Pour revenir sur le peintre Jules Adler : à propos de deux dessins inédits de l’artiste

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En marge de l’exposition Jules Adler (1865-1952). Peindre sous la troisième République sagacement commentée par Alexandre Lafore dans La Tribune de l’Art (voir l’article), signalons deux dessins inédits, en main privée, d’un certain intérêt, croyons-nous, pour notre approche de l’artiste.


1. Jules Adler (1865-1952)
Étude de détails pour le Matin de Paris, vers 1905
Mine de plomb sur papier, 24 x 18 cm
Paris, collection particulière
Photo : Marc Jeanneteau
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2. Jules Adler (1865-1952)
Matin de Paris ; le faubourg, 1905
Huile sur toile, 200 x 160 cm.
Limoges, Fédération patronale du Bâtiment et des Travaux publics de la Haute-Vienne
Photo : Alain Leprince, Roubaix
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Soit tout d’abord, une modeste petite feuille signée d’Adler (ill. 1) mais porteuse d’une inscription autographe riche de sens [1]. Il s’agit d’une triple étude de tête de la jeune femme qui, dans l’attendrissante composition du Matin de Paris ; le faubourg (ill. 2), s’avance au premier plan de la foule. Cette peinture de Jules Adler exposée au Salon des Artistes français à Paris en 1905 était perdue de vue depuis. Elle vient de réapparaître de façon quelque peu imprévue en provenance de Limoges, non pas du musée de l’endroit mais d’un hôtel particulier appartenant à la Fédération patronale du Bâtiment et des Travaux Publics du Limousin [2], et ce, pour figurer in extremis à l’étape roubaisienne de l’exposition Adler en 2019 (elle faisait encore défaut aux présentations de Dole puis d’Évian [2017-2018] et n’avait pu de ce fait être reproduite dans le catalogue – édité en 2017 – commun aux trois villes où se tint cette rétrospective). Déjà, La Tribune de l’Art insistait à bon escient sur ce qui constitue une belle (re)trouvaille, quand bien même elle ne concerne pas, il faut le reconnaitre, l’une des œuvres marquantes de l’artiste comme le sont l’emblématique Grève du Creusot de 1899 ou les rudes Haleurs de 1904, le pittoresque Accident de 1912 ou, plus encore, les délicieuses Communiantes. Printemps de Paris de 1923 et l’ultime Paris vu du Sacré-Cœur de 1936 qui a été d’ailleurs choisi avec beaucoup d’à-propos pour illustrer la couverture du catalogue de cette exposition en l’honneur d’Adler. Par chance, le Matin de Paris, lui, était reproduit (ill. 3) dans le catalogue du Salon de 1905 [3] , ce qui permettait d’identifier à coup sûr le tableau de Limoges, comme le confirment les signature et date visibles en bas à droite de la toile.

3. Jules Adler (1865-1952)
Matin de Paris ; le faubourg
Reproduction tirée du catalogue illustré du Salon des Artistes français de 1905, p. 135
Photo : Elisabeth Foucart-Walter
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Le dessin étudié ici, peut-être un cadeau de l’artiste à quelque connaissance, comporte un détail instructif, précisé à part, de la main de l’ouvrier accompagnant la jeune femme (épouse ou compagne, peu importe) et tenant de son bras droit la bandoulière d’un sac comme en porte à l’époque tout travailleur qui se respecte… L’agréable graphisme sinueux et caressant dont use en la circonstance Adler, n’est pas sans rappeler celui de son tout contemporain Eugène Carrière (juste décédé en 1906). Quant à l’inscription de la main d’Adler, Étude pour la Descente du faubourg, elle atteste sans doute l’intention profonde de l’artiste, certes mieux que ne le fait le simple intitulé du livret du Salon de 1905. Dans cette inscription, il y a deux mots qui pèsent : faubourg déjà utilisé pour le Salon en 1905 et plus encore celui de descente qui répond bien à l’idée-motif tellement chère à Adler – elle revient tout au long de son œuvre [4] – d’une marche en avant, descente ou défilé d’une foule laborieuse, laquelle se rend au travail, quittant alors son faubourg d’éloignement (et de relégation ?), toute une dynamique non pas forcément révolutionnaire ni empreinte de militantisme, disons d’avant-garde, ce thème d’animation qui s’affiche justement dans son fameux tableau d’anthologie qu’est la Grève au Creusot. Dans le Matin de Paris, cette marche en avant est empreinte d’un tempo avant tout naturaliste et populaire (ne disons pas populiste !), sinon courageusement et vertueusement optimiste, d’une simplicité descriptive un je ne sais quoi esthétisante à la Zola [5] de toute façon dénuée de l’apparat volontariste et déclamatoire d’une nouvelle peinture d’histoire de fait, à laquelle sait bien souscrire un Jules Adler quand il le faut. Il est à remarquer que le Matin de Paris et la Grève au Creusot ne sont distants que de six ans, l’allant stylistique d’Adler et sa réussite ne faisant que s’affiner et s’affirmer au fil de ces années pour s’attacher bientôt à d’autres sujets, tels les Pêcheurs au port de Boulogne de 1905 ou la foule gouailleuse de titis parisiens (Le Gavroche de 1911) ou encore les pittoresques chemineaux au sein d’une verte et encourageante campagne rurale (Le Philosophe de 1910), etc. Certes, à s’en tenir à des données purement chronologiques, le Matin de Paris de 1905 pourrait se voir contredit par le misérabilisme social délibéré de la sombre Soupe des pauvres (Paris, Petit Palais) qui devait bénéficier d’un si grand retentissement un an plus tard, en 1906. Après tout, le parcours d’un artiste n’est pas forcément univoque. Et puis, si l’on y réfléchit bien, lesdits Pauvres sont tout à la fois pittoresques et naturalistes dans le détail, et non moins librement, désinvoltement rendus dans l’exécution picturale, que ne le donne à voir le Matin de Paris. Par le côté sans-façon, pleinement anti-académique de la facture, les Pauvres et le Matin de Paris ne laissent pas justement de se rapprocher, au point qu’il serait superficiel de les opposer catégoriquement, comme noir et blanc.

En tout cas, pour bien approcher et comprendre ce Matin de Paris à la descente soulignée à point nommé dans le dessin que nous publions, il n’est que de se référer au parfait commentaire, alertement littéraire et bien dans la note de l’époque, du trop peu renommé Georges Denoinville (1864-1950) [6] qui fit paraître un article déterminant sur l’artiste – et même prémonitoire dans son analyse – dans la revue L’Art et les Artistes (1909, p. 217) [7] : « Il [Adler] a peint aussi une Matinée au faubourg. Tout un peuple descend [insistons justement sur ce verbe] et se rend au travail dans la longue rue où clapotent aux vitrines des bazars les plis des drapeaux qui jettent une note chantante dans l’atmosphère poudreuse confondant les gens et les choses dans les plans éloignés. C’est simple, expressif, sincère d’observation. Le couple de la jeune ouvrière et du compagnon, la petite modiste sont naturels de mouvement. On pourrait faire vibrer le couplet sentimental. Oui, c’est bien Paris, le Paris des faubourgs, c’est aussi l’amour sous la mansarde délaissée le jour et les hasards bons ou mauvais de la vie à deux ; enfin c’est la vie, l’existence de travail. M. Adler a l’esprit hanté de ces visions saines et populaires. Elles sont vraies, parce que éternelles ». A noter au passage que, si le titre de Matinée au faubourg contracte légèrement celui du Salon, il est manifeste que le critique a aimé et regardé avec attention cette œuvre qu’il tient expressément à citer plusieurs années après le Salon [8].

Dans son article de 1909, le même Denoinville n’a pas manqué de remarquer une autre démonstration éminente du talent d’Adler, ses Haleurs de 1904 (ill. 4), juste antérieurs d’un an au Matin de Paris et salués d’une approbation quasi-unanime sinon officielle, qui valut à cette ode énergique à la gloire de travailleurs-héros nécessairement anonymes d’être acquise de suite (1905) par l’État pour son tutélaire musée du Luxembourg [9]. – Ferveur éphémère qui ne devait point survivre à l’abandon de cette institution en 1937, typiquement dénigrée comme le furent tant d’œuvres du XIXe et d’un premier XXe siècle qu’elle abritait, jugées déplorablement réactionnaires…, ce qui est une autre histoire heureusement en train de changer comme le prouve la présente exposition Adler.


4. Jules Adler (1865-1952)
Les Haleurs, 1904
Huile sur toile, 138 x 198 cm.
Luxeuil-les-Bains, Musée de la Tour des Échevins
Photo : Alain Leprince, Roubaix
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5. Jules Adler (1865-1952)
Les Haleurs, vers 1904
Lavis d’huile à l’essence avec rehauts de craie blanche sur papier. 85 x 140 cm.
Paris, collection particulière
Photo : Marc Jeanneteau
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Et voilà qui nous amène à nous intéresser à un deuxième dessin de l’artiste (ill. 5), peu commun quant à lui par sa taille et sa vigueur, en rapport direct avec ces insignes Haleurs [10]. Pour se concentrer sur le motif ô combien symbolique de travailleurs halant avec effort un bateau, le dessin néglige exprès le paysage du fond qui, dans le tableau, disperse quelque peu l’attention et modère l’ensemble par sa légèreté trop doucement allusive à force de tapotements et frottis d’ascendance lointainement impressionniste [11]. Pareillement est opportunément délaissé tout le premier plan qui, dans la peinture, est consciencieusement meublé d’inconsistantes, faciles traînées de matière picturale destinées à rendre un sol lourd et frustre, accordé à la franche rudesse de ces travailleurs à la peine.
« Étude pour les Haleurs », comme l’écrit Jules Adler au bas de son dessin, qu’est-ce à dire ? Le terme d’étude n’a pas la même valeur que celui qu’on lit sur la feuille de détails du Matin de Paris : mini-recherche ponctuelle et comme expérimentale dans le premier cas, étude presque grandeur nature, ce qui n’est pas banal, pour le motif essentiel des haleurs s’arc-boutant pour tirer un invisible bateau, dans le second cas. S’agit-il vraiment ici d’une grande étude préparatoire, dans le format même des figures du tableau ? On pourrait parler plutôt d’une œuvre en soi, se suffisant à elle-même, dans laquelle l’artiste s’est fait plaisir, vraie réussite d’éloquence et de maîtrise plastique. Le soigneux papier de montage et le sobre cadre plat de bois teinté en sombre qui paraît d’époque pourraient du reste faire supposer que le dessin était prévu pour être mis en valeur dans quelque exposition, comme si l’artiste était fier de sa grande esquisse graphique. A comparer tableau et dessin, il y a de quoi se demander ce que ce dernier pouvait apporter à la peinture où le superbe motif des haleurs reste confus, massifié, comme tenu dans un magma sombre indifférencié, juste là pour faire lourdement contraste avec un paysage d’usine à l’arrière plan, allégrement délicat. Dans un tel dessin en camaïeu brun à larges traits, par endroits à peine chargé de quelques hachures, où les pieds par exemple sont à peine silhouettés, l’expressivité obtenue est intense. A un tel point que c’est le dessin qui est le plus vrai et d’un effet radicalement persuasif dans son paroxysme même.

À trop insister sur le sujet, sur sa donne narrative, à parler de ce tableau et d’autres à tendance sociale comme s’il s’agissait de simples reproductions photographiques ou de documents journalistiques, ne finirait-on pas de risquer d’oublier qu’il s’agit quand même et aussi d’une création d’art, autrement dit d’une victoire matérielle sur le défi concret que représente toute figuration artistique. Faut-il considérer comme incline à le faire le professeur Bertrand Tillier dans le catalogue de l’exposition Adler, que les évocations de la condition ouvrière se refuseraient chez notre artiste à toute tentation d’héroïsation (2017, p. 148). Quant à parler d’héroïsme justement, il y a bel et bien, de par la seule force plastique du motif surenchéri des haleurs comme le propose particulièrement ce dessin, héroïsation de fait, glorification plus subtile et plus sincère dans sa souveraine évidence dépouillée de toute inflexion idéologique pour que l’on convienne que c’est le travail de l’artiste qui compte alors plus que ses idées. Forte résolution de l’écriture, audace et courage des rapidités graphiques peuvent bien l’emporter dès lors sur le contenu militant. Et foin de commentaires qui resteraient en marge de toute Kunstgeschichte et d’une fondamentale appréciation du ou des styles !
Reportons-nous à ce que le perspicace Denoinville écrit à propos du tableau des Haleurs (1909, p. 217) [12]. Dans un premier abord purement descriptif, il évoque le « groupe de quelques camarades qui s’appliquent dans une même tension d’énergie à tirer sur le câble attaché au bateau. L’effort est rude  ». Soit, mais notre critique d’art, sensible à la prouesse du style, relève aussitôt « la concentration rythmique et parallèle de leurs reins courbés et aplatis en oblique ». Puis il observe la note paysagère (présente seulement dans la peinture, Denoinville n’ayant probablement pas eu le loisir de connaître le dessin) : « De l’autre côté de la rive, les maisons s’estompent dans une brume blonde et seul, se détache en vigueur le faisceau humain qui peine à la tâche et halette ». Denoinville ne se délecte-t-il pas ici de l’assonance haler / haleter ? Et de conclure lumineusement : « Ce motif n’a d’autre prétention que d’exprimer une chose vue, un de ces mille côtés du labeur social journalier. Mais M. Adler a su y mettre un tel sentiment de nature, une telle impression d’art [insistons à dessein sur cette désignation si bien venue et tellement éclairante], qu’il est presque aussi palpitant qu’une page de haut fait et qu’on oublie le sujet, par lui-même assez insignifiant, pour admirer surtout l’artiste qui a su l’exprimer avec tant d’à-propos heureux et de maîtrise ». Avec un Denoinville décidément, tout n’est-il pas dit, et très bien dit [13] ?

Jacques Foucart

Notes

[1Inscription autographe pâlie par surexposition du dessin à la lumière : « Étude pour la / Descente du Faubourg / Jules ADLER ». Selon l’actuel propriétaire, acquis à une foire à la Ferraille à Paris, mars 1967.

[2Selon des informations obligeamment communiquées par Alice Massé, conservatrice du musée de Roubaix qui s’est beaucoup impliquée dans le prêt de cette œuvre dont personne apparemment ne soupçonnait la présence à Limoges, le Matin de Paris avait été repéré par Marie-Hélène Bournay des archives municipales de Limoges, lors d’une réunion de travail tenue dans un hôtel particulier dit hôtel Monteux, du nom de son ancien propriétaire, sis avenue Baudin à Limoges, laquelle ne manqua point de signaler ce tableau à sa collègue, la directrice récemment nommée du musée des Beaux-Arts de la ville, Anne Liénard, elle-même en relation suivie avec le musée de Roubaix en raison de l’exposition L’Algérie de Gustave Guillaumet tenue dans ces deux villes (ainsi qu’à La Rochelle - voir l’article) de juin 2018 à juin 2019. La peinture d’Adler était fixée dans les boiseries de la salle à manger de cette grande maison bourgeoise comme l’atteste encore son cadre de bois à grosse moulure (trop clair – repeint ?), Alice Massé précisant (message du 10 septembre 2019) que, d’après les descendants de l’artiste (Jacques et Thibaut Sinay), le tableau aurait été acheté à Jules Adler par Gaston Monteux, important fabricant de chaussures à Limoges au début du XXe siècle (l’article de La Tribune de l’Art évoque sans plus un collectionneur du Limousin). Glanons encore quelques renseignements complémentaires dans la presse régionale (Le Populaire du Centre, 2 et 6 août 2016), accessible sur Internet, qui expliquent effectivement la présence d’un tel tableau à Limoges et par voie de conséquence à l’étape roubaisienne de l’exposition. Cet hôtel Monteux construit en 1903 par les architectes Menissier et Rocher avait été cédé en 1952 par la famille Monteux à la Fédération patronale du Bâtiment et des Travaux publics de la Haute-Vienne, laquelle érigea en 1975 au sein du vaste parc d’alentour une tour de bureaux en verre et acier de sept étages, elle-même abandonnée en 2011 pour cause de vétusté (déjà !), le site étant finalement vendu au promoteur girondin Altaé. Toutefois, la fédération conserva la demeure Monteux, actuellement louée à la Direction de la Propreté de Limoges-Métropole. On ne sait, soit dit en passant, comment Philippe Kaenel, auteur d’un essai : La société en marche : iconologie du mouvement social autour de Jules Adler et Théophile-Alexandre Steinlen (cat. de l’exposition Adler, 2017, p. 94-113) a pu déjà mentionner (p. 97) le Matin de Paris à Limoges même (il le signale à tort comme étant au musée) : a-t-il eu vent de quelque information tronquée ou mal rapportée, émanant par exemple des descendants de l’artiste et recueillie éventuellement lors du colloque Adler organisé à Dôle en janvier 2016, avant l’exposition, auquel il avait participé ? Si le catalogue de l’exposition avait été pourvu d’index, cela aurait évidemment évité que le Matin de Paris soit localisé à la fois au musée de Limoges comme l’a fait Kaenel et au musée de Dijon (Laurent Houssais, cat. de l’exposition Adler, 2017, Chronologie, p. 208) où le tableau n’a jamais été... (A Dijon, le seul Adler du Musée des Beaux-Arts est, comme on le sait, son chef-d’œuvre de 1910, L’Accident).
Plus intéressant nous semble le fait de signaler sans pouvoir du reste en tirer trop à conséquence qu’Israël Gaston Monteux (Nîmes, 1863 - Paris, 1927) était d’une famille d’ascendance juive tout comme Adler, lequel fut, rappelons-le, un dreyfusard avéré (voir Laurent Houssais, ibidem, 2017, p. 205 de la Chronologie du peintre, à la date de 1898, ainsi que Dominique Jarassé, ibidem, Adler « artiste juif », p. 34). Gaston Monteux lui-même était-il de ces grands bourgeois qui prirent parti pour Dreyfus ? Par ailleurs, la société Monteux à Limoges est de fait mentionnée dans l’ouvrage de Philippe Verheyde (Les mauvais comptes de Vichy : l’aryanisation des entreprises juives, Paris, 1999, chapitre 6, note 11). Ce qui justifie que l’exposition, ce qui n’était pas prévu au départ, achève son parcours au Musé d’Art et du Judaïsme à Paris, cet automne 2019. Notons encore que les Monteux s’intéressaient manifestement aux arts comme le montre la belle Villa Monteux à La Teixonnière, commune de Saint-Martin Terressu (Haute-Vienne), construite dans les années 1932-1934 pour Maurice Monteux, l’un des fils de Gaston, vendue par la suite en 2000 à un particulier mais intelligemment inscrite à l’Inventaire des Monuments historiques en 1998, une œuvre de l’architecte limougeaud Pierre Chabrol (1881-1957) dans un style art déco d’un élégant modernisme tranché, comparable en un sens à celui de la fameuse villa Savoye à Poissy dont le commanditaire était lui aussi, notons-le d’ascendance juive. – Sur la Villa Monteux même, voir la fiche éditée en ligne par la DRAC de la Nouvelle Aquitaine sous le titre Patrimoine du XXe siècle en Haute-Vienne (2009).

[3Société des Artiste français. Catalogue illustré su Salon de 1905, publié sous la direction de Ludovic Baschet, n° 8, repr. p. 135 : ADLER (J.). H.C. Matin de Paris ; le faubourg. Paris Faubourg : morning. Dans l’édition officielle du Salon, le tableau n’est pas reproduit.

[4Citons à cet égard d’autres exemples de marche ou descente ou cortège, autant de mises en page nécessairement latérales comme La Mobilisation de 1914 au musée de Belfort (cat. de l’exposition Adler, 2017, repr. p. 166), L’Armistice de 1918 au musée de Remiremont (ibidem, repr. p. 161), ou bien encore Retour de pêche à Boulogne de 1914, du musée de Buenos Aires (ibidem, repr. p. 134-135), dont il existe une version réduite (esquisse ?), coll. Patrick Bataille (ibidem, repr. p. 132), Les femmes de marin sur les quais dans le port de Boulogne-sur-Mer, de 1905, du musée de Dole (ibidem, repr. p. 125), Foule en marche de 1897, du musée de Villeneuve-sur-Lot (ibidem, repr. p. 108), La Manifestation Ferrer de 1911, coll. part. (ibidem, repr. p. 89), Les las de 1897, au musée d’Avignon (ibidem, repr. p. 42-43), et ainsi de suite.

[5

6. Jules Adler (1865-1952)
Paris au petit matin, 1910
Huile sur toile, 100 x 81 cm
Collection particulière
Photo : Elisabeth Foucart-Walter
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A noter que Jules Adler a repris en 1910 le thème de son Matin de Paris au faubourg dans une version avoisinante, centrée sur le couple du premier plan, Paris au petit matin (ill. 6).

[6Georges Denoinville, si proche d’Adler, remarquons-le, par ses dates biographiques, est un nom de plume pris par le fils du paysagiste Amédée Besnus (1831-1909) (Inventaire de la BNF qui le qualifie aussi de peintre). Dans le Dictionnaire de la critique de l’art à Paris (1890-1959), sous la direction de Claude Schwalberg, Presses universitaires de Rennes, 2014, Denoinville n’est signalé que dans l’annexe (Chronologie), aux années 1898, 1899, 1901, 1902, 1904, 1905, pour ses Sensations d’art, publication dont la première série fut préfacée par Jean Dolent. – A noter le titre si caractéristique d’une ambiance littéraire tout à fait Belle Epoque.

[7Le passage en question de l’article de Denoinville est évidemment cité par Kaenel (cat. de l’exposition Adler, 2017, p. 97), ce que fait également Alice Massé pour le cartel apposé à côté du tableau à l’exposition de Roubaix, en remplaçant, comme il convient, l’œuvre dans le contexte artistique de l’époque (Carrière, Luce, Raffaëlli, Steinlen, etc.), mais sans indication de l’historique de l’œuvre.

[8Notons que le tableau de Limoges quant à lui porte encore un cartel sur papier, d’origine, « Matin de faubourg », d’un libellé non moins explicite.

[9Signé et daté en bas à gauche : Jules Adler / Paris 1904. Entré au Musée du Luxembourg en janvier 1905 (Lux. 391), le tableau est dit, sur la base Internet du Musée d’Orsay, avoir été déposé au Sénat après 1924, – n’y a-t-il pas erreur ou confusion, le Musée du Luxembourg étant attenant au Sénat ! – puis à nouveau signalé au Musée du Luxembourg en mai 1931 et finalement transféré en 1947 au Dépôt de l’Etat (l’actuel Centre national des Arts plastiques), mais la fiche aurait pu préciser que le Luxembourg, ces années-là, était en fait fermé (pour être remplacé par le futur Musée national d’Art moderne, actuel Palais de Tokyo, édifice construit pour l’Exposition internationale de 1937). Ensuite, le tableau des Haleurs est déposé en 1952 à la mairie de Masnières (arrondissement de Cambrai) puis au musée municipal de Luxeuil en 1957, d’où s’ensuit son affectation (administrative) au Musée d’Orsay prononcée en 1986. Le choix de Masnières était-il dû au fait que cette ville, dotée d’un pont sur l’Escaut et près du canal de Saint-Quentin, pouvait faire allusion à la vie des canaux ?

[10Inscription autographe : « Étude pour les Haleurs / Jules ADLER ». Paris, coll. part. Acquis chez le marchand parisien Georges Martin du Nord en décembre 1970, qui l’avait lui-même acquis à l’Hôtel Drouot (Maître Pillias, commissaire-priseur) le 16 mars 1970.

[11

7. Jules Adler (1865-1952)
Vue d’usines à Paris, avec la Seine, vers 1901
Huile sur carton. 39 x 50 cm
Roubaix, La Piscine, Musée d’Art et d’Industrie André Diligent
Photo : Elisabeth Foucart-Walter
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Le paysage d’usines visible au fond du tableau semble repris d’une petite étude (ill. 7) quelque peu néo-impressionniste, elle aussi de la main d’Adler (huile sur carton. 39 x 50 cm), signée et localisée à Paris, étude peut-être peinte sur le motif (ou d’après un croquis ?). Provenant de l’ancienne collection de Bruno Foucart (1938-2018), lequel l’avait acquise chez le marchand parisien Gosselin en mai 1966, elle a été donnée au musée de Roubaix en 2017 par l’un de ses frères, Vincent Foucart (cat. de l’exposition Adler, 2017, repr. p. 148, avec lecture erronée d’une inscription autographe sous la signature de l’artiste : « Charleroi  » au lieu de « Paris  »). Selon Bruno Foucart (mention manuscrite dans ses papiers), cette étude pouvait représenter des usines du quai de Bercy à Paris ou bien un site d’Ivry. Quant à Bercy, l’identification ne peut tout à fait convenir car l’usine électrique du Métropolitain parisien (1899-1904), aujourd’hui détruite, comportait six cheminées et non huit comme on le voit sur la petite esquisse en question. Le grand tableau jadis au Luxembourg porte lui aussi une explicite indication « Paris » en-dessous de la signature. C’est pour cette raison que ledit petit paysage doit être malgré la similitude du support et des dimensions dissocié d’un autre paysage d’Adler, un quasi pendant, acquis lui aussi par Bruno Foucart chez le même marchand en 1966, alors qu’il est explicitement censé représenter Charleroi par l’inscription accompagnant la signature, tableau donné lui aussi donné en 2017 au musée de Roubaix par Vincent Foucart (cat. de l’exposition Adler, 2017, repr. p. 149). Malheureusement ces deux pochades ont été trop lourdement réencadrées (cela n’est pas sans les dénaturer comme telles), au point que l’indication de « Paris » sur la première étude est occultée. Quant aux prétendues dates de 1901 données dans le catalogue de l’exposition, elles sont pratiquement illisibles. On notera que le premier de ces paysages comporte au revers une étiquette de douane au nom du marchand « Marcel Bernheim et Cie, 2bis, rue de Caumartin, Paris », distinct des fameux Bernheim jeune et opérant comme ces derniers dans les années 1920-30, s’intéressant pour sa part à des artistes figuratifs de cette époque, et s’accordant d’autant mieux avec Adler.

[12Cet auteur, notons-le au passage, n’est pas moins incisif sur la Grève au Creusot : «  En s’attachant à rendre des scènes émouvantes de la vie sociale, comme entre toutes sa Sortie du Creusot, il [Adler] céda à la fièvre de son tempérament plus apte à vouloir découvrir la mâle beauté autre part qu’à travers le thème rebattu des félicités bourgeoise » (L’Art et les Artistes, 1909, p. 216). – « Scènes émouvantes », « mâle beauté », autant de suggestives notations bien dans la lignée esthète de l’époque, au-delà même d’un pur commentaire social qui tournerait bientôt à l’anecdotique.

[13Ajoutons quelques remarques sur le catalogue qui est plutôt une publication d’accompagnement, comme l’a déjà très bien dit Alexandre Lafore, façon de faire, hélas ! trop répandue de nos jours. S’il y a bien dans cette publication une section Sources et bibliographie (p. 221-230) comme il convient, regrettons que la Chronologie due à Laurent Houssais (p. 201-219) soit complétement dissociée de ce qui s’appelle une simple Liste des œuvres exposées (p. 232-236) qui ne saurait faire office de catalogue, en l’absence de tout historique des œuvres. L’exposition se veut pourtant une monographie de l’artiste et même une première depuis l’Avant-Guerre, comme cela est fièrement et à raison proféré dans l’avant-propos. Qui plus est, la copieuse illustration – en soi, une bonne chose – ne semble là que pour éclairer des essais quelque peu disparates, quand ils ne s’éloignent par trop d’Adler en le comparant excessivement avec Steinlen (Philippe Kaenel, Laurent Bihl) – n’insistons pas sur la criante différence de qualité entre les deux artistes –, tandis que l’enracinement régional d’Adler est jugé trop peu important sinon folklorique, mis à part le rare et très neuf essai de Jean-Louis Langrognet sur Adler, décorateur très 1925-30 des Thermes de Luxeuil. Rien non plus sur le paysage et le dessin qui tiennent tant de place chez Adler, mais le plus gênant est que cette belle illustration, au demeurant disposée sans faire sentir une succession chronologique et stylistique, est pourvue tout au long de l’ouvrage d’une numérotation qui ne revoie à rien, ni à la liste des œuvres exposées ni à l’utilissime Chronologie, sans compter une distinction ici presque académique entre fig., simples reproductions ajoutées en plus, et cat., œuvres effectivement exposées.
On en conviendrait quand même, si l’exposition n’avait donné par chance une toute autre idée de l’artiste. La vraie surprise était d’y découvrir un créateur en constante évolution, renonçant bientôt à son académisme de scolarité pour cultiver une liberté d’écriture toujours plus savoureuse, un peu comme celle d’un Vuillard ou d’un Lebasque. Tant et si bien que l’on découvrait insensiblement un artiste dégingandé, désinvolte, modernement libre, parvenant à une poésie infiniment prenante. Comment se résoudre dès lors à résumer sa trajectoire d’artiste en « faillite d’un peintre » victime d’un déni du présent ! (Amélie Lavin, cat. de l’exposition Adler, 2017, p. 39). Il nous semble que Jules Adler méritait tout de même mieux que de se voir appliquer le constat assez creux d’une prétendue attitude de « contre-modernité » façon Michel Foucault, où il est question d’un « vaincu » qui ne serait plus « présent au présent ».

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