Le château de Montal rouvre ses portes

« Plus d’espoir ». La devise de Jeanne de Balsac a deux significations possibles et opposées. Elle est inscrite dans la pierre, sur la façade du château de Montal, chef-d’œuvre de la Renaissance dont le décor sculpté accentue cette ambiguïté entre persévérance et découragement. Les allégories du Désespoir - qui se transperce la poitrine (ill. 1) - et de la Folie - agitant ses grelots - côtoient en effet deux des vertus cardinales, la Prudence et la Force portant un dragon et une colonne brisée (ill. 2), tandis que la Fortune, en équilibre sur une sphère, tient le timon d’un navire. Rien n’est perdu.


1. Façade du château de Montal
Troisième lucarne
Allégorie du désespoir
Photo : CMN
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2. Façade du château de Mntal
Allégorie de la Prudence
Photo : CMN
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Fermé pendant dix-huit mois, le château rouvrira ses portes le 9 juillet prochain. Après la restauration des menuiseries en 2007 et l’assainissement de la chapelle en 2013, la nécessité en 2015 de mettre aux normes l’électricité a entraîné la restauration de quelques objets d’arts et pièces de mobilier, mais surtout des brocatelles qui ornent les murs des pièces de l’étage noble, derrière lesquelles passent les fils électriques (ill. 3 et 4). Ces étoffes de soie et de lin, dotées de motifs satinés en relief sur un fond plat et mat, sont d’origines et d’époques diverses ; elles furent réunies et mises en place par le dernier propriétaire, Maurice Fenaille. Or, elles étaient par endroits en très mauvais état, au point qu’on a hésité à entreprendre leur restauration. Celle-ci a finalement été réalisée in situ, afin d’éviter leur dépose : il a fallu les dépoussiérer, reprendre les déchirures, nettoyer les auréoles, les consolider en ajoutant un tissu de support, poser un voile de recouvrement, simple tulle de protection, moins visible et beaucoup plus esthétique qu’une vitre en plexiglas. C’est le parti pris général de la scénographie : pas de barrière d’éloignement pour protéger le mobilier, et c’est bien agréable.


3. Salle d’honneur du château de Montal
avant les travaux
Photo : CMN / Benjamin Denis
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4. La restauration des brocatelles
au château de Montal
Photo : CMN
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L’objectif est de laisser les visiteurs déambuler dans les salles, et dans le jardin désormais accessible, de leur donner l’impression de pénétrer dans un lieu habité. Habité non pas à l’époque de sa commanditaire, Jeanne de Balsac ; il aurait fallu pour ce faire inventer tout le décor puisqu’on ne conserve rien du XVIe siècle si ce n’est le plafond de la garde-robe avec ses caissons losangés. Pascale Thibault, l’administratrice, en accord avec Delphine Christophe, nouvelle directrice de la conservation des monuments et des collections du CMN, a choisi de reconstituer l’état des lieux au temps de Maurice Fenaille qui y vécut au début du XXe siècle. Le mobilier est donc très hétéroclite, d’époques, d’écoles et de styles différents. C’est l’esprit d’une collection qui est préservé. Parmi les œuvres notables, des tapisseries du XVIIe siècle appartenant à la série des amours de Gombaut et Macée sont dispersées dans plusieurs pièces. Elles n’appartiennent pas toutes au même tissage, l’une d’elle La Danse, a été réalisée à Bruges, d’autres à Aubusson. Ce thème pastoral en vogue dès le XVIe siècle est un prétexte pour décliner les activités campagnardes associées aux âges de la vie ; la dernière pièce qui représente la mort était plus rarement tissée, les commanditaire n’ayant pas particulièrement envie de l’avoir sous le nez.
Rappelons que Maurice Fenaille, industriel qui fit fortune dans le pétrole, fut aussi un mécène et grand amateur d’art, proche de Rodin - comme en témoignent les portraits de son épouse sculptés par le maître - spécialiste de la gravure du XVIIIe et de la tapisserie - il publia un État général des tapisseries de la manufacture des Gobelins depuis son origine jusqu’à nos jours. Il fut aussi le sauveur de Montal.


5. Vue du château de Montal
Photo : CMN / Philippe Berthé
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6. Vue de la façade côté cour
du château de Montal
Photo : CMN / Phlippe Berthé
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Le château fut édifié à partir de 1519 par Jeanne de Balsac à l’emplacement de l’ancien château de Saint-Pierre (ill. 5). Après la mort de son époux Amaury de Montal en 1510, elle fut profondément marquée par la disparition de son fils aîné, Robert, tué en 1523 lors d’une campagne militaire en Italie. Elle traduisit alors sa douleur dans la pierre selon une iconographie complexe, sur la façade de l’édifice, côté cour, qui est en outre animée d’un ensemble exceptionnel de sept bustes en haut relief représentant Jeanne de Balsac et ses proches (ill. 6) : Amaury baron de Montal, Robert de Montal, mais aussi son fils cadet Dordet qui, entré dans les ordres, dut quitter le monastère de Mauriac dont il était le doyen, pour succéder à son frère, viennent ensuite les portraits des parents de Jeanne, Robert de Balsac et Antoinette de Castelnau, et enfin son cousin, Dordet de Béduer, abbé de Vézelay qui intervint probablement dans l’annulation des vœux du cadet. Les ailes sud-est et sud-ouest ne furent jamais construites, le château resta inachevé après 1534 sans que l’on sache pourquoi.
Devenu propriété de la famille des Plas de Tanes aux XVIIIe et XIXe siècles, l’édifice traversa la Révolution non sans heurts. Puis il fut carrément dépecé par les propriétaires suivants qui vendirent les éléments sculptés de son décor, morceau par morceau, au cours de deux ventes parisiennes en 1881 puis en 1903.


7. Moulage de la deuxième lucarne
avec un buste de guerrier à l’antique
et au dessus un jeunehomme et la mort
Photo : bbsg
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8. Moulage de la quatrième lucarne
Allégorie du Désespoir
Photo : bbsg
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En 1908, Maurice Fenaille réussit à acquérir le château de Montal après avoir cherché avec acharnement et retrouvé tous les éléments, ou presque, du décor. Pour ceux qu’il ne put récupérer, notamment la porte d’honneur, deux cheminées monumentales et la quatrième lucarne de la façade conservée au Victoria and Albert Museum, il fit faire des moulages à ses frais, puis réaliser des copies par les praticiens de Rodin et plus particulièrement Emile Matruchot. La troisième lucarne conservée au musée de Philadelphie ne fut moulée qu’en 1930. Deux moulages monumentaux en plâtre de ces lucarnes sont aujourd’hui présentés dans la salle d’accueil des visiteurs nouvellement aménagée dans l’ancienne boulangerie (ill.7 et 8).

9. Façade du château de Montal
Le buste de Jeanne de Balsac entouré de ceux de son
mari et de son fils aînée
Photo : CMN
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Fenaille réussit à récupérer le buste de Jeanne de Balsac qui avait été acheté par le musée de Berlin [1] et qu’il échangea contre un tableau de Cranach. Il négocia aussi avec le Musée de Lyon qui accepta de lui rétrocéder le buste de Robert de Montal en échange de tableaux d’Henri Martin. Le Musée des Arts décoratifs de Paris possédait quant à lui la frise en bas-relief qui courait tout autour de la façade, composée d’arabesques, de rinceaux, blasons et initiales, feuilles d’acanthes enroulées, dauphins sirènes, putti animaux fantastiques… Le musée la restitua contre le montant de son achat. Enfin le Louvre avait acquis d’abord le buste de Dordet de Montal, puis ceux d’Amaury de Montal, de Robert de Balsac et d’Antoinette de Castelnau. Fenaille pour obtenir le retour de ces sculptures (ill. 9) – du moins leur dépôt - dut accepter en 1913 de donner le château et tout son mobilier à l’Etat. Il imposa de garder l’usufruit pour lui et pour ses enfants et c’est donc en 2006 que l’édifice fut entièrement ouvert au public.
Durant la guerre, Montal servit d’abri aux peintures du Louvre entre 1943 et 1945, notamment la Joconde.

Non loin de Montal, le château de Castelnau-Bretenoux est lui aussi étroitement associé à une personnalité contemporaine de Fenaille quoique bien différente : Jean Mouliérat chanteur à l’Opéra comique, entreprit de restaurer et de meubler avec exubérance le monument après l’avoir acquis en 1896. Lui aussi en fit don à l’État.

Informations pratiques  : Château de Montal, 46400 Saint-Jean Lespinasse. Tél : 05 65 38 13 72. Tarif : 7,5 € (réduit : 6 €), 11 € avec le château de Castelnau-Bretenoux.


Sophie Cueille, Anne Dubin, Le Château de Montal, Editions du Patrimoine, 2009, 64 p., 7 €. ISBN : 9782757700457


Bénédicte Bonnet Saint-Georges

P.-S.

10/6/16 : Monsieur Charles Schaettel nous signale, en complément de cet article, que Maurice Fenaille a aussi joué un rôle majeur dans la vie artistique aveyronnaise, notamment dans la constitution des collections de la Société des Lettres, Sciences et Art de l’Aveyron, ce qui a eu pour effet l’ouverture en 1937 du musée qui porte son nom à Rodez.
Ce premier musée, dont l’équipement était devenu obsolète, a fait l’objet d’une profonde restructuration et d’agrandissements significatifs dans les années 1992-2000, sous l’autorité d’Annie Philippon, alors conservateur du musée, par l’architecte Charles-Philippe Dubois. Les exceptionnelles collections de statue-menhirs sont désormais présentées dans de bonnes conditions.

Et c’est le jour de l’inauguration du musée Fenaille rénové, pendant la visite des lieux en présence de Pierre Soulages, que le principe de créer un nouveau musée consacré au maître de l’Outrenoir a été envisagé par Marc Censi, alors maire de l’époque et ancien président du conseil régional. Lequel Pierre Soulages ne dit pas non à cette idée. Nous étions au printemps 2002.
La conception de ce nouveau musée a été confiée au groupe catalan RCR Arquitectes. Le projet a été mené par Benoit Decron, conservateur, et le musée a été inauguré en mai 2014, suite aux deux donations successives consenties par Pierre et Colette Soulages.

Notes

[1Kaiser-Friedrich Museum, rebaptisé depuis le Bode Museum.

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