Le château de Saint-Brisson : vendu puis partiellement vidé

1. Vue du château de Saint-Brisson
Photo : Saint-Brisson sur Loire
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« Après moi le Déluge », c’est la devise de certaines municipalités qui raclent les fonds de tiroir ; cherchant des rentrées d’argent à court terme par tous les moyens, elles croient sauver les meubles en vendant les bijoux de famille.
Ainsi la mairie de Saint-Brisson, se débarrasse de son château (ill. 1) : après l’édifice, c’est une partie de son contenu qu’elle vend. Trois jours d’enchères à Gien du 4 au 6 octobre, pour « liquider » (au sens de « transformer en liquidités » ?) les œuvres conservées dans ce monument. La promotion de cette vacation est d’ailleurs l’occasion d’un exercice d’équilibriste : les lots proposés sont de belle qualité - il faut appâter les acheteurs - mais pas trop quand même – il ne faut pas énerver les défenseurs du patrimoine. Attention, il ne s’agit pas de « démeubler le château » précise le commissaire-priseur, Jean-Claude Renard, mais de vendre les divers objets « trouvés » dans les meubles et les greniers. Oh, apparemment rien de bien extraordinaire : des bibelots, répartis en plusieurs centaines de lots, parmi lesquels un lustre en bronze et porcelaine de Bayeux (ill. 2) à décor de fleurs épanouies dans le style Imari, qui date de la période Langlois, vers 1840 (4 000 – 5 000 euros) ; on compte aussi deux chenets en bronze ciselé et doré, ornés l’un du profil d’un homme coiffé d’un casque à cimier, l’autre d’un profil de femme, un travail français ou lorrain de la première moitié du XVIIIe siècle (3000 - 5000 euros). Parmi les chinoiseries, un paravent, des vases en porcelaine, des coupes en jade ou décorées d’émaux cloisonnés, des soies brodées… De belles dentelles également et puis quelques tableaux : une Kermesse villageoise attribuée à Martin van Cleve (1527-1581), des natures mortes du XVIIe siècle ou encore des miniatures…

2. Lustre à six branches
Bronze ciselé et doré et porcelaine de Bayeux
Période Langlois, vers 1840.
H. 80 cm, D. 53 cm
Vente du château de Saint-Brisson
Photo : SVV Jean-Claude Renard
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Comme à Hauteville (voir les articles), tous ces objets ont été accumulés par la même famille, depuis près de 440 ans… Ils font donc partie intégrante de l’histoire de l’édifice, de la famille, de la région. Une assiette en faïence de Gien par exemple, représente le château de Saint-Brisson (ill. 3), tandis que les armes de la famille se retrouvent un peu partout, sur un très beau coffret renfermant un nécessaire de voyage, des linges, un missel de mariage...
La valeur de ces œuvres est liée non seulement au lieu auquel elles appartiennent, mais aussi au fait qu’elles forment un ensemble. Les vendre séparément, c’est les perdre deux fois. On découvre ainsi des couverts en argent ou des carafes en cristal dispersés en plusieurs lots…

Rappelons que le château de Saint-Brisson [1] n’est pas un monument mineur : il appartenait depuis 1567 à la famille du célèbre chancelier Séguier. Il fut légué à la commune en 1987 par la dernière descendante, la marquise Anne Ranst Berchem, et fut en 1993 inscrit monument historique. C’était un pari d’accepter ce legs, l’édifice étant alors en mauvais état. Mais une association des Amis (ACSB [2]) s’est créée, qui comptait d’ailleurs des membres de la municipalité. Sa mission : la sauvegarde, la restauration et la promotion du château. Pendant près de 30 ans, elle a œuvré pour le remettre en état, restaurer plusieurs de ses pièces, organiser des visites guidées et des événements culturels, notamment des spectacles de machines de guerre médiévales qui ont attiré beaucoup de monde. Malheureusement, après un accident provoqué par l’une des machines en 2010, la mairie a souhaité un cadre juridique plus strict et imposé une Délégation de service public. L’association des amis s’est engagée dans la DSP et à partir de 2011, elle a dû assumer toute la gestion du château, tandis que la commune de Saint-Brisson restait propriétaire. Il a fallu transformer son action pour la défense du patrimoine en une activité rentable. L’association a tenté d’alerter la DRAC et même le ministère de la Culture. Finalement au moment de renouveler la Délégation de service public, l’ACSB a décidé de ne pas répondre à l’appel à candidatures lancé par la municipalité. Jean-Claude Bourgoin, son président, signale avec une certaine amertume qu’il ne manquait que 30 000 euros par an pour fonctionner. Nous avons tenté de contacter le maire Claude Pléau qui ne nous a pas répondu.


3. Coupe creuse ornée d’une vue du château de Saint-Brisson
et sur l’aile les armoiries du marquis de Saint-Brisson, 1870
Faïence de Gien
Amable-Étienne Marois peintre à la Faïencerie de Gien
Pièce de commande unique.
Faïence - D. 18 cm
Vente du château de Saint-Brisson
Photo : SVV Jean-Claude Renard
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4. Attribué à Louis Dorigny
Vénus et Adonis
Huile sur toile - 235 x 253 cm
Vente du château de Saint-Brisson
Photo : SVV Jean-Claude Renard
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Finalement le château a été sorti du domaine public pour être vendu. Lancelot Guyot, fondateur de la société « Tous au château » s’est porté acquéreur. Sa bonne volonté est indéniable : il affirme vouloir racheter des édifices dont l’entretien est trop lourd pour les collectivités locales, afin de les valoriser et de faire revenir le public. Là encore, le patrimoine devient un bien nécessairement rentable. Quoi qu’il en soit, le nouveau propriétaire prévoit la réouverture de Saint-Brisson aux visiteurs le 1er juin 2016. Mais aura-t-il les moyens de ses ambitions ? Il a acheté le bâtiment 500 000 euros environ, payables sur vingt ans, et verse donc 25 000 euros par an à la municipalité que les ricaneurs féliciteront pour ce joli coup financier.
Aujourd’hui, la mairie souhaite vendre le contenu du bâtiment dans l’espoir sans doute de grappiller encore quelques sous. Devant les protestations, notamment de l’association des amis, il a été décidé de garder le mobilier et les tableaux les plus importants et de ne vendre « que » les « petits » objets. Certes, la salle à manger, inscrite à l’inventaire des monuments historiques, ne sera pas dépouillée. Mais la vente inclut une grande toile, Vénus et Adonis (ill. 4), qui était restée roulée dans un coin : elle est attribuée à Louis Dorigny, le fils de Michel, peintre qui fit une grande carrière de décorateur en Italie, notamment à Venise (on trouvera sur ce site deux articles, l’un sur la rétrospective organisée à Vérone, et l’autre sur son décor pour la Ca’ Zenobio, accompagné d’une vidéo). Cette peinture, si elle s’avère effectivement de Dorigny - ce qui semble très probable - est une rareté en France où aucun tableau certain de cet artiste d’origine française ne semble conservé. Sa vente (sur une estimation faible, 15 à 20 000 €) serait une perte non seulement pour le château, mais aussi pour le patrimoine de notre pays.
Le mobilier qui reste sur place est mis à disponibilité du propriétaire pendant un an, pour un prix qui a été âprement négocié : Lancelot Guyot n’ayant pas les moyens de payer 2000 euros, a fait baisser la somme à 500... Le problème n’est donc que reporté grâce à une procédure tout de même très étrange. Quant au mobilier du salon « chinois », il appartient au Conseil Général ; on imagine qu’il voudra le récupérer…

La démission de Christian Auger, conseiller municipal, confirme que ces deux ventes n’ont pas été organisées sans heurt. Il explique les raisons de son départ dans un article publié sur le site de larep.fr, le 21 septembre 2015, dénonçant notamment la manière dont cette vente s’est décidée et le choix des objets à vendre.
Cette histoire contribuera sans doute à décourager les propriétaires de monuments et de collections d’en faire don à leurs concitoyens. Elle montre aussi que certaines municipalités considèrent leur patrimoine comme un fardeau dont il faut se débarrasser, le ministère de la Culture préférant souvent regarder ailleurs. Cela changera-t-il avec la loi patrimoine actuellement en discussion ? Sans volonté politique d’imposer quoi que ce soit aux maires, rien n’est moins sûr...

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