Les leçons de l’interview de la ministre de la Culture

Passation de pouvoir le 6 juillet 2020
entre Franck Riester et Roselyne Bachelot
Photo : Ministère de la Culture
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Une interview de la ministre de la Culture sur La Tribune de l’Art. La chose en elle-même est suffisamment inédite pour la signaler. Non que nous n’ayons souhaité, à plusieurs reprises, interviewer les précédents ministres. Mais nos demandes n’ont jamais été acceptées. Une seule fois, nous avons pu rencontrer longuement un ministre en exercice : il s’agissait de Frédéric Mitterrand, mais ce n’était pas une interview, et celui-ci devait quitter son poste peu après.

Incontestablement, et nous avons déjà eu l’occasion de le dire, Roselyne Bachelot détonne. Pour une fois, nous avons un ministre de la Culture qui est à la fois une politique, connaissant parfaitement les rouages gouvernementaux, et quelqu’un de cultivé, s’intéressant réellement au patrimoine. Rappelons-nous sa visite à la cathédrale de Nantes lors de l’incendie survenu quelques jours seulement après sa nomination. Non seulement elle s’est rendue immédiatement sur place, mais elle a parlé tout de suite du tableau d’Hippolyte Flandrin disparu dans l’incendie, montrant non seulement qu’elle connaissait l’artiste, mais aussi qu’elle se désolait de cette destruction. Le genre de chose improbable avec Renaud Donnedieu de Vabres, Fleur Pellerin ou Franck Riester, pour ne prendre que trois exemples parmi une multitude.

Lors de notre entretien, et même si sur de nombreux points nous ne sommes pas d’accord, au moins Roselyne Bachelot a-t-elle montré qu’elle connaissait son sujet. Et contrairement à trop de politiques, elle n’emploie pas la langue de bois, et sait même avouer qu’elle n’est pas au courant de tout, dans les détails, ce que nous ne pouvons pas lui reprocher.
L’interview peut être lue ici, mais nous pensons qu’elle mérite un article la complétant et faisant le point sur les dossiers que nous avons abordés avec elle.

Bien qu’elle nous ait accordé environ une heure et quart, il nous était impossible d’aborder tous les sujets si nous voulions en approfondir quelques-uns. Ainsi, nous n’avons quasiment pas parlé de la question des restitutions, une affaire complexe et sur laquelle il est évident que le ministère n’est pas à la manœuvre. Roselyne Bachelot a montré qu’elle ne s’y opposait pas, ce qui est regrettable, mais cela mériterait un véritable débat, pour aller au fond des choses, et l’exercice ne s’y prêtait pas.

Nous avons pu constater sur quelques sujets que la ministre s’appuyait fortement sur ses services et les institutions qui dépendent de son ministère, et qu’elle leur faisait confiance. C’est tout à son honneur, mais dans certains cas, elle ne devrait pas. C’est notamment vrai pour le Louvre. Si elle a défendu celui-ci, c’est tout d’abord à travers ce que ses collaborateurs lui en ont dit. Or, il suffit de lire les nombreux articles, très documentés, que nous avons consacrés à la politique de son président, Jean-Luc Martinez, pour constater qu’il n’y a pas un seul problème, mais une multitude. Roselyne Bachelot nous a assuré que les réponses que le Louvre lui a faites parvenir nous seraient transmises. Cela nous permettra d’y revenir bientôt, notamment pour dénoncer une nouvelle fois des travaux en cours et à venir totalement inutiles et dispendieux, alors que le ministère doit venir à son secours pour compenser ses pertes liées au Covid.

Si la ministre nous a confirmé donner des instructions claires aux directeurs régionaux des affaires culturelles, et nous a dit leur laisser des marges de manœuvre, il faudrait éviter que ces marges de manœuvre aillent jusqu’à nuire à la politique culturelle en région. Nous avons décrit à la ministre ce que nous avons pu constater, notamment avec la DRAC Centre-Val-de-Loire, où il est impossible pour les collectionneurs privés de faire un don après le mois de septembre, la conseillère musée refusant de réunir la commission d’acquisition ou de faire jouer la commission permanente durant le dernier trimestre. Des dons promis à des musées ont donc dû être annulés, ce qui est totalement insupportable. La ministre découvrait ce problème, nous n’avons donc pas pu reprendre cette question dans notre interview, mais nous espérons qu’elle contribuera à sa résolution.

Nous regrettons que la ministre se soit montrée si peu intéressée par la question de la protection des décors des boutiques et restaurants, à l’occasion de la vente qui a eu lieu aujourd’hui même du décor du Café Barjot (voir l’article. Il est à cet égard invraisemblable que nous n’ayons reçu aucune réponse de la DRAC Île-de-France à nos interrogations, même pour justifier ce laisser-faire. Sur l’affaire du parc de Saint-Cloud (voir les articles), la ministre a avoué franchement qu’elle ne connaissait pas bien le sujet, celui-ci ayant été initié longtemps avant elle. Elle peut pourtant encore agir : la campagne de presse autour de ce scandale, dont le responsable est en grande partie le ministère lui-même, a permis d’interrompre les travaux. S’il ne sera pas possible de reconstruire le pavillon de garde, comme nous l’a dit Roselyne Bachelot, il faut savoir que celui-ci est encore debout, à peine entamé par les pelleteuses, et qu’il est encore possible de le sauver.

Il est également dommage que la ministre ne soit pas très motivée par la protection de la chapelle de Lille (voir les articles), qu’elle ne connaît pas de visu. Si peu motivée d’ailleurs, qu’elle a tenu à faire rajouter à l’interview qu’il avait « été considéré que les conditions d’un classement n’étaient pas réunies ». Or les seules personnes ayant considéré cela sont l’ABF et le directeur général des Patrimoines, Philippe Barbat. Il aurait fallu poser la commission à la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, ce qui n’a jamais été fait. Elle fait une fois de plus trop confiance à ses services, et à nouveau nous pensons qu’elle a tort et qu’elle devrait se rendre sur place ou au moins écouter les personnalités extérieures au ministère. Une instance de classement lui donnerait le temps d’instruire complètement ce dossier qu’il est impossible de traiter d’une manière aussi légère que l’a fait le ministère jusqu’à aujourd’hui. Tout cela est urgent, car il semble que la démolition soit imminente.

Sur d’autres dossiers, et cela constitue une véritable avancée, Roselyne Bachelot a montré qu’elle serait plus active. C’est notamment le cas du Conservatoire national d’Art dramatique (voir les articles) pour lequel elle s’est engagée à ce qu’il soit finalement classé. On ne saurait trop la féliciter pour ce point qui est pour nous essentiel, et qui témoigne incontestablement d’un nouveau succès dans nos combats. Nous serons attentif à ce qu’il soit prochainement inscrit à l’ordre du jour d’une prochaine Commission nationale du patrimoine et de l’architecture qui devra se prononcer à ce sujet.

Autre point intéressant : l’affirmation que la ministre se battra sur plusieurs dossiers brûlants. Elle a évoqué l’un d’entre eux, le quartier de la Butte-Rouge à Châtenay-Malabry, qui semble pourtant assez mal parti. Nous n’en avons jamais parlé, mais plusieurs articles sont disponibles dans la presse et sur le site de l’association Sites & Monuments.
Roselyne Bachelot a également parlé de la Maison du Peuple, un dossier que nous avons suivi de près (voir les articles), et de l’abbaye Saint-Vaast à Arras (voir les articles) qu’elle « surveille comme le lait sur le feu ». Lorsqu’elle affirme ne pas être opposée à l’installation d’un hôtel dans l’abbaye, nous avons compris qu’il s’agissait bien de l’autoriser mais de manière à ce que cela ne nuise ni au musée, ni aux bâtiments, ce qui exclut d’office le projet actuel. Mais pourquoi alors le ministère laisse-t-il celui-ci se poursuivre comme si de rien n’était ?

Sur la question des étangs de Corot, qui font l’objet actuellement de travaux très contestés par les associations de protection du patrimoine et de l’environnement, la ministre s’est montrée sincèrement préoccupée par le danger pour la population que ses services lui ont fait remonter, et qui mettrait en cause la responsabilité du ministère. Nous n’avons pas nous même étudié ce dossier de près, et nous ne pouvons donc prendre position. Nous renvoyons vers les articles parus sur ce sujet afin que chacun puisse se faire une idée.

Si la position de la ministre sur le financement du patrimoine par les deux taxes que nous proposons (taxe de séjour et pourcentage sur les mises de la Française des Jeux) ne nous satisfait pas - nous persistons à penser que ces taxes se justifient, sont neutres pour l’État et indolore pour les contribuables - et si la question des budgets d’acquisition, diminués par deux et qui n’augmentent pas, reste pendante, nous sommes en revanche satisfait de la promesse faite par la ministre de nous faire parvenir les dossiers correspondant à des œuvres ayant reçu un certificat d’exportation. Si elle fait là encore trop confiance à ses services qui nous avaient menti de manière éhontée (voir les articles), et si des extractions de la base de données sont, contrairement à ce qu’elle pense, tout à fait possibles, au moins pourrons-nous avoir accès à certains dossiers que nous voulions consulter. Roselyne Bachelot souhaite être parfaitement transparente dans la communication du ministère, et nous lui en savons gré.

Nous terminerons sur cette question qui inquiète aussi bien la ministre que nous-même : celle du devenir des châteaux privés, dont on constate qu’ils intéressent de moins en moins de monde, et qu’ils ne peuvent évidemment être tous pris en charge par l’État ou les collectivités territoriales. Si, pas davantage qu’elle, nous n’avons de solution toute trouvée à ce problème très grave pour l’avenir de notre patrimoine, nous sommes évidemment prêts à participer aux réflexions qui pourraient être faites sur ce sujet, et qui devraient être au cœur du travail ministériel dans les années à venir.

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