Le Théâtre du Châtelet vient d’être restauré

1. Théâtre du Châtelet
La salle de spectacle restaurée
Parade est le premier spectacle donné pour cette réouverture
Photo : Emilie Chaix/Ville de Paris
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« L’audace est au rendez-vous ». On frémit en entendant cette déclaration de Christophe Girard, adjoint au maire pour la culture, à propos de la restauration d’un édifice du XIXe siècle. Surtout à une époque où les flèches en verre sont à la mode, surtout dans une mairie qui semble considérer ses monuments historiques comme autant de poids morts (voir l’article). Le Théâtre du Châtelet rouvre ses portes après deux ans et demi de travaux. Mais attention : ce lieu ne doit pas « vivre dans le passé d’Haussmann et de Napoléon III ». Pourquoi l’avoir restauré alors ?
Qu’on le veuille ou non, ce bâtiment - inscrit à l’inventaire des Monuments historiques - date du Second Empire, édifié entre 1860 et 1862 par Gabriel Davioud à la demande du Baron Haussmann, tout comme le Théâtre de la Ville qui se trouve juste en face et qui lui aussi est en cours de restauration.

2. La galerie Joséphine Baker
Ancienne Galerie Adami
Fresque de Valerio Adami, 1989
Photo : Emilie Chaix / Ville de Paris
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Le Châtelet a donc été restauré sous la direction de Philippe Pumain [1], en collaboration avec Christian Laporte architecte du patrimoine. Le premier objectif était d’abord technique : il fallait revoir les conditions de sécurité, enlever l’amiante et le plomb, mettre aux normes les différentes installations. Finalement, le théâtre, en coulisses, est aujourd’hui à la pointe de la modernité.
La restauration était également patrimoniale. Dès le début néanmoins, il a été demandé aux architectes qu’elle soit « partielle » - donc économique. Elle a porté sur la façade, les toitures et les principaux espaces intérieurs. On se demande d’ailleurs, en écoutant l’adjoint au maire, si tous les décors méritaient d’être restaurés, porteurs qu’ils sont de scandaleuses « traces machistes ». Avec un certain goût pour l’anachronisme, Christophe Girard a pointé du doigt ces noms d’hommes - Jules César, Louis XIV et quelques autres personnages un peu connus - qui apparaissent dans les cartouches de la salle de spectacle (ill. 1). A-t-on songé à les punir, en les laissant cachés sous leur couche d’encrassement ? Peut-être. En fin de compte, ce « machisme » est compensé d’une autre manière : certaines pièces ont été rebaptisées. Que le « Studio B » devienne « Studio Anna Pavlova », fort bien. Les Salons Wagner et Debussy sont désormais appelés, l’un Nadia et Lili Boulanger, l’autre Barbara, c’est moins convaincant. Quant à la Galerie Adami, qui doit son nom à l’immense fresque de Valerio Adami, commandée en 1989 par Jacques Chirac lorsqu’il était maire de Paris (ill. 2), elle est devenue la Galerie Joséphine Baker ; on ne voit pas le rapport. Pourquoi un homme a-t-il été imposé au milieu de ces femmes ? Mystère. Mais Cole Porter, heureux élu, a donné son nom au Studio A.
Le budget de cette campagne de restauration a été raisonnablement dépassé : le coût des travaux était estimé 31,5 millions, il a finalement atteint les 32,8 millions d’euros, principalement financés par la Ville, et puis par une souscription publique lancée en 2017 et par le mécénat du groupe Accor dont le président-directeur général Sébastien Bazin est aussi président du conseil d’administration du Châtelet.


3. Théâtre du Châtelet
Les escaliers Chalet, installés en 1892
et supprimés à l’occasion de cette
campagne de restauration
Photo : Théâtre du Châtelet
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4. Théâtre du Châtelet
Les escaliers Chalet, installés en 1892
et supprimés à l’occasion de cette
campagne de restauration
Photo : Théâtre du Châtelet
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Dès l’entrée du théâtre une question se pose : où sont passés les escaliers Chalet mis en place en 1892, trente ans après l’inauguration du théâtre (ill. 3 et 4) ? De part et d’autre du péristyle et du vestibule, ils avaient pour mission de faciliter la circulation du public. Devenus inutiles, ils ont été supprimés par les restaurateurs soucieux de rendre son intégrité au lieu. Or, ces escaliers faisaient partie de l’histoire du bâtiment. Ils présentaient en tout cas un intérêt patrimonial puisque la Conservation des Monuments historiques a d’abord refusé qu’ils soient enlevés, avant de donner son accord, à condition que l’un des deux soit présenté ailleurs. Il le sera au Centquatre, où il devrait servir d’escalier de secours. Un choix « audacieux », ou consternant, selon les points de vue. Le sort du second escalier reste obscur.

5. Théâtre du Châtelet
Rampe et balustrade
dotée de tiges entre les balustres
Photo : NA / BBSG
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Dans le vestibule, on découvre les aberrations esthétiques que provoquent certaines normes de sécurité. Ainsi, un espacement minimum est obligatoire entre les barreaux d’une rampe ou d’une balustrade. La rampe de l’escalier qui permet d’accéder à la galerie supérieure étant composée de balustres en fonte, il était difficile de la mettre aux normes. Les architectes ont réussi à obtenir que dans l’escalier même, elle ne soit pas touchée ; mais au niveau de la galerie, elle est affublée de tiges intermédiaires parfaitement affreuses (ill. 5).

6. Théâtre du Châtelet
Avant-foyer
Le décor néo-pompéien a été restauré
Photo : NA / BBSG
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Au plafond, les lustres en bronze rappellent que le lieu fut d’abord éclairé au gaz. Ils ont été restaurés par un spécialiste de la lustrerie ancienne, situé à Montpellier.
Le XXe siècle avait appauvri la décoration générale. Les architectes ont retrouvé les ors du Second Empire et réussi à dégager le décor original d’esprit pompéien caché sous des couches successives de peintures : des panneaux de faux marbre ornaient les murs des escaliers principaux, des vestibules à différents étage, et de l’avant-foyer (ill. 6). Les plinthes et l’encadrement des portes en bois donnaient également l’illusion d’être en marbre.

La salle de spectacle représente évidemment la part la plus importante de cette restauration. Les vernis des balcons étaient opacifiés, ils ont retrouvé leurs éclats contrastés, certains étant dorés à la feuille d’or, d’autres à la peinture, sans doute par souci d’économie.
À l’époque, l’éclairage était assuré par des becs de gaz disposés au-dessus d’une vaste verrière. En 1898, l’électricité fut installée et un lustre monumental ajouté ; la verrière fut alors remplacée par des plaques de plâtre. Aujourd’hui, les architectes ont à la fois reconstitué la verrière et fait restaurer le lustre - démonté perle par perle, six mois de travail -, sans que l’on puisse affirmer que les deux ont cohabité.


7. Avant restauration
Les fausses loges ont été ajoutées lorsque le cadre de scène fut reculé en 1980
Photo : Philippe Pumain
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8. Après restauration.
Le cadre de scène est doté d’un nouveau décor qui remplace les fausses loges
Photo : NA / BBSG
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Restauration, reconstitution, interprétation, création, les différences sont essentielles et leur choix doit tenir compte des différents états qu’a connus un monuments au fil de son histoire. Le cadre de scène est un autre exemple : en 1980, il a été reculé de quatre mètres et demi. L’espace sur les côtés fut alors comblé par de fausses loges d’avant-scène. Il a été décidé de supprimer ces fausses loges, relativement récentes, et de créer un décor ex-nihilo, inspiré des motifs qui ornent le chambranle de la porte du Grand Foyer (ill. 7 et 8). Dans la salle, les murs étaient couleur framboise, ils sont rouges désormais, mais l’on n’a aucune certitude de la teinte d’origine.
Œuvre de Gérard Garouste, le rideau de scène n’a pas été changé.


9. Le Grand Foyer
Le papier peint est une création
et le chambranle de porte a inspiré le décor du cadre de scène
Photo : NA / BBSG
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10. Le Grand Foyer
Les oculi ont été dégagés et l’armature redessinée
Photo : NA / BBSG
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Le Grand Foyer a été repeint à différentes époques. Des analyses ont permis de retrouver le brun des chambranles des portes et leurs dorures ont été redessinées. Le décor des murs en revanche est une création. Deux papiers peints sont documentés pour cette pièce : l’un représenté sur une gravure en couleur n’est pas assez précis, peut-être s’agit-il d’une esquisse pour un projet qui ne fut pas achevé ; l’autre est reproduit en noir et blanc dans l’ouvrage de César Daly [2]. C’est à partir de ce second modèle que les restaurateurs ont conçu la décoration murale Grand Foyer. Ils ont repris les motifs, mais ont dû en inventer la polychromie (ill. 9). Par ailleurs, le budget ne permettait pas la confection d’un vrai papier peint, il s’agit d’une impression numérique. Une économie que d’aucuns présenteront sans doute comme audacieuse.

11. Le Foyer Nijinski
Un décor restauré et caché
Photo : bbsg
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Les oculi de la pièce avaient été occultés pour la réalisation de la fresque de Valerio Adami qui orne la galerie adjacente. Ils ont été rouverts avec l’autorisation de l’artiste et leur armature redessinée à partir de documents conservés dans les archives (ill. 10) .
Dans la galerie désormais appelée Joséphine Baker, et non plus Adami, le parquet a été remplacé par un sol en béton poli, plus proche de l’original, et les voûtes requalifiées par un surlignage des arêtes d’après des dessins originaux et les traces du décor retrouvé in situ (ill. 2). La façade sera dotée de candélabres pour éclairer la galerie.

À l’étage supérieur, le foyer Nijinski a retrouvé son décor d’origine. De l’audace toujours de l’audace : plutôt que l’admirer, il faut l’imaginer. Car il est soigneusement protégé et donc caché derrière des cloisons, la salle étant destinée à être louée pour des événements divers et variés. Le décor restera donc invisible pendant plusieurs années (ill. 11).


11. La terrasse
doté de sculpture allégoriques
créées à partie de photos anciennes
Photo NA / BBSG
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12. La terrasse
dotée de sculptures allégoriques
Photo : NA / BBSG
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De là, on accède à la terrasse, où quatre statues allégoriques trônaient sur la balustrade, couronnant la partie centrale de la façade : la Danse par Eugène Antoine Aizelin, le Drame par Louis-Valentin Elias Robert, la Comédie par E
Émile Chatrousse, la Musique par Jacques Marie Hyacinthe Chevalier. Elles ont disparu, déposées en 1892, lorsque les escaliers ont été percés, ou peut-être avant, lors de la Commune. Aucun dessin ne subsiste, aucun document, sinon des photos anciennes difficilement exploitables. Les architectes ont pourtant choisi de les faire reproduire, en essayant d’identifier tant bien que mal leurs attributs, leurs postures, les plis de leurs vêtements. Et le résultat, dû à un sculpteur appelé Viorel Enache, est affreux (ill. 12 et 13). Lançons donc un appel à témoins : quatre allégories monumentales ont disparu, la Danse,le Drame, la Comédie et la Musique ; il est urgent de les retrouver. . Qui sait, la chance sourit aux audacieux.

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