Musées en danger (1) : Auxerre

Nous inaugurons avec cet article une série qui menace, hélas, d’être longue. Celle des musées fermés, entièrement ou partiellement, de ceux délaissés par les villes et qui végètent sans moyens jusqu’à mettre parfois en danger les œuvres qu’ils conservent.


1. Abbaye Saint-Germain
Auxerre
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page
2. Abbaye Saint-Germain
Aile où aurait dû être installées les collections beaux-arts
du Musée d’Art et d’Histoire d’Auxerre
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

L’Abbaye Saint-Germain, qui abrite le musée d’Art et d’Histoire d’Auxerre, est un ensemble de bâtiments qui s’articulent autour d’un cloître du XVIIIe siècle (ill. 1). Ils abritaient au XXe siècle un hôpital qui quitta les lieux en 1962, à l’exception d’un service de gériatrie qui y resta jusqu’en 1984. D’autres institutions, une radio locale, un centre culturel, une école de musique y prirent place puis déménagèrent. L’idée d’y exposer les collections du musée, en caisses depuis 1971, faisait progressivement son chemin et la mise en œuvre de ce grand projet commença à partir de 1984, parallèlement à d’importantes fouilles archéologiques menées de 1989 à 1999. Successivement, des réserves furent aménagées, puis les collections gallo-romaines furent installées en 1988, la préhistoire en 1992 et le Moyen Age en 2004 [1].


3. Niccolo Frangipanne (1555-1600)
Un pâtre
Auxerre, Musée d’Art et d’Histoire
(tableau en réserves)
Photo : D. R.
Voir l´image dans sa page

A l’époque, Jean-Pierre Soissons était maire et s’intéressait au musée. Les collections beaux-arts devaient suivre et être installées dans les ailes nord et ouest (ill. 2), sur trois niveaux, mais la convention avec l’Etat ne fut jamais signée par la nouvelle municipalité arrivée aux affaires en 2001 et dirigée par le socialiste Guy Férez. Depuis plusieurs années, le musée est progressivement laissé sans moyens, à l’exception d’un budget consacré aux restaurations.
A partir du 1er décembre, le musée sera privé de conservateur. Micheline Durand [2], qui le dirigeait depuis plus de vingt-cinq ans, a été soudainement évincée de son poste. Sans doute n’était-elle pas suffisamment souple face aux exigences du maire. Michel Morineau, l’adjoint à la culture, a bien voulu répondre à nos questions. Il nous a confirmé qu’il n’était plus question d’étendre le musée. « Il y aura un musée dans l’abbaye, mais on ne peut pas transformer l’abbaye en musée. » Pourquoi ne le peut-on pas ? Parce qu’il [Michel Morineau] est « le représentant du suffrage universel » ! Comme si cela justifiait tout. Quand nous lui avons demandé si le projet pour l’abbaye Saint-Germain avait été soumis aux électeurs, Michel Morineau nous a répondu que cela avait été débattu au début de la mandature. Après l’élection donc. Il semble que la municipalité d’Auxerre estime qu’elle a forcément raison puisqu’elle a été élue, même sur des points qui n’avaient pas été abordés clairement avant, ce qui est une conception curieuse de la démocratie. A vrai dire, le projet pour l’abbaye Saint-Germain (qui se situe « à l’horizon 2030 » - sic) est tellement flou qu’il aurait été difficile d’avoir un avis à son propos. L’adjoint au maire avait promis de nous l’envoyer par mail ainsi que les budgets alloués au musée depuis trois ans. Nous n’avons rien reçu [3].

Michel Morineau nous a confirmé que « la conservatrice n’était pas d’accord avec ce projet », ce qu’on peut comprendre puisque celui-ci consiste pour le moment à réduire le musée à sa portion congrue [4]. « Sa mise à l’écart n’est pas une sanction, elle est à six mois de la retraite » nous dit encore l’adjoint au maire. Face à un projet dont l’horizon se situe à vingt ans, on comprend mal qu’on n’ait pas pu attendre six mois...
Auxerre sera donc hors la loi à partir du 1er décembre puisque la présence d’un conservateur est obligatoire pour un Musée de France. Michel Morineau nous a assuré qu’un nouveau conservateur serait recruté, sans nous donner de délai. « Nous prendrons le temps de le faire. Il n’y a pas de problème, ce sera si possible un jeune, aguerri aux nouvelles technologies. » On lui souhaite bon courage face à l’exaltant projet consistant à réaménager le musée dans l’espace actuel, évidemment insuffisant pour montrer les collections de beaux-arts. Michel Morineau n’y voit pas d’inconvénient. « Nous avons suffisamment de peintures pour faire tourner les collections. On ne peut pas tout exposer en permanence. C’est ce qui est de nature à rendre les musées dynamiques. »


4. Charles Le Brun (1619-1690)
Le Roi arme sur terre et sur mer
Auxerre, Musée d’Art et d’Histoire
(tableau en réserves)
Photo : D. R.
Voir l´image dans sa page
5. Jean-Baptiste-Marie Pierre (1714-1789)
La maîtresse d’école
Huile sur toile
Auxerre, Musée d’Art et d’Histoire
(tableau en réserves)
Photo : D. R.
Voir l´image dans sa page

Le 18 novembre, L’Yonne Républicaine avait fait paraître un article intitulé « Un brûlot qui fait grincer des dents » qui signalait la mise en ligne sur Internet d’un pamphlet intitulé La Dame d’Auxerre ou les Muses déménagent. Celui-ci signé d’un certain Jacques Adams, présente, sous un mode humoristique et guignolesque, la situation du musée. L’article de L’Yonne Républicaine expliquait que « le maire admet qu’il y a eu des "tiraillements" entre [la conservatrice], Michel Morineau et Juliette Didierjean [le responsable du service culture de la ville], "il y a eu débat et tout est réglé", insiste-t-il [...]" "Personne n’est dans le collimateur" » assurait le maire, pas même la conservatrice actuelle des musées d’Auxerre. C’est sans doute pour cela que cette dernière vient d’être placardisée.


6. François Gérard (1770-1837)
Portrait de Simon Chenard
Huile sur toile - 64,7 x 54,5 cm
Auxerre, Musée d’Art et d’Histoire
(tableau en réserves)
Photo : RMN
Voir l´image dans sa page
7. Jacques Hupin
Nature morte aux pièces d’orfèvrerie
Huile sur toile
Auxerre, Musée d’Art et d’Histoire (tableau en réserves)
Photo : D. R.
Voir l´image dans sa page

Le musée d’Auxerre mérite mieux que cela. Ses collections de beaux-arts sont loin d’être négligeables. On y trouve, parmi bien d’autres choses, un grand Alessandro Allori dont une autre version est à Montpellier (Vénus et l’Amour), un Niccolo Frangipane (ill. 3), deux esquisses de Charles Le Brun (ill. 4) pour la Galerie des Glaces, trois tableaux d’Henri de Favanne, trois toiles de Jean-Baptiste-Marie Pierre (ill. 5), une Femme épluchant du poisson de Todeschini, plusieurs portraits français du XVIIIe siècle (Marianne Loire, Jean-Baptiste Deshays, François Gérard - ill. 6), des natures mortes françaises dont une paire de pendants par Jacques Hupin (ill. 7), de beaux anonymes (ill. 8), de grands formats du XIXe siècle roulés (Léon Riesener, François-Edouard Picot....), des tableaux académiques de la seconde moitié du XIXe (Emile Bin, Joseph-Noël Sylvestre,...), un ensemble d’œuvres concernant le Maréchal Davout offertes par sa fille (ill. 9).


8. Ecole française, début du XVIIIe siècle
Louis XIII enfant et son gouverneur
le Marquis de Souvré

Huile sur toile
Auxerre, Musée d’Art et d’Histoire
Tableau exposé au Musée Leblanc-Duvernoy
Photo : D. R.
Voir l´image dans sa page
9. Pierre Gautherot (1769-1825)
Portrait du Maréchal Davout
Huile sur toile
Auxerre, Musée d’Art et d’Histoire
(tableau en réserves)
Photo : D. R.
Voir l´image dans sa page

Quelques rares tableaux de la collection sont présentés dans le petit musée Leblanc-Duvernoy (ill. 8), qui se trouve dans un hôtel particulier du XVIIIe siècle légué en 1929. Ce musée, qui conserve par ailleurs un important ensemble de céramiques, subit le même désintérêt de la municipalité. Faute de personnel, il est souvent fermé le week-end (ill. 10). A l’avenir, ses horaires, comme ceux de l’abbaye Saint-Germain, devraient encore être réduit en dehors de la saison touristique, ce que nous a d’ailleurs confirmé l’adjoint au maire.

Sans conservateur, sans moyens, réduit à la portion congrue avec les collections beaux-arts entièrement en réserves, le musée d’Auxerre est bien mal parti. « Ce type de situation se multiplie de manière inquiétante » nous a confirmé Christophe Vital, président de l’Association générale des conservateurs des collections publiques de France. La Direction des Musées de France est au courant de la situation [5]. Malheureusement, malgré sa bonne volonté, la DMF n’a plus vraiment d’influence ni de pouvoir sur les municipalités et les conservateurs se retrouvent seuls face aux maires. Voilà un sujet supplémentaire que nous aimerions aborder avec le ministre de la Culture s’il se décide un jour à nous accorder l’interview que nous lui avons demandée (voir ici).

10. Affichette sur la porte du Musée Leblanc-Duvernoy
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page


English version

Didier Rykner

Notes

[1Nous remercions l’association culturelle Les trois p (plumes, papiers, pinceau) pour certaines informations contenues dans cet article.

[2Nous avons contacté la conservatrice, Madame Micheline Durand, qui s’est retranchée derrière son devoir de réserve en nous indiquant qu’elle ne faisait de toute façon plus partie des effectifs du musée à partir du 1er décembre et qu’elle s’était vu confier une mission de six mois consistant à étudier l’histoire du bâtiment. Madame Juliette Didierjean, directrice de la culture de la ville, que nous avons souhaité interroger, nous a répliqué très sèchement que Micheline Durand n’aurait même pas dû dire cela ! Cette remarque est parfaitement choquante et démontre l’ambiance qui doit régner dans une municipalité où un fonctionnaire n’a pas le droit de répondre à un journaliste qu’il n’est plus en charge d’un service et que celui-ci doit s’adresser au maire. Curieuse interprétation du devoir de réserve, tout à fait abusive. Pour en savoir plus sur le devoir de réserve, on peut lire cet excellent article sur le site de Maître Eolas.

[3Nous avons pourtant accepté de repousser d’une journée la parution de cet article pour lui permettre de réunir les éléments.

[4Le 29 août dernier, la ville avait passé dans Télérama une annonce de recrutement d’un « directeur du pôle Art et Patrimoine ». Le candidat devait, outre de multiples missions, gérer le site de l’Abbaye Saint-Germain (et encadrer une équipe de 25 personnes). Le candidat recherché devait seulement « être titulaire du grade d’attaché territorial de conservation du patrimoine ou avoir réussi le concours d’animateur d’architecture et du patrimoine ». Il n’était pas clairement exprimé que la conservatrice devait dépendre de ce « directeur », mais en dissociant le musée du bâtiment dans lequel il est abrité, objectif affiché par la municipalité, on crée forcément la source d’un dysfonctionnement majeur dans l’organisation qui marginalise le musée. Ce recrutement est toujours en cours.

[5La DMF nous a communiqué ceci : « Nous suivons actuellement le dossier du musée d’Auxerre. Le DRAC et la directrice des musées de France doivent rencontrer prochainement le Maire pour déterminer quelles sont les orientations à développer au sein du musée-Abbaye Saint-Germain, procéder au recrutement d’un nouveau conservateur, affecter l’actuelle conservatrice à d’autres fonctions au sein de la Ville ou au sein de la Région et permettre la valorisation des collections musées de France en complétant en particulier le parcours muséographique avec l’ensemble des collections Beaux-Arts. »

Mots-clés

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.