Le droit d’auteur au temps du coronavirus

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Cette crise sanitaire inédite, qui bouleverse totalement notre quotidien et notre manière même de vivre et de travailler, aura il faut l’espérer des conséquences positives à moyen et long terme. Je ne parle pas ici de celles, qui sortent totalement du champ de La Tribune de l’Art et qui concernent par exemple l’incroyable abandon de notre système de santé public, dénoncé régulièrement par les plus grands médecins devant des politiques toujours plus indifférents.

Mais beaucoup concerneront notre domaine, et notamment la question du droit d’auteur dont la loi fait évidemment un usage abusif. S’il est naturel que les créateurs puissent vivre de leur production, et que leurs enfants puissent en profiter après leur mort pour une durée raisonnable (trente ans serait sans doute un terme acceptable), les délais actuels de 70 ans après la mort de l’auteur, l’extension qui a été faite récemment du droit voisin (c’est-à-dire du droit des interprètes musiciens) de 50 à 70 ans après l’enregistrement, est un système totalement disproportionné. Il interdit notamment aujourd’hui de partager sur les réseaux des œuvres qui ne profitent à pratiquement personne, et certainement pas à leurs créateurs, aux dépens de tous ceux qui pourraient en bénéficier gratuitement.

Mais, surtout, cette question du droit d’auteur devrait être révisée drastiquement pour tout ce qui est produit par un service public. Un seul exemple d’actualité démontre le scandale que constitue la confiscation au profit d’un seul organisme des travaux effectués grâce à l’argent des contribuables. Il s’agit du Centre national d’enseignement à distance qui est pourtant un établissement public ! Or, celui-ci considère (et la loi le soutient) que ses contenus sont protégés par le droit d’auteur. Il interdit ainsi, à l’heure où l’éducation à distance devient primordiale, de télécharger et de mettre ses documents à disponibilité de tous, sur d’autres sites. Certes, il permet l’accès, gratuitement, sur inscription, mais en raison du grand nombre de connections, son site est souvent inaccessible. Cette situation est insupportable et inacceptable. Il est urgent que son contenu puisse être partagé largement pour être disponible pour tous.

De même, nous dénonçons depuis longtemps, outre les droits abusifs sur les photos d’œuvres d’art, les restrictions dans la diffusion des articles ou des revues spécialisées d’histoire de l’art. Si le droit d’auteur devrait jouer à plein, chacun sait qu’aucun historien de l’art ne fait fortune avec ses articles savants et que la plupart des revues ne peuvent vivre que grâce aux subventions publiques. Que les numéros les plus récents soient réservés aux abonnés, chacun peut le comprendre. Mais que des revues comme La Revue de l’Art ne puissent pas, au bout de trois ou quatre ans, être diffusées en ligne complètement, avec les images et certains articles, parce qu’on n’a pas réussi à demander l’autorisation à leurs auteurs (ou parce que ceux-ci ne veulent pas), alors que les droits d’auteur qu’ils en tirent aujourd’hui sont proches de zéro, est absurde. À l’heure où les bibliothèques sont fermées, il est difficile de se procurer certains textes dont ont pourtant besoin les historiens de l’art et les étudiants.

Il faut ainsi saluer l’initiative prise par quelques-uns de créer, sur Facebook, un groupe intitulé La bibliothèque solidaire du confinement et qui a pour objet de partager, pour ceux qui en ont besoin, des ouvrages ou des articles de fonds. Si beaucoup ne sont plus soumis au droit d’auteur, il est certain que celui-ci ne sera pas toujours respecté. Mais il s’agit là de travaux scientifiques qui ne rapportent rien à ceux qui les ont écrits, qu’on les mette ou non en accès gratuit. Il n’est pas question d’y partager les derniers romans ou les ouvrages les plus récents, ce qui constituerait effectivement du piratage, mais des textes que l’on trouve habituellement dans les bibliothèques universitaires désormais inaccessibles.

Pour terminer, et pour anticiper certaines critiques, La Tribune de l’Art est devenue entièrement payante pendant cette période de confinement pour une raison simple : nous devons faire vivre une entreprise privée, employant cinq personnes, et nos articles sont avant tout de l’information. En revanche, tous les articles de fonds, comparables à ceux que l’on peut trouver sur les revues scientifiques, restent d’accès libre à cette adresse.

Le ministère de la Culture vient de lancer une page « Culture chez nous », pour recenser l’offre numérique que lui-même et ses opérateurs proposent. C’est une bonne initiative, mais il faudra qu’il l’étende encore à ceux qui se réfugient derrière une conception rétrograde du droit d’auteur.

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