Le mobilier du château de Sassenage vendu à l’encan par la Fondation de France

1. Château de Sassenage, Isère
Photo : Badhy, Wikimedia Commons
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Le 30 mai prochain à l’Hôtel Drouot, si rien n’est fait pour arrêter la vente, une partie importante du mobilier du château de Sassenage, en Isère (ill. 1), sera mise aux enchères.
Le vendeur n’est rien moins que la Fondation de France à qui cet ensemble avait été légué en 1971 par la marquise de Béranger, à charge pour la Fondation, par l’intermédiaire du Conseil international de la langue française, de maintenir le bien dans son intégrité et de l’ouvrir au public. Le Conseil Général de l’Isère, qui depuis cette date et en compagnie de l’Etat, a consacré un budget important aux travaux de restauration et d’entretien du château et du parc classé (20% pour le CG, 40% pour l’Etat), a publié vendredi 16 mai un communiqué de presse pour dénoncer cette affaire. Il y souligne que « Sassenage est l’un des rares châteaux dont les meubles et le décor sont en place depuis l’Ancien Régime : la valeur patrimoniale du bien est toute entière dans son intégrité, immobilier et mobilier ! [1]. »

Cette affaire en rappelle quelques-unes qui s’étaient bien terminées : la vente du mobilier du château de Randan, dans le Puy-de-Dôme, ancien domaine de Madame Adélaïde, sœur de Louis-Philippe, qui devait avoir lieu en mai 1999 et qui fut entièrement racheté par l’Etat pour y être déposé après restauration ; celle des objets contenus dans l’ancien Hôpital de Valenciennes (voir article du 13/6/05) ou, plus récemment au Royaume-Uni, celle de Dumfries Manor finalement sauvé grâce à l’intervention décisive du Prince Charles (voir brève du 29/6/07).
Le fait que la Fondation de France soit à l’origine de cette vente est particulièrement choquant. Rappelons que les objectifs de celle-ci sont d’aider « à concrétiser des projets à caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social ou culturel [2]. » comme elle l’indique sur son site Internet.


2. Attribué à Joachim Van Sandrardt (1606-1688)
Les Quatre Evangélistes
Huile sur toile - 133 x 183 cm
Classé Monument Historique
Château de Sassenage
Doit être vendu le 30 mai 2008 à Drouot
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Sur celui du château, on peut lire que « La magie des décors et des mobiliers du Château vous propulse dans le quotidien des illustres Bérenger-Sassenage, pour revivre dans leurs traces le Siècle des Lumières ». Parmi les tableaux mis en vente, plusieurs sont classés Monuments Historiques, notamment un paysage de Joos de Momper et Sébastien Vranx, une scène de bataille de Pieter Snayers, un tableau proche de Jacques Blanchard et reprenant une de ses compositions conservées au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux (Tobie rendant la vue à son père), deux toiles d’inspiration poussinesque attribuées à Jean Cotelle le jeune et un remarquable tableau caravagesque, attribué à Joachim Van Sandrardt (ill. 2).
Outre les tableaux, des céramiques, des armes anciennes, de l’argenterie et un très important mobilier - fauteuils, chaises, commodes (ill. 3), etc. d’époque Louis XV et Louis XVI, souvent estampillés - seront vendus (le catalogue de la vente peut être consulté ici). Selon Jean Guibal, conservateur en chef du patrimoine et directeur de la Culture et du Patrimoine de l’Isère, la vente de la bibliothèque est également planifiée.


3. Jean-François Hache (ébéniste grenoblois)
Commode époque Louis XV
85 x 127 x 67 cm
Classée Monument Historique
Château de Sassenage
Doit être vendu le 30 mai 2008 à Drouot
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Nous avons joint Mme Dominique Lemaistre, directrice du mécénat à la Fondation de France. Celle-ci nous a expliqué que la Fondation de France n’était pas directement bénéficiaire du legs puisqu’elle ne l’avait accepté que pour le compte de l’association qui l’a géré pendant trente ans (à travers un bail amphytéotique). Cette dernière ne pouvant plus entretenir le domaine l’a rendu en 2002 à la Fondation de France qui, après avoir fait l’inventaire du mobilier et avoir entièrement « reconçu » la muséographie, a décidé de « rééquilibrer la gestion en vendant une série de meubles pour recapitaliser la fondation qui, sous son égide, finance le domaine ». D’après Dominique Lemaistre, les décapitalisations successives, utilisées pour effectuer des travaux sur le bâtiment, ont réduit ce capital à seulement 1,5 million d’euros [3]. Elle nous a également indiqué que les objets mis en vente n’étaient pas exposés depuis la réouverture et que ce qui meuble aujourd’hui le château est d’une valeur comparable. En outre, la Fondation de France : « a demandé à l’Etat dans quelles conditions ces meubles ont été classés sachant que la Fondation de France ne conserve aucune demande de classement ».

La position de la Fondation de France semble difficilement tenable pour plusieurs raisons. Ce legs, même s’il devait être affecté à l’association du Conseil international de la langue française, a bien été fait directement à la Fondation de France, légataire universelle. Le testament manifestait clairement l’intention de la marquise : « Je veux qu’il ne soit changé dans l’ordonnancement de Sassenage que le minimum de choses (…), le rez de chaussée et le premier étage devront être conservés dans leur état et pourraient avoir une destination de musée. » Comment cette clause est-elle compatible avec les modifications importantes de la muséographie que nous a signalées Dominique Lemaistre ? On peut d’ailleurs douter que les meubles proposés à la vente soient réellement conservés en réserve comme elle l’affirme (et d’ailleurs, peu importe). Le Conseil Général, par la voix de Jean Guibal, est catégorique en affirmant que l’essentiel de celui-ci était bien exposé. Selon Jean Guibal : « Ce sont les bijoux de la couronne qu’ils vendent, ce sont les plus beaux meubles » La consultation des photos et de la visite virtuelle du château proposées sur son site Internet [4], prouve que de nombreux objets vendus étaient bel et bien présentés au moment du legs.
Le Petit bureau en bois noirci (cat. 177) est exposé dans la chambre du roi comme l’est le buste de Louis XIV en marbre (cat. 171). Quant à l’ensemble de fauteuils, il ressemble furieusement à une partie du lot catalogué sous le n° 199, classé Monument Historique... Dans le Salon du château, le canapé constitue le cat. 185 et dans le Salon de musique, l’ « exceptionnel Buffet » en noyer, travail non signé de Hache, est le cat. 200. On voit également dans cette pièce le Tobie de l’entourage de Blanchard, la toile attribuée à Sandradt (ill. 2) et le grand tableau de bataille de Pieter Snayers (cat. 7). Dans la Chambre de Madame, le secrétaire estampillé Caumont est le lot 213.

Entre la Fondation de France et le Conseil Général, la communication semble difficile. Dominique Lemaistre affirme que la première a proposé au second, à deux reprises (il y a environ quatre ans et il y a une semaine) de lui céder l’intégralité du domaine et les revenus afférents. Jean Guibal affirme qu’il n’en a jamais été question, et qu’il paraît difficile d’envisager sereinement une telle solution alors que le Conseil Général n’a, selon lui, été averti de la vente que par la presse.
Devant cette situation inadmissible, l’exécuteur testamentaire de la marquise de Béranger, soutenu par le Conseil Général de l’Isère, a déposé un recours en annulation devant le tribunal de Paris. Malheureusement, celui-ci ne porte que sur une vingtaine d’objets, ceux classés et quelques autres d’intérêt régional, ce qui semble très insuffisant. L’intégralité du mobilier du château devrait être conservé intact.
On attend avec impatience la réaction du ministère de la Culture. Il s’agit d’un problème qui pourrait se produire dans d’autres monuments historiques privés, pas forcément protégés par des clauses testamentaires. La vente d’un mobilier entier, séparé ainsi définitivement de son environnement historique, constitue toujours une perte irrémédiable pour le patrimoine qui ne peut être acceptée.

Lire également ce communiqué de M. Hubert Joly, secrétaire général du Comité International de la Langue Française (mis en ligne le 26 mai 2008)

English version

Didier Rykner

Notes

[1Mis en gras dans le communiqué.

[2C’est nous qui soulignons.

[3Dominique Lemaistre nous a indiqué également que la vente du mobilier n’était qu’une des actions prises pour recapitaliser (notamment de la recherche de mécénat...). A l’origine, le legs comportait également contenait également un château meublé et des fermes représentant plusieurs centaines d’hectares en Bretagne, un appartement de Paris dans le XVIIe arrondissement et divers appartements locatifs à Grenoble, et des avoirs bancaires. Le tout a été vendu pour constituer un capital qui devait servir à l’entretien. On s’interroge tout de même sur le mode de gestion de ce domaine qui a consisté à décapitaliser la somme initialement placée. Lorsque le produit des enchères aura à son tour été dépensé, que faudra-t-il encore vendre ?

[4Ces photos, d’après Dominique Lemaistre, datent d’avant la fermeture de 2006.

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