnu l’importance patrimoniale du monument.

Il se trouve pourtant qu’au moins un autre expert (architecte du patrimoine lui) pense différemment, ou plutôt qu’il estimait, comme pour le premier rapport, qu’une consolidation suivie d’une restauration était possible. Après avoir fait un historique (correct celui-ci) de l’édifice, il expliquait que « le presbytère [était] une construction simple et solide, sans ouvrage complexe et notamment sans arc ou voûte susceptible d’engendrer des efforts horizontaux ou obliques sur les murs porteurs ». Comme pour le précédent expert, il confirme que les désordres (fissures) sont apparus récemment, dans les années 2000 sans pouvoir préciser davantage la date. S’interrogeant sur la cause de ces désordres (ce que les trois autres rapports n’ont jamais fait), il concluait que l’inclinaison de la façade devait être due à un manque de portance du sol sans avoir les moyens d’aller plus loin dans le diagnostic mais précisant que celui-ci aurait pu être approfondi en recherchant quels événements avaient pu affecter le sol à partir des années 1995.
Quant aux risques encourus et les mesures qu’il était possible de prendre, notre architecte du patrimoine est formel : « il aurait été très facile de prendre des mesures simples de confortation provisoire empêchant toute évolution défavorable dans un délai court ». Il est d’ailleurs sur ce point d’accord avec la première conclusion du rapport mis en avant par la mairie.
Il souligne aussi que la ville de Perpignan ayant acquis l’immeuble en 2014 n’a rien fait, alors que les fissures étaient parfaitement connues (l’une d’elle au moins était surveillée par une jauge graduée depuis 2003). Il conclut que de simples tirants ou « plus efficacement sans doute » l’implantation de butons réalisant l’appui de cette façade sur les immeubles lui faisant face aurait permis de stabiliser la situation. C’est, exactement, une des possibilités envisagées par le rapport du premier expert, mais qui a été délibérément ignorée au profit de la destruction.

On constate donc que des experts non spécialisés dans le patrimoine ont, sur le simple constat de l’existence de fissures, proposé de démolir un bâtiment qui pouvait parfaitement être sauvé et qui aurait dû l’être comme l’imposait le plan de sauvegarde. Comme le fait remarquer dans son rapport l’architecte du patrimoine : « tout désordre dans une construction et, a fortiori, tout désordre apparemment évolutif mérite une réponse appropriée et rapide, mais […] celle-ci ne peut se réduire à la démolition ! S’il en était ainsi, il ne resterait pas grand-chose du patrimoine français à l’heure qu’il est !  ». Quant à l’immeuble qui le jouxtait, et qui a été également démoli, rien n’autorisait à le faire.
Ceci est d’autant plus regrettable que ce bâtiment construit par Léon Bénouville (il est le fils du paysagiste Achille Bénouville), avait une véritable valeur patrimoniale. L’architecte du patrimoine le considère comme « un édifice précurseur du style régionaliste […], singulier à la fois pour ses formes et couleurs, et précurseur de l’architecture du 20ème siècle. »

D’autres démolitions, forcément suspectes

Nous avons parcouru le secteur sauvegardé avec deux adjoints au maire de Perpignan. Olivier Amiel et Pierre Parrat. Ceux-ci, il faut le reconnaître, ne nous ont rien caché, ni des démolitions survenues, ni des projets à venir. Ils protestent de leur bonne foi, affirmant ne vouloir modifier les choses qu’à la marge, et disent laisser travailler l’équipe dirigée par l’architecte du patrimoine Alain Vernet qui a gagné la consultation et qui travaille de manière indépendante. Ils se retranchent également, pour certaines démolitions déjà survenues, sur l’état du bâti. Nous avons pu voir en effet que dans certains endroits (notamment rue de l’Anguille - ill. 4), des maisons se sont écroulées récemment.


4. Maisons effondrées, rue de l’Anguille
État février 2017
Photo : Didier Rykner
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5. Démolitions, été 2016, d’immeubles au croisement des
rue Llucia et Neuve Fontaine
Photo : D. R.
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Plusieurs immeubles ont ainsi été détruits ces derniers mois, notamment en juillet dernier ceux qui se trouvaient au croisement de la rue Llucia et de la rue Fontaine Neuve, devant le Museum d’Histoire Naturelle (ill. 5). Certains d’entre eux étaient pourtant inscrits comme « à conserver » sur le plan de sauvegarde (ill. 6). Or les experts diligentés par la ville, et qui ont conclu qu’ils devaient être détruits faute de pouvoir les restaurer, sont les mêmes que ceux qui sont intervenus sur le presbytère. On ne peut donc s’empêcher de s’interroger sur la pertinence de leurs conclusions et la nécessité absolue de les démolir. Les adjoints au maire nous rétorquent que la ville n’a aucun intérêt à procéder à des démolitions. Là encore, l’argument, qui paraît logique, n’est pas suffisant. Malheureusement, si l’intérêt des promoteurs n’était pas de démolir pour reconstruire, nos villes anciennes seraient mieux conservées. Nous ne reviendrons pas, néanmoins, sur ces démolitions qui nous paraissent forcément entachées de suspicion mais pour lesquelles nous n’avons pas de preuves qu’elles pouvaient être évitées.


6. Deux des maisons détruites été 2016
Croisement des rues Llucia et Fontaine Neuve
L’immeuble de gauche était à conserver dane
le plan de sauvegarde
Photo : Google Street
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7. Croisement des rues Llucia et Fontaine Neuve
après les destructions de l’été 2016
État février 2017
Photo : Didier Rykner
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Un secteur sauvegardé insuffisant dès l’origine

Un point nous semble ici important à souligner. Si le secteur sauvegardé est très étendu (le plus grand de France, nous a-t-on dit), il nous paraît relativement peu protecteur. En regardant la carte, on s’aperçoit en effet que des rues entières sont indiquées comme « immeubles non protégés pouvant être conservés, améliorés ou remplacés ». On comprend mal comment ces maisons anciennes, dans un secteur dit sauvegardé, pourraient être sans autre forme de procès détruites et remplacées. La seule obligation du plan de sauvegarde pour ces îlots est de conserver le parcellaire, et de reconstruire là où on aurait détruit. Sans doute les auteurs du secteur sauvegardé ont-ils considéré que ces maisons n’avaient, individuellement, aucun caractère exceptionnel. Mais c’est bien leur ensemble qui l’est, l’alignement de ces immeubles anciens, chacun différent. Comparons d’ailleurs une de ces rues (ill. 8) où les immeubles peuvent être détruits, à une rue de la ville haute de Bergame [1], en Italie (ill. 9). On voit que dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un habitat ancien sans caractère particulier. Et que dans un cas comme dans l’autre, c’est l’ensemble qui est remarquable et qu’il convient de préserver. Ce qu’il faudrait à ces maisons, ici dans le quartier Saint-Jacques (le plus concerné par les démolitions), c’est une restauration. Il est vrai que s’ajoute ici une question sociale extrêmement complexe : la population de ce quartier est la plus pauvre de France, la plupart de ses habitants ne travaillent pas, et l’habitat se dégrade. Nous ne nions pas la complexité du problème. Mais penser que des démolitions permettront de résoudre celui-ci ne nous semble pas raisonnable.


8. Rue des Quinze Degrés à Perpignan
Ces immeubles peuvent être détruits
et remplacés selon le plan de sauvegarde
Photo : Google Streets
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9. Une rue de Bergame (ville haute)
Photo : Didier Rykner
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Des projets de destruction inacceptables

Pour rester sur le terrain patrimonial, le seul qui nous concerne, on constate donc que le plan de sauvegarde actuel permet déjà des démolitions, que certaines maisons se sont écroulées, et que d’autres qui étaient notées comme « à conserver » ont été démolies sous prétexte qu’elles étaient devenues dangereuses. La situation n’est donc guère brillante. Et à cet égard, certains des projets de la municipalité ne le sont pas davantage.


10. Plan de sauvegarde et de mise en valeur de Perpignan
actuellement en vigueur.
En rayés épais, les immeubles à conserver.
En rayé moins épais, les immeubles pouvant être
remplacés, mais le parcellaire devant être conservé.
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11. Projet de plan de sauvegarde et de mise en valeur
de Perpignan après révision
En vert, les maisons qui seront détruites (et qui auparavant
étaient à conserver - voir ill. 12)
On remarquera également, à gauche, que les immeubles
en blanc ont été détruits, alors qu’ils devaient être conservés.
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Des immeubles devant être conservés, rue Fontaine Neuve et rue Llucia, ont été détruits comme nous l’avons vu plus haut, sous prétexte de péril imminent. Mais ils ne sont pas les seuls à l’avoir été dans ce quartier, et d’autres démolitions sont désormais envisagées. Les maisons situées à l’angle de la rue Émile Zola et de la rue de l’Université ont été démolies entre 2007 (date d’approbation du plan) et 2010 (date de la première vue sur Google Streets, où elles sont absentes) alors qu’elles auraient dû être conservées selon le plan de sauvegarde. Un nouveau bâtiment de l’Université y est en cours de construction. Et ce n’est pas terminé puisque la révision du secteur sauvegardé envisage de détruire encore pas moins de sept maisons dont trois sont à conserver sur le plan de sauvegarde actuel, et sans rien reconstruire afin de, je cite, « donner un parvis » à l’hôtel du XVIIIe siècle qui accueillera prochainement une partie de l’Université. On peut voir sur les deux illustrations 10 et 11 combien ce quartier a été et va être malmené (nous sommes à quelques mètres des démolitions de la rue Llucia et Fontaine Neuve). Sur l’illustration 10 (PSMV actuel), tous les immeubles se trouvant à gauche de la légende Place Fontaine Neuve ont été démolis. Quant à ceux qui se trouvent rue du Musée et Place Fontaine Neuve (ill. 12), on voit sur l’illustration 11 (futur PSMV) qu’ils seront détruits (en vert) pour créer le fameux parvis. Or, comme nous l’a confirmé Alain Vernet, l’architecte en charge de la révision du PSMV, il n’y a jamais eu de « parvis » devant cet hôtel ancien. On veut donc détruire à la fois des maisons intéressantes à conserver et le parcellaire qu’on avait décidé de garder en 2007. Tout cela pour que les étudiants puissent avoir un parvis. Ceci est tout simplement inacceptable.


12. Rue du Musée, immeubles à conserver dans le PSMV actuel
et qu’il est prévu de démolir dans le prochain PSMV pour
créer un « parvis » à l’université
Photo : Didier Rykner
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Malheureusement, les exemples de destruction de ce genre sont nombreux. On en trouve un autre non loin de là : pour relier la place du Puig à la place Berton, on prévoit de détruire pas moins de huit immeubles entre la rue Mercadier et la rue Marengo dont un était à protéger impérativement, sans même conserver le parcellaire. On voit l’ampleur des destructions sur l’illustration 13 (tout ce qui est entouré de bleu). L’immeuble qui devait être conservé est celui de gauche (ill. 14).


13. Entouré en bleu : ensemble d’immeubles
devant être démolis suivant le projet de révision
du PSMV entre la rue des Mercadiers et la rue Marengo
Photo : Google Maps
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14. Trois des immeubles devant être démolis
si le projet de PSMV est adopté, rue des Mercadiers
Photo : Google Streets
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Le long de l’église des Carmes, là encore, de nombreuses destructions sans reconstructions sont prévues. Certaines ont comme prétexte de dégager le côté de l’église (ill. 15). Si ces maisons pouvaient être démolies avec l’ancien PSMV, le front bâti devait rester, sans doute parce qu’on considérait qu’il existait depuis le Moyen Âge. Pourquoi le détruire aujourd’hui ? Un peu plus loin, un immeuble qui devait être conservé doit aujourd’hui être détruit. À quel titre ?


15. Maisons le long de l’ancienne église des Carmes
dont la destruction est prévue dans le projet de nouveau PSMV
Photo : Didier Rykner
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Le couvent des Chanoinesses

16. Destruction des maisons le long de l’église des Chanoinesses
Deux étaient « à conserver »
Photo : D. R.
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La démolition de maisons jouxtant une ancienne église afin de révéler les contreforts nous paraît, là encore, très contestable. Apparemment, il s’agit d’un choix fréquent à Perpignan. C’est ainsi que sans attendre le nouveau PSMV, les travaux de l’Université qui annexent l’ancien couvent des chanoinesses de Saint-Sauveur, rue Émile Zola, ont entrainé la destruction de trois maisons qui se trouvaient sur le flanc de l’ancienne église (ill. 16). Ces maisons étaient pourtant, pour deux d’entre elles, marquées comme « à conserver » sur le plan de sauvegarde. Une quatrième, ancienne loge maçonnique, également à conserver, à vu seulement sa façade rester debout (ill. 17).. Comment doit-on interpréter ces démolitions de maisons protégées ? Comment expliquer l’inaction de la DRAC qui ne veille pas à ce que le secteur sauvegardé soit réellement sauvegardé. N’oublions pas que la protection du patrimoine est normalement garantie par des lois et que son application est supervisée par le ministère de la Culture. Une fois de plus, celui-ci semble aux abonnés absents : nous l’avons sollicité sans retour de sa part. Les deux adjoints à la mairie nous ont présenté ce chantier en étant très fiers de ces destructions, affirmant que cela mettait en valeur l’ancienne église. Nous ne mettons pas en cause leur sincérité, mais ils sont manifestement très mal informés et sans doute très mal conseillés. Lorsque nous avons à nouveau interrogé la ville sur les raisons de la démolition de maisons protégées en secteur sauvegardé, la réponse suivante nous a été faite : « La commission locale de secteur sauvegardé (CLSS) a validé le projet d’université comprenant ces destructions, du coup la démolition a été autorisée par permis de démolir, s’agissant d’habitations vétustes et insalubres, et le plan de sauvegarde en cours de révision prévoit de toute façon leur démolition. Les architectes chargés de la révision considèrent en effet que le classement initial était une erreur, leur démolition ayant justement permis de restituer le couvent comme à son origine et d’enfin pouvoir le rendre visible… » Ces explications sont simplement irrecevables. D’une part, la CLSS est une instance a priori purement consultative qui n’a pas le pouvoir de contredire les règles en vigueur, sauf si le règlement le prévoit, pour des adaptations mineures. Détruire un bâtiment à conserver n’est pas une « adaptation mineure », c’est s’attaquer au fondement même d’un secteur sauvegardé. Et le règlement actuel du plan de sauvegarde ne permet même pas les « adaptations mineures ». Il autorise seulement cela, pour les immeubles classés 5bis (soit ceux qui flanquaient l’église) : « Dans le secteur USb [2], la démolition éventuelle de parties d’immeubles faisant l’objet de cette légende [5bis] peut être autorisée si elle est justifiée pour assurer une meilleure salubrité des constructions conservées. » Or, l’ancien couvent Saint-Sauveur n’est pas en zone USb (quartier Saint-Jacques), mais en zone USa (quartier Saint-Jean, à la limite du quartier Saint-Jacques), et cette exception ne concernerait même qu’une partie de l’immeuble, pas tout l’immeuble. Même avec l’accord de la CLSS et de l’architecte des bâtiments de France (dont nous n’avons pas eu de réponse), ces destructions apparaissent donc comme illégales.


17. À droite, seule façade conservée des quatre maisons
qui jouxtaient l’ancienne église des Chanoinesses
État février 2017
Photo : Didier Rykner
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18. Travaux dans l’ancienne église des Chanoinesses
État février 2017
Photo : Didier Rykner
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Nous ajouterons à cela que les travaux sur l’ancienne église apparaissent comme d’une grande violence et correspondent davantage à de la destruction. Certes, l’édifice avait été cloisonné depuis longtemps, mais il suffit de voir ces photos (ill. 18 et 19) pour comprendre le traitement peu archéologique qu’il a subi. Or, ce monument était classée 5 et ne pouvait donc faire l’objet de tels travaux.
On est, là encore, juste à côté des démolitions prévues pour le fameux parvis, et de celles déjà effectuées rue Llucia et rue Fontaine Neuve. Cela fait tout de même un peu beaucoup. Non seulement le plan de sauvegarde actuel apparaît fort malmené, mais on notera que la mairie considère déjà comme acquis la révision selon ses souhaits. On lit en effet dans la réponse citée plus haut : « le plan de sauvegarde en cours de révision prévoit de toute façon leur démolition » !


19. Gravats provenant des travaux dans l’ancienne église
des Chanoinesses (on voit des morceaux de stucs)
Photo : D. R.
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Démolitions le long du musée

Les démolitions futures (ou actuelles) ne concernent pas uniquement le quartier Saint-Jacques, même s’il est le plus touché. Le quartier Saint-Jean, nous l’avons vu, est également concerné. Il y est également prévu de démolir quatre beaux immeubles dont trois étaient considérés comme à conserver (ill. 20 et 21). Tout cela pour créer une nouvelle place entre la rue de la Poissonnerie et la rue Saint-Augustin, devant le mur fermant le jardin du Musée Hyacinthe Rigaud. La justification de ces destructions est absurde : la réouverture du musée - dont nous parlerons bientôt - étant censée accueillir des milliers de visiteurs, ceux-ci, en le quittant par une sortie qui serait créée rue de la Poissonnerie, passeraient par la place nouvellement aménagée et viendraient ainsi rendre vie à un quartier enclavé ! Que le musée Hyacinthe Rigaud attire, lors de sa réouverture beaucoup de visiteurs, on le lui souhaite. Imaginer que ces visiteurs viendront par cet artifice revivifier un quartier grâce à la création d’une nouvelle place ressemble un peu à un gag.


20. Entouré en bleu : ensemble d’immeubles
devant être démolis suivant le projet de révision
du PSMV entre la rue de la Poissonnerie et la rue des Augustins
Photo : Google Maps
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21. Maisons devant être détruites
rue des Augustins si le projet de
nouveau PSMV est adopté
Photo : Didier Rykner
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Enfin ce sont pas moins de trois pâtés de maison, comprenant une trentaine d’immeubles, qui doivent être abattus à la lisière des quartiers Saint-Matthieu et du Palais des Rois de Majorque, pour permettre un lien entre la ville et le palais qui, paraît-il, ne serait pas facile à trouver par les touristes… Parmi ces maisons dont le parcellaire devait être conservé dans l’actuel PSMV (une protection bien trop timorée, ces maisons sont anciennes et ne devraient pas être détruites), l’une était inscrite comme « à conserver ».

On voit donc que le projet de nouveau PSMV, non content de prévoir la destruction de nombreux immeubles qu’on considérait comme important en 2007, veut démolir des maisons qui n’étaient pas à protéger (à tort, à notre avis) sans prévoir pour autant de reconstituer le parcellaire. On utilise ainsi les défauts du précédent PSMV, en les amplifiant. Alain Vernet comme les élus de Perpignan nous disent que rien n’est figé et que tout peut encore évoluer. Quand on constate les démolitions qui ont déjà eu lieu alors qu’elles sont théoriquement interdites, on a un peu de mal à les croire.
Nous ne voudrions cependant pas terminer cet article sur une note trop pessimiste. Dans le discours actuel de la mairie (au moins des adjoints qui nous ont accompagné lors de notre visite de la ville), il n’est pas question de faire table rase du secteur sauvegardé. Ils veulent, disent-ils, l’adapter à la marge. Cette marge nous semble bien trop grande, et il faut espérer que les nombreuses protestations en cours (une pétition a été lancée) limiteront les dégâts. On aimerait surtout que le ministère de la Culture joue ici son rôle qui est de garantir l’intégrité du secteur sauvegardé. On peut à cet égard s’interroger sur les raisons qui l’ont incité à autoriser une révision de ce règlement à peine dix ans après sa validation. Cette révision doit donc refuser les destructions prévues et entériner la conservation des maisons anciennes de Perpignan. Celle-ci est une ville magnifique qui doit le rester.
Ajoutons enfin qu’il est paradoxal de voir ces destructions arriver au moment où, inversement, la mairie démontre qu’elle s’intéresse aussi au patrimoine. Nous avons en effet pu constater l’excellent état des églises de la ville qui ont toutes été restaurées récemment. Il faut y ajouter la cathédrale que la DRAC s’est également efforcée de mettre en valeur de très belle manière. Nous reviendrons sur les édifices religieux de Perpignan dont l’état devrait inspirer bien des villes.

Didier Rykner

Notes

[1Nous aurions pu faire la comparaison avec de nombreuses autres villes historiques. Cette vue d’une rue à Bergame que nous venons de visiter, nous a frappé. Les deux types d’habitat sont d’aspect comparable. Il est peu probable qu’on accepterait que ces rues de Bergame soient démolies et reconstruites...

[2Les secteurs sauvegardés sont eux-même découpées en plusieurs zones ou secteurs aux noms codifiés, où le règlement est différent.

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