Notre-Dame : la faillite de l’État

L’incendie de Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019
Photo : Didier Rykner
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Depuis l’incendie de Notre-Dame, il y a un mois presque jour pour jour, pas une seule fois un responsable politique, qu’il s’agisse du président de la République, du Premier ministre ou du ministre de la Culture, n’a reconnu les graves manquements de l’État dans ce drame, ou même ne s’est interrogé à ce sujet. Bien au contraire, les cendres de la charpente à peine froides, ils ont tous cherché à en tirer un avantage politique, voire à utiliser ce drame pour le transformer en un grand chantier présidentiel comme avaient pu l’être la création du Musée d’Orsay et l’agrandissement du Louvre.

« Pas de polémique », « union nationale » : voilà les mots d’ordre de ceux qui auraient pu désamorcer ce débat en reconnaissant honnêtement cette responsabilité écrasante, qui n’est évidemment pas seulement celle du gouvernement Philippe, et en annonçant des mesures fortes pour qu’on ne voie plus jamais cela.

Il est temps pourtant de faire ici la liste des manquements qui, s’ils ne sont pas la cause directe du drame, l’ont rendu possible ou en ont aggravé les conséquences.

 L’absence d’une législation plus contraignante pour les chantiers organisés sur les monuments historiques ; nous l’avons répété à plusieurs reprises : il n’y a pas de règles différentes pour des travaux sur une cathédrale qu’il n’y en a pour un édifice sans aucun intérêt architectural.
 Le sous-financement chronique des monuments historiques ; quand on rogne sur tout, on mène des chantiers au rabais, on les multiplie en fonction de l’argent qu’on réussit à obtenir plutôt que de mener des travaux d’ensemble et coordonnés, et on ne va pas au delà de la réglementation insuffisante.
 Le gouvernement a ignoré et n’a tiré aucune conséquence du rapport de 2016 [1] qui pointait l’insuffisante protection de Notre-Dame contre les incendies.
 Paris ne disposait d’aucun bras articulé de taille suffisante permettant de lutter efficacement contre le feu de la charpente ; il a fallu 30 à 40 minutes à ces engins pour venir de Versailles où le Conseil Général des Yvelines en avait acheté deux pour faire face à un incendie au château. 30 à 40 précieuses minutes qui auraient peut être pu tout changer [2].
 Non seulement il n’y avait aucun pompier affecté à Notre-Dame, mais il n’y avait plus qu’une seule personne formée à la sécurité incendie [3] ; résultat : alors qu’une première alerte résonnait à 18 h 20, les pompiers n’ont été appelés qu’à 18 h 50, alors que le feu faisait déjà rage dans la charpente comme le prouvent nos photos (voir l’article).
 Les colonnes sèches [4] n’étaient pas suffisantes pour éteindre un feu important [5]. Elles ne permettaient que de s’attaquer à un début d’incendie ; il est pourtant du ressort de la DRAC donc du ministère de la Culture d’équiper la cathédrale de tels dispositifs.
 La DRAC, donc le ministère de la Culture, avait autorisé l’électrification de cloches dans la flèche, en indiquant que celle-ci devait être temporaire [6]. Cette électrification est soupçonnée d’avoir joué un rôle dans l’incendie. On peut donc se poser des questions : pourquoi une telle autorisation a-t-elle été accordée ? Pourquoi l’enlèvement de ce dispositif n’a-t-il pas été contrôlé ?
 Des installations électriques non autorisées étaient présentes dans la charpente, sans que jamais la DRAC n’ait procédé aux vérifications nécessaires et n’ait pu les faire enlever (voir Le Canard Enchaîné du 24 avril).

Tous ces points sont des faits, avérés, dont beaucoup ont été révélés par Le Canard Enchaîné et confirmés par la suite ; ils ne souffrent aucune discussion. Si certains ne sont peut-être pas une cause directe de l’incendie, ils témoignent pour le moins de négligences innombrables dont l’État est à chaque fois responsable. Il serait temps qu’une commission d’enquête parlementaire (Assemblée nationale et/ou Sénat) soit mise en place pour faire toute la lumière sur ces responsabilités.
On aimerait en outre, de la part de nos gouvernants, qui n’écoutent rien ni personne, qu’ils fassent preuve d’un peu plus d’humilité, reconnaissent ces défaillances et en tirent les conséquences, ce qui impliquerait :

 que le budget des monuments historiques soit enfin porté à un niveau suffisant, ce qui est possible comme nous l’avons dit à plusieurs reprises (voir par exemple ici), d’une part grâce au budget propre du ministère de la Culture (rappelons que 5 milliards par an sont consacrés à la communication - télévision publique et cinéma - tandis que seulement 300 millions sont dédiés aux monuments historiques (un peu plus cette année grâce au loto du patrimoine, mais encore bien trop peu), d’autre part grâce à au moins deux mesures neutres pour le budget de l’État (taxe de séjour et pourcentage sur les mises des jeux de la Française des Jeux) ;
 que la législation sur les chantiers monuments historiques évolue pour que des mesures supplémentaires soient prises afin d’éviter les incendies (voir l’article) ;
 que l’installation à demeure de pompiers (ou d’agents SSIAP) en nombre suffisant et connaissant bien le monument soit imposée dans tous les grands monuments historiques,
 que des colonnes sèches de taille suffisante soient impérativement implantées sur toutes les cathédrales et monuments de grande hauteur,
 que des bras articulés permettant aux pompiers d’atteindre les monuments historiques de grande hauteur soient disponibles (deux au minimum) là où cela est nécessaire, notamment à Paris où de nombreuses églises sont dans ce cas (sans compter les tours d’habitation).

Pour l’instant, ni du côté de la présidence de la République, ni du côté du gouvernement, il n’y a eu le début d’une remise en cause ou de prise de décisions allant dans ce sens. Leur seule réponse est de voter une loi d’exception pour pouvoir encore aggraver la situation. Comme nous avons pu le lire sur Twitter : « Emmanuel Macron voudrait être le président qui reconstruira Notre-Dame, il ne sera que celui qui l’a vue brûler. »

Didier Rykner

Notes

[1Révélé en France par Marianne le 18 avril.

[2Cette information, que nous avions pu vérifier de notre côté, a été publiée pour la première fois par Le Canard Enchaîné le 24 avril.

[3Informations révélées par Le Canard Enchaîné le 30 avril.

[4Les colonnes sèches permettent en branchant directement les lances à incendie de faire monter rapidement et effectivement l’eau jusqu’au niveau de la toiture, où des lances sont déjà présentes, ce qui permet aux pompiers d’être immédiatement réactifs.

[5Le Canard Enchaîné du 24 avril.

[6Source : Le Canard Enchaîné du 24 avril.

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