Le maire de Paris prêt à sacrifier les Serres d’Auteuil

1. Vue des Serres d’Auteuil
Au fond, la grande serre de Camille Formigé
Photo : Didier Rykner
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Ceux qui ne connaissent pas encore les Serres d’Auteuil (ill. 1) doivent se hâter de découvrir ce lieu magnifique, à la fois riche en patrimoine historique avec ses serres construites en 1897 par l’architecte Camille Formigé, et en patrimoine naturel avec son extraordinaire collection de plantes et fleurs.
Ils doivent se hâter car le maire de Paris, Bertrand Delanoë, envisage sans broncher de céder ce lieu à la Fédération Française de Tennis dont on sait qu’elle souhaite s’étendre pour assurer à Roland-Garros de demeurer un des tournois du grand chelem avec Wimbledon, l’US Open et l’Open d’Australie. Or, les solutions pour agrandir Roland-Garros sur place ne sont pas nombreuses. Soit il empiète sur le bois de Boulogne, ce qui a déjà, à raison, occasionné une levée de boucliers, soit il s’agrandit en annexant les serres d’Auteuil. Soit enfin il quitte Paris intra-muros pour s’installer à quelques kilomètres de la capitale, Marne-la-Vallée par exemple étant un des candidats pour cette reprise.


2. Plan des Serres d’Auteuil
situé à l’entrée du jardin
Photo : Didier Rykner
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3. Camille Formigé (1845-1926)
A gauche, la grande serre côté Orangerie
à droite, serre des azalées
Paris, Serres d’Auteuil
Photo : Didier Rykner
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4. Orchidées tempérées
Serres chaudes
Photo : Didier Rykner
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Pour bien comprendre de quoi il retourne, il est indispensable de regarder le plan du jardin (ill. 2) dont le sol est entièrement inscrit. Au centre, en bleu légèrement foncé, on voit les serres historiques de Formigé, cinq bâtiments inscrits aux monuments historiques (ill. 3). Juste à côté, en bas à droite du plan, se trouvent les « serres chaudes » et un « bâtiment technique ». Les serres chaudes, construites dans les années 1980 et récemment restaurées comme le reste du site n’ont certes pas d’intérêt architectural majeur mais conservent des plantes rares dont des collections d’orchidées (ill. 4). Certains de ces végétaux sont d’ailleurs menacés dans leur habitat naturel. Le bâtiment technique est aussi une serre servant à stocker provisoirement des plantes cultivées à Rungis et utilisées pour les décorations florales des mairies d’arrondissement ; en sous-sol se trouvent les vestiaires, les douches, les locaux sociaux et les locaux techniques nécessaires au fonctionnement du jardin.
Enfin, tout en bas du plan se trouvent des bâtiments d’exploitation (ill. 5) également inscrits, qui servent de hangar aux jardiniers, notamment pour ranger leur matériel et leurs machines.


5. Bâtiments d’exploitation
Paris, Serres d’Auteuil
Photo : Didier Rykner
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6. Projet de la mairie de Paris
pour l’agrandissement de Roland-Garros
au dépend des Serres d’Auteuil
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Imaginons donc ce que deviendraient les Serres d’Auteuil si le projet de la Mairie de Paris était mis en œuvre. Cela n’est guère compliqué car nous avons pu nous procurer, grâce à une source fiable, un document interne qui décrit le projet de manière assez détaillée [1] (ill. 6). Ce plan a été confirmé oralement au personnel des serres.
Il s’agit donc tout simplement de supprimer les « serres chaudes » et le « bâtiment technique » pour les remplacer par un cour de tennis de 3 000 places, qui pourra être agrandi grâce à des gradins amovibles permettant d’accueillir 7 000 personnes pendant le tournoi. Les plantes conservées dans ces serres devront donc quitter les lieux, tandis que les locaux situés sous le bâtiment technique disparaîtront. Les bâtiments d’exploitation seront par ailleurs annexés pendant toute la durée du tournoi pour créer un espace « relations publiques ».

7. Pavillon de l’entrée principale
Paris, Serres d’Auteuil
Photo : Didier Rykner
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La conséquence de ce projet est simple : la mort programmée des serres d’Auteuil. Outre que celles-ci ne pourront plus fonctionner normalement, privées d’une grande partie de leurs plantes et des locaux indispensables pour que les jardiniers exercent leur travail, on imagine le résultat de la fréquentation par plus de 7 000 personnes simultanément sur ce lieu extrêmement fragile. Il s’agit d’un jardin précieux qui n’est pas dimensionné pour accueillir une telle foule, et encore moins des gens qui ne sont évidemment pas là pour admirer les plantes. On se demande par ailleurs ce que deviendra la chaufferie qui alimente en eau chaude les serres et qui est classée Seveso. Elle devra probablement être détruite pour construire le terrain de tennis. A terme, il est évident que les serres seront définitivement annexées par Roland-Garros et la Fédération Française de Tennis.
Le projet ne date d’ailleurs pas d’aujourd’hui. Ce n’est sans doute pas pour rien que la Direction des Parcs et Jardins, qui était hébergée dans les pavillons d’entrée du parc (ill. 7), a déménagé il y a environ deux ans. Pas pour rien non plus que les Serres n’ont plus aujourd’hui de crédit pour organiser des expositions.

Nous avons demandé à la Mairie de Paris comment une telle chose était possible, mais aucune réponse ne nous a été apportée. Le maire du XVIe arrondissement, Claude Goasguen (UMP) serait opposé à cette folie, mais il est contraint au silence : en effet – et cela est confirmé par des sources bien informées – Nicolas Sarkozy et Bertrand Delanoë, qui ont déjeuné ensemble le 9 juin 2010, ont conclu un accord tacite prévoyant que le maire de Paris supporterait le président de la République dans son projet de Grand Paris, tandis que ce dernier laisserait Bertrand Delanoë remodeler à sa guise cette partie du XVIe arrondissement. Il vient en effet de raser les tribunes Art Déco du stade Jean Bouin pour livrer celui-ci aux appétits du Stade Français et de son président Max Guazzini – par ailleurs ami très proche du maire de Paris – et s’apprête à laisser détruire la Piscine Molitor (sujet sur lequel nous reviendrons bientôt).
Yves Contassot, conseiller de Paris du parti des Verts, est évidemment très remonté contre le vandalisme que s’apprête à mener la Mairie de Paris sur les Serres d’Auteuil. Il nous a fait la déclaration suivante : « Entre le saccage des Serres d’Auteuil et le départ de Paris de Rolland Garros les Verts n’hésitent pas. A l’heure où l’on parle du Grand Paris, vouloir conserver le tournoi à tout prix est un non sens égoïste. Il s’agit d’une atteinte grave au patrimoine parisien. Abimer de manière irréversible le jardin botanique de Paris pour un stade de tennis utilisé pendant quinze jours par an est scandaleux. Il est évident qu’on mènera la bataille juridique et politique. On se trouve sur un site inscrit. Il faudra aussi des recours d’association. »

Nous aurons bientôt l’occasion de revenir sur plusieurs projets de la Mairie de Paris très inquiétants pour l’urbanisme et le patrimoine parisien. Bertrand Delanoë semble vouloir revenir aux pires années de la présidence de Georges Pompidou qui a largement contribué à défigurer la ville. Ce n’est sans doute pas pour rien qu’une cellule au sein de l’Hôtel de Ville, chargée des nouveaux projets d’urbanisme et rattachée directement au maire, est appelée en interne « les bétonneurs ». Il est urgent de réagir face à ces menaces. Signalons qu’une pétition vient d’être mise en ligne pour sauver les Serres d’Auteuil qui a recueilli plus de 2500 signatures en à peine cinq jours. Bien sûr, nous invitons tous nos lecteurs à la signer et à la faire circuler. Rien n’est perdu car la Fédération Française de Tennis n’a pas encore pris sa décision. Une forte mobilisation pourrait la faire reculer.

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