La restauration réussie de la Maison de Victor Hugo à Guernesey

1. La salle à manger, au rez-de-chaussée
Guernesey, Hauteville House
Photo : Didier Rykner
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Comment qualifier Hauteville House, la maison de Victor Hugo sur l’île de Guernesey, que celui-ci habita avec sa famille en exil entre 1856 et 1870, et qui vient d’être entièrement restaurée grâce à un mécénat de François Pinault ? Certains la trouvent belle, d’autres la trouvent kitsch. Exubérante semble le terme approprié. Alors que l’écrivain était aussi un grand dessinateur, son talent de décorateur a quelque chose du facteur Cheval. Le palais idéal de Guernesey, dont on retrouve le style dans le musée de la place des Vosges (une partie du décor de la maison de Juliette Drouet, non loin de la sienne sur l’île Anglo-Normande, y a été remonté), est une œuvre d’art totale, faite d’objets - meubles, tapisseries, céramiques - (ill. 1), sculptures… - dans un certain (dés)ordre assemblé. Il faut voir cela au moins une fois dans sa vie, ne serait-ce que pour le lieu, les terrasses et vérandas où le génie écrivait, debout, face à la mer.

La situation, il y a seulement deux ans, n’était pas brillante. Les fondations s’affaissaient, menaçant d’entraîner avec elles la façade sur le jardin alourdie par les ajouts qu’y avait apportés l’écrivain, les pièces étaient empoussiérées, les tissus usés ou décrépis… Bref, cette maison qui appartient à la Ville de Paris était dans l’état où se trouve une grande partie du patrimoine parisien. Inutile de dire que sans la participation de François Pinault, l’ensemble aurait été restauré a minima avec les 800 000 euros que la municipalité consentait à lui consacrer. On aurait seulement paré à l’urgence (c’est en général ce qui déclenche les restaurations de la Ville de Paris : la menace que cela s’écroule).

Mais il faut au moins reconnaître que la ville est un très bon maître d’ouvrage. Comme beaucoup de directeurs des musées parisiens, Gérard Audinet, en charge des deux maisons de Victor Hugo, est un excellent conservateur. Aidé ici par l’argent (pas moins de 3,5 millions d’euros) et le soutien de François Pinault et de son conseiller Jean-Jacques Aillagon, avec un architecte des monuments historiques manifestement respectueux du bâtiment Riccardo Giordano et des artisans venus directement de Paris, le résultat est éblouissant, dans un délai d’à peine un an et demi. Outre les travaux structurels sur le bâtiment, les différentes pièces ont été entièrement restaurées, en grande partie grâce à de simples restauration et nettoyages, parfois en reconstituant des éléments disparus à partir de photographies (lustres, tissus…) ce qui se justifie quand l’essentiel du décor a été préservé. Les moquettes qui avaient disparu dans plusieurs pièces ont été évoquées grâce à des modèles équivalents. Jamais on n’a l’impression que les restaurateurs en ont fait trop. C’eût été difficile d’ailleurs dans un décor aussi luxuriant. Seule la façade sur rue, qui a retrouvé sa couleur grise d’origine (ill. 2), nous semble assez ratée, d’une sècheresse incroyable. Mais il est vrai que la maison elle-même, du point de vue de l’architecture, n’a guère d’autre intérêt que les adjonctions apportées par Victor Hugo et que cet aspect peu attrayant était peut-être celui d’origine.


2. Façade sur rue de Hauteville House
Photo : Didier Rykner
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3. Lampadaire sculpté
d’après des dessins de
Victor Hugo
Galerie de Chêne
Guernesey, Hauteville House
Photo : Didier Rykner
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Nous ne ferons pas de visite complète de la maison, ce serait d’ailleurs impossible et sans doute contre-productif tant il faut s’imprégner de l’atmosphère qui y règne sans forcément s’attarder sur tous les éléments qui la composent. Signalons simplement l’omniprésence sur les quatre niveaux de meubles dont certains sont anciens, d’autres sont composites et d’autres encore entièrement réalisés sur les dessins de l’écrivain comme ce luminaire (ill. 3) qui se trouve au deuxième étage dans une chambre d’apparat qu’il n’utilisa presque jamais.


4. Tapisserie des Gobelins au plafond
de la salle à manger
Guernesey, Hauteville House
Photo : Didier Rykner
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5. Salon rouge
Le lustre est une restitution d’après photographie
Le brocard rouge et la soie à motif japonisant
sont également reconstitués
On voit également sur le mur un des tableaux tissés et en perles de verre
Guernesey, Hauteville House
Photo : Didier Rykner
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L’horreur du vide est ce qui caractérise le mieux ces pièces, au point que les tapisseries se trouvent jusqu’au plafond (ill. 4). Le goût pour le néogothique ou le néorenaissance n’est pas surprenant, celui pour les chinoiseries l’est davantage. Au premier étage, dans le salon rouge (ill. 5), une soierie a été entièrement reconstituée sur les dessins d’origine dont une partie était encore conservée mais en trop mauvais état. Sur les murs de cet étage on peut aussi admirer des tableaux tissés et en perles de verre qui seraient un travail anglais du XVIIe siècle. Qu’on ne nous en veuille pas de ne pas toujours être très précis sur l’origine des œuvres. Si elles n’ont pas été en partie revues ou refaites sous le contrôle de Victor Hugo, celui-ci aimait inventer des provenances prestigieuses. Ainsi, au deuxième étage, peut-on voir un coffre qu’il disait venir de la cathédrale de Chartres (ill. 6). Beaucoup reste donc encore à étudier.


6. Coffre censé d’après Victor Hugo
provenir de la cathédrale de Chartres
Galerie de Chêne
Guernesey, Hauteville House
Photo : Didier Rykner
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7. Le « look-out » au dernier étage où
Victor Hugo a écrit plusieurs de ses œuvres
Guernesey, Hauteville House
Photo : Didier Rykner
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L’une des pièces les plus fascinantes de cette maison se trouve au troisième et dernier étage (ill. 7) : il s’agit d’une véranda (appelée look-out) où se trouve, autour d’un puits de lumière donnant sur l’escalier, un écritoire sur lequel Victor Hugo a produit quelques-uns de ses chefs-d’œuvre. On appréciera aussi l’ingéniosité dont fait preuve, au même étage, la petite chambre où derrière une des deux boiseries à décor japonisant (ill. 8 et 9) se cache un lavabo.


8. Boiserie à décor japonisant
Chambre à coucher
Guernesey, Hauteville House
Photo : Didier Rykner
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9. Derrière une boiserie à décor
japonisant en face de celle reproduite dans l’ill. 8 se cache
un lavabo
Guernesey, Hauteville House
Photo : Didier Rykner
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Quant au jardin (ill. 10) qui garde encore le chêne des États-Unis d’Europe qu’il avait planté en 1870, lui aussi a été entièrement restauré par Louis Benech, donnant à voir la façade plus agréable que celle sur la rue, et où l’écrivain a laissé son monogramme. Celui-ci se trouve d’ailleurs un peu partout dans la maison : la discrétion n’était sans doute pas sa première vertu. Nul doute qu’il ne désavouerait pas cette restauration qui a gardé intact son esprit, dans une maison où il les invoquait.


10. Jardin de Hauteville House
Photo : Didier Rykner
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