Œuvres d’art de Notre-Dame : un bilan provisoire et partiel

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Cinq jours après l’incendie, nous pouvons faire un premier bilan de la catastrophe qui a frappé Notre-Dame. Celui-ci est, pour l’instant, extrêmement rassurant puisque nous n’avons connaissance d’aucune œuvre disparue. Les treize Mays [1] qui étaient conservés dans la cathédrale sont intacts, et tous ont pu être évacués, à l’exception du May de 1635 de Laurent de La Hyre qui se trouve dans le transept gauche, face au grand Triomphe de Job de Guido Reni (ill. 1) qui, lui aussi, est toujours dans la cathédrale. Ces deux tableaux, malgré l’effondrement de la voûte au-dessus d’eux, n’ont pas été touchés ; il faut néanmoins attendre une sécurisation des lieux avant qu’ils puissent être évacués.


1. Le Triomphe de Job par Guido Reni, dans le transept gauche de Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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D’une manière générale, les œuvres de Notre-Dame qui se trouvent dans les chapelles latérales et du déambulatoire, c’est-à-dire la grande majorité, n’ont été touchées ni par le feu, ni par l’eau, ni par la chute des voûtes. Le plan de la cathédrale, à deux collatéraux, a beaucoup contribué à la sauvegarde de ce patrimoine en isolant les chapelles du lieu de l’incendie qui s’est déroulé uniquement sur la toiture de la nef et du transept. Mais la première photo de la cathédrale qui a circulé a montré que même la chaire, qui se trouve dans la nef et est en bois, semble intacte.


2. Laurent de La Hyre (1606-1656)
La Conversion de saint Paul, 1637
Huile sur toile
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : NDP (CC BY-SA 3.0)
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Les douze Mays évacués ont été transportés au Louvre où ils ont été pris en charge par le C2RMF, à l’exception de deux : un d’Aubin Vouet (a priori Le centurion Corneille aux pieds de saint Pierre, de 1639) et un autre de Laurent de La Hyre, La Conversion de saint Paul (ill. 2) datant de 1637, pris en charge par la COARC, le service de conservation des œuvres d’art religieuses et civiles de la Ville de Paris. Outre ces Mays, la cathédrale conserve beaucoup d’autres toiles dont certaines, du XVIIe siècle, ont été commandées pour la cathédrale. C’est le cas de la Naissance de la Vierge des frères Le Nain et du Christ de Piété de Lubin Baugin qui ont été parmi les premières à être sauvées, dès le soir du drame, car elles sont de plus petite taille (voir cet article).


3. Nicolas Coustou (1658-1733)
Pietà, 1723
Marbre
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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4. France, première moitié du XIVe siècle
Apparition à deux disciples à Emmaüs
Clôture du chœur
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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Les sculptures, elles-aussi, sont miraculées. Car une statue brisée ou écrasée sous des gravats est beaucoup plus difficile à restaurer qu’une peinture. Or, là encore, aucune perte ne semble à déplorer, même dans le chœur. On a pu voir, dans la première photo de l’intérieur à avoir été diffusée, que la Vierge à l’enfant du XIVe siècle, dite Vierge au pilier, était intacte, et même pas souillée par les fumées. On voit également, au fond du chœur, que le Vœu de Louis XIII, avec sa Pietà par Nicolas Coustou (ill. 3), son Louis XIII par Guillaume Coustou et son Louis XIV par Antoine Coysevox, l’un des plus importants groupes sculptés du XVIIe siècle, est encore debout, et en bon état. Une photo pouvait laisser craindre que Louis XIII n’ait perdu sa tête, mais seul l’angle de vue expliquait cette crainte : elle était en réalité cachée par un candélabre. Les stalles du début du XVIIe siècle, bien que noircies, sont debout comme le montrent d’autres photos, tandis que les reliefs du pourtour du chœur, du XIVe siècle (ill. 4), ont été eux aussi épargnés.


5. France, premier quart du XVIIe siècle
Priant d’Albert de Gondi
Marbre
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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6. France, premier quart du XVIIe siècle
Priant de Pierre de Gondi
Marbre
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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Dans les chapelles, on trouve également beaucoup de sculptures de toutes les époques, du XVIIe avec par exemple les priants d’Albert et Pierre de Gondi (ill. 5 et 6) dans la chapelle axiale du déambulatoire, en passant par le XVIIIe avec le Mausolée de Claude-Henry, comte d’Harcourt de Jean-Baptiste Pigalle dans la chapelle Saint-Guillaume et bienheureux Pierre-de-Luxembourg (ill. 7) ou encore du XIXe.


7. Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785)
Tombeau du comte d’Harcourt, 1769-1776
Marbre
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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De ce dernier siècle, on peut citer par exemple le Mausolée de Denys-Auguste Affre par Auguste-Hyacinthe Debay (ill. 8) ou le spectaculaire Mausolée de Jean-Baptiste cardinal de Belloy par Louis-Pierre Deseine dans la chapelle axiale du déambulatoire (ill. 9). Nous n’avons pas eu d’information précise sur ces deux monuments, mais ils sont très certainement intacts.


8. Auguste-Hyacinthe Debay (1804-1865)
Mausolée de Denys-Auguste Affre
Marbre
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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9. Louis-Pierre Deseine (1749-1822)
Mausolée du cardinal de Belloy
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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Si quelques-unes de ces sculptures devront probablement rester in situ car elles seraient trop difficiles à déplacer, il faut espérer que certaines pourront être mises à l’abri hors de l’édifice et exposées, notamment le Vœu de Louis XIII, ce qui permettra enfin de pouvoir admirer de près les sculptures de Louis XIII et de Louis XIV, qui étaient à peu près invisibles car au fond du chœur, et inaccessibles au public. Il faudrait que d’autres sculptures soient également, pendant les travaux, sorties de la cathédrale pour être exposées dans le musée temporaire que nous appelons de nos vœux (voir l’article) comme cette superbe Vierge à l’enfant d’Antoine Vassé (ill. 10).


10. Antoine Vassé (1681-1736)
Vierge à l’enfant
Marbre
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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Notre-Dame, c’est aussi des peintures murales et des vitraux du XIXe siècle que l’on voit en grand nombre dans les chapelles. Nous n’avons pas eu de précision sur leur état, mais tout donne à penser que ces œuvres n’ont pas souffert davantage que les sculptures ou les peintures de chevalet. Certaines des peintures murales sont exécutées d’après des dessins de Viollet-le-Duc, d’autres par des peintres peu connus tel Auguste Perrodin, un élève d’Hippolyte Flandrin (ill. 11). Les vitraux sont pour un grand nombre d’entre eux exécutés, sur des dessins de Viollet-le-Duc, par certains des plus grands ateliers de peintres-verriers de l’époque tels les Lusson (ill. 12). Les grandes roses médiévales, on le sait et nous l’avons déjà dit, sont également sauvées.


11. Auguste Perrodin (1833-1887)
Scènes de la Vie de la Vierge
Peinture murale
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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12. Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1879)
Antoine Lusson (1807-1876)
Vitrail
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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Nous n’avons pas davantage d’informations sur certaines œuvres comme le magnifique reliquaire de Sainte-Geneviève de l’orfèvre Placide Poussielgue-Rusand (ill. 13) mais comme pour le reste des objets d’art conservés dans les chapelles, tous les témoignages laissent penser qu’elles n’ont pas été touchées.
Le Mobilier National avait fait des dépôts à Notre-Dame, dont trois ou quatre pièces d’orfèvrerie qui se trouvaient dans le trésor et ont été sorties dès le début avec l’ensemble de celui-ci. Il y a aussi, bien entendu, le grand tapis de chœur, rarement montré en raison de sa taille, et que l’on avait pu admirer en 2014 (voir la brève du 6/1/14). Celui-ci était conservé, avec deux autres tapis plus petits, dans le déambulatoire. Ils sont encore dans la cathédrale et seront transportés dans les réserves que le Mobilier National possède en banlieue, au milieu de la semaine prochaine. Les premiers constats sur leur état est plutôt rassurant, mais ils ont tout de même été mouillés. Ils seront déployés (ces entrepôts permettent de le faire) et déshumidifiés avec des souffleries que vient d’acheter l’institution.


13. Placide Poussielgue-Rusand (1824-1889)
Chasse de sainte Geneviève
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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Concluons sur les précautions qu’il faut prendre pour informer en cas de désastre tel que celui-ci. Nous avons toujours été prudent dans ce que nous avons écrit sur les œuvres. Il est inutile de spéculer avant d’avoir des informations fiables et précises. C’est ainsi que, très rapidement, certains médias nous ont appris que l’orgue était perdu. C’était faux. Une dépêche AFP a dit que quatre Mays, dont un de Laurent de La Hyre, étaient détruits. C’était faux. C’est ainsi que nous ne dirons rien du San Bernardino da Siena qui protège la ville de Carpi d’une armée ennemie, de Ludovico Carracci (ill. 14), qui se trouvait avant l’incendie dans une des tours de Notre-Dame. Nous ne savons pas s’il a été sauvé ou non (on l’espère). Nous pouvons cependant, grâce à Guillaume Kazerouni qui nous a parlé de cette toile et nous a fourni l’illustration, publier ici pour la première fois cette œuvre en couleur.


14. Ludovico Carracci (1555-1619)
San Bernardino da Siena qui protège la ville de Carpi d’une armée ennemie
Huile sur toile
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Guillaume Kazerouni
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