Le Petit Palais, avant-après

"Après restaurations et modernisation, le Petit Palais a donc retrouvé sa beauté originelle" (Gilles Chazal)

Nous écrivions il y a quelques jours, à propos de la réouverture du Musée du Petit Palais que « la propagande [avait] bien fonctionné ». Elle a même si bien marché que nous nous y sommes laissé prendre en affirmant que : « la grande réussite réside dans la réhabilitation totale du bâtiment construit par Charles Girault » [1]. Ceci est, hélas, totalement faux. Une lecture attentive de l’excellent livre publié par les Editions Nicolas Chaudun et Paris-Musée (Petit Palais. Chef d’œuvre de Paris 1900) et un nouvel examen du bâtiment et des photographies d’époque montrent qu’il n’y a pas eu de restauration du bâtiment. Bien au contraire celui-ci a été, sous de nombreux aspects, dénaturé. Les 72 millions d’euros ont été essentiellement consacrés aux nouvelles installations du musée. Il est temps de se pencher sur l’édifice qu’un aperçu trop rapide et une méconnaissance de son histoire nous ont conduit à juger « réhabilité ». Outre la juxtaposition de photos « avant » et « après », qui parlent mieux que de longs discours, nous étayerons notre démonstration d’extraits de l’ouvrage cité ci-dessus (en italique).

La façade

Elle constitue la partie la mieux conservée. Cependant, les huisseries métalliques des baies et les ferronneries ont presque toutes été peintes en gris, couleur jamais utilisée jusqu’ici, alors qu’elles étaient uniformément dorées à l’origine : « La dorure est très importante au Petit Palais en ce qu’elle est la seule couleur qui se détache en 1900 sur la pierre des façades extérieurs et sur le blanc des galeries. » [2] « Au Petit Palais, la couleur est discrète et se limite sur les façades extérieures aux seules grilles et balcons dont la ferronerie a été uniformément dorée. Seul le péristyle du jardin intérieur fait exception  » [3].

Le jardin et le portique (ou péristyle)


1. Détail du portique du Petit Palais
(au début du siècle)
Les guirlandes dorées sont en place
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2. Détail du portique du Petit Palais
(décembre 2005)
Les guirlandes ont disparu
Photo : D. Rykner
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On voit clairement ici qu’un élément important du décor du portique n’a pas été conservé : les guirlandes en métal qui pendaient entre les colonnes (ill. 1 et 2). « Entre chaque colonne ou double colonne, [Charles Girault] prévoit de suspendre des guirlandes florales en harmonie avec le décor du jardin.[...] Ces guirlandes sont dorées en "vieil or au bronze extra-fin" » [4].


3. Détail du portique du Petit Palais (au début du XXe siècle)
avec les groupes d’Enfants sculptés en bronze doré
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4. Détail du portique du Petit Palais (décembre 2005)
avec les groupes d’Enfants sculptés en bronze, sans dorure
Photo : D. Rykner
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Les groupes d’enfants en bronze (ill. 3 et 4) et de nombreux éléments décoratifs en pierre au dessus du portique étaient également dorés, « les groupes d’Enfants étant fondus et dorés après 1907  » [5]. Seuls les pot-à-feu l’ont été à nouveau. L’effet d’ensemble ne correspond plus à celui voulu par Charles Girault.

Le dôme de la rotonde

5. Façade du pavillon du péristyle
(au début du XXe siècle)
Les parties du toit en zinc sont peintes
en plombagine noire. L’épi de faîtage
et ses sculptures sont en partie doré,
ainsi que les sculptures des Renommées
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6. Façade du pavillon du péristyle
(décembre 2005)
Les parties du toit en zinc ne sont plus
peintes. L’épi de faîtage et ses sculptures
ne sont plus dorées. Seules les
sculptures des Renommées le sont
Photo : D. Rykner
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A première vue, le dôme central n’a pas été modifié. Cela n’est qu’apparent, et dû à l’absence de couleur du document de gauche (ill. 5 et 6). Les bandes en zinc qui alternent avec les ardoises et que l’on voit briller légèrement sur la photo de droite étaient recouvertes d’une peinture de plombagine de couleur noire et mate, ce qui donnait un effet très différent de l’état actuel.. Le sommet du dôme, avec ses figures sculptées et l’épi de faîtage, étaient en grande partie doré. « L’or relève surtout les faîtages et quelques points : la majeure partie des zincs est peinte à la plombagine en noir, ce qui donne des toitures noir et or au dessus de façades blanc et or. Par le décor et la dorure, Girault obtient un élan vers le haut et une plus grande légèreté  » [6].

Le rez-de-chaussée


7. Galerie du rez-de-chaussée sur la façade principale
(au début du XXe siècle)
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8. Galerie du rez-de-chaussée sur la façade principale
(décembre 2005)
Le sol a été rehaussé, le carrelage a disparu,
des faux-plafond cachent le plafond d’origine
Photo : D. Rykner
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C’est la partie qui a le plus souffert des récents travaux.
On voit, sur les deux clichés ci-dessus (ill. 7 et 8), à quel point l’architecture a été modifiée :
 le sol carrelé, dont l’exécution avait été profondément réfléchie par l’architecte et dont les dessins, signés de Girault, sont conservés aux Archives Nationales, ont été tout simplement éliminés. « Le journal L’Architecture publie les dessins de Girault pour ce carrelage [...], en conseillant aux industriels et aux artistes de s’en inspirer. [...] Les motifs inventés par Girault évoquent ce que chercheront les jeunes architectes européens du début du XXe siècle, tel Le Corbusier, dans l’art populaire : des compositions décoratives très simples mais originales [...] » [7].
 le niveau du sol a par ailleurs été rehaussé,
 le plafond, très moderne puisque construit en béton, ce qui constituait une véritable nouveauté pour l’époque, a été caché par des faux plafonds. Cela a également pour effet de ruiner la subtile élégance des arcs.

9. Salle dite "du champignon"
(au début du XXe siècle)
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Là encore, dans la salle dite « du champignon », le sol a été rehaussé et le carrelage supprimé. De plus, les oculi ont été très altérés, comme le prouve l’image ci-dessous (ill. 11) comparée à l’oculus bien visible sur la photo ci-dessus à gauche. Le système d’éclairage remplit complètement l’espace qui était creux avec un motif de grille.


10. Salle dite "du champignon"
(décembre 2005)
Le sol a été rehaussé, le carrelage a disparu,
les oculi ont été fortement modifiés
Photo : D. Rykner
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11. Oculus de la salle dite "du champignon"
(décembre 2005)
Photo : D. Rykner
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Le rehaussement du sol dont nous parlons ci-dessus, est général. On voit ici (ill. 12) le bas d’un des escaliers (eux aussi en béton) où la dernière marche est noyée dans le nouveau sol.


12. Bas d’un des escaliers menant du rez-de-chaussée
au premier étage (décembre 2005)
Photo : D. Rykner
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Le premier étage


13. Verrière de la galerie de peinture (sud)
au premier étage (au début du XXe siècle)
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14. Verrière de la galerie de peinture (nord)
au premier étage (décembre 2005)
Photo : D. Rykner
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On voit ici que les verrières de la galerie de peinture nord (ill. 14), la seule qui ait à peu près conservé son volume, ont été profondément modifiées. Elles affleurent à la surface du plafond, alors qu’il y avait un effet de profondeur, avec des corniches qui ont entièrement disparu (ill. 13 ; il s’agit ici de la galerie nord, mais elle était exactement symétrique à la galerie sud). Le décor des murs n’a pas été reconstitué (il était pourtant simple). La couleur des cimaises (qui étaient à l’époque rouge pompéïen) n’a pas non plus été respectée.
Quant à la verrière de la galerie sud (ill. 15), elle a purement et simplement disparu, comme le prouve la photo ci-dessous. Les volumes ont été surbaissés, plus rien de l’architecture originelle ne subsiste.


15. Verrière de la galerie de peinture (sud)
au premier étage (décembre 2005)
Photo : D. Rykner
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16. Nouvel escalier, percé dans la rotonde centrale
Photo : D. Rykner
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Le nouvel escalier, bien inutile, créé dans le hall d’accueil (ill. 16) a mutilé la mosaïque du sol. Par ailleurs, il a été placé juste devant l’entrée principale et perpendiculairement à son axe, ce qui est un non sens architectural.
On pourrait multiplier les exemples, ad nauseam. Les seuls points positifs sont la restauration de certaines mosaïques et quelques percements de baies qui avaient été bouchées. La conclusion s’impose : malgré tous les grands discours officiels, malgré les affirmations de Gilles Chazal, la réalité est là, indiscutable. Le bâtiment de Charles Girault a été dénaturé, à plusieurs niveaux. Nous avons reproduit des documents anciens, mais il y a deux ans, tout existait dans l’état d’origine. Qu’y a t’il de plus grave sur le plan de l’éthique que de défigurer un monument historique sous un prétexte artistique comme la création d’un musée ?

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Collectif, coordination scientifique : Gilles Plum, Le Petit Palais. Chef d’œuvre de Paris 1900, Paris-Musées et Editions Nicolas Chaudun, Paris, 2005, 272 p., 59 €, ISBN : 2-87900-876-X

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