La restauration du Collège des Bernardins à Paris

1. Paris, Collège des Bernardins
Salle gothique du rez-de-chaussée
Photo : D. Rykner
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A rebours du discours unique suggéré par le dossier de presse et relayé par les principaux médias, La Tribune de l’Art va, une nouvelle fois, faire office de trouble fête. Non que la restauration du Collège des Bernardins n’ait aucun aspect positif. L’ouverture au public de lieux (ill. 1) jusqu’ici à peu près inaccessibles (ce bâtiment du XIIIe siècle avait été transformé en caserne de pompiers au milieu du XIXe siècle) est sans aucun doute une excellente chose. Mais si nous ne nous prononcerons pas sur la programmation qui sort largement de notre sujet [1], il est nécessaire de s’interroger sur la restauration elle-même et sur le respect du bâtiment.

Evidemment, dans la bouche des responsables, il s’agit « d’une restauration exemplaire ». On lit partout que « Le Moyen-Âge est de retour ». La réalité est malheureusement bien différente, ce que confirment amplement les photographies.


2. Paris, Collège des Bernardins
Auditorium de Jean-Michel Wilmotte dans les combles
Photo : D. Rykner
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3. Paris, Collège des Bernardins
Vue de la rue de Poissy
Photo : D. Rykner
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Nous n’aborderons que rapidement le problème des combles, soit disant restaurés dans leur état du XIIIe siècle. Une fois de plus, comme à Versailles avec sa grille, le retour à un pseudo-état original est une mystification. Il s’agit en réalité d’une reconstitution à la Viollet-le-Duc, hélas sans le talent de cet architecte. Les combles avaient été rasés au XIXe siècle - un vandalisme qui avait largement scandalisé à l’époque - et reconstruits par Hittorf, un état qui existait récemment, et dont il faut reconnaître qu’il ne s’agissait pas d’un chef-d’œuvre. Dans un rapport portant sur la Réparation de la cathédrale de Paris et publié dans les Annales Archéologiques de Didron, Montalembert avait écrit : « Nous gémissons de voir que cette appropriation récente [par les pompiers] ait fourni l’occasion de détruire l’ancienne toiture. La charpente de cette toiture formait une salle immense, sans cloison, disposée avec cet art merveilleux qui avait fait donner à ce genre de comble le nom de forêt. Cette charpente était du XIIIe siècle, comme l’édifice [...] » Ce que déplorait Montalembert, on le voit, c’était essentiellement cet espace intérieur et sa charpente. On pourra discuter à l’infini du volume, paraît-il rétabli à l’identique. Mais il est quelque peu abusif d’appeler Montalembert à la rescousse comme n’a pas hésité à le faire Hervé Baptiste, l’architecte des monuments historiques responsable du chantier. Le volume intérieur abrite aujourd’hui un auditorium (ill. 2). Ce dernier, dû à Wilmotte, est d’ailleurs plutôt élégant et réussi. Mais on est ici en plein XXIe siècle, bien loin du XIIIe et des cisterciens. Ce toit tout neuf, pas très beau (ill. 3), a remplacé celui d’Hittorf, qui était beaucoup moins haut [2].


4. Paris, Collège des Bernardins
Salle gothique du rez-de-chaussée avec la librairie
construite par Jean-Michel Wilmotte
Photo : D. Rykner
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5. Paris, Collège des Bernardins
Salle gothique du rez-de-chaussée avec le double mur
construit par Jean-Michel Wilmotte pour installer les cables
électriques et la climatisation, sur le mur ouest
Photo : D. Rykner
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Le traitement de l’exceptionnelle salle du rez-de-chaussée (ill. 1), celle qui fait la gloire de l’édifice et que l’on devait voir pour la première fois débarrassée de ses cloisonnements, est d’une triste médiocrité. Bien sûr, sous certains angles, la vue est admirable. Mais que vient faire dans la nef centrale cette librairie (un édicule encore dû à Jean-Michel Wilmotte – ill. 4) [3] qui occupe près de quatre travées et rompt la perspective ? Qu’a donc de gothique ce mur (ill. 5 et 6), qui cache la climatisation et vient se plaquer contre la paroi ouest ? Le dossier de presse n’hésite pas à prétendre que : « la grande nef est mise en valeur par [ces] aménagements [...] ». En réalité, on a cherché, sans aucune élégance, à adapter le monument à sa nouvelle fonction. C’est l’inverse qu’il aurait fallu faire.


6. Paris, Collège des Bernardins
Salle gothique du rez-de-chaussée
avec le double mur construit par
Jean-Michel Wilmotte
(Le Moyen-Âge au cœur de Paris)
Photo : D. Rykner
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Le niveau inférieur, au sous-sol, est encore plus mal traité. Il y avait, là aussi, une extraordinaire salle gothique entièrement voûtée d’ogives. La fonction - il s’agissait d’aménager des salles de cours - a totalement dévoyé l’architecture. La cave était à moitié comblée depuis le XVIIIe siècle pour stabiliser l’édifice. A quoi servait de la déblayer si cela devait aboutir à la cloisonner presque entièrement ? Le communiqué de presse ose affirmer que « le cellier a retrouvé ses beaux volumes » et qu’il « s’est offert pour la première fois depuis le Moyen-Âge dans toute l’ampleur de ses trois nefs ». On en jugera sur les photographies ci-dessous (ill. 7 et 8).


7. Paris, Collège des Bernardins
Cellier gothique au sous-sol
Entièrement cloisonné pour installer des salles de cours
à droite sur la photo
(les salles occupent deux des trois nefs)
Photo : D. Rykner
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7. Paris, Collège des Bernardins
Une salle de cours dans le cellier gothique au sous-sol
Photo : D. Rykner
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Une fois de plus, hélas, on constate que certains architectes des Monuments Historiques, encouragés par la Commission Supérieure qui valide leurs propositions, se donnent des libertés qui seraient évidemment refusées à un simple particulier. Aucun comité scientifique n’a été constitué, qui aurait pu permettre aux historiens de l’architecture médiévale de donner leur avis, laissant l’ACMH (associé à Jean-Michel Wilmotte) seul maître des lieux, comme si une seule personne pouvait être spécialiste de tout, du Moyen Age au XXe siècle [4]. Quand on voit le résultat, il est savoureux de lire, dans un compte-rendu d’un conseil de quartier organisé par la Mairie du 5e, le 30 mai 2005, que : « pour la défense des platanes [se trouvant devant les Bernardins], il a fallu lutter contre l’administration des Monuments Historiques, qui avait jugé qu’au 13e siècle il n’y avait pas de platanes en Europe ».
Le « retour au Moyen-Âge » est un mythe qui semble fonctionner puisque chacun s’extasie sur le résultat en reprenant cet argument. Il sera possible, pour ceux qui le souhaitent, d’en juger sur place : le lieu, ouvert au public du 5 au 7 septembre, sera par la suite d’accès libre et gratuit, après la visite du Pape qui doit y prononcer un discours lors de son prochain voyage en France

Site Internet du couvent des Bernardins

Didier Rykner

Notes

[1ur le plan artistique, des expositions d’art contemporain auront lieu au rez-de-chaussée, des concerts de musique classique et contemporaine, des projections de films dans l’auditorium, avec organisation de débats (deux fois par semaine). Des conférences et des débats seront également organisés. Enfin, des cours seront dispensés par « l’école Cathédrale », institut privé d’enseignement supérieur et une « chaire de recherche » sera mise en place par l’église catholique qui souhaite : « aborder de façon ouverte, sans réponses pré-établies, les questions de société ».

[2Par ailleurs, mais l’architecte a peut-être des informations nouvelles et révolutionnaires à ce sujet, les mansardes que l’on voit sur le toit n’étaient pas vraiment inventées au XIIIe siècle.

[3Rien n’empêchait, pourtant, d’insérer une librairie sans aucun cloisonnement, comme on en trouve dans bien des monuments historiques ou des musées.

[4Hervé Baptiste restaure ou a restauré, entre autre, la tour nord de Saint-Sulpice et le Panthéon (XVIIIe siècle), la Maison du Peuple de Clichy par Eugène Beaudouin et Marcel Lods et le Pavillon Suisse de Le Corbusier (XXe siècle)...

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