Propos autour d’un inventaire. Quelques peintures italiennes à Bastia

(cet article a été repris par la revue de l’Inventaire In Situ, numéro spécial de septembre 2005)

La ville, en tant que figure de l’architecture et de l’urbanisme, est clairement perçue comme un enjeu majeur dans la quête d’identité patrimoniale de la nation ; depuis la création du service de l’Inventaire général, des études approfondies ont porté sur Montpellier, sur Cahors… Et ce sont aujourd’hui Besançon, Lyon, Rennes ou Saint-Étienne qui font l’objet des recensions et des recherches des spécialistes. En revanche, peu de programmes topo-thématiques, en dehors des domaines traditionnels des corpus (vitrail, orfèvrerie), ont véritablement concerné les objets. Bien sûr, on peut objecter un nombre conséquent d’exceptions : le mobilier religieux de Lunéville [1], les objets de Tours [2], les peintures de Montpellie [3] ou de Bordeaux [4] et d’autres… Sur ce terrain, les collectivités territoriales, et singulièrement les villes, ont pris l’initiative, à la fois parce qu’elles sont majoritairement les propriétaires des objets, et parce que l’histoire et l’histoire de l’art légitiment parfaitement leur démarche.

Le Service régional de l’Inventaire Général de la région Corse, implanté à Ajaccio, a jusqu’à présent axé son action sur les communes rurales [5], aujourd’hui dépeuplées mais au patrimoine abondant et menacé. La ville de Bastia, elle, se trouve à la tête d’un patrimoine mobilier considérable qui, par sa profusion, par son histoire et par sa nature, est, sans rhétorique, unique en France. Ici, la spécificité de la Corse compose, sur un substrat purement italien, l’une des facettes les plus surprenantes du patrimoine français. La municipalité, consciente de cette richesse, s’est dotée d’une direction du patrimoine qui, entre autres missions, recense et publie les œuvres d’art de la ville [6]arge public, a également été publié aux Éditions du Patrimoine (2003)., dans leur contexte historique et territorial, quelle que soit leur technique. Bientôt, les domaines de l’orfèvrerie [7], du textile [8], de la menuiserie, de la marbrerie ou de la sculpture seront assez connus pour pouvoir faire l’objet de synthèses, mais d’ores et déjà, l’étude de la peinture de chevalet, recensée dans un tout nouveau catalogue [9], permet d’esquisser un profil historique de ce que fut l’apport de l’Italie à Bastia.

Par souci de cohérence et de rigueur scientifique, mais aussi par esprit pratique, la ville a souhaité que le travail soit mené selon la méthodologie et les normes de l’Inventaire général : en 1998 a été signée une convention ville/État qui garantit le bon déroulement des opérations selon les normes nationales et prévoit qu’au terme de l’étude, les fichiers de Bastia, sous l’égide du service régional, seront intégrés dans les bases de données nationales Palissy et Mérimée. Préalablement à l’inventaire proprement dit, une campagne de documentation a permis de découvrir des fonds d’archives jusqu’à présent inexploités [10]. Cette politique active permet de dégager des priorités au regard des mesures de conservation, de protection et de restauration ; elle est également indispensable pour organiser la valorisation de ce patrimoine dont la ville espère des retombées tant culturelles que touristiques.

Bastia, capitale du royaume de Corse

La Corse est une île de l’archipel toscan, sa langue, ses traditions, son histoire et son art sont liés à l’Italie depuis la plus haute Antiquité et ce n’est qu’en 1768 que l’île fut rattachée au royaume de Louis XV. Auparavant, les Corses avaient été des sujets du doge de la Sérénissime République de Gênes. Au Moyen-Âge, c’est Pise qui avait gouverné l’île, après la Rome des papes et, plus loin encore sur l’échelle du temps, celle des empereurs.

Bastia, ancienne capitale de la Corse génoise, est née en 1380, quand le gouverneur génois Leonello Lomellini fit construire une forteresse, sur une sorte d’acropole dominant un port naturel, qui prit le nom de « la Bastia » [11]. Les anciennes chroniques rapportent que Lomellini avait choisi ce site parce que l’anse du vieux port était particulièrement commode pour établir des liaisons directes avec Gênes et parce qu’il permettait une plus grande sécurité du gouverneur quand éclatait quelque révolte des populations corses. Depuis longtemps, les habitants du proche village de Cardo avaient établi là des entrepôts et hangars à bateaux, en un lieu alors connu sous le nom de « Porto Cardo ». Au xvie et surtout au xviie siècle, la ville se développa considérablement : en 1570, Monseigneur Giovan Battista Centurione obtint du Pape l’autorisation d’y transférer le siège de l’évêché de Mariana et Accia [12] et Bastia devint dès lors chef-lieu de diocèse. En 1637, la Corse prend une nouvelle dimension dans la politique génoise et l’île se voit conférer le titre de « Royaume » dans les actes diplomatiques. Bastia fut érigée capitale de ce Regno di Corsica. Le gouverneur, vice-roi, prend le titre d’« Excellence », jouissant désormais du droit au baldaquin, signe de sa souveraineté. Concentrant tous les pouvoirs, politiques, militaires, judiciaires, religieux et économiques, la ville accueille toutes les élites de l’île, les hauts fonctionnaires, l’évêque et l’administration du diocèse, mais aussi des financiers, des riches marchands, des armateurs… Derrière les murailles de la citadelle, on construit alors de belles maisons à la génoise, des bâtiments publics, tels que le pavillon du conseil des Nobles Douze, la Casetta (ou maison communale), la cathédrale Sainte-Marie-de-l’Assomption, le palais épiscopal, le séminaire, l’hôpital Saint-Nicolas, la chapelle de la confrérie Sainte-Croix et deux couvents de femmes (les clarisses et les annonciades célestes). Plus bas, autour du port, s’étend le quartier de Terra Vecchia. Après les guerres du xvie siècle, cette partie de la ville se développe rapidement et devient un important centre d’affaires et de commerce. Une demi-douzaine de grandes tanneries s’y implantent et au début des années 1670, le port est réaménagé par les Génois qui le dotent d’une longue jetée pour le sécuriser et augmenter sa capacité [13]. Dans tout le quartier de Terra Vecchia, des familles enrichies par le commerce érigent d’imposantes demeures : le palais Cardi et son beau portail Renaissance, la maison Castagnola dont le portail à bossages donne sur une cage d’escalier ornée de fresques de la fin du xvie siècle, le vaste palais Caraffa et le monumental palais Galeazzini (du xviiie siècle), dont la salle de théâtre vit Bonaparte assister à diverses réceptions. Bien que celui-ci ait enlevé à Bastia son statut de capitale administrative de l’île au profit d’Ajaccio, sa ville natale, Bastia est demeurée le pôle économique le plus important de la Corse et a conservé un rôle culturel de tout premier plan [14].

Dès le xviie siècle, la prospérité économique de la cité se manifeste par la richesse ostentatoire de ses nombreuses églises. Les paroissiens de la ville haute et ceux de la ville basse rivalisent de luxe : la cathédrale Sainte-Marie-de-l’Assomption est l’église paroissiale de la ville haute, l’église Saint-Jean-Baptiste celle de la ville basse. Tout au long des xviie et xviiie siècles, ces édifices seront décorés de stucs dorés, de marbres polychromes, de peintures en trompe-l’œil, de statues et de toiles de maîtres. L’expansion démographique et l’enrichissement de la ville ont entraîné également la multiplication des confréries dont les oratoires font assaut de faste et d’élégance. À l’oratoire Sainte-Croix, érigé dans Terra Nova, répondent ceux de Terra Vecchia, Saint-Roch, l’Immaculée-Conception, Notre-Dame-de-la Miséricorde et Saint-Charles. Les divers ordres religieux ont tenu à implanter un couvent dans la capitale de l’île. En 1768, au moment où la Corse passe sous domination française, Bastia compte dix grands couvents (sans compter la maison des chartreux) abritant six communautés masculines [15] et quatre féminines [16]. Le plus magnifique des établissements conventuels, celui des franciscains observants, éclipsait largement la somptuosité de la cathédrale et de l’église Saint-Jean-Baptiste. Son insolente richesse frôlait l’extravagance car, en 1700, l’édifice totalisait vingt-quatre autels, tous ornés de tableaux et d’objets d’art. Il a malheureusement été dénaturé et transformé en hôpital militaire au xixe siècle. À la fin du xviie siècle, la cité compte plus d’une vingtaine d’édifices religieux qui sont construits, décorés, agrandis, donnant à la ville l’aspect d’un chantier en mouvement permanent. La cité fourmille alors d’activité et elle accueille un grand nombre d’artistes et d’artisans, peintres, stucateurs, marbriers, sculpteurs sur bois, doreurs, menuisiers, ébénistes, orfèvres [17]

Les familles cossues et les corporations nombreuses dotèrent ces églises de chapelles latérales [18], mais toutes ces splendeurs faillirent disparaître totalement à la Révolution [19], lors de la fermeture des établissements conventuels et de la réaffectation de leurs locaux, souvent à destination militaire. Beaucoup furent transformés et la décoration intérieure de leurs églises totalement détruite : le couvent des clarisses devint une prison, celui des ursulines une gendarmerie, celui des franciscains réformés la manutention militaire… En revanche, tout au long du xixe siècle, les Bastiais eurent à cœur de restaurer certaines de leurs vieilles églises et même d’en construire de nouvelles.

L’école bastiaise

Durant le dernier quart du xvie siècle, Bastia affirme son rôle de centre artistique. Certes, le premier peintre bastiais connu est un certain Benedetto Fugino, originaire de Portofino en Ligurie, dont l’activité est attestée par des documents d’archives de 1543 à 1556. C’est cependant à partir de 1570 environ, époque où elle devient siège de l’évêché de Mariana, que la ville voit se constituer une école de peinture autonome dans laquelle on a pu identifier au moins cinq artistes : un Flamand (Orlando d’Anversa), un Milanais (Giacomo Bottino) et trois Ligures (Giuliano Bollano dit Giuliano Sarzana, Giovan Battista Aicardo et Alessandro Castellino). Bastia a su attirer et fixer les artistes alors que, jusqu’à cette époque, les peintres se déplaçaient continuellement dans l’île, de chantier en chantier, perpétuant un mode de vie itinérant hérité du Moyen-Âge. À la fin du xvie siècle, la cité est suffisamment développée pour offrir aux artistes des avantages substantiels et de multiples commodités. Bastia, ville peuplée et particulièrement passante, accueille des notables ruraux et des représentants des diverses communautés villageoises insulaires qui viennent y régler des affaires administratives, religieuses ou économiques. Cette clientèle constitue une masse importante de commanditaires potentiels. De plus, les boutiques bastiaises regorgent de toutes sortes de marchandises rares et l’on n’a aucune difficulté pour s’y approvisionner en pigments, vernis, solvants, huiles, gesso, préparations en tous genres, feuilles d’or, toiles, brosses, pinceaux et autres fournitures spécialisées… Aux xviie et xviiie siècles, Bastia compte toujours plusieurs ateliers concurrents qui travaillent simultanément ; la peinture fait l’objet d’une forte demande et il existe un véritable marché de l’art.

Les origines des peintres bastiais sont variées. 25 à 30% des artistes sont originaires de la Corse, le reste est constitué d’hommes provenant de diverses régions italiennes, surtout du nord : on compte beaucoup de Ligures et de Toscans. Quelques autres viennent du centre (essentiellement des villes du Latium) et plus ponctuellement du sud (Campanie et Sicile). À l’âge baroque, Bastia était un ardent foyer de création artistique et contrairement à ce qui a pu être affirmé, elle ne fut pas « réduite » à commander sur le continent italien un « art d’importation ». Bien au contraire, elle a été le siège d’une école de peinture qui a compté parfois des artistes de grande valeur et des personnalités étonnantes, telle celle de Marc’Antonio De Santis [20], peintre originaire de Benevento (État de Naples), domicilié à Bastia où son activité est attestée dès 1647 (il a alors au moins 20 ou 30 ans). On pourrait multiplier les noms de ces Italiens qui viennent travailler dans la cité : Michele Scarlazza, originaire de Gênes, peintre militaire banni à Bastia entre 1649 et 1654, Giovan Battista Ruisecco, élève génois de Giovanni Andrea de Ferrari, domicilié à Bastia de 1658 à 1661, Antonio Calcagnini, peintre décorateur, né à Varèse vers 1746, ou encore Innocenzo Lucatelli (1734-1784), fils du célèbre paysagiste romain Andrea Lucatelli [21]
L’école bastiaise est restée à la fois suffisamment isolée pour développer sa propre originalité et assez ouverte pour ne pas se scléroser. Elle s’est créé ses propres modèles tout en y intégrant l’expérience des nombreux artistes étrangers qu’elle a attirés et assimilés. Parmi ceux-ci, l’un des plus intéressants est sans conteste Ottavio Cambiaso.

Fils de Luca Cambiaso (1527-1585), le plus grand peintre génois de son époque [22], il résida pendant plus d’une vingtaine d’années à Bastia où il fut enterré [23]. De multiples documents d’archives témoignent de sa présence en Corse entre 1615 et 1640. Dans son testament, le peintre raconte qu’il avait été contraint de quitter Gênes, vers 1614, car certaines personnes, dont il préfère taire les noms, le persécutaient et en voulaient à sa vie. D’autres documents, trouvés très récemment dans les archives des gouverneurs génois, attestent qu’Ottavio Cambiaso était déjà à Bastia le 5 novembre 1615, date à laquelle un certain Sebastiano Spinola lui intenta un procès pour non-paiement de loyer [24].

Établi à Bastia, loin de sa femme légitime et de son fils, le peintre mena une existence scandaleuse auprès de Tomasina Malatesta, une Maltaise devenue sa maîtresse notoire [25]. En juillet 1640, gravement affaibli par des crises de goutte, il fit appeler un notaire dans sa maison du quartier de Terra Nova, et de son lit, où il gisait perclus d’infirmités, il lui dicta un testament qui n’éclaire pas totalement les mystères de sa vie [26].

1. Ottavio Cambiaso (documenté à Bastia de 1615 à 1640)
Saint François de Sales, saint Antoine
abbé, saint Augustin et
sainte Marie Madeleine
de Pazzi aux pieds du Christ en croix

Huile sur toile - 297 x 194 cm
Bastia, cathédrale Sainte-Marie
de l’Assomption
Photo : P. Jambert - Ville de Bastia, direction du patrimoine.
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Jusqu’à présent, aucune toile sure d’Ottavio Cambiaso n’a été retrouvée, mais nous pensons que le peintre est certainement l’auteur d’un grand tableau d’autel de la cathédrale de Bastia représentant Saint François de Sales, saint Antoine abbé, saint Augustin et sainte Marie Madeleine de Pazzi aux pieds du Christ en croix (ill. 1). En effet, Giovanni Banchero, chroniqueur bastiais du xviie siècle, mentionne la toile dans ses Annales, rédigées entre 1652 et 1660 : « Il y a dans cette église de belles peintures, parmi lesquelles on vante un Christ crucifié agonisant, œuvre de Lucca Cambiaso ». Le fin lettré qu’était Banchero avait recueilli auprès des anciens de multiples traditions, véhiculées oralement et donc parfois un peu approximatives. Pour preuve, on notera que quelques lignes plus avant dans son texte, Banchero mentionne deux autres tableaux remarquables conservés dans des églises bastiaises, œuvres, selon lui, d’un certain « Filiberto di Firenze », mais qui portent la signature de Giovanni Bilivert, artiste d’origine flamande travaillant à Florence. La tradition orale, qui a corrompu « Bilivert » en « Filiberto », a pu aussi provoquer la confusion entre les Cambiaso, père et fils. Le tableau de la cathédrale de Bastia a été peint entre 1615 et 1640 et dans les années 1650, on se souvenait seulement qu’il était l’œuvre d’un Cambiaso de Gênes. Ou peut-être a-t-on cherché à embellir la réalité en citant la prestigieuse main du père plutôt que celle du fils ?

La composition ne reflète guère l’influence de Luca Cambiaso, qu’Ottavio ne connut vraisemblablement qu’assez peu. L’œuvre est plutôt marquée par un ton maniériste tempéré, tel qu’il se rencontre à Gênes ou à Venise vers 1600. Elle montre en tout cas qu’Ottavio était un peintre parfaitement formé, au fait des courants de son temps, et qu’il a sans doute peint de belles natures mortes, à en juger par le séduisant et solide morceau du premier plan qui mêle attributs des saints et crâne d’Adam, en un memento mori presque hispanisant.

La commande in Terra ferma

Les commanditaires bastiais eurent presque toujours le choix de s’adresser aux peintres actifs dans la ville ou à ceux du continent italien. Bastia, rappelons-le, est le plus grand port de l’île. Les liaisons commerciales maritimes avec l’Italie étaient à la base même de l’économie de la capitale insulaire. Les commerçants bastiais se rendaient fréquemment sur la Terra ferma et il n’était pas rare qu’ils saisissent l’occasion d’un voyage d’affaires pour commander ou acheter un tableau. Nombre d’entre eux avaient de la famille, des amis ou des fondés de pouvoir établis à demeure dans les grandes villes, à Gênes, Livourne, Pise, Florence ou Rome. Les Bastiais avaient donc aussi la possibilité de demander une œuvre de façon épistolaire et par l’intermédiaire d’un homme de confiance.

Ce choix s’offrait aussi à la plupart des commanditaires corses, c’est ainsi que des toiles de grands maîtres sont conservées dans des églises de l’intérieur de l’île, donnons pour exemple l’église paroissiale de la commune de Santo Pietro di Tenda qui possède une Déploration du Christ signée du Génois Orazio de Ferrari (en 1640) et une Donation du Rosaire du Romain Tommaso Maria Conca (de 1788) [27]. À Bastia, il est avéré que le niveau de fortune des mécènes à pu déterminer certains d’entre eux à s’adresser aux peintres italiens, forcément plus cotés. Tel est certainement le cas pour Giovan Battista Paggi et Domenico Piola, de Gênes, ou Giovanni Bilivert, de Florence.

Giovanni Battista Paggi et la confrérie de l’Immaculée Conception

L’une des premières – et importantes – œuvres italiennes à avoir décoré un édifice bastiais à l’époque moderne était due à Giovanni Battista Paggi (1554-1627) et, bien qu’elle ait été distraite du patrimoine de la ville depuis cent ans environ, il n’est pas exclu qu’elle réapparaisse un jour.

En 1624, L’oratoire de la confrérie de l’Immaculée Conception fut doté d’un remarquable maître-autel de marbre [28] qui présente aujourd’hui une structure remaniée et modifiée. Le retable, plaqué contre le mur du chevet, est entièrement d’origine (stylobates, colonnes, entablement, fronton, statues du couronnement). Les incrustations de marbres polychromes, les grandes colonnes monolithiques et les trois statues sommitales attestent la haute qualité de cet ensemble qui dût être particulièrement coûteux.

C’est sans doute dès 1624, ou quelques années auparavant, que les confrères souhaitèrent acquérir un coûteux tableau d’autel représentant l’Immaculée Conception auprès de Paggi, tableau sur lequel plane aujourd’hui un certain mystère. À noter que l’artiste, un peu meurtrier à ses heures, réalisa une autre œuvre sur le même thème pour l’église des capucins de Gênes. Vers 1650-1660, le chroniqueur bastiais Giovanni Banchero rapporta dans sa description de leur oratoire qu’à cette époque, les confrères de l’Immaculée Conception étaient au nombre de cinq cents et il précisa : « l’église de la Conception est d’égale grandeur à celle de [la confrérie de] Saint-Roch mais elle est plus riche et ornée d’un très beau tableau d’autel, œuvre de Giovanni Battista Paggi, génois, [placé] dans un retable de marbres polychromes de grande valeur » [29].

En 1869, l’État commanda au peintre Léon Olivié [30] une grande toile, copie de la célèbre Immaculée Conception de Murillo [31]. L’œuvre fut offerte à la ville de Bastia et on l’exposa dans l’oratoire de la Conception, en la plaquant sur le tableau de Paggi qu’elle dissimulait totalement. Le livre de comptes de la confrérie, conservé dans les archives paroissiales de l’église Saint-Jean-Baptiste de Bastia, consigne : « juin 1872, payés aux hommes qui ont placé le nouveau tableau de la Vierge : 1,20 franc » [32]. Or neuf ans plus tard, le dimanche 30 août 1891, le peintre bastiais Ange Varese publia un article consacré au retable dans un journal quotidien, Le Petit Bastiais. Après une introduction longue et élogieuse sur Giovanni Batista Paggi et sur son tableau de Bastia, il dénonce l’incurie de la confrérie qui a plaqué sur cette toile de maître une copie de Murillo qui n’a rien d’exceptionnel : « Je demande si le tableau d’un tel maître est digne d’être considéré et gardé avec le plus grand soin ? Malheureusement il est arrivé tout le contraire. On l’a muré derrière un tableau copie qui se compte par milliers. Un tel acte serait vraiment inqualifiable, s’il avait été commis en connaissance de cause ; mais peut-être que l’officialité de cette confrérie d’il y a quelque temps, n’a vu là qu’un tableau noirci par le temps et la fumée des cierges. Elle s’est crue en présence d’une médiocrité, et elle a pensé bien faire en lui substituant la copie d’un autre tableau, toute fraîche, toute pimpante. Elle s’est méprise ! et cette méprise, malheureusement, aura déjà coûté cher à cette admirable peinture. Pour ma part, le respect et l’amour que je porte aux œuvres d’art m’imposent le devoir de conjurer qui de droit, de ne pas laisser périr un si bel ouvrage, d’aviser à le faire sortir de la prison où il se trouve, et lui faire rendre la place d’honneur du maître-autel qu’il a toujours occupée et si dignement méritée. J’ajoute que je ne connais pas dans toute la Corse, un autre tableau qui ait plus de valeur artistique que celui-là ». L’appel du peintre Varese fut entendu car les comptes de la confrérie, pour l’année 1891, notent que l’on donne 20 francs au peintre Tuticci [33] qui a « mis à neuf le tableau » [34].

En 1905, les organisateurs de la foire exposition de Bastia demandèrent à l’exposer et un élogieux article de journal, publié le 9 juin de la même année, fait amèrement regretter la disparition de ce chef-d’œuvre universellement admiré : « Le grand tableau d’autel de Giovan Battista Paggi, bien que noirci par le temps et par la fumée des cierges n’est pas moins remarquable, et l’on a été bien inspiré de l’étaler à l’Exposition de Bastia. Les connaisseurs pourront admirer à leur gré les traits du disciple de Raphaël qui a même été beaucoup loué par Guido Reni. Il représente l’Immaculée Conception dans sa gloire céleste. Elle se tient debout, les mains jointes, le regard au ciel, sur le disque lunaire, au croissant éclatant. Au-dessus d’elle est le Père Eternel qui la couronne de son divin amour. La Vierge est environnée de chérubins et d’anges, ces derniers tiennent les plus mystiques attributs de ses litanies. Les autres attributs sont disposés en haut comme en bas du tableau. Cette superbe composition, dont les figures sont d’une expression admirable (surtout la tête magistrale du Père Eternel) est d’un coloris lumineux, dans la manière du célèbre peintre flamand Rubens dont il était l’émule » [35].

En 1911, le peintre corse Paul-Mathieu Novellini édite un catalogue des œuvres d’art remarquables de la Corse et note à propos de l’oratoire de la Conception « Copie au maître autel du célèbre tableau de Murillo exposé au Musée du Louvre, donné par l’État » [36].

Qu’est devenu le chef-d’œuvre de Giovan Battista Paggi après l’exposition de 1905, pourquoi n’a-t-il pas été remis en place, où se trouve-t-il actuellement ? Nul ne le sait, mais le tableau n’a certainement pas été détruit et, bien au contraire, on a peut-être décidé de le faire restaurer sérieusement à la suite de cette manifestation [37].

Giovanni Bilivert et les confréries de Bastia

La confrérie bastiaise dédiée à la sainte Croix possède un grand oratoire, placé sous le vocable de l’Annonciation, érigé tout près de la cathédrale. De nos jours, les Bastiais ont pris l’habitude de le dénommer improprement « église Sainte-Croix », mais à la période baroque, il était appelé oratorio della veneranda confraternita della Santa Croce, oratorio della Santissima Annunziata, voire même oratorio della confraternita della Santissima Annunziata.

2. Givanni Bilivert (1585-1644)
L’Annonciation
Huile sur toile
Bastia, oratoire Sainte-Croix
Photo : Ville de Bastia, direction du patrimoine
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Le tableau qui surmonte le maître-autel représente l’Annonciation (ill. 2) ; dans l’angle supérieur droit figure la colombe de l’Esprit saint, entourée de cinq angelots. Cette pala, très admirée dès son acquisition, a fait l’objet de plusieurs copies par des peintres locaux : sept répliques sont actuellement répertoriées dans les églises de divers villages de Corse et une huitième a été identifiée dans une collection particulière [38].

Giovanni Banchero écrit, à propos du quartier de Terra Nova : « Contigu à la cathédrale est [l’oratoire de] la confrérie de l’Annonciation qui compte plus de 300 confrères. On y voit un très beau tableau d’autel qui ne vaut pas moins de 300 ducats, œuvre de Filiberto de Florence » [39]. Lors d’une restauration de l’œuvre, à la fin des années 1970, une signature et une date furent retrouvées, discrètement peintes sur le lutrin représenté devant la Vierge : « GIO(vanni) BILIVERT INV(enit) PIN(xit) 1633 ». Sur Giovanni Bilivert (1585-1644), peintre d’origine flamande [40] mais si toscan de tempérament, élève de Cigoli, la monographie de Roberto Contini [41] a apporté de nombreuses précisions, notamment sa haute place dans la hiérarchie des peintres florentins de son temps. C’est dire l’ambition des commanditaires bastiais qui s’adressèrent à lui par deux fois. Depuis que la signature a été retrouvée, divers auteurs se sont penchés sur l’Annonciation de Bastia, Piero Bigongiari [42], Giuseppe Cantinelli [43], puis Roberto Contini, qui l’a inscrite à son catalogue [44], et enfin Jean-Marc Olivesi qui a rédigé, sur l’œuvre, le premier article en langue française [45]. À la lumière de ces études, il apparaît que la composition est la reprise autographe, peut-être avec l’assistance d’Orazio Fidani, d’une grande toile peinte en 1630 pour Prato [46]elle-même très inspirée d’une Annonciation que Ludovico Cigoli peignit pour Montughi, ce qui en explique l’esthétique encore un peu maniériste.

En 1642, neuf années après l’arrivée du tableau de Bilivert à Bastia, les confrères de Sainte-Croix firent réaliser le cadre en bois doré que l’on peut encore voir actuellement. Il fut commandé [47] au maestro Battista Gorgo, un menuisier-ébéniste génois habitant Bastia [48]. Celui-ci le réalisa sur le dessin du peintre Bastiais Nicolao Castiglioni qui, lui, en imagina les motifs ornementaux. L’acte de commande mentionne expressément les bois à utiliser (le noyer pour la moulure sculptée et le châtaignier pour le châssis) et les dimensions (cinq doigts de large environ pour deux doigts d’épaisseur, sans compter le châssis) [49] ; l’ensemble devait être fini et mis en place avant le 2 février 1642 [50]

3. Giovanni Bilivert (1585-1644)
Conversation sacrée
Huile sur toile - 400 x 134 cm
Bastia, oratoire Saint-Roch
Photo : P. Jambert - Ville de Bastia, direction du patrimoine
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La confrérie bastiaise dédiée à saint Roch a été dissoute dans le courant du xxe siècle, sans doute à cause de la désorganisation et des troubles qu’engendra la seconde guerre mondiale. Son splendide oratoire subsiste, érigé dans la rue Napoléon, à quelques pas de celui de l’église de l’Immaculée Conception. Le tableau qui surmonte le maître-autel est une composition à nombreux personnages, du type que l’on dénomme « Conversation sacrée » (ill. 3). Il représente saint Roch, saint Sébastien, saint Martin de Tours et sainte Catherine d’Alexandrie aux pieds de la Vierge à l’Enfant assise dans les nuées, entourée d’anges. La toile a des dimensions impressionnantes [51] et sa mise en caisse comme son transport depuis Florence durent être problématiques et coûteux. Cette pala, très appréciée dès son arrivée dans la ville, a inspiré de nombreux peintres locaux : onze copies, partielles ou fidèles, sont répertoriées dans diverses églises de Corse [52].

Le chroniqueur Giovanni Banchero mentionne cette œuvre importante dans ses Annales : « Il y a quatre [oratoires de] confréries. Le plus ancien, dédié à saint Roch, est une église grande et belle dont le tableau d’autel est de la main de Filiberto de Florence » [53]. L’idée de Jean-Marc Olivesi, le premier à interpréter le texte de Banchero et à proposer d’identifier Filiberto de Florence avec Bilivert [54], a été confirmée, en 2002, quand un restaurateur qui examinait attentivement la toile a découvert une discrète inscription, peinte sur le revers de la guêtre gauche de saint Roch : « GIO. BILIVERT F(ecit). 1626 ». Les deux tableaux que Bilivert peignit pour Bastia ont donc été réalisés à sept années de distance l’un de l’autre.

Le tableau de l’oratoire Saint Roch peut être rapproché de diverses autres œuvres de Bilivert, notamment de celle qu’il peignit pour orner l’autel de la chapelle Bellacci dans l’église Santa Croce de Florence. La sainte Hélène de Florence rappelle la sainte Catherine de la toile bastiaise. On peut également constater que la jeune fille figurée à droite de la sainte Hélène, à Florence, est la sœur jumelle du jeune éphèbe incarnant saint Sébastien à Bastia [55], qui reprend aussi, en l’inversant, le saint Jean-Baptiste de la pala d’Impuneta, elle-même préparée par de nombreux croquisR. Contini, op. cit., pp. 103-104, n° 39, repr. pl. 53.. De plus, un dessin préparatoire pour le tableau corse a été retrouvé par Roberto Contini dans les collections des Staatliche Kunstsammlungen (Kupferstich-Kabinett) de Dresde [56].

Un dernier mystère iconographique a également été élucidé. Le registre inférieur représente quatre personnages : saint Roch, vêtu en pèlerin, et saint Sébastien, percé de flèches, se tiennent debout derrière un saint évêque et sainte Catherine d’Alexandrie, identifiée par la roue de son supplice et la palme des martyrs. La tradition orale n’avait malheureusement pas conservé le nom du saint évêque. Le peintre n’ayant pas représenté d’attributs particuliers auprès du personnage, celui-ci restait anonyme. Les saints évêques dont les cultes sont attestés à Bastia sont nombreux : Nicolas, Augustin, Blaise, Paulin, Martin de Tours… Un document d’archives est venu résoudre l’énigme ; il s’agit de la commande, en 1598, d’une bannière de procession destinée à l’usage de la confrérie bastiaise de Saint-Roch [57]. Le document mentionne les dévotions en vigueur dans l’édifice en précisant que la bannière devait représenter saint Roch, saint Sébastien, sainte Catherine et saint Martin, sans doute aussi, donc, le saint évêque du retable.

Comme à Sainte-Croix, près de 67 ans après l’arrivée du tableau à Bastia, la confrérie fit démolir le maître-autel d’origine, certainement en maçonnerie stuquée et peinte, pour le remplacer par un monumental autel de marbres polychromes [58].

Domenico Piola et l’église Saint-Jean-Baptiste – Giuseppe Badaracco et la cathédrale Sainte-Marie-de-l’Assomption

4. Domenico Piola (1627-1703)
Le Rosaire
Bastia, église Saint Jean-Baptiste
Huile sur toile - 370 x 277 cm
Photo : P. Jambert - Ville de Bastia, direction du patrimoine
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La haute façade de l’église Saint-Jean-Baptiste, paroisse du quartier de Terra Vecchia, domine majestueusement l’anse du vieux port. Elle est complaisamment tournée vers la citadelle, afin de narguer les habitants du quartier rival de Terra Nova. Le gros-œuvre de l’édifice a été édifié dans ses imposantes proportions actuelles entre 1636 et 1666, sur le site d’une ancienne église de dimensions moyennes. De riches familles du quartier ont ensuite contribué au chantier, en prenant à leur charge entière les frais de construction et de décoration des diverses chapelles latérales.

La troisième chapelle à gauche, dédiée à Notre-Dame du Rosaire, fut construite sur l’initiative d’Anton Nobile Mattei, important notable bastiais, en 1670, comme l’indique une plaque de marbre à ses armes. Les travaux d’aménagement et de décoration furent menés en même temps que ceux de la chapelle des âmes du Purgatoire, en face, construite aux frais de la famille Gavero qui d’ailleurs demanda à Mattei de bien vouloir en suivre les travaux et l’agencement en même temps que la sienne. Par contrat notarié du 24 avril 1673, Anton Nobile Mattei confia à un maître maçon ligure de Porto Maurizio, Bartolomeo Can, la charge de réaliser le pavement, le crépi intérieur, et la structure des autels des deux chapelles en question. Par un second contrat, daté du 26 août 1674, le même ouvrier s’engagea à achever le décor de stucs polychromes des autels ainsi que leurs retables architecturés. Les travaux s’achevèrent en 1675, la quittance, rédigée le 22 mai, révèle que le maître maçon a confié une partie du travail a un maître stucateur milanais du nom de Giacomo Argelino [59].

5. Domenico Piola (1627-1703)
Intercession de la Vierge et de saint Joseph auprès
de la Trinité pour les âmes du purgatoire

Bastia, église Saint Jean-Baptiste
Photo : P. Jambert - Ville de Bastia, direction du patrimoine
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Une fois les deux chapelles achevées et pourvues d’autels, il ne manquait plus qu’à les doter de tableaux. Pour ce faire, Anton Nobile Mattei s’adressa manifestement à un seul et même atelier et même si les deux toiles, conservées jusqu’à nos jours, ne sont ni signées, ni datées, leur attribution ne pose plus grand problème aujourd’hui [60] : les deux œuvres (ill. 4 et 5) sont unanimement considérées comme issues de la casa Piola [61]. L’atelier de Domenico Piola (1627-1703), à la production si abondante, a profondément marqué l’art génois de son temps. Son style très particulier se reconnaît aisément : le Rosaire de Bastia peut ainsi être rapproché d’autres œuvres de Domenico Piola, notamment d’un tableau conservé dans l’oratorio delle Cappe Turchine, à Loano (Ligurie). La toile de Bastia est datable d’avant 1679 grâce à un document conservé dans les archives des gouverneurs, une instance du commanditaire contre la gabelle qui prétendait imposer le tableau qu’Anton Nobile Mattei venait d’importer de Gênes pour orner sa chapelle [62]. Ces deux tableaux de la Casa Piola furent très admirés dès leur arrivée à Bastia, ils eurent une fortune toute particulière auprès des artistes locaux qui les utilisèrent comme modèles. Dans les églises de l’île, nous avons pu dénombrer un minimum de vingt et une répliques du Rosaire et quatorze des Âmes du purgatoire, copies fidèles ou partielles [63].

6. Giuseppe Badaracco (1588-1657)
Intercession de la Vierge et de
saint Joseph auprès
de la Trinité pour les
âmes du purgatoire

Huile sur toile - 271 x 190 cm
Bastia, église Saint-Jean-Baptiste
Photo : P. Jambert - Ville de Bastia,
direction du patrimoine
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Dans le collatéral droit de la cathédrale se trouve un autel-retable de marbres polychromes érigé au xviie siècle par la confrérie des âmes du purgatoire. Il encadre une remarquable toile de l’école génoise, une Intercession de la Vierge et de saint Joseph auprès de la Trinité pour les âmes du purgatoire qui dut être autrefois superbe (ill. 6). Dans le courant du xixe siècle, elle a malheureusement été en grande partie dénaturée par des « restaurations » catastrophiques. Des visages et des modelés ont été décapés et retouchés de façon maladroite, particulièrement dans le registre inférieur. Cependant, la qualité des zones épargnées et la facture générale de l’œuvre on permis, en 1994, de l’attribuer au peintre génois Giuseppe Badaracco (1588-1657), élève de Bernardo Strozzi et d’Andrea Ansaldo [64]. En 1998, une restauratrice a pu transcrire une inscription sur une partie de la toile repliée à l’arrière du châssis [65] : « GIUSEPPE LADARACCO F. 1859 [?] ». Mauvaise conservation, repeint erroné ou lecture fautive, quoi qu’il en soit, l’attribution de l’œuvre est désormais irréfutablement confirmée, mais la date demeure incertaine, puisque Badaracco est mort à Gênes lors de l’effroyable épidémie de peste qui décima la population en 1657. Outre la toile de la cathédrale, nous avons pu retrouver neuf autres œuvres de sa main, toutes conservées dans la région du Cap Corse, au nord de Bastia. Deux d’entre-elles sont signées et datées (1642 à Morsiglia, 1652 à Ersa). Notons que les œuvres que Badaracco peignit pour les églises de Barrettali et de Nonza sont très proches du retable bastiais et qu’elles en reprennent certains éléments. Badaracco a fortement marqué et influencé plusieurs générations de peintres insulaires qui l’ont volontiers copié. Nous avons pu dénombrer au moins onze toiles, plus ou moins dérivées du retable de la cathédrale, conservées dans diverses églises de l’île.

La collection Fesch à Bastia

Au sein des collections municipales, il est un certain nombre de tableaux italiens baroques entrés très tardivement, et pour ainsi dire « par accident ». Il s’agit de tableaux ayant appartenu à l’ancienne collection du cardinal Fesch (1763-1839), arrivés à Bastia en 1844. À cette époque, le musée de la ville n’existait pas encore et les édiles se virent presque embarrassés par le volumineux et encombrant cadeau. Où disposer, où ranger toutes ces toiles, dont certaines mesuraient plus de 4,60 m de long ? On en mit partout : dans les bureaux de la mairie, dans les diverses églises de la ville et jusque dans la salle à manger du proviseur du collège. Cet éparpillement fut préjudiciable à la conservation des œuvres et, aujourd’hui, une trentaine de ces tableaux a disparu.

On ne refera pas ici l’histoire du legs du cardinal Fesch à la Corse ; d’autres historiens [66] l’ont esquissée et des études sont en cours [67] pour en préciser la teneur. Celle-ci fut toujours un peu mystérieuse, et ce dès 1843. Il est certain que des œuvres ont très tôt disparu, sans doute du fait même de Joseph Bonaparte, comte de Survilliers, neveu du prélat et son exécuteur testamentaire. Des ventes à Rome (en 1843, 1844 et 1845) et Ajaccio (1858), des aliénations et des « dépôts », très mal connus, amputèrent alors considérablement la collection. Quoi qu’il en soit, il reste à Bastia, qui hérita d’une centaine de tableaux, un assez grand nombre de toiles qui passent, un peu trop vite, pour le rebut de ce que n’aurait pas voulu Ajaccio, et que l’on retrouve aujourd’hui au musée ou dans les églises de la cité. Pour preuve de cette erreur de jugement, les bozzeti de Corrado Giaquinto [68]qui furent répartis entre Ajaccio et Bastia.

7. Lavinia Fontana (1552-1614)
Le Christ à la colonne
Huile sur toile - 190 x120 cm
Bastia, Palais des Gouverneurs gênois,
musée municipal
Photo : P. Jambert - Ville de Bastia, direction du patrimoine
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L’une des curiosités du fonds Fesch à Bastia est un Christ à la colonne (ill. 7), conservé dans les collections du musée municipal [69]
(ancien palais des gouverneurs génois). L’œuvre est signée [70] par Lavinia Fontana (1552-1614), une artiste bien étudiée [71] par les spécialistes italiens, tant de Bologne que de Rome où elle travailla, et par les chercheuses américaines [72] simplement parce qu’elle était une femme. Cette fixation ne se justifie guère, d’ailleurs, car ce fait est relativement courant dans l’Italie de la seconde moitié du xvie siècle, notamment dans le domaine du portrait (citons les fameuses Barbara Longhi, Sofonisba Anguissola, Marietta Tintoretto…) Les collections publiques françaises exposent surtout des portraits de sa main [73] et seul le Louvre conserve une Sainte Famille attribuée à Lavinia. Or c’était une artiste en vue – elle travailla pour Philippe II d’Espagne et pour le pape Clément VIII –, très recherchée pour ses petits et précieux tableaux de dévotion privée, mais travaillant aussi à des œuvres de très grand format pour l’Église. Le Christ bastiais fait penser aux premiers pour son aspect spirituel et intime [74] plutôt qu’aux seconds, malgré ses dimensions relativement importantes [75]. À part la position des pieds, la composition reprend intégralement celle d’un tableau de Taddeo ou de Federico Zuccari conservé au musée diocésain Albani d’Urbino, de format à peine inférieur, mais qui a été légèrement réduit [76], et qui lui-même reproduit la figure du Christ de la Flagellation de l’Escorial peinte par Federico Zuccari (vers 1539/1543-1609). Nous pensons ainsi qu’il faut rattacher la toile à la période romaine de Lavinia Fontana (1600-1614), époque où elle cherche à se dégager de sa culture maniériste et où, peintre de son temps, elle oublie Raphaël, dont elle a été longtemps une sectatrice fidèle, et assiste, dépassée, au triomphe du luminisme caravagesque [77]. Comme pour le tableau attribué à Brizio, évoqué ci-après, une provenance romaine explique son acquisition par le cardinal Fesch.

8. Attribué à Francesco Brizio (vers 1574-1623)
Le pape Pie V remettant à Don Juan d’Autriche le titre
de vice-roi de Sicile après la victoire de Lépante

Huile sur toile - 250 x 460 cm
Bastia, cathédrale Sainte-Marie de l’Assomption
P. Jambert - Ville de Bastia, direction du patrimoine
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Deuxième par la taille des tableaux Fesch de Bastia [78], le Pape Pie V remettant à Don Juan d’Autriche le titre de vice-roi de Sicile après la victoire de Lépante (ill. 8) fut mis en dépôt par la municipalité dans la cathédrale dès son arrivée dans la ville, en 1846. À cette époque, le musée municipal n’existait pas encore et la cathédrale Sainte-Marie-de-l’Assomption était le seul édifice suffisamment spacieux pour accueillir une œuvre de cette dimension. Ce grand tableau demeure un mystère irritant de l’histoire de l’art et nous le reproduisons ici en souhaitant provoquer des réactions de la part de spécialistes italiens. En effet, malgré ses dimensions gigantesques – il est pourtant mutilé sur le côté droit – et le fait qu’il s’agisse d’un grand chef-d’œuvre, son identité n’est pas parfaitement établie et il est incroyable qu’un tableau aussi ambitieux n’ait pas fait l’objet de commentaires, dès le xviie siècle. Le sujet pourrait presque faire penser à une commande locale, tant il paraît adapté au lieu, à cette église de citadelle, forteresse mériméenne surplombant une mer qu’autrefois sillonnaient les galères barbaresques. Or Lépante fut célébrée dans toute l’Europe et, en particulier, dans tout le bassin méditerranéen, par des peintures, des ex-votos ou des fondations commémorant l’événement ; on ne peut donc rien préjuger de la présence d’une telle œuvre dans l’église, ni de sa localisation originelle. Déjà baroque de conception, mais présentant aussi un dessin classique, la composition était traditionnellement donnée au Bolonais Brizio, sans doute Francesco Brizio (vers 1574-1623) [79] plutôt que son fils Filippo (1603-1675), ami de Guido Reni, jusqu’à ce qu’elle soit réattribuée à Giovanni Paolo Cavagna (1556-1627) par Arnauld Brejon de Lavergnée, dans les années 1980. Pour séduisante que soit cette proposition – à cause des traits d’un vigoureux naturalisme soutenu par le clair-obscur – nous croyons pouvoir avancer trois arguments pour le maintien du nom de Brizio. D’abord l’art de Cavagna, peintre bergamasque réaliste influencé par Moroni et par l’art vénitien, ne nous semble pas présenter le ton académique de la peinture bastiaise, frise majestueuse, symbolique et idéale. Ensuite, ce nom de Brizio ne « s’invente » pas, selon l’expression consacrée, et on ne comprend guère comment le patronyme d’un peintre devenu très obscur aux xviiie et xixe siècles aurait pu traverser les siècles sans raison. En outre, certains aspects de la toile de Bastia ne sont pas étrangers à l’art du Bolonais : talent pour agencer de vastes compositions aux multiples personnages, tels le Couronnement de la Vierge du Borgo de l’église San Petronio de Bologne ou la Tabula Cebetis d’une collection particulière romaine [80], goût pour les grands plis raides cassés et les profils à contre-jour, comme dans le Baptême des Hébreux convertis de l’église San Salvatore de Bologne, et enfin, héritées de Ludovic Carrache, une certaine rondeur et une lumière froide perceptible même sous les vernis opacifiés. Le troisième et dernier élément qui nous fait pencher pour Brizio, alors que Malvasia ne dit rien d’une œuvre aussi importante [81], est le fait que la toile puisse provenir de Rome. En effet, F. Frisoni [82] n’exclut pas un voyage du peintre dans la Ville éternelle, vers 1610, à peu près au même moment que ses épigones Lucio Massari et Lionello Spada et à une époque où les élèves de Carrache obtiennent les commandes les plus prestigieuses de Rome, ce qui pourrait justifier le silence du chroniqueur bolonais et l’acquisition du cardinal Fesch. Quoi qu’il en soit, nous restons là dans le domaine des hypothèses, mais cette toile, qui fait face dans l’église à un grand chef-d’œuvre de Nicola Tommaso Bertuzzi (1716-1777) [83], constitue de toutes les façons l’un des fleurons les plus remarquables de tout le patrimoine baroque de la Corse et c’est peut-être dans les archives romaines qu’il faudra retrouver son origine.

9. Attribué à Giuseppe Bonito (1707-1789)
Joueurs de Billard
Huile sur toile - 120 x 150 cm
Bastia, Palais des Gouverneurs gênois,
musée municipal
Photo : P. Jambert - Ville de Bastia, direction du patrimoine.
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La collection Fesch recèle encore bien d’autres surprises et, dans les collections du musée de Bastia comme dans les églises des environs, des découvertes et des attributions restent à faire. Nous présentons ici, par exemple, une étonnante scène de genre, très certainement napolitaine, des Joueurs de billard [84](ill. 9) que nous proposons de rapprocher de la production de Giuseppe Bonito (1707-1789) [85], précurseur de Gaspare Traversi (vers 1722-1770), son contemporain plus jeune et protagoniste génial du réalisme populaire européen, au même niveau qu’un Ceruti ou qu’un Hogarth. La peinture de Bonito est tout à la fois moins fiévreuse et moins maîtrisée, comme le montre le tableau bastiais, à la composition un peu confuse, à la perspective légèrement indécise, mais elle séduit par son coloris chatoyant et par la gaieté bonhomme qui s’en dégage. On peu ainsi comparer le tableau corse à une Partie de cartes d’une collection particulière, d’un format proche [86], à l’Atelier du peintre de Naples (museo nazionale di Capodimonte) [87] et à une paire de scènes de genre, le Poète et la Musicienne d’une collection particulière [88], trois toiles qui dépeignent les loisirs de la société napolitaine avec le même pinceau enjoué et la même joie de vivre gouailleuse.


10. Pietro Paolini
Achille reconnu parmi les filles de Lycomède
Huile sur toile
Bastia, Palais des Gouverneurs gênois,
musée municipal
Photo : P. Jambert - Ville de Bastia, direction du patrimoine
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L’inventaire de Bastia n’est pas clos. Plus que jamais, la recension complète des œuvres conduit à des découvertes ; bien comprises, celles-ci remodèlent une part de l’histoire de l’art locale, l’éclairent différemment et par là même, donnent la clef de la lecture des archives, resituent la cité dans un contexte plus large et donnent un sens à son patrimoine. Apparaît alors l’importance du point de vue : plus on est proche du terrain, plus l’image est précise, mais forcément partielle ; plus on s’en éloigne, plus la perception devient globale et juste, mais alors les détails s’estompent et l’étude perd de sa substance. C’est donc bien par un constant va-et-vient entre la collecte et l’analyse, entre l’histoire et les objets, qu’une réalité peut se faire jour et qu’un inventaire peut être dressé, même si celui-ci, par nature, est en continuel devenir. Des toiles italiennes, en Corse depuis toujours (c’est-à-dire en France à partir de 1768), appartenant à la commune de Bastia depuis la loi de séparation des Églises et de l’État (1905) [89], sont-elles porteuses d’une valeur identitaire précise pour la ville ? Telle est l’une des questions paradoxales auxquelles peut conduire ce travail. Pour autant, la réponse est indéniablement positive, car l’histoire de l’Europe s’est faite, pendant vingt siècles, de ces échanges et de ces recouvrements, et c’est un trésor pour Bastia que cette collection de tableaux qui en fait si brillamment la démonstration.

Document d’archives

Bastia, Archives départementales de la Haute-Corse, registre de Gio Lucca Pellegrini, notaire à Bastia, 3E8/23, f° 93 r°, acte du 2 juillet 1640 : testament d’Ottavio Cambiaso.

In Nomine Domini Amen, ritrovandosi in letto amalato et opresso da grave infirmità, il nobile Ottavio Cambiaso del quondam Lucca cittadino genovese al presente habitante in la citta della Bastia del Regno di Corsica, e temendo di non manere da questa presente et andare a meglior vita, e quando cosi a sua Divina Maestà cosi piaccia, vole sodisfare a quel tanto che già nella sua mente ha destinato fare in accomodare delle sue facolta e disponere e lassare accio che doppo di se non habbia da succedere lite e controversie […] e che per cio il detto nob Ottavio […] iacente in letto, infermo del corpo ma in sua sana raggione, memoria et inteletto si è constitutto dinanti me […] ha con la bocca sua propria, per mezo del presente suo ultimo e noncupativo testamento et ultima volontà […] lassato e giudicato in tutto come in appresso.

E primo, racomanda l’anima sua all’omnipotente Iddio, creatore del tutto et alla gloriosissima Vergine Maria et a tutta la corte celestiale del Paradiso, et in caso di morte vole che il suo corpo sia sepellito nella chiesa di Santa Maria Cattedrale di questa Città, nella cappella del Santissimo Rosario.

Item lassa per l’anima sua all’ospitale di Pamattone della Città di Genova Lire 25 di denari moneta di Genova, e lire 50 parimente per l’anima sua lassa alla chiesa di Sto Cipriano di Ponzevera, da pagarsi dette partite dall’infrascitto suo herede.

Item dichiara che essendo circa anni 26 che esso testatore si è partito dalla Città di Genova di dove li è convenuto far partenza per le persecutioni havute, e per degni rispetti che tace et li è bisognato andare erando per il mondo con molti disagi, fatiche, e pericoli della sua vita, e finalmente li è stato necessario far domicilio in questa Città della Bastia nella quale ha havuto molte malatie et opressioni di Podagre, si che l’ha causato la maggior parte del tempo stantene in letto e se non fosse stato l’ajiuto di donne Silvia moglie ultimo loco del quondam Gio Batta Malatesta e Thomasina sua figlia, et del quondam Marcantonio da Malta, suo primo marito, stanti in la Bastia, le quali con loro propri e fatiche l’hanno ajiutato a sovenire in tutte le sue severità e bisogni, cosi di malatie come di vivere, si sarebbe perito, e volendo se non in tutto al meno in parte rimunerare dette povere donne, accio non possi essere accusato de ingratitudine, che tanto dispiace a Sua Divina Maestà. Percio il detto nob Ottavio per la ricupensa sudetta e l’amor di Dio e per l’anima e per raggione di legato lassa alla detta Thomasina figlia di detto quondam Marcantonio da Malta lire 1000 di denari della moneta di Genova Subbito doppo la morte d’esso testatore che dall’infrascritto herede le siano pagate, e caso che dette lire 1000 non li fussono subbito pagate vole che essa Thomasina possi subbito conseguire pagamento et estimassi per detta partita col benefitio delli doi tre per cento sopra la Villa di esso testatore posta a Santo Cipriano di Ponzevera, lassatali del sudetto quondam nobile Lucca suo padre, nella quale alcuna persona non vi ha che fare. Instanto e suplicando il Serenissimo Senato della Serenissima Republica di Genova e ogni altro Magistrato, che voglino prestare ogni ajiuto e favore alla detta Thomasina accio venghi sodisfatta di detta partita et che la carità da esso testatore fatta sortisca il suo vigore et effetto.

Item parimente esso testatore lassa alla detta Thomasina per l’amor di Dio e per l’anima sua e per raggione di legato tutte le robbe et ustensili che alpresente esso ha in la Bastia cosi incasa come fuori di casa, et anche li lassa tutte le partite di denari che esso deve avere per il Regno di Corsica et che di cio non gli ne possi essere dato impedimento alcuno stante massime il suplimento da essa fatta in questa sua infirmita, et anche che deve fare in l’avenire et nel suo funerale del quale esso ne da la cura.

Item dichiara esso testatore prese per moglie la nobile Bianca, figlia del quondam nobile Gioseppe Cambiaso genovese ricevei per sue dote Lire due mille in circa in tante robbe e supelettili et quelli mentre si parti da Genova da detta sua moglie restano tutti in sua casa appresso di essa et a sua dispositione. Nel resto esso nobile testatore, salve le cose suddette e quelle ferme e stante di tutti li suoi beni et effetti che esso ha in detta Città di Genova e Dominio della Serenissima Republica et altro loco et che li possono spettare in qualche modo, niuna cosa esclusa, ne instituisce, crea et nomina con la bocca propria herede universale il nobile Gio Andrea suo figlio legitimo e naturale nato di legitimo matrimonio con detta Bianca che di quelli ne possi disponere e fare quello che a esso parera e piacera, con che esso nobile Gio Andrea sia obligato sicome per virtù di questo presente testamento lo obliga a pagare li sudetti legati e lassite fatte come sopra, dichiarando ancora esso testatore che se detto nobile Gio Andrea non pagasse alla detta Thomasina le dette lire mille o che impedisse che essa non potesse il suo pagamento conseguire nel modo sudetto, et che essa non potesse vendere la quantità della detta villa manpresa et estimata che sarà, che tutta deta villa sia dall’Illustrissimi Protettori dell’ Ospidale di Pamattone della Città di Genova vinduta in publica calega al più offerente et dell’esito di quella sine debba pagare a detta Thomasina il prezzo e quantità che da essa sarà conseguito in pagamento et estimato. E lire 1000 di denari moneta di Genova si ne debbano dare e pagare a detto Ospidale di Pamattone da spendersi in beneficio di quello et il restante sia pagato al Signor Gio Andrea herede come sopra e tanto il sudeto testatore vole e comanda che sia per ogni tempo indebilmente osservato et che il presente sia et esser debba il suo testamento et ultima volontà […].

Atto in Terra Nova, Città della Bastia del Regno di Corsica, in casa dell’habitatione di deto testatore alla sponda del suo letto l’anno della Natività di Nostro Signore 1640 a di 2 del mese di luglio, giorno di luni, hora di mezo giorno in circa […]

Traduction :

Au nom du Seigneur, Amen. Se retrouvant alité, malade et astreint par une grave infirmité, le noble Ottavio Cambiaso, fils du feu Lucca, citoyen génois, à présent habitant dans la ville de Bastia du Royaume de Corse, craignant de ne pouvoir demeurer dans cette vie et de partir pour une [vie] meilleure, prévoyant que ce passage plaira [bientôt] à Sa Divine Majestée, veux satisfaire à toute les dispositions qu’il a déjà dans l’esprit pour répartir ses biens et ses disponibilités afin qu’après sa vie, n’aient pas à survenir des discordes et des controverses […] et pour cela, le dit noble Ottavio […] gisant au lit, infirme du corps mais en sa saine raison, mémoire et intellect, s’est constitué devant moi [notaire …], il a de sa propre bouche, au moyen du présent [acte], son dernier et nuncupatif testament ou [autrement dit] dernières volontés […] légué et jugé de tout comme ci-après.

En premier, il recommande son âme à l’omnipotent Dieu, créateur de toutes choses, à la Très Glorieuse Vierge Marie et à toute la Cour céleste du Paradis. Après sa mort, il veut que son corps soit enseveli dans l’église de Sainte-Marie, Cathédrale de cette ville, dans la chapelle du Très Saint Rosaire.

De même, pour [le repos de] son âme, il laisse 25 Lires à l’Hôpital de Pamattone de la ville de Gênes, et pareillement[…], il laisse à l’église San Cipriano de Ponzevera 50 Lires en monnaie de Gênes, ces legs devant être payé par son héritier.

De même, il déclare que cela fait environ 26 ans que lui, testateur, est parti de la ville de Gênes, d’où il a été obligé de partir en raison des persécutions subies. Pour de dignes raisons, qu’il tait, il lui fallut s’en aller, errant de par le monde avec beaucoup de déplaisir, de fatigue et de périls menaçant sa vie. Et enfin, il lui a été nécessaire d’élire domicile dans cette ville de Bastia, dans laquelle il traversa de nombreuses maladies et des crises de goutte, de telle sorte qu’il a été contraint de garder le lit la plupart du temps et qu’il aurait péri s’il n’avait reçu l’aide de la Dame Silvia, épouse en seconde noces du feu Giovan Battista Malatesta et de Tomasina sa fille, ainsi que du feu Marcantonio de Malta premier époux [de la dite Dame Silvia], tous résidents à Bastia. Lesquels sur leurs propres [avoirs] et fatigues l’ont aidé à subvenir à toutes ses nécessités et besoins, de maladie comme de subsistance. Et il veut, si non en tout du moins en partie, rémunérer les dites pauvres femmes, afin qu’il ne puisse pas être accusé d’ingratitude, qui tant déplait à Sa Divine Majesté. Pour cela, le dit noble Ottavio, à titre de récompense comme annoncé ci-avant, et pour l’amour de Dieu, et pour le salut de son âme, laisse un legs de 1000 Lires à la dite Tomasina, fille du dit feu Marcantonio de Malte. Et [veut] qu’elles lui soient payées par son héritier, aussitôt après la mort du dit testateur. Et dans le cas où les dites 1000 Lires ne lui soient pas aussitôt payées, il veut que la dite Tomasina puisse obtenir à ce titre le bénéfice des 2 ou 3 % sur les revenus de la Villa appartenant au dit testateur, sise à San Cipriano de Ponzevera et qui lui vient de son père, le susdit noble Lucca et sur laquelle personne d’autre ne doit avoir de prétention. Il prie et supplie le Sérénissime Sénat de la Sérénissime République de Gênes et tout autre Administration pour qu’ils veuillent bien prêter toute l’aide nécessaire, et faire faveur à la dite Tomasina, afin que celle-ci puissent être satisfaite de ce legs et que la charitable action de lui, testateur, prenne vigueur et effet.

De même et pareillement, lui testateur, laisse à la dite Tomasina, pour l’amour de Dieu, pour le repos de son âme et à titre de legs, toutes choses et ustensiles qu’il possède à présent à Bastia, tant dans sa maison qu’en dehors de sa maison. Il lui lègue aussi tous ses intérêts en argent qu’il a dans le Royaume de Corse et [veut] que contre cela rien ne puisse être soulevé comme empêchement aucun. [Ceci] en considération des suppléances qu’elle accomplit actuellement eut égard à son infirmité et également parce que dans l’avenir c’est elle qui veillera au déroulement de ses funérailles.

De même, lui testateur, déclare qu’il prit pour épouse la noble Bianca, fille du feu Giuseppe Cambiaso, génois, et qu’il reçut pour dot environ 2000 lires, en nature, diverses choses et mobilier. [Il déclare] que ces objets restèrent tous dans sa maison, auprès de sa dite épouse et à sa disposition quand il partit de Gênes. De tout le reste de ses biens, mis à part les choses dites ci-dessus, de toutes ses possessions, biens et effets qu’il a dans la dite ville de Gênes, sur le territoire de la Sérénissime République de Gênes et dans d’autres lieux, ainsi que de tout ce qu’il pourrait avoir, ou qui pourrait lui échoir, de quelque façon que ce soit, et cela sans exception aucune, lui testateur il en institue, crée et nomme de sa propre bouche, comme héritier universel, le noble Gio Andrea son fils légitime, naturellement né de son légitime mariage avec la dite Bianca. Que de tout ceci, il en puisse disposer et en faire ce qu’il lui plaira, avec cependant l’obligation de payer les susdits legs, mentionnés comme ci-dessus, et en vertu de ce présent testament. Le dit testateur déclarant aussi que si le dit noble Gio Andrea ne payait pas à la dite Tomasina les dites 1000 lires, ou bien s’il l’empêche d’obtenir le paiement selon le mode énoncé, et qu’elle ne puisse alors vendre sa part d’intérêt sur la dite Villa [il veut] que toute cette Villa soit estimée et qu’elle soit vendue aux enchères publiques au plus offrant, par les [soins des] Illustrissimes Protecteurs de l’Hôpital de Pamattone de la ville de Gênes. Et que sur le produit de la vente on donne le prix et le montant qui revient à la dite Tomasina. Et que 1000 lires en monnaie de Gênes soient données et payées au dit Hôpital de Pamattone, à dépenser au bénéfice de celui-ci. Et que le restant soit versé au Signor Gio Andrea, héritier [dit] comme ci-dessus. Et tout ceci, le dit testateur veut et commande que cela soit indéfectiblement observé dans l’avenir. Et que le présent [acte] soit, et doive être tenu, pour son testament et ultimes volontés […].

Acte [rédigé] à Terra Nova, ville de Bastia, dans le Royaume de Corse, dans la maison d’habitation du dit testateur, au chevet de son lit, en l’année de la Nativité de Notre Seigneur 1640, le 2 du mois de juillet, jour de lundi, à l’heure de midi environ […]. »

Pierre Curie est conservateur du patrimoine, chargé de la peinture au Bureau de la recherche et de la méthodologie, sous-direction des études, de la documentation et de l’Inventaire, direction de l’architecture et du patrimoine. Il travaille surtout sur la peinture européenne des 17e et 19e siècles et enseigne à l’École du Louvre.

Michel-Édouard Nigaglioni est chargé d’études auprès de la Direction du patrimoine de la ville de Bastia et conservateur délégué des Antiquités et Objets d’Art du département de la Haute-Corse ; il prépare un dictionnaire des peintres actifs en Corse de 1386 à 1900.

Pierre Curie et Michel-Edouard Nigaglioni

Notes

[1M. Tronquart, Le patrimoine religieux de Lunéville (Images du Patrimoine n° 123), Metz, 1993.

[2V. Droguet, M.-T. Réau, Tours. Décor et mobilier des édifices religieux et publics (Cahiers du Patrimoine n° 30), Orléans, 1993.

[3rF. Arnal, A. Chevalier, Tableaux religieux du xviie siècle à Montpellier (Images du Patrimoine n° 122), Montpellier, 1993.

[4L’étude de J.-P. Maisonnave n’est accessible qu’à travers la base de données Palissy.

[5L’île compte 360 communes.

[6Une collection d’ouvrages consacrée aux diverses églises de Bastia a ainsi vu le jour. Quatre monographies ont été publiées (L’oratoire de la Conception, 1999 ; Le couvent Sant’ Angelo, 2000 ; L’église Saint-Jean-Baptiste, 2001 ; L’oratoire de Sainte-Croix, 2002) et une cinquième est en préparation (Le couvent San Francesco). Un guide touristique et culturel de la ville, destiné à un l

[7De mai 1998 à septembre 1999, la Direction du patrimoine de Bastia a réalisé l’étude exhaustive des 374 pièces d’orfèvrerie conservées dans les églises de la ville.

[8Au cours de 1999, l’étude de l’ensemble des divers vêtements liturgiques et autres pièces textiles conservées dans les églises de la ville a été précédée par une prospection des fonds d’archives susceptibles de contenir des mentions pouvant documenter les œuvres (existantes ou disparues). Un total de 367 pièces de textile a été inventorié.

[9M.-É. Nigaglioni, L’inventaire du patrimoine : La Peinture, n°1, Bastia, Direction du Patrimoine, 2003.

[10Outre les fonds répertoriés, trente-sept manuscrits oubliés, entreposés dans les greniers des presbytères et dans les placards des sacristies, ont été étudiés. Ces précieux documents sont des registres de comptes, de dons, de délibérations des conseils de fabrique, de correspondance, etc. Le dépouillement systématique de ces manuscrits s’est révélé riche en renseignements historiques inédits.

[11De même étymologie que bastille, bastion…

[12Auparavant dans le village de Vescovato.

[13Le port pouvait alors accueillir six galères et une vingtaine d’embarcations plus légères. Le trafic maritime ne cessant d’augmenter, Bastia devint un important centre d’échanges et de transit. On importait des tissus, des produits manufacturés, des marbres italiens ; on exportait du vin, du poisson, du bois, du corail, de l’huile. Au cours des années 1650, Bastia est la ville la plus peuplée de l’île ; elle abrite 7000 habitants, soit 5000 pour Terra Vecchia et 2000 pour Terra Nova. Au début du xviiie siècle, le chroniqueur Pietro Morati rapporte les aménagements qui naquirent sous ses yeux, dans le secteur de La Punta : « les magasins, y compris les boutiques de comestibles sont au nombre de quatre cents. Bastia est ainsi devenue un lieu de trafic terrestre et maritime, eu égard aux bateaux qui abordent dans son port. C’est à bon droit qu’elle tient la première place parmi toutes les autres villes et localités de l’île » (Prattica manuale, manuscrit rédigé entre 1702 et 1720, publié dans le Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, n° 54-57, Bastia, imprimerie et librairie Ollagnier, 1885, p. 77, traduction des auteurs).

[14Notamment dans le domaine patrimonial : son paysage urbain préservé, ses églises, ses remparts, son musée, sa bibliothèque, son théâtre lui ont permis de se voir décerner le label de « Ville d’Art et d’Histoire » en février 2000.

[15Les jésuites (couvent Sant’ Ignazio), les missionnaires lazaristes (couvent San Vincenzo de’ Paoli), les servites de Marie (San Giuseppe), les franciscains observants (San Francesco), les capucins (Sant’ Antonio di Padova), les franciscains réformés (Sant’ Angelo).

[16Les clarisses (Santa Chiara), les ursulines (Sant’ Orsola), les tertiaires franciscaines ou bighine (Santa Elisabeta), et les annonciades célestes ou turchine (Santissima Annunziata).

[17Bastia rayonne alors sur la Corse : elle s’impose très vite comme un modèle de référence pour l’ensemble des communautés de l’île, tant urbaines que rurales. Ainsi, les décorateurs des églises baroques corses ont volontiers copié les tableaux, les sculptures et les éléments de l’ornement des édifices bastiais. Soulignons d’autre part que les artistes et les artisans qui ont fait leurs preuves dans les églises de la ville ont été constamment sollicités par les communes de l’intérieur. Ils vont y diffuser abondamment leurs productions et leurs modèles.

[18Citons à titre d’exemples la chapelle San Pietro et Sant’ Andrea au couvent San Francesco, entretenue par la corporation des pêcheurs, la chapelle San Crispino au couvent Sant’ Angelo, appartenant à la corporation des cordonniers, la chapelle Santa Barbara au couvent San Giuseppe, à la corporation des bombardiers, etc

[19Plus près de notre époque, on déplore la destruction du décor et des œuvres de l’oratoire de la confrérie de la Miséricorde, transformé en cinéma en 1955.

[20Sa carrière fut longue et productive et son mariage avec une Bastiaise le dissuada définitivement de rentrer dans sa patrie d’origine. Après le décès de son épouse, en 1661, il se fit ordonner prêtre et resta dans les ordres pendant dix années, tout en continuant d’exercer activement son métier de peintre. En 1672, à l’âge de 45 ou 55 ans, il renonça finalement à la prêtrise, obtint le grade de lieutenant dans la milice bastiaise et épousa une cousine de sa première femme, avec laquelle il eut quatre enfants dans les années qui suivirent ; il mourut en 1681.

[21Il épousa, à Nice, une Française du nom de Françoise Vernet (Joseph Vernet avait été l’élève de Lucatelli père).

[22Sur l’autre fils et assistant de l’artiste, Orazio, beaucoup plus connu qu’Ottavio, voir L. Magnani, Luca Cambiaso da Genova all’Escorial, Gênes, Sagep, 1995.

[23À propos de l’activité d’Ottavio Cambiaso en Corse, voir M.-É. Nigaglioni, « La peinture religieuse corse entre 1620 et 1821 : le souffle du Baroque », Corsica Christiana, 2000 ans de christianisme en Corse, cat. exp., Corte, Musée de la Corse, 2001, pp. 182-184.

[24Bastia, Archives départementales de la Corse-du-Sud, fonds du Civile Governatore, liasse 226, document du 5 novembre1615 : procès intenté par le Magnifico Sebastiano Spinola à Ottavio Cambiaso, pour le paiement du loyer d’une maison et de la location d’un matelas ; liasse 234, document du 27 septembre 1617, notification au noble Giovanpaolo Bargone, créancier du noble Ottavio Cambiaso, de la nouvelle caution fournie par celui-ci par le capitaine Galiano Doria ; liasse 235, document du 13 septembre 1617, mandement contre Ottavio Cambiaso, pour lequel le Magnifico Giovanbattista Baliano avait fourni caution envers le noble Giovanpolo Bargone.

[25En décembre 1621, le vicaire du diocèse chercha à leur interdire d’entretenir toutes relations et, invoquant le salut de son âme, il ordonna par écrit à « Messire Ottavio Cambiaso, peintre » de se séparer de sa concubine. Le vicaire commanda à Ottavio de s’abstenir de quelque pratique que ce fût avec elle, ainsi que de toute conversation, tant de jour que de nuit, sous peine d’excommunication et de 100 lires d’amende (Bastia, Archives départementales de la Haute-Corse, fonds du Vicaire général de l’évêché de Mariana et Accia, 3 G 5 / 113, document du 22 décembre 1621). Rien n’y fit, ni l’évêque en personne, Monseigneur Geronimo dal Pozzo, ni la menace des foudres de l’enfer ne réussirent à séparer Ottavio de Tomasina.

[26À la lecture de ce document émouvant, reproduit en fin d’article, on apprend beaucoup sur le peintre et sur le fardeau que constituèrent pour lui certains secrets de famille. À travers ce texte, dicté par un mourant, on ressent parfaitement le malaise qui entoure l’épisode de son départ de Gênes, un départ précipité, forcé et sans espoir de retour. Les circonstances en resteront toujours mystérieuses car Ottavio Cambiaso manifesta le souhait d’en emporter le secret dans sa tombe.

[27Ce tableau n’est pas signé, mais il a pu être daté avec précision et attribué à Tommaso Maria Conca, grâce au reçu du peintre conservé chez les descendants du commanditaire, et non à son oncle Sebastiano Conca, à qui il est donné trop hâtivement par P. Curie, « Remarques sur la peinture italienne du xviiie siècle dans les églises de France », Settecento. Le siècle de Tiepolo. Peintures italiennes du xviiie siècle exposées dans les collections publiques françaises, cat. exp., Lyon, Musée des Beaux-Arts ; Lille, Palais des Beaux-Arts, 2000-2001, RMN, 2000, p. 52-64.

[28L’autel qui se trouve aujourd’hui en avant du retable a été totalement refait en 1763, dans le goût gracieux du xviiie siècle. L’inscription « RENOVATUM MDCCLXIII » est gravée sur la quatrième et dernière marche de l’estrade du maître-autel. Élégamment galbée, la table est en marbre blanc richement sculpté et incrusté de marbres polychromes. Les gradins incurvés se terminent en courbes, contre-courbes, volutes et têtes d’angelots. En 1804-1805, les confrères consacrèrent 973 francs et 18 sous à la restauration et à l’embellissement de l’autel. Sur cette somme, 564 francs furent donnés à un marbrier du nom de Pancetta pour la fourniture de marbres Mention rapportée dans un livre de comptes manuscrit (Libro de’Signori Priori pro tempore della Venerabile Confraternità della Santissima Concezione di Bastia) conservé dans la sacristie de l’église paroissiale Saint-Jean-Baptiste. C’est vraisemblablement à cette occasion que l’ensemble fut démonté et remonté avec une surélévation de 2,18 m par rapport au niveau du sol. Cette opération, qui nécessita l’adjonction d’un soubassement plaqué de marbre blanc, permet de voir l’intégralité des marbres du retable de 1624, alors qu’auparavant ceux-ci étaient en partie cachés par l’autel de 1763.

[29Giovanni Banchero, Annales, manuscrit rédigé entre 1652 et 1660, publié dans le Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, n° 59-60, Bastia, imprimerie et librairie Ollagnier, 1885, p. 266.

[30Environ 380 x 200 cm. Archives Nationales, F21/0167, dossier 11 – série artistes. Léon Olivié (Narbonne, 1833-Étretat, 1901) fut l’élève de Cogniet et de Coedes. Il débuta au Salon en 1859 avec des portraits et des sujets de genre. On peut voir des œuvres de lui dans les musées d’Aix, d’Angoulême et de Langres.

[31L’œuvre de Murillo était entrée dans les collections du musée du Louvre en 1852. Échangée avec l’Espagne en 1941, elle est actuellement exposée au Prado à Madrid.

[32Registro per servire alla reddizione di conti dei Signori Priori della Confraternità della Santissima Concezione di Bastia (1840-1874), trad. M.-É. Nigaglioni. La copie de l’Assomption de Murillo a été vraisemblablement mise en place en juin 1872, car le manuscrit n° 3 note à cette date : « Pagato per uomini, per piazzare il nuovo quadro della Vergine, 1,20 franchi ».

[33Luigi Tuticci (Livourne, 1824-Bastia, 1919), peintre toscan actif en Corse à partir de 1849.

[34Mention rapportée dans un manuscrit conservé dans la sacristie de l’église paroissiale Saint-Jean-Baptiste, Registre du Caissier de la Confrérie de L’Immaculée Conception de Bastia (1878-1896).

[35Le Petit Bastiais, vendredi 9 juin 1905.

[36P.-M. Novellini, Catalogue des œuvres remarquables de peinture, sculpture, etc., qui existent dans les églises et autres mouments publics, ainsi que dans les maisons particulières de la Corse, Bastia, 1911, p 23.

[37Avec le traumatisme et la grande désorganisation que subit la société corse durant la guerre de 1914-1918, on peut avancer une hypothèse : le tableau a peut-être été envoyé en restauration hors de l’île, à Paris, à Florence ou ailleurs, peu avant la guerre. À la fin des hostilités, un temps très long s’étant écoulé, les nouveaux administrateurs de la confrérie (changés chaque année) ont pu oublier de réclamer le retour du tableau ou de payer le restaurateur. Celui-ci, en représailles, a-t-il décidé de ne pas rendre l’œuvre ? Est-il mort dans les combats ?

[38À ce propos, voir M.-É. Nigaglioni, « La peinture bastiaise baroque : modèles et copies », Études Corses, n° 50-51, Ajaccio, La Marge Édition, 1998, pp. 117-118.

[39G. Banchero, op. cit., 1885, p. 264.

[40Notons que Giovanni Bilivert, né à Florence, était le fils de Jacques Bilivert, un orfèvre d’origine flamande, ce qui explique son patronyme aux consonances inhabituelles en Italie.

[41R. Contini, Bilivert, saggi di ricostruzione, Florence, Sansoni, 1985. Du même auteur, voir aussi la notice Bilivert du Saur Allgemeines Künstlerlexikon, vol. 11, Munich, Leipzig, 1995, p. 25-27 (tableau cité p. 26).

[42P. Bigongiari, Il Seicento Fiorentino, la première édition (Milan, Rizzoli, 1975) n’en parle pas, mais la deuxième édition (Florence, Sansoni, 1982) évoque le tableau bastiais, pp. 97-98 ; voir aussi P. Bigongiari, « Bilivert e l’energia affabulante del segno, e altre riflessioni sulla pittura fiorentina del primo seicento », Paradigma, 1982, n° 4, pp. 85-110.

[43G. Cantinelli, Repertorio della Pittura fiorentina del Seicento, Florence, Opus Libri, 1983.

[44R. Contini, op. cit., voir p. 100, n° 34, repr. pl. 94c.

[45J.-M. Olivesi, « Le décor de l’oratoire Sainte-Croix de Bastia », Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de la Corse, n° 652 (4e colloque d’histoire et d’archéologie de Bastia, 1986), 1987, pp. 149-168.

[46Prato, palazzo pretorio, galleria communale.

[47Bastia, Archives départementales de la Haute-Corse, registre de Gio Lucca Pellegrini notaire à Bastia, 3E8/24, f° 58 v°, acte du 8 janvier 1642.

[48L’activité de Battista Gorgo est attestée à Bastia de 1641 à 1660. Il est l’auteur du meuble placé à l’arrière du maître-autel de la cathédrale.

[49Le maître menuisier reçut la somme de 36 lires pour son travail.

[50Cinquante ans après la commande du tableau, on fit entièrement refaire le maître-autel de la confrérie, qui jusqu’alors devait être en maçonnerie enduite de stuc peint. On fit installer un monumental autel-retable de marbre sculpté, incrusté de marbres polychromes dont il ne reste aujourd’hui que le grand retable architecturé à fronton interrompu, et dont les colonnes monolithes sont en marbre portor noir veiné de jaune. Un document d’archives le date de 1683 et indique le maestro Bicchierai, marbrier originaire de Livourne, comme son auteur. Document découvert par J.-C. Liccia, mentionné dans Oratoire Sainte-Croix, une visite guidée, Bastia, Direction du patrimoine, 2002, p. 31. Au début du xviiie siècle, l’autel et ses gradins furent somptueusement refaits dans le style baroque de cette époque. D’après leur esthétique et leur structure, on peut déduire qu’ils ont sans doute été commandés en Italie, à un atelier romain ou génois. L’ensemble est en marbre blanc incrusté de diapre, marbre rouge orangé de Sicile, de brèche violacée de Seravezza, de Bardiglio gris bleuté, de vert des Alpes, de portor noir, de vert de Polcevera, de jaune de Sienne et de rouge de Levanto. Afin de ne pas être masqué par la table d’autel installée du xviiie siècle, le retable de 1683 a été démonté et remonté plus haut, grâce à l’adjonction d’un haut soubassement plaqué de marbre noir. C’est sans doute en 1802 que ce remontage a été effectué : l’inscription « Renovatum A(nno) D(omini) MDCCCII » est gravée sur une marche de l’estrade et le livre de comptes de la confrérie enregistre une forte somme dépensée à cet effet.

[51Environ 400 x 234 cm.

[52À ce propos, voir M.-É. Nigaglioni, article cité, 1998, pp. 118-121.

[53G. Banchero, op. cit., 1885, p. 266.

[54J.-M. Olivesi, article cité, 1987.

[55M.-É. Nigaglioni, article cité, 1998, p. 118.

[56Mentionné par M. Dinelli-Graziani, Les peintures des églises de Bastia, mémoire de D.E.A., Université de Paris I, 1996.

[57Bastia, Archives départementales de la Haute-Corse, registre de Giuseppe Pellegrini, notaire à Bastia, 3E8/12, f° 28 v°.

[58Un document, conservé dans les archives des gouverneurs génois, nous renseigne sur le retable de marbre qui sert aujourd’hui de précieux écrin au tableau de Bilivert. Il s’agit de l’assignation en justice des représentants de la confrérie, le 3 décembre 1693, par le marbrier Domenico Saporito qui ne parvenait pas à obtenir l’entier paiement du maître-autel qu’il venait de réaliser à leur demande (Ajaccio, Archives départementale de la Corse-du-Sud, fonds du Civile Governatore, liasse 541, document du 3 décembre 1693). Domenico Saporito (1655-1741) était un marbrier génois établi à Bastia dans le courant des années 1690. Il réalisa en Corse des œuvres imposantes, tel que le maître-autel de l’église Sainte-Julie de Nonza. Ce maître-autel provient de l’ancien couvent franciscain de Nonza, désaffecté sous la Révolution et aujourd’hui ruiné. On doit à Saporito, en Ligurie, le maître-autel de l’église de Sassello datant de 1689 (communication de M. Bartoletti, Soprintendenza per i Beni Artistici e Storici della Liguria). En 1798, l’autel et les gradins de 1693 ont été entièrement refaits selon la nouvelle mode. L’autel actuel, en marbre blanc incrusté de marbres de couleur, porte la date de 1798 gravée sur son soubassement. Son style s’inscrit encore dans l’esthétique du xviiie siècle, mais la rigidité des gradins et le tabernacle flanqué de colonnettes cannelées à l’antique annoncent déjà l’art du xixe siècle. Quant au grand retable architectural de Domenico Saporito, doté de deux colonnes monolites, il a été démonté et remonté plus haut, afin de n’être pas caché par la nouvelle table d’autel, comme c’est encore le cas à l’oratoire de la Conception.

[59Bastia, Archives départementales de la Haute-Corse, registres de Angelo Maria Belgodere, notaire à Bastia, 3E8/67, 3E8/68 et 3E8/69. Ces documents et ces travaux sont mentionnés par C. Paoli, Le décor de stuc des églises du Cap Corse, du xviie et xviiie siècle, Corte, université de Corse, mémoire de D.E.A., 1995, pp. 111-113. Notons que les autels de stuc n’existent plus, car ils ont été détruits à la fin du xixe siècle afin d’être remplacés par des autels de marbre.

[60Le tableau du Rosaire fut identifié un temps comme une « œuvre tardive de Lorenzo De Ferrari (1680-1744) ». Cette attribution doit être bien évidemment abandonnée, puisque parmi les diverses copies que nous avons pu répertorier, il en est une qui porte la date de 1699 (elle se trouve dans église du couvent de Morosaglia), par ailleurs, on le verra plus loin, un document atteste que le tableau est arrivé à Bastia en 1679, à cette époque Lorenzo De Ferrari n’était pas encore né. A ce propos, voir M.-É. Nigaglioni, article cité, 1998, p. 111.

[61Ces attributions ont été confirmées par A. Toncini Cabella (Soprintendenza per i Beni Artistici e Storici della Liguria), spécialiste des peintres de la famille Piola.

[62Ajaccio, Archives départementales de la Corse-du-Sud, fonds du Civile Governatore, liasse 483, document du 2 juin 1679.

[63M.-É. Nigaglioni, article cité, 1998, pp. 111-116.

[64Attribution proposée en 1994 et publiée par M-É Nigaglioni , « Les peintres en Corse au xviie siècle », Cahiers Corsica, n° 172-175, Bastia, F.A.G.E.C., 1997 pp. 53-54, ill. p. 49.

[65Le relevé de l’inscription transmise par M. Allegrini est : « GIUSEPPE LADARACCO F. 1859 ». Le mauvais état de la couche picturale explique la lecture erronée de la lettre B et de la date. Mais s’agit-il d’une inscription apocryphe ou d’une signature retouchée ?

[66J. Thuillier, « Les tableaux du Cardinal-oncle », L’œil, octobre 1957, pp. 33-42 ; D. Thiébaut, Ajaccio, Musée Fesch, les primitifs italiens, Paris, RMN, 1987, pp. 5-43 ; M.-D. Roche, le musée Fesch d’Ajaccio, Ajaccio, éd. Dia, 1993.

[67M. Dinelli-Graziani, « Les peintures de la collection Fesch à Bastia », Bulletin de l’Association des historiens de l’art italien, 2002-203, n° 9, pp. 110-120. Profitons de cette opportunité pour reproduire ici, en couleur, un beau tableau publié par Marylène Dinelli-Graziani dans cet article, le Achille reconnu parmi les filles de Lycomède (ill. 10 ; Huile sur toile, 216 x 292 cm).

[68Identifiés et publiés dès les années 1970 par L. Dania, « Alcuni dipinti inediti di Corrado Giaquinto », Antichità viva, 1975, n° 5, p. 13 et P. Violette, « La décoration de l’église Saint-Nicolas-des-Lorrains (1623-1870) », Les fondations nationales dans la Rome pontificale. Collection de l’École française de Rome, n° 52, Rome, 1981, pp. 487-539.

[69Musée de Bastia, inv. M.E.C.56.13.199.

[70« LAVI. FA », signature révélée lors d’une restauration en 1987.

[71Voir M. T. Cantaro, Lavinia Fontana bolognese, « pittora singolare », Milan, Rome, Jandi Sapi, 1989 ; C. P. Murphy, Lavinia Fontana. A Painter and her Patrons in Sixteenth-century Bologna, New Haven, Londres, Yale University Press, 2003.

[72Le tableau autrefois attribué à Lavinia, acheté par le Musée national des femmes artistes de Washington (National Museum of Women in the Arts), est généralement rendu aujourd’hui à Jacopo Zucchi.

[73Les musées des Beaux-Arts de Bordeaux (Le sénateur Orsini), Rouen (Isabella Reini en Vénus), de Besançon (Portrait de femme) ou de Blois (Tognina Gonzales).

[74Nous pensons par exemple aux deux petits tableaux du Christ mort avec les symboles de la Passion (El Paso, Museum of Art [Kress collection] et Winter Park, Rollins College, Cornell Fine Arts Museum).

[75Huile sur toile, 190 X 120 cm.

[76Huile sur toile, 180 x 114 cm. Voir Andrea Lili nella pittura delle Marche tra Cinquecento e Seicento, cat. exp., Ancona, 1985, p. 160-161, n° 46 [notice par R. M. Valazzi].

[77Voir la série de Saintes qu’elle peint, vers 1611-1614, pour Santa Maria della Pace à Rome, d’un format cependant plus modeste (140 x 73 cm) que le tableau de Bastia ; voir M. T. Cantaro, op. cit., n° 101, pp. 216-217.

[78Huile sur toile, environ 250 x 460 cm. ; classée au titre des Monuments historiques le 22 juillet 1959. Voir M.-É. Nigaglioni, op. cit., 2003, p. 11 et M. Dinelli-Graziani, article cité, 2002-2003, p. 114.

[79Sur l’artiste, voir F. Frisoni, « Per Francesco Brizio », Paragone, 1977, n° 323, pp. 72-84 ; H. Hermann-Atorino, Francesco Brizio, Bologna ca. 1574-1623, Worms, Wernersche Verlagsgesellschaft, 1989 ; C. Whitfield, « Francesco Brizio : prospetti paesaggi », [Bologne], Accademia Clementina. Atti e memorie, 1998-1999, n° 38-39, pp. 5-30 ; A. Broggi : « Francesco Brizio : il “paesare di penna” e altre cose », Studi di storia del Arte, 1993, n° 4, pp. 85-127.

[80Immense tableau de 570 x 750 cm peint pour le palazzo Angelleli de Bologne entre 1618 et 1623, voir H. Hermann-Atorino, op. cit., n° G10, pp. 153-154.

[81C. C. Malvasia, « Di Francesco Brizio e di Filippo suo figliuolo, Domenico degli Ambrogi e Giacinto Campana, suoi discepoli ed altri », Felsina pittrice. Vite di pittori bolognesi, Bologne, 1678 (rééd. 1841), t. 1, p. 379-387.

[82F. Frisoni, article cité, p. 78.

[83Les noces de Philippe de Macédoine et de Cléopâtre, 288 x 473 cm ; autre version à Paris (musée du Louvre) et esquisse à Bologne (Ritiro di San Pellegrino). Voir M.-É. Nigaglioni, op. cit., 2003, p. 59 et M. Dinelli-Graziani, article cité, 2002-2003, p. 114.

[84Musée de Bastia, inv. M.E.C.84.2.1, huile sur toile, 120 x 150 cm.

[85Sur l’artiste, voir N. Spinosa, Pittura napoletana del Settecento. Dal Barocco al Rococò, Naples, Electa, 1988, p. 89.

[86Huile sur toile, 108 x 105 cm.

[87N. Spinosa, op. cit., n° 293, fig. 356.

[88N. Spinosa, op. cit., n° 293, fig. 357-358 ; catalogue de la galerie Aaron, Paris, Londres, New York, 1992, n° 7 [notice française par I. Mayer Michalon].

[89De nos jours, neufs édifices religieux appartiennent à la commune : Sainte-Marie-de-l’Assomption (ancienne cathédrale), Saint-Jean-Baptiste, Saint-Charles (ancienne église Sant’ Ignazio, du couvent des jésuites), Saint-Étienne (église paroissiale du village de Cardo, rattaché à la commune de Bastia en 1844), l’oratoire de la confrérie de Sainte-Croix, celui de l’Immaculée-Conception, celui de Saint-Roch, la chapelle du Saint-Nom-de-Marie (ancienne chapelle Santa Elisabetta d’Ungheria, du couvent des franciscaines du tiers ordre régulier) et la chapelle de Notre-Dame-de-Montserrato.
Plusieurs églises importantes, érigées sur le territoire de la commune, ne lui appartiennent pas ; elles sont la propriété du diocèse ou d’une congrégation religieuse : l’église du couvent Saint-Antoine (réaffecté à l’ordre des capucins depuis le règne de Napoléon III), Saint-Joseph (ancienne église du couvent des servites de Marie, sorti du patrimoine public au moment de la Révolution et actuellement propriété du diocèse), l’église Notre-Dame-de-Lourdes (construite après la séparation de l’église et de l’État). De même, aucune des églises construites au xixe siècle par différents ordres religieux n’appartient à la commune : le Sacré-Cœur (construit par les jésuites), Sainte-Claire (actuel couvent des clarisses), etc.

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