La prochaine destruction du Sporting d’Hiver de Monaco

8/7/14 - Patrimoine - Monaco - Quiconque se rend à Monaco peut constater de visu que la conservation des monuments n’y est pas une priorité. D’ailleurs, il n’y existe aucune loi de protection. À cette absence de règles s’ajoute un maximum d’argent. Et désormais un prince qui semble se moquer comme d’une guigne de la culture et du patrimoine. Résultat, cet état confetti est un des endroits les plus massacrés par l’urbanisme de la Côte-d’Azur.


1. Charles Letrosne (1868-1939)
Sporting d’hiver, 1932
Monaco
Photo : Didier Rykner
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2. Charles Letrosne (1868-1939)
Sporting d’hiver, 1932
Monaco
Photo : Didier Rykner
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3. Bâtiments devant remplacer le Sporting d’hiver de Monaco
Cabinet Rogers Stirk Harbour + Partners
© SBM
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Parmi les quelques rares monuments dignes de ce nom subsistant encore, dont l’Opéra de Charles Garnier et le Casino, se trouve le Sporting d’Hiver, un bel édifice Art Déco (ill. 1 et 2) construit en 1932 par l’architecte Charles Letrosne. Plus pour longtemps : la Société des Bains de Mer, propriété de l’État monégasque, a décidé de le détruire [1], ce qui sera chose faite à la fin de cette année. Nous avons en effet interrogé les commerçants qui se trouvent au rez-de-chaussée et ceux-ci nous ont dit qu’ils devaient être partis le 27 septembre.
On constatera sur nos photos que ce bâtiment est d’une très grande qualité architecturale et dans un état de préservation satisfaisant. Rien n’impose sa destruction, si ce n’est la volonté de la SBM de construire à sa place des immeubles plus lucratifs. Bien qu’ayant fait appel à un cabinet fondé par Richard Rogers, un architecte plutôt compétent, on constatera que ce que propose son agence est désespérant de médiocrité et de banalité (ill. 3). On s’amusera (ou pas) à lire ce qu’écrit Monacomatin dans un article non signé publié le 13 janvier 2012 : « Les façades feront la part belle au verre avec des éléments végétaux et de discrètes balustrades. Un style plutôt dans l’air du temps, très sobre qui a le mérite de s’accorder sans fausse note avec le style Belle époque de la place du Casino. » Les illustrations du projet permettent d’admirer les discrètes balustrades et la manière dont ces constructions vont s’accorder avec les bâtiments voisins, notamment l’hôtel de Paris et le casino [2].


4. Charles Letrosne (1868-1939)
Décor de la Salle des Arts
Sporting d’hiver de Monaco
Photo : Didier Rykner
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5. Charles Letrosne (1868-1939)
Décor de la Salle des Arts
Sporting d’hiver de Monaco
Photo : Didier Rykner
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L’architecture extérieure du Sporting d’Hiver rappelle le théâtre des Champs-Élysées. L’intérieur n’est pas moins intéressant, même si l’installation des magasins au rez-de-chaussée, d’un complexe cinématographique et des bureaux de la SBM dans les étages a certainement en partie dénaturé l’architecture d’origine. Il n’empêche que le grand salon (dénommé Salle des Arts) possède un beau décor (ill. 4 et 5) ainsi que les salons attenants (ill. 6), l’escalier (ill. 7), et d’autres pièces du bâtiment (ill. 8). Et que nous promettent les démolisseurs ? De reconstituer cette salle dans l’un des nouveaux bâtiments ! Le type même de solution ridicule et démagogique qui n’a absolument aucun sens du point de vue patrimonial.


6. Charles Letrosne (1868-1939)
Plafond d’un salon attenant à la Salle des Arts
Sporting d’hiver de Monaco
Photo : Didier Rykner
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7. Charles Letrosne (1868-1939)
Escalier
Sporting d’hiver de Monaco
Photo : Didier Rykner
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8. Charles Letrosne (1868-1939)
Un salon du Sporting d’hiver de Monaco
Photo : Didier Rykner
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Tout cela se déroule dans une indifférence quasi générale. La France, qui possède une belle tradition de vandalisme de l’Art Déco, n’a aucune possibilité d’intervenir à supposer qu’elle le souhaiterait : Monaco se situe sur le territoire français mais est parfaitement indépendant. Sur place, on l’a vu, le patrimoine est la cinquième roue du carrosse. Une pétition en ligne a pourtant été lancée par une association mais celle-ci n’a pour l’instant recueilli que 1110 signatures.
Nous ne ne pouvons pas nous désintéresser du patrimoine monégasque qui est aussi un peu le nôtre. Charles Letrosne a déjà été vandalisé au zoo de Vincennes. Même s’il ne faut pas se faire d’illusion sur le résultat de cette action, il faut signer et faire signer la pétition en la diffusant largement via les réseaux sociaux. Les vandales doivent savoir que leurs méfaits ne passent pas complètement inaperçus.

Nous écrivions plus haut que le prince Albert se désintéresse du patrimoine. Outre la destruction du Sporting d’Hiver, qu’il pourrait empêcher, une autre preuve nous en a été donnée récemment par la décision de vente du musée napoléonien que son aïeul Louis II avait constitué, révélée par Le Figaro. Outre des souvenirs de l’Empereur, cette vente organisée à Fontainebleau par Osenat proposera des tableaux (Napoléon par Paul Delaroche), des sculptures (un buste de l’Empereur par Canova) des céramiques, des armes... Soit un patrimoine qui va quitter la principauté et probablement la France. Monaco, décidément, est une destination qui peut être désormais évitée par les amateurs de tourisme culturel.

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