Musée des Plans-Reliefs : une exposition. Après elle, le déluge ?

La France en relief. Chefs-d’œuvre de la collection des plans-reliefs de Louis XIV à Napoléon III

Paris, Grand Palais, nef, du 18 janvier au 17 février 2012.

1. L’exposition des plans-reliefs au Grand Palais, janvier 2011
Photo : Didier Rykner
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Nous dirons ici seulement un mot de l’exposition que présente la nef du Grand Palais pendant un mois (ill. 1). Certes, la muséographie est excellente, et l’on n’en attendait pas moins de Nathalie Crinière qui est l’une des meilleures spécialistes dans ce domaine. Certes, les petits et les grands seront ravis de voir ces modèles dont la qualité et la précision font rêver quiconque a un peu de sens historique et esthétique (ill. 2 à 4). Mais l’essentiel n’est pas là.

Les visiteurs sont-ils conscients que ces maquettes, classées monument historique, sont des chefs-d’œuvre en péril dont le seul destin, à court et à moyen terme, est de retrouver l’obscurité de réserves ou de caisses ? Connaissent-ils leur histoire qui est aussi celle de l’impéritie de l’Etat, du manque de culture de nos gouvernants et de leur indifférence au bien public ?
L’exposition avait été annoncée par Nicolas Sarkozy dans son discours du Puy-en-Velay, l’idée lui en ayant été soufflée par les promoteurs de la Maison de l’Histoire de France. L’intention était a priori louable : attirer l’attention des pouvoirs publics sur ces trésors si menacés. Mais l’apport scientifique est objectivement à peu près inexistant. Et si l’on y songe bien, c’est l’Etat qui dépense 2,5 millions d’euros pour un mois d’exposition (chiffre officiel, il est probable que le montant total soit plus élevé) pour convaincre l’Etat de l’importance de cette collection. Cela est-il étonnant dans un pays qui aime jeter l’argent par les fenêtres pour la poudre aux yeux, l’éphémère, l’événementiel, au détriment des actions de fonds certes moins spectaculaires mais infiniment plus utiles.


2. Plan-relief de Besançon
Exposé au Grand Palais
Photo : Didier Rykner
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3. Plan-relief de Grenoble
Exposé au Grand Palais
Photo : Didier Rykner
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Ces plans-reliefs avaient pourtant eu leur lot de mésaventures qui furent fatales à certains d’entre eux. Comme le rappelle le petit catalogue publié à cette occasion, une centaine de maquettes avaient déjà été construites en 1697 lorsqu’elles furent réunies dans la Grande Galerie du Louvre. De nouveaux plans furent créés sous Louis XV, puis sous l’Empire et tout au long du XIXe siècle jusqu’à Napoléon III. Parmi ceux-ci, certains, saisis par les Prussiens en 1815, furent détruits sous les bombes à Berlin en 1945. D’autres furent dispersés (Strasbourg, Bitche et Landau avaient été donnés à ces cités par Guillaume II), Arras et Douai furent vendus par l’armée à ces deux villes, et ont été « gravement endommagés ou outrageusement restaurés ».

4. Plan-relief de Brest
Exposé au Grand Palais
Photo : Didier Rykner
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Il faut donc rappeler ici l’histoire [1] de ce musée martyr qu’est celui des Plans-Reliefs et citer, nommément, les responsables de ce vandalisme lent. En 1984 donc, une centaine de maquettes survivantes (classées monument historique, comme un ensemble, en 1927) étaient exposées. Les conditions étaient précaires, mais elles étaient visibles par les visiteurs qui ne se pressaient pas sous les combles de la cour des Invalides.
C’est alors que Pierre Mauroy décida, sous prétexte de décentralisation, d’emmener le plan-relief de Lille [2]. Il avait été Premier ministre pendant deux ans, et aurait eu le pouvoir de décider la modernisation de ce musée pour que cette collection soit présentée au plus grand nombre dans de bonnes conditions. Au lieu de cela, il préféra menacer ainsi son intégrité.
Le ministre de la Culture d’alors, Jack Lang, considérant que l’ensemble était classé monument historique, au lieu de s’opposer fortement à ce transfert suggéra tout simplement d’emmener l’intégralité à Lille. Position d’autant plus discutable et scandaleuse que ces maquettes étaient éminemment fragiles, qu’il s’agissait d’une collection nationale, et que, surtout, le bâtiment prévu dans cette ville pour les accueillir, l’hospice Comtesse, ne permettait ni en taille, ni en salubrité de les présenter dans de bonnes conditions.


5. Musée des Plans-Reliefs
Unique galerie aménagée en 1997
Photo : Didier Rykner
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6. Combles d’une galerie autour de la cour des Invalides
Anciennement (et prochainement ?) affectée au Musée des Plans-Reliefs
Photo : Didier Rykner
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Le changement de majorité politique l’année suivante et l’arrivée de François Léotard au ministère de la Culture changea la donne. Commencée politiquement sans réel souci des plans-reliefs, l’affaire se poursuivit politiquement sans plus d’égards pour la collection. Il fut décidé de faire revenir l’ensemble à Paris. Un bras de fer s’engagea alors entre le maire de Lille et l’Etat qui, après bien des rodomontades, se termina par la décision de laisser dans cette ville, qui ne savait même pas où les exposer, vingt-six maquettes, un nombre finalement réduit à seize, aujourd’hui présentées au Palais des Beaux-Arts dans une muséographie peu satisfaisante. A Paris, le projet de musée qui vit en 1997 l’inauguration d’une galerie contenant vingt-huit plans-reliefs (ill. 5), ne fut pas poursuivi. Les espaces destinés à ce musée sont désespérément vides (ill. 6) et si l’ensemble du dernier étage de la cour pourrait aujourd’hui être aménagé, certains espaces ont depuis été récupérés par l’armée. Les maquettes dorment en réserve (ill. 7) ou en caisses et la présentation pour un mois seulement au Grand Palais de quelques-unes d’entre elles qui n’avaient pas été vues depuis 1985 ne résout évidemment rien.

7. Réserves du Musée des Plans-Reliefs
Photo : Didier Rykner
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On ne sait qui il faut accabler le plus dans cette affaire. Jack Lang et Pierre Mauroy certainement, François Léotard sans aucun doute, ainsi que Jacques Chirac, qui jamais ne s’intéressèrent de près ou de loin à ces maquettes qui ne furent en définitive que les otages d’un jeu politicien. Chacun à sa manière aurait pu agir pour imposer la création de ce grand musée des Plans-Reliefs pour lequel seule manque la volonté politique.
La tentation est grande pour certains de disperser définitivement la collection en envoyant chaque maquette dans sa cité respective. Pour des raisons évidentes de conservation, mais aussi pour maintenir sa cohérence historique, c’est le contraire qu’il faudrait faire en rapatriant les plans-reliefs de Lille et, pourquoi pas, des quelques villes qui les ont récupérés au cours du temps. L’exposition ne dit d’ailleurs pas autre chose.
Celle-ci – qu’il faut, nous le répétons, aller voir, comme il faut aller aussi aux Invalides voir la seule galerie aménagée – aura-t-elle l’effet souhaité sur les candidats à l’élection présidentielle et notamment sur le prochain élu ? On aimerait le croire. On peut estimer à environ 20 millions d’euros le budget pour créer ce musée, une somme modeste si on la compare, par exemple, à celle des 60 millions (sans doute beaucoup plus) prévus pour la Maison de l’Histoire de France, ou même au 2,5 millions qu’a coûté l’exposition du Grand Palais.
On peut, aussi, mesurer ces vingt millions, au choix, à l’aune du budget du G20 organisé à Cannes les 3 et 4 novembre 2012 [3], ou de celui du Festival de Cannes dont la moitié est dû aux fonds publics [4], ou encore à trois fois le coût des vœux de Nicolas Sarkozy [5]. Vingt millions d’euros, pour faire revivre le Musée des Plans-Reliefs, ce n’est rien pour un Etat qui se respecte, même en temps de crise.

Commissaires : Eric Deroo, Max Polonovski, Isabelle Warmoes assistée d’Anaïs Alchus.


Collectif, La France en relief. Chefs-d’œuvre de la collection des plans-reliefs de Louis XIV à Napoléon III, RMNGP, 48 p., 9 €. ISBN : 9782722859351.


Informations pratiques : Nef du Grand Palais, avenue Winston Churchill, 75008 Paris. Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 20 h, le vendredi jusqu’à 22 h. Tarifs : 5 € (réduit : 2,50 €).

Site Internet.

Didier Rykner

Notes

[1Une grande partie des éléments de cet article est tirée de l’article Les plans-reliefs vingt ans après écrit par Guillaume Monsaingeon lors de la réédition en 2007 de l’ouvrage : N. Faucherre, G. Monsaingeon, A. de Roux, Les plans en relief des places du Roy, Adam Biro, 1989, 2007.

[2Ce plan, qui avait survécu aux bombardements de Berlin mais en très mauvais état, était alors en réserves.

[3Source : 20minutes.fr.

[4Source : Le Parisien.

[5Source : Le Canard Enchaîné du 1er février 2012.

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