Note sur le peintre Le Masurier. A propos d’un récent achat du Musée d’Aquitaine

C’est une préemption un peu inattendue que celle exercée par le musée d’Aquitaine et révélée de suite par La Tribune de l’Art (voir la brève du 1/10/12) [1] : l’achat à la vente Giscard d’Estaing – une médiatique provenance, mais cela suffit-il ? – à Chanonat (château de Varvasse), étude Aguttes, le 29 septembre dernier, d’un anonyme tableau français du XVIIIe siècle (ill. 1) représentant une famille noble non moins anonyme, peinture rangée sous un vague et peu encourageant « Entourage d’Augustin Brunias » [2] (n° 180 du catalogue, avec reproduction). On aura vite compris que la vraie (la seule ?) justification de l’acquisition est la présence d’une nourrice noire dans ce tableau d’élégante compagnie qui évoque la société pluri-raciale des Antilles – les Isles – de l’époque, par où l’on trouve l’opportun moyen d’illustrer dans un musée à tendance historique et sociétale le commerce atlantique et l’esclavage dans le contexte de la faste vie portuaire de Bordeaux au XVIIIe siècle, selon un parti muséologique adopté par le Musée d’Aquitaine en 2009 et cité par La Tribune de l’Art. Le seul petit ennui, c’est que ce tableau, au demeurant d’une qualité honorable sans plus, n’a rien de spécifiquement bordelais et l’on conviendra que sa valeur illustrative est diminuée par le fait que la principale cité « négrière » de la France du XVIIIe siècle était Nantes plus que Bordeaux, même si cette dernière a bien sûr commercé avec les Isles d’Amérique et, à tout prendre, l’on pourrait encore invoquer La Rochelle (où un musée dit du Nouveau Monde rappelle à bon escient le fait colonial). Au fait, les musées dits d’histoire et de société doivent-ils absolument verser dans le livre d’images, ce que l’on pourrait toujours excuser par le commode expédient des expositions qui par principe riment avec expérimentations. – Art, valeur d’art qui en impose comme telle et que sacralise le Musée (un musée ne saurait par définition se tromper ni égarer ses visiteurs, sinon à quoi bon les musées !), ou bien directe, prégnante pédagogie, c’est un vieux dilemme. Mais est-il si aisé de prétendre pouvoir en toute occasion concilier, comme par enchantement, les deux ? Oui, le Musée, faut-il accepter de le voir traité comme un simple livre d’école ?


1. Le Masurier (documenté en 1769-1775)
Portrait de famille accompagné d’une
nourrice tenant un enfant dans ses bras

(en fait, Choiseul-Meuse et sa famille à la Martinique)
Réplique du tableau de 1775
Huile sur toile - 80 x 63 cm
Bordeaux, Musée d’Aquitaine
(acquis comme École française vers 1770,
entourage d’Augustin Brunias)
Photo : SVV Aguttes
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2. Le Masurier (documenté en 1769-1775)
Portrait de Choiseul-Meuse et sa famille à la Martinique, 1775
Huile sur toile - 93 x 70 cm
Collection particulière (en 1992)
Photo : Archives nationales
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3. Le Masurier (documenté en 1769-1775)
La Libération de saint Pierre, 1772
Huile sur toile - 186 x 128 cm
Ivry, dépôt des œuvres d’art de la Ville de Paris
(anciennement à l’église Saint-Germain-des-Prés, Paris)
Photo : Ville de Paris-COARC/J.-M. Moser
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Toutes ces considérations presque trop générales mais pas forcément déplacées, pour en venir à signaler que le tableau récemment acquis par Bordeaux – foin d’un Agostio Brunias, anglo-italien du XVIIIe siècle, lui aussi peintre des Antilles mais dans un tout autre style ! – renvoie en fait, comme nous allons le voir, à un original presque identique, daté de 1775 et dû à un certain Le Masurier « in Martinicā » (ill. 2). – Un artiste qui, en dehors de deux imprécisables paysages dont un daté de 1769 (non localisés) [3] et d’une Libération de saint Pierre, de 1772 [4] (ill. 3), autrefois visible à l’église Saint-Germain-des-Prés à Paris (à présent, au dépôt des œuvres d’art de la Ville de Paris, à Ivry), semble s’être principalement adonné à l’évocation de la vie et de la société des Antilles, en l’occurrence l’île de la Martinique. Grâce à la remarquable et fondatrice exposition de Hugh Honour en 1975, L’Amérique vue par l’Europe (Washington puis Cleveland), présentée ensuite au Grand Palais à Paris, en 1976, on pouvait découvrir la superbe prestation martiniquaise de ce Le Masurier encore inconnu comme tel à cette date (son unique et moyen tableau religieux de Saint-Germain-des-Prés cité dans le Thieme et Becker en 1929 ne le faisait certes en rien pressentir comme peintre des îles [5]) avec une belle évocation coloniale, plaisamment idyllique et superbe de couleurs, Esclaves noirs à la Martinique (n° 307 dans l’édition française du catalogue, p. 293-294, avec repr.), toile signée et datée 1775 et dûment signalée dans sa signature comme peinte à la Martinique (« Le Masurier pingebat in Martinicā 1775 » (ill. 4). Lui répondait un pendant (non présenté à l’exposition), lui aussi signé et daté de 1775, représentant une Famille métisse (ill. 5), soit « une dame blanchesic ! – avec sa petite fille visitant des noirs dans leur case » (même notice n° 307, p. 293). Les deux toiles étaient apparues dans une modeste vente à Versailles (étude Chapelle, 28 février 1971, l’une et l’autre sous le n° 18, chacune avec repr. au catalogue, planche II [6]). Peu après, probablement via la douane (encore existante à cette époque), elles seront acquises par l’Etat dès 1972, sans doute sur l’avis du Département des Peintures du Louvre, le destinataire étant le Secrétariat d’Etat aux Départements et Territoires d’Outre-mer d’alors (les D.O.M.-T.O.M.), devenu depuis Ministère des Outre-mer.


4. Le Masurier (documenté en 1769-1775)
Esclaves noirs à la Martinique, 1775
Huile sur toile - 125 x 106 cm
Paris, ministère des Outre-mer
Photo : Archives nationales
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5. Le Masurier (documenté en 1769-1775)
Famille métisse, 1775
Huile sur toile - 125 x 106 cm
Paris, ministère des Outre-mer
Photo : Archives nationales
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Entretemps, antérieurement à 1975-1976 en tout cas, puisqu’elle est déjà mentionnée dans le catalogue de L’Amérique vue par l’Europe, avait été repérée sur le marché d’art parisien (Georges Martin du Nord) une troisième toile martiniquaise de Le Masurier (ill. 2), datée cette fois encore de 1775, plus petite de dimensions (93 sur 70 cm, alors que les deux peintures en pendant du Ministère des Outre-mer mesurent 125 sur 106 cm) et figurant quant à elle « une famille blanche avec sa nourrice noire dans un élégant intérieur » (catalogue déjà cité de 1976, sous le n° 307), comme s’il s’agissait idéalement d’un troisième volet de la société antillaise de l’époque, après les noirs et les métisses ou mulâtres. Ce dernier tableau, resté en main privée et aujourd’hui non localisé [7], fut montré à l’exposition très documentée, Voyage aux îles d’Amérique, organisée aux Archives nationales à Paris en 1992 (n° 221 C p. 202 du catalogue, avec repr. en couleurs p. 188), tandis que les pendants sus-indiqués, peut-être trop jalousement gardés par leur ministère parisien de prestige, n’avaient droit qu’à de simples présentations sur photographie dans cette mémorable manifestation (bien entendu, ils furent quand même reproduits dans le catalogue : n° 221 A p. 206 pour les Esclaves noirs, n° 221 B p. 204 pour la Famille métisse). Qui plus est, ce troisième tableau était porteur d’une intéressante tradition identifiant la famille représentée avec celle de Maximilien Claude Joseph de Choiseul Meuse (1736-1816), militaire ayant participé à la guerre de Sept ans et promu aide-major général à la Martinique en 1766 puis commandant de l’Ile en second, avant de devenir brigadier des armées du roi au moins dès avant 1779 sinon cette année-là. De fait, l’homme dans cette dernière peinture est bien un militaire (veste bleue à parements et épaulettes, ruban rouge de l’ordre royal de Saint-Louis [8], telle une pré-Légion d’honneur …) et peut avoir l’apparence d’un quadragénaire comme l’était Choiseul-Meuse à la date de 1775. – Tradition dont on ignore certes l’origine (Georges Martin du Nord en faisait état, sans la justifier pour autant [9]) mais qui ne paraît nullement incompatible avec certaines données d’archives anciennes [10] : la présence à la Martinique de ce Choiseul-Meuse, né à Paris en 1736, est déjà attestée en 1766 ; en 1769, il vient de se marier, toujours à la Martinique, et sa femme peut bien être une créole comme le supposait Martin du Nord. Au total, il reste onze années à la Martinique, finissant en « commandant en second de l’Ile », comme le révèle le brevet de la pension que lui accorde le roi en 1776 – acte confirmé en 1779 – en considération de ses services, ce qui le fait arriver à la Martinique au plus tard en 1765. En 1769, il se plaint même auprès de sa hiérarchie de son « exil » aussi « contraire que peu utile à mon avancement » (!) et « des chaleurs brûlantes de la Martinique », ce que ne contredit guère, on en conviendra, sa pâlichonne apparition dans la peinture de 1775…

La date des trois tableaux en question (1775), le terminus ad quem de 1776 pour le séjour de Choiseul-Meuse aux Iles, à quoi s’ajoute le décès en 1774 de sa mère (elle figure sous l’apparence d’un portrait commémoratif, pieusement placé sur la coiffeuse et sous un drapé de velours rouge), toutes ces dates, par leur rapprochement, incitent à réflexion, d’autant qu’elles se combinent avec une signature à l’imparfait – un « pingebat » et non un ordinaire « pinxit » – qui peut surprendre [11] et qu’on relève aussi, comme par hasard, sur les deux pendants du Ministère des Outre-mer. Est-ce à dire que Le Masurier a peint ses trois tableaux, identiquement libellés, à la demande d’un seul et même commanditaire, Choiseul-Meuse, qui l’aura fait venir à dessein sur place, vers 1775 ? Cela dit, ont-ils été réellement peints à la Martinique ? L’artiste aurait pu se documenter in situ avec des dessins ou esquisses et exécuter ses peintures après coup, ou bien doit-on plutôt envisager que Le Masurier les aura seulement signées et datées à posteriori, surtout si elles constituaient des souvenirs encore tout frais pour leur commanditaire ? Pour s’en tenir au portrait de Choiseul-Meuse et sa famille (les deux autres tableaux sont plus authentiquement évocateurs), l’intérieur figuré là, à boiserie et décor très franco-parisien, est-il d’une réalité proprement antillaise et coloniale ? Mis à part la note exotique de la nourrice noire, rien n’évoque au sens propre les Iles. Le commentaire à vrai dire ne laisse pas de finir en impasse.

6. Le Masurier (documenté en 1769-1775)
Portrait de Choiseul-Meuse et sa famille à la Martinique
Réplique du tableau de 1775
Huile sur toile - 81 x 65 cm
Paris, hôtel Drouot, 13 décembre 1993, n° 45 bis
Photo : Etude Couturier-Nicolay
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On s’explique en tout cas que, pour répondre à des classiques exigences familiales, ce portrait de Choiseul-Meuse avec les siens ait fait l’objet de plusieurs répétitions, non signées, ce qui est généralement le cas de tels exemplaires faits à la demande. L’une de ses répliques (ill. 6), un peu plus petite (81 sur 65 cm) que la toile princeps de 1775 (93 sur 70 cm) (ill. 2) et se distinguant par une légère variante dans la masse de la chevelure de la mère de famille au centre, passa en vente à Paris, en 1993 (hôtel Drouot, étude Couturier et Nicolay, 13 décembre, n° 45 bis, avec repr. en noir et blanc au catalogue, tableau adjugé 62 000 francs). Le catalogue de cette vente intitulait bien ledit portrait comme étant celui de Choiseul-Meuse et sa famille et prenait soin de noter qu’il présentait des variantes avec la version de 1775 exposée un an auparavant aux Archives nationales. La deuxième répétition non signée qui vient d’être repérée (il peut y en avoir d’autres) est tout simplement notre tableau bordelais (ill. 1), exactement semblable dans ses dimensions à la toile vendue en 1993 et présentant le même détail de coiffure. – Un exemplaire qu’on ne saurait confondre à priori avec celui de 1993, même s’ils sont pratiquement identiques, car il faudrait présumer en ce cas que l’anonyme tableau de la vente Giscard présentement acquis par Bordeaux ait perdu depuis 1993 et son identité Choiseul-Meuse et son effective attribution à Le Masurier, ce qui paraît difficile à envisager. Le catalogue de la vente de Chanonat en tout cas ne précise rien à ce sujet. Peut-être l’œuvre provenait-elle du père de l’ancien président de la République comme nombre d’objets de la vente de Chanonat. Le fait est que l’expert Stéphane Pinta qui a rédigé la notice dudit tableau nous a dit n’avoir disposé d’aucune information sur l’origine de la toile en question ni sur sa date d’entrée dans les collections giscardiennes. Tout au moins pourra-t-on faire observer que le Musée d’Aquitaine n’a pas fait en l’occurrence une trop mauvaise affaire – mais cela méritait-il une lourde préemption ? –, ne surpayant guère à 6 000 euros un tableau dont le quasi double, pourvu il est vrai d’une attribution précise (Le Masurier) et d’un suggestif intitulé (famille Choiseul-Meuse), un peu plus parlants que ne le donne à penser un simple portrait de famille non identifié, qui plus est attribué à un inconsistant « entourage de Brunias », avait été vendu – vérité des ventes – presque deux fois plus cher en 1993.

7. Le Masurier (documenté en 1769-1775)
Le marché de Saint-Pierre à la Martinique
Huile sur toile - 169 x 234 cm
Avignon, Musée Calvet (donation Marcel Puech)
Photo : Musée Calvet, Avignon
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Pour rester dans l’aura de notre énigmatique Le Masurier, l’on se doit de signaler encore un riche et imposant Marché à Saint-Pierre de la Martinique (ill. 7), récemment entré dans un musée (don de Marcel Puech au Musée Calvet d’Avignon avec sa collection, en 1986) et qui n’a pas reçu toute l’attention qu’il mérite, bien qu’il ait été déjà publié, et fort bien, en 1995 [12]. – Toile de format beaucoup plus imposant les œuvres précédemment citées (elle mesure 169 sur 234 cm) et d’un pittoresque on ne peut plus attrayant – tout le charme des contrées exotiques ! – dans son évocation d’une Antille coloniale aux chatoyants costumes et aux populations diverses, au sein d’une plantureuse abondance de victuailles, fruits, volailles, poissons offerts à notre curiosité. L’antiquaire Marcel Puech qui avait su l’acquérir sans nom d’auteur, nous avait fait remarquer que le tableau portait une inscription relative à la Martinique, à présent disparue [13], ce qui nous incita à proposer assez raisonnablement une attribution à Le Masurier.

8. Le Masurier (documenté en 1769-1775)
Chien de garde dormant (le chien de l’artiste ?)
Détail de la Libération de saint Pierre
Ivry, dépôt des œuvres d’art de la Ville de Paris
(anciennement à l’église Saint-Germain-des-Prés, Paris)
Photo : Ville de Paris-COARC /J.-M. Moser
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L’enquête, finalement, s’arrête un peu court. De ce Le Masurier, déjà actif comme peintre en 1769, on ne sait à vrai dire ni quand il arriva à La Martinique – en 1775 ou dès avant – ni quand il en repartit [14]. On admettra que sa Libération de saint Pierre, de 1772, à priori l’ouvrage d’un artiste professionnel et non d’un amateur, n’est pas forcément à mettre en rapport avec feue la capitale de l’île, Saint-Pierre, car elle peut très bien n’avoir qu’une provenance parisienne, Saint-Germain-des-Prés ou autre. Et l’on ne sait pas davantage si Le Masurier continua à peindre après 1775 [15]. Le fait est qu’on ne lui connaît pour le moment aucun autre tableau que ceux mentionnés ici [16]. Mais avouons que l’histoire de l’art ne mésestime pas tellement ces quasi inconnus – ils font toujours un peu plus rêver ! –, et Le Masurier a le mérite d’apparaître, mieux encore, admettons-le, que le prodigue et surfait Brunias, comme l’un des trop rares – et bons – peintres de la réalité caraïbe du XVIIIe siècle. Il échappe à la préoccupation purement topographique et il se distingue comme peintre de portrait de société avec un goût marqué pour les détails réalistes (ainsi, dans son médiocre tableau de Saint-Germain, Le Masurier sauve-t-il son honneur de peintre par le savoureux détail d’un chien de garde robuste et assoupi (ill. 8), qui aurait dû s’en prendre à l’ange libérateur !). Si sa production avait été un peu plus fournie, Le Masurier n’aurait-il pu mériter d’être qualifié de Frans Post français !

Jacques Foucart

P.-S.

Nous avons reçu de Monsieur François Hubert, directeur du Musée d’Aquitaine, un courrier à propos de cet article et de la politique d’acquisition du musée (voir ici).

Notes

[1L’information est également donnée – mais sans reproduction – dans La Gazette de l’Hôtel Drouot, 5 octobre 2012, p. 155.

9. Agostino Brunias (vers 1730-1796), actif à la Dominique à partir de 1764
Trois jeunes créoles et leurs enfants et serviteurs
Huile sur toile – 50,8 x 66,4 cm
New York, Brooklyn Museum
Photo : Brooklyn Museum
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[2Agostino Brunias ou Brunais (Rome, vers 1730 - Roseau, Ile de la Dominique, 1796 ; à noter qu’il n’est pas décédé à Saint-Domingue comme on le dit parfois). Dans La Tribune de l’Art (voir brève du 10/8/11) Bénédicte Bonnet Saint-Georges signale la récente acquisition d’un tableau de Brunias par le Brooklyn Museum à New York, Trois jeunes créoles et leurs enfants et serviteurs dans un paysage (ill. 9). Précisons qu’il se trouvait antérieurement chez le comte de Rosebery – sa vente, Londres, Christie’s, 15 juillet 1983, n° 75 – puis chez Mme Charles Wrigtsman avant d’arriver dans la galerie Robilant et Voena, de Londres, où le musée américain a dû l’acquérir. On consultera plus encore la publication entièrement consacrée à cet artiste par Mia L. Bagneris chez Robilant et Voena justement, en 2010, Agostino Brunias / Capturing the Carribean (C. 1770 – 1800) (37 pages, 20 repr. dont celle du tableau acquis par Brooklyn). A signaler également la notice relative à une petite gouache en tondo sur ivoire, Affranchis des colonies, dans le catalogue de la galerie Terrades, Paris, 26 novembre - 26 décembre 2010, n° 5. Les données biographiques de Brunais sont bien traitées dans l’opuscule de Robilant et Voena, alors que le dictionnaire d’artistes de Saur est pour une fois déficient (notice Brunias, t. 14, 1996. p. 530 : le lieu de décès de l’artiste y est indiqué à tort comme étant Saint-Domingue). – Brunias, quoique d’origine italienne et formé à Rome dans les années 1750, est à ranger dans l’école anglaise, travaillant avec des architectes comme le fameux Robert Adam ou William Chambers en tant que paysagiste décorateur d’esprit néo-classique, pour passer ensuite au service de Sir William Young, premier gouverneur de la Dominique, devenue possession britannique à l’issue de la guerre de Sept ans (1756-1763), laquelle, il est vrai, rend à la France la Martinique et la Guadeloupe. Dès lors, Brunias se spécialise avec succès dans l’évocation de la société antillaise, notamment noire et métissée, bénéficiant d’une large diffusion par l’estampe. Mais, sur le plan du style, il se montre relativement monotone et quelque peu convenu, voire un tantinet naïf, nonobstant son actuelle vogue commerciale (d’où la flatteuse publication de Robilant et Voena…) qui peut sembler exagérée au regard de la faible notoriété de Le Masurier. On notera ainsi que Mia Bagneris, l’auteur de la publication de Robilant, passe tout simplement sous silence Le Masurier, dans un culturalisme très anglo-saxon… Ce que ne fait pas Séverine Laborie qui ne manque pas de reproduire dans son excellent article « Joseph Savart, « maître peintre » à Basse-Terre », dans La revue des musées de France / Revue du Louvre, 2012, n° 1, p. 70-80, un tableau de Brunias, Femme créole et servantes, dépôt de la collection Carmen Thyssen-Bornemisza au Musée Thyssen-Bornemisza à Madrid (fig. 4 p. 74), sans omettre bien entendu les deux toiles de Le Masurier du Ministère des Outre-mer (Mulâtres, fig. 2 p. 73, et Esclaves, fig. 9 p. 77).

[3Paysage d’orage avec un arbre foudroyé, signé au revers et daté 1769, bois, 14 sur 22 cm, Monte Carlo (Monaco), Sotheby’s, 8 février 1981, n° 105, accompagné d’un Paysage de port au soleil couchant, du même artiste, bois, 14 sur 24 cm, n° 104, l’un et l’autre non reproduits au catalogue et apparemment les plus anciennes œuvres connues dudit Le Masurier.

[4La Libération de saint Pierre, réputée à tort non datée dans la base Palissy, est signée et datée, en bas à droite : Le Masurier ft 1772. Elle a été classée monument historique en 1905 et réinscrite en 1994. On ignorait à quelle date elle fut transférée au dépôt d’Ivry. Nous remercions Lionel Britten, chargé d’études documentaires à la conservation des œuvres d’art religieuses et civiles de la Ville de Paris (COARC), de nous avoir procuré une photo du tableau en question et communiqué sa fiche.

[5Le dictionnaire Thieme et Becker (t. 23, 1929, p. 21), seul à mentionner Le Masurier (avec le Bénézit qui ne fait, on le sait, que le copier), ne trouve à signaler de cet artiste que son tableau de Saint-Germain-des-Prés.

[6Présentées dans le catalogue de la vente du 28 février 1971 comme « Ecole française (XVIIIe siècle). Scènes de La Martinique : signées en bas à droite et datées 1775 ». Support et dimensions non indiqués Par une curieuse inconséquence, le nom de Le Masurier, signataire des tableaux, est omis, mais une découpure du catalogue annotée par le marchand Heim-Gairac (document conservé dans le dossier Le Masurier au service de documentation du Département de Peintures, Musée du Louvre) comporte l’indication dactylographiée de « Le Masurier, peintre du XVIIIème / Ecole française ». Evidemment, la signature n’avait pas échappé à Georges Heim-Gairac et les tableaux furent peut-être même vendus sous le nom exact de Le Masurier.

[7Marie-Pierre Foissy-Aufrère (voir sa notice du Marché à Saint-Pierre de la Martinique dans l’ouvrage collectif, Marcel Puech, une vie, un don / chefs-d’œuvre de la donation Marcel Puech au musée Calvet, Avignon, Fondation du Muséum Calvet, 1975, p. 74-75, avec repr. en couleurs), signale à tort ce tableau au secrétariat des D.O.M.-T.O.M. (à présent Ministère des Outre-mer) où elle localise aussi, à juste titre, les deux tableaux de Le Masurier, Esclaves noirs et Famille métisse. Ledit Portrait de famille avec une nourrice noire ne saurait figurer non plus dans le Musée de l’anthropologie (sic) de la Martinique, en fait Musée régional d’histoire et d’ethnographie à Fort-de-France, comme l’indique erronément le descriptif de visite de l’hôtel de Montmaurin (ministère alors intitulé Ministère chargé de l’Outre-mer), 27 rue Oudinot à Paris, édité lors des journées du Patrimoine, 19 septembre 2010, et disponible sur Internet (sont cités là et, comme il se doit, reproduits en couleurs, les deux tableaux de Le Masurier en possession du ministère). Nous remercions Séverine Laborie, chargée d’études documentaires à la D.R.A.C. Guadeloupe, service monuments historiques, architecture et musées, d’avoir spécialement vérifié pour nous cette prétendue localisation martiniquaise du tableau Choiseul-Meuse.
Dans son propre article de 2012 (op. cit, à la note 2, p. 73), Séverine Laborie le cite bien comme non localisé, avec juste une petite erreur de titre (Choiseul-Meuse n’est pas un duc mais un comte) en soulignant, dans un intéressant commentaire plein de nuances, que « l’interprétation de leurs codes vestimentaires ceux des habitants des Antilles n’est pas chose aisée » : ainsi, dans le Choiseul, une « esclave de maison » mieux considérée que les « esclaves de jardin », est habillée et parée de bijoux comme le serait une femme libre, blanche ou métisse, tout en ayant les pieds nus, signe d’infériorité ; dans la Famille de mulâtres cependant est représentée une métisse « richement parée et bien vêtue, incontestablement libre, et qui pourtant reçoit déchaussée ». Et de conclure, p. 78, que la scène d’esclaves est « d’un sentiment hédoniste troublant dans le contexte esclavagiste », mais, ajoutons pour notre part, d’un bien séduisant agrément pictural…

[8Une recherche d’archives devrait certes permettre de savoir si Choiseul-Meuse fut décoré de l’ordre de Saint-Louis comme le fut son grand-père, mais l’ouvrage, facile à consulter, du comte d’Hozier, Recueil de tous les membres composant l’ordre royal et militaire de Saint-Louis…, Paris, 2 tomes, 1818, est assez lacunaire et ne va guère au-delà de la première moitié du XVIIIe siècle.

[9Communication écrite non datée adressée à Jacques Foucart par Georges Martin du Nord († 1984) avec l’envoi d’une photo du tableau dont il lisait à tort la date comme étant 1774 (dossiers du service de documentation du Département des Peintures, Musée du Louvre). Il donnait quelques indications biographiques sur Maximilien-Claude-Joseph de Choiseul-Meuse, qualifié de comte, qu’il faisait naître entre 1736 et 1739 et décéder en 1816 à Paris, et sur son père (1715-1738) ainsi que sur leurs carrières militaires (celle de Maximilien est plus détaillée dans la notice de la vente de 1993). Toujours selon lui, figurerait sur le tableau l’épouse de Maximilien avec ses deux filles (futures baronne de la Barthe et Mme de Beauvillars), laquelle, née Dubuc d’Henneville était, croit-il, « d’une famille créole ». Quant au portrait placé sur la coiffeuse, il s’agirait vraisemblablement de la mère et belle-mère du couple, Justine Paris de la Montagne, « née sans doute après 1715 et donc âgée de 60 ans, demeurée j’imagine en France et donc destinatrice du tableau », assertion qu’on doit nuancer par le fait que cette personne décéda en 1774, mais il y un rapprochement significatif à faire, comme on l’a noté plus haut, avec la date de 1775 qui est celle du tableau.

[10Documents d’archives consultés sur Internet au nom de Choiseul-Meuse (Archives nationales) : diverses lettres adressées au ministre de la Marine et surtout certificat du brevet de la pension accordée à Choiseul-Meuse en 1776 et confirmée en 1779, qui donne au passage ses lieux et date de naissance (Paris, 1736) et précise la durée de son séjour aux Antilles. La généalogie Choiseul, proposée par Henri Frebault (sur Internet), concorde en gros avec ces données et avec celles de G. Martin du Nord, à ceci près que Frebault se trompe sur la date de naissance de Choiseul (1735 au lieu de 1736) qu’il intervertit avec celle du frère de Choiseul, François (né en 1735), aîné de Maximilien et, de ce fait, marquis et non comte comme l’indique Frebault. Ce dernier fait enfin mourir notre Maximilien en 1815, au lieu de 1816. On préférera s’en tenir à l’information donnée par G. Martin du Nord.

[11Séverine Laborie (op. cit. à la note 6, notes 23 et 25 p. 80) a le mérite de parler d’inscription et non de signature. Il faut y réfléchir…

[12Marie-Pierre Foissy-Aufrère (op. cit. à la note 6), si elle commente heureusement le tableau d’Avignon, fait carrément débarquer Le Masurier à la Martinique en 1775, ce qui reste arbitraire. Elle donne diverses indications topographiques sur le marché à Saint-Pierre qu’il conviendra de vérifier. Mais elle ne s’interroge pas sur la présence intrigante d’un homme en veste rouge et habit blanc qui pourrait passer pour un officier britannique : serait-il venu en voisin de la toute proche Dominique, anglaise depuis 1763, île justement placée au sein des Petites Antilles, entre la Guadeloupe au-dessus et la Martinique en-dessous ?

[13Communication orale de Marcel Puech à Jacques Foucart lors de la visite de sa collection à Avignon (vers 1986) en vue de la donation au Musée Calvet.

[14Séverine Laborie (op. cit. à la note 6 p. 80 note 11) s’avance un peu en écrivant : « En 1774, Le Masurier suivait aux Antilles le marquis (sic) de Choiseul- Meuse … » En 1766 déjà, notons- le, Choiseul est en poste à la Martinique (voir une lettre de lui citée à la note 10).

[15Le séjour antillais de Le Masurier est arbitrairement arrêté à la date de 1782 (Laborie, op. cit. à la note 6, p. 73) ou à celle de 1785 (fiches des tableaux Légaré au musée de Québec, voir infra, note 16).

[16A juste titre, Louise Prieur (mémoire de maîtrise à l’université du Québec à Montréal, 2005, p. 177 et 180), a exclu que deux peintures de la collection du peintre Joseph Légaré achetée en 1874 pour le séminaire de Québec et à présent en dépôt au Musée de la civilisation à Québec, censées représenter Saint-Pierre de la Martinique, soient des œuvres de Le Masurier, comme cela avait été suggéré par Lyne-Rose Beuze, conservateur en chef des musées régionaux de la Martinique. Il s’agit de vues portuaires avec des noirs, longtemps attribuées par complaisance à Joseph Vernet, le 1991-611 étant un peu plus proche de Vernet que le 1991-363 qui passa même auparavant pour un Carle Vernet, tableaux rejetés bien sûr par Pierre Rosenberg lorsqu’il les examina en 1967. Nous remercions Vincent Giguère, conservateur audit musée de Québec, de nous avoir renseigné sur ces tableaux dont l’existence nous avait été signalée par Franck Guillaume, responsable du service de documentation du Musée Calvet d’Avignon (dossier Le Masurier).

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