La mission « musées du XXIe siècle », le point de vue de l’AGCCPF

L’AGCCPF est l’Association Générale des Conservateurs des Collections Publiques de France.

Le rapport qui vient d’être publié à l’issue de la mission lancée à l’initiative du ministère de la Culture appelle plusieurs remarques :

Les professionnels des musées ne peuvent qu’être satisfaits de voir, sur le principe, un gouvernement se pencher sur les musées, le fait est assez rare pour être souligné. En revanche, cette mission arrive un peu tard en fin de quinquennat et du coup s’est déroulée dans la précipitation.
Même si certains de ses membres ont participé à titre individuel aux ateliers et groupes de travail, l’AGCCPF n’a pas été sollicitée officiellement pour apporter sa contribution. Néanmoins, l’association note que le livre blanc des musées qu’elle a publié en 2011 [1] est plusieurs fois cité dans le rapport, un certain nombre de constats ou de préconisations sont ainsi partagés et s’inspirent du travail de l’association.

Le XXIe siècle est aujourd’hui une réalité, les enfants nés en l’an 2000 auront l’an prochain atteint leur majorité, nous avons déjà parcouru presque 20% de ce siècle ! Le rapport considère dès ses premières lignes que « le basculement des musées français dans le XXIe siècle s’est réalisé en 2015 comme une réaction viscérale aux attentats ». Certes, le fait que le terrorisme ait frappé à plusieurs reprises des symboles de la Culture de notre pays a été un choc considérable et a provoqué dans les milieux culturels un terrible traumatisme, mais sans doute faut-il remonter quelques années encore en arrière avec la crise de 2008. C’est bien avec cette crise qui remettait en cause un système économique mondial, que les musées ont senti alors que plus rien ne serait comme avant, et qu’il fallait envisager leur avenir autrement. Plusieurs pays ont alors engagé une réflexion en ce sens. L’AGCCPF s’est inscrite dans ce mouvement avec son livre blanc intitulé : « soyons ambitieux pour les musées de France ! Quelles ressources financières et humaines pour quels projets ? », résultat de travaux engagés dès 2009. L’association constatait qu’il existait une fracture entre les musées et que cette dernière risquait encore de se creuser, elle mettait en évidence de nombreux disfonctionnements, notamment en matière de gestion des collections et de recrutements des responsables des musées. Néanmoins, loin d’être négatif, comme son titre l’indique ce rapport comportait de nombreuses préconisations, elles sont pour un grand nombre d’entre elles toujours d’actualité.

Pour l’AGCCPF, la lettre de mission de la Ministre a eu pour effet, en fixant d’emblée quatre grandes thématiques, d’orienter le rapport final avant même d’ouvrir les débats. Sans doute aurait-il fallu aborder la question autrement. Le musée du XXIe siècle est confronté à quatre grands enjeux :
 la mondialisation et ses effets
 la révolution numérique
 le développement durable
 les changements profonds de la société, des comportements et des usages.

Comme le livre blanc le soulignait, le musée n’est pas un isolat, il est donc normal qu’il ait désormais à faire face, comme tous les autres secteurs d’activité , à ces quatre enjeux qui marquent les bouleversements qui se sont opérés dès l’aube du XXIe siècle que certains considèrent comme la fin et le début d’un nouveau cycle pour l’humanité.

 La mondialisation a bien évidement des impacts sur les musées, il s’agit bien entendu des effets du terrorisme mondial et des conflits liés à la montée de l’islamisme radical, et de la nécessité de sécuriser des lieux qui étaient autrefois paisibles, il s’agit des flux migratoires et de la diversité de la population française, de la montée en puissance du tourisme mondial de masse et de l’afflux de nouveaux visiteurs, en particulier venant d’Asie, de la circulation des compétences, des échanges et des partenariats entre les institutions. Des évènements (conflits, choix politiques…) à l’autre bout du monde, ou dans le cadre européen peuvent avoir à tout moment des conséquences pour les musées français. Les musées de France doivent être solidaires avec ceux qui aujourd’hui ou demain voient leur patrimoine frappé par le terrorisme, nous rappelant ainsi ce que nous avons connu il y a un peu plus de deux siècles dans notre propre pays.

 La révolution numérique touche les musées mais de manière inégale, la fracture est ici très forte, certains petits établissements n’ayant même pas les moyens d’accéder aux données numériques du ministère ou des DRAC ; faire circuler l’information, rendre accessible à distance les collections ou des expositions, accompagner les visiteurs, rendre leur visite interactive sont autant de possibilités. Mais ce sont aussi, les réseaux sociaux, les « communautés » qui se tissent autour du musée, ce dernier devenant un lieu d’expérimentation et d’innovation. Le numérique peut répondre aux besoins de chaque segment de publics, il est un espoir formidable pour les personnes en situation de handicap, il crée de nouveaux dialogues. Mais cette révolution n’en est qu’à ses débuts et il est encore difficile d’imaginer les conséquences sur le quotidien des musées et sur leur fonctionnement à horizon 2030 ou 2050 ! Le musée du XXIe siècle doit aussi intégrer parmi ses collections le Patrimoine immatériel,

 Le développement durable et la transition énergétique doivent être au cœur des préoccupations des musées parce que ces derniers reposent sur les collections (bien oubliées dans le rapport de la mission !), un musée ne peut exister sans elles, elles constituent des ressources vulnérables que nous devons raisonnablement utiliser sans excès afin de les transmettre aux générations futures. L’architecture des musées, leur modernisation doivent intégrer la notion de développement durable en particulier en matière d’énergie, de traitement du climat, de leur rapport avec l’environnement , le défi est d’autant plus exigeant pour les musées qui sont abrités dans un monument historique ; le musée pour lequel le livre blanc préconisait l’obligation de réaliser un agenda 21 doit au quotidien repenser son fonctionnement (en matière de matériaux utilisés, de transport des œuvres etc.), l’idée de réaliser désormais un PSCE va dans le sens de cette préconisation.

 Toutes ces mutations ont un impact sur les comportements des publics des musées et sur leurs professionnels : tantôt l’individualisme, une certaine volatilité, le consumérisme, les modes, tantôt l’envie de partager, d’échanger de collaborer, d’être actif. Le musée doit et devra adapter constamment son offre à une demande sans cesse en évolution. Service public, service aux publics, il doit renforcer son rôle en matière de lien social, d’éducation, s’affirmer comme un acteur du développement et enfin s’ouvrir le plus largement possible.

Le rapport de la mission montre par un catalogue d’exemples les réussites formidables qui ont eu lieu ici ou là, mais ce catalogue est loin d’être exhaustif et les choix opérés mettent maladroitement en évidence la fracture entre établissements disposant de moyens pour communiquer sur leurs activités et donc cités comme exemples et les établissements modestes qui font souvent un travail exceptionnel dans l’ombre avec des équipes qui, comme le souligne néanmoins le rapport, « même réduites, font preuve de virtuosité ». L’AGCCPF veut se garder de tout angélisme, la diversité des musées est une chance, une richesse, écrivait-elle dans son livre blanc mais ce peut être aussi une faiblesse. A l’image de bien d’autres secteurs d’activité, la fracture est bien réelle et risque de s’accentuer avec d’une part, la montée en puissance des grands centres urbains, des grandes agglomérations, des corridors dynamiques en termes économique qui ont et auront les moyens de porter leurs musées et d’utiliser l’arme de la communication et d’autre part les territoires en déclin. Le risque serait grand de voir les musées connaître le même destin que les petits commerces. La France du XXIe siècle doit en ce sens préserver son tissu de musées en maintenant les aides nécessaires de l’Etat et des grandes collectivités, en assurant une indispensable péréquation car, comme l’affirmait également le livre blanc, le patrimoine national est aussi fait de la juxtaposition des patrimoines locaux.

Enfin, le musée du XXI e siècle ne saurait se passer de professionnels formés, compétents et rémunérés à leur juste valeur. Le fonctionnement d’un musée, la gestion de ses collections, les réponses à tous les enjeux que nous venons de citer nécessitent de disposer en qualité et en nombre de ces professionnels dont les formations et les métiers devront nécessairement évoluer et faire l’objet d’un chantier désormais urgent avec notamment le CNFPT. Ces questions liées aux ressources humaines sont assez bien traitées dans le rapport et rejoignent les constats faits il y a déjà 6 ans par l’AGCCPF mais cette dernière regrette vraiment de n’avoir pas été citée parmi les « expériences de référence » dans ce domaine ! Au-delà des constats, il faut désormais avancer.

L’AGCCPF regrette que les collections n’aient pas été au cœur de ce rapport. Elles sont le fondement même du musée. Il est intéressant d’ailleurs de constater que c’est au tout début du XXIe siècle, en 2002, que la France s’est dotée d’une loi qui garantit leur pérennité avec l’inaliénabilité. Leur conservation, dans une société de l’éphémère est un défi. Elles sont les précieux « marqueurs » des civilisations qui nous ont précédés.

L’AGCCPF, poursuivra au-delà de ce seul communiqué ses réflexions en ouvrant une nouvelle édition de son livre blanc, en particulier avec l’organisation dès le mois de juin d’un premier forum sur les métiers, devançant ainsi la préconisation du rapport envisageant la tenue d’assises sur les métiers et les formations et auxquelles l’association sera heureuse cette fois d’être associée. Elle demeurera attentive au rôle que l’Etat entendra jouer sur ce domaine important du patrimoine de notre pays et invite les candidats à l’élection présidentielle à ne pas l’ignorer mais au contraire à l’intégrer dans leur projet. Elle regrette d’ailleurs que, d’une manière générale, la Culture soit la grande absente du débat électoral.

AGCCPF

Notes

[1Note de La Tribune de l’Art : sur le livre blanc, voir cet article sur ce site.

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