Quand (tous) les politiques soutenaient Marcel Campion

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Les baraquements de Marcel Campion, toujours
sur la place de la Concorde (3 août 2018)
Photo : Didier Rykner
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S’il fallait décerner une palme de l’hypocrisie, on ne sait qui mériterait d’être le lauréat. Le Louvre, qui renvoie au ministère de la Culture pour l’installation du « marché de Noël » dans le jardin des Tuileries ? Le ministère de la Culture qui renvoie au Louvre, comme s’il n’avait aucun lien avec celui-ci, ou l’Élysée [1] ? Mais après délibération, le vainqueur est finalement la Mairie de Paris qui, comme nous le rappelons ci-dessous, a toujours fait preuve de la plus grande mansuétude (euphémisme) envers Marcel Campion jusqu’à ce que celui-ci devienne un peu moins fréquentable en raison de sa mise en examen pour abus de biens sociaux et recel de favoritisme…

Bien entendu, cette proximité avec la Mairie de Paris remonte au XXe siècle et ne date pas seulement d’Anne Hidalgo. Avant lui, Jacques Chirac et Jean Tibéri étaient ses grands copains. Puis, après avoir fait mine de résister lorsqu’il est arrivé à la mairie, Bertrand Delanoë s’est très vite converti au « roi des forains » en lui accordant tout ce qu’il voulait, du renouvellement toujours plus long de l’autorisation d’installation de la grande roue sur la place de la Concorde, jusqu’au marché de Noël des Champs-Élysées en 2008.

Un article du monde.fr (non signé) est sans doute la goutte d’eau qui fait déborder le vase du concert de tartuferies qui retentit depuis quelques jours, devant les propos ouvertement homophobes de Marcel Campion. On y apprend ainsi que « l’équipe municipale de la capitale et Marcel Campion [...] se mènent depuis plusieurs années une guerre ouverte » (sic).
Celui-ci est devenu désormais infréquentable par la classe politique, quand tous ou presque, du Front National [2] aux Républicains, du Parti Socialiste aux Insoumis [3], en passant récemment par la République en Marche [4], tous l’ont supporté publiquement, ignorant ostensiblement des comportements inacceptables qui ne datent pas d’aujourd’hui.

En 1985, devant le refus d’installation de sa fête foraine aux Tuileries, c’est par un coup de force que Campion s’y était installé. Et cela a très vite payé puisque l’autorisation fut finalement donnée et qu’elle est depuis renouvelée chaque année, à Noël et en juillet-août. Les articles recensant les menaces récurrentes du forain et sa manière d’agir par la force sont innombrables, de Libération à Paris-Match, en passant par Challenge

Nous donnons ici une petite chronologie des faits d’armes récents de Marcel Campion et de ses nombreux thuriféraires qui aujourd’hui prétendent s’opposer à lui. Ils sont tous responsables de l’avoir imposé à la capitale depuis des décennies.

 20 décembre 2013 : Campion organise une soirée privée en soutien à Anne Hidalgo, en présence de celle-ci, dans le grand chalet restaurant, sur le marché de Noël des Champs-Elysées [5].
Des images de cette belle fête se trouvent sur ce site.

 Novembre 2014 : Anne Hidalgo déclare « J’apprécie d’abord la belle histoire de Marcel Campion, la façon dont il a réussi dans ce qu’il a entrepris et sa générosité parce que c’est quelqu’un qui pense toujours à redonner à d’autres une part de sa réussite. Et puis comme il est hors normes il dit les choses telles qu’elles sont. Et la grande roue elle est vraiment très belle, très très belle, on est très fier d’avoir cette grande roue ».

On peut l’entendre dans cette vidéo de Challenge qui a su retrouver ces images :

 1er janvier 2015 : organisation d’une « grande parade » sur les Champs-Élysées par « Le Monde Festif », une association présidée à l’époque [6] par Marcel Campion. « La grande parade a eu l’effet escompté et se reproduira chaque année promet Anne Hidalgo » [7].

 29 septembre 2015 : devant le Conseil de Paris, Bruno Julliard explique : « Nous souhaitons qu’il y ait sur les Champs-Élysées et la place de la Concorde des attractions populaires comme le marché de Noël et la grande roue et nous l’assumons pleinement ».

 8 octobre 2015, article du Point : « Le roi des forains Marcel Campion peut remercier la Mairie de Paris, Le Point, 8/10/15.

 12 avril 2016 : « c’est quelqu’un d’attachant et de généreux », Bruno Julliard, cité par Paris-Match.

 18 mai 2016, article du Point : « Anne Hidalgo chouchoute Marcel Campion, le roi des forains », Le Point.

 4 juillet 2016 : le parquet de Paris ouvre une information judiciaire portant notamment sur les conditions d’attribution par la Ville de Paris des emplacements des attractions de son entreprise Fêtes Loisirs.

 9 février 2017 : un courrier de la Ville de Paris à la préfecture de région (publié ici) s’inquiète que les dates accordées par cette dernière pour l’installation de la grande roue soient plus courtes que les siennes. À cette date donc, la Ville de Paris soutient encore l’installation de la grande roue de Marcel Campion.

 1er juin 2017 : Marcel Campion est mis en examen pour abus de biens sociaux et recel de favoritisme [8].

 Novembre 2017 : soudain, Anne Hidalgo et Bruno Julliard n’aiment plus la grande roue qui « s’accorde mal dans le paysage architectural du centre de Paris » pour la première, et contribue à « dégrader la perspective entre l’Arc de Triomphe et le Louvre » pour le second (voir notre article). Cette grande roue est pourtant la même qu’Anne Hidalgo trouvait « vraiment très belle, très très belle » (voir plus haut).

Et rappelons ce que nous dénoncions dans ce même article : la manière dont la DRAC d’Île-de-France, donc, le ministère de la Culture, venait encore défendre l’installation de la grande roue sur la place de la Concorde en octobre 2017 contre l’association Sites et Monuments, ou régularisait l’installation, place de la Concorde, de baraques exploitées par Marcel Campion, baraques qui à l’heure où nous écrivons cet article se trouvent toujours sur ce site prestigieux.

Et, pour la bonne bouche, nous avons trouvé sur internet cette vidéo, qui montre Marcel Campion en action lors d’un contrôle URSSAF devant les caméras de l’émission « Combien ça coûte » (séquence finalement jamais diffusée, on se demande vraiment pourquoi). C’est Télérama qui l’avait d’abord publiée dans cet article, avant de la retirer.
C’est donc ce monsieur qui jusqu’en 2016 environ était le chouchou de la Mairie de Paris, que le préfet d’Île-de-France défendait encore il y a un peu plus d’un an et auquel le Louvre et le Ministère de la Culture accordaient l’installation du marché de Noël aux Tuileries il y a quelques semaines à peine. C’est aussi lui qui investit toujours deux fois par an les Tuileries pour sa fête foraine.

Nous sommes fiers, contrairement à tous ces politiques irresponsables, de l’avoir, avec quelques-uns (notamment l’association Sites et Monuments), toujours combattu, sans attendre son infâme dérapage révélé il y a deux jours.

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