La disparition de l’Inspection des patrimoines est effective

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Siège de la direction générale des patrimoines et de l’architecture,
rue Saint-Honoré
Photo : Celette (CC BY-SA 4.0)
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« Je ne serai pas le directeur des patrimoines qui mettra fin à l’Inspection sur son aspect scientifique et technique » nous avait affirmé sur un ton martial le directeur général des patrimoines Philippe Barbat lorsque nous l’avions interrogé dans le cadre d’une enquête sur la disparition programmée de ce service fondateur des monuments historiques (pour comprendre les conséquences de cette disparition, nous conseillons de lire l’article que nous avions publié). Comme nous le craignions, cette résolution affichée ne résiste pas à l’examen des textes finalement publiés - et auxquels nos lecteurs peuvent se référer - même si, comme nous le verrons, il affirme le contraire.

Car le décret et l’arrêté qui sont parus aujourd’hui au Journal Officiel confirment toutes les craintes que nous pouvions avoir à ce sujet. Philippe Barbat, lorsque nous l’avions rencontré, avait réfuté cette disparition qui était pourtant inscrite dans les projets dont nous pouvions avoir connaissance. Il nous avait affirmé qu’il s’agissait de « projets encore à l’état embryonnaire et provisoire », prétendant même que le projet d’arrêté n’avait pas encore été vu à son niveau. Nous avons comparé le projet d’arrêté dont nous disposions et qui avait circulé au sein de la direction, avec celui finalement paru au Journal Officiel : ils sont, pour les parties qui nous concernent, pratiquement identiques. La seule chose qui n’y figurait pas, c’était le sort réservé à l’Inspection qui avait totalement disparu du projet, et qui est désormais remplacée dans le texte officiel par une délégation qui l’absorbe. L’Inspection des patrimoines n’existe plus, et même la « mission de contrôle scientifique et technique » que Philippe Barbat se vantait de maintenir se retrouve explosée façon puzzle… Remarquons que l’argument selon lequel un ministère ne pourrait avoir plusieurs inspections qui avait été mis en avant pour justifier cette disparition ne tient même pas : la direction générale de la création artistique conserve une Inspection propre comme le prouve l’arrêté qui la concerne !

L’ancien « arrêté du 17 novembre 2009 relatif aux missions et à l’organisation de la direction générale des patrimoines » introduisait ainsi la description des missions de l’Inspection des patrimoines qui était un service bien identifié dans l’organigramme de la direction générale des patrimoines : « L’inspection des patrimoines exerce ou participe à l’exercice du contrôle scientifique et technique de L’État dans le domaine de l’archéologie, des archives, des musées, de l’inventaire général du patrimoine culturel, de la protection des monuments et des espaces ainsi que de l’exécution des travaux sur les monuments historiques. A ce titre, elle conduit des missions d’inspection et d’audit de services et d’établissements. »
Le reste de l’arrêté permettait de comprendre ce rôle : elle participait au contrôle scientifique avec le service des archives et le service des musées qui l’exerçaient pour leur champ de compétence, et elle l’exerçait pour les monuments historiques, les espaces protégés et pour l’archéologie, le service du patrimoine y participant.

Désormais, dans le nouvel arrêté du 31 décembre 2020 relatif aux missions et à l’organisation de la direction générale des patrimoines et de l’architecture (l’architecture s’est ajouté au patrimoine dans le nom de la direction), la « délégation à l’inspection, à la recherche et à l’innovation » (DIRI), qui absorbe l’Inspection en la fusionnant avec l’ancien département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique, n’est plus chargée que de « définir, notamment à partir des actions de contrôle scientifique et technique, d’études et de recherche menées en son sein et au sein des autres services de la direction générale, la stratégie de cette direction générale en matière d’évaluation des politiques publiques dont celle-ci est chargée, de recherche et d’innovation ». Elle n’exerce plus rien, ne participe même plus.
Remarquons que non seulement l’Inspection n’« exerce » plus de « contrôle scientifique et technique de l’État » pour les monuments historiques, les espaces protégés et l’archéologie, mais que cette mission n’existe plus à aucun niveau de la direction générale, alors qu’elle est expressément maintenue pour les musées et les archives. En effet, comme auparavant, le service du patrimoine « contribue au contrôle scientifique et technique » et « participe au contrôle scientifique et technique de L’État sur les opérations de recherche archéologique », mais alors que l’Inspection était en charge de l’ « exercer » jusqu’à aujourd’hui, plus personne ne le fait désormais.

Philippe Barbat conteste notre interprétation. Pour lui, « mener » « en son sein » « des actions de contrôle scientifique et technique », ces actions portant sur ce qui est décrit plus loin et notamment « sa mission permanente d’inspection, de conseil, d’expertise, de prospective et d’appui auprès de la direction générale, des services déconcentrés, des opérateurs et des commissions administratives relevant du domaine de compétence de la direction générale », reviendrait au même, c’est-à-dire à « exercer le contrôle scientifique et technique de l’État ». Cela nous paraît tout sauf convaincant. Si deux parmi les personnes de la direction générale que nous avons pu interroger reconnaissent qu’au moins tous ces mots (contrôle scientifique et technique, expertise, conseil...), soit les principes de base, n’ont pas complètement disparu sur le papier, deux autres ont une lecture très proche de la nôtre.
En réponse au courrier qui lui avait été envoyé par une partie des inspecteurs du patrimoine qui s’inquiétaient de cette réforme, Philippe Barbat avait répondu que « les missions de contrôle scientifique et technique de l’inspection des patrimoines, qui résultent des termes mêmes du code du patrimoine, seront donc maintenues ». Il a raison : elle est maintenue dans le décret qui définit les missions de la direction générale des patrimoines et de l’architecture. Mais elle n’est « exercée » nulle part pour les monuments historiques, les espaces protégés et l’archéologie dans l’arrêté publié ! Une mission que personne n’exerce existe-t-elle encore ?
Ses autres missions sont très alambiquées, quand elles ne sont pas à peu près incompréhensibles. On appréciera notamment celle-ci : « Elle assure le lien entre, d’une part, les résultats issus des enquêtes et des évaluations sur pièce et sur place et, d’autre part, l’action de la direction générale en matière de recherche fondamentale et appliquée, menée en partenariat avec les différents acteurs nationaux et internationaux de la recherche. »

L’Inspection, comme nous l’avons déjà dit, est l’héritière directe de la création du service des monuments historiques par Prosper Mérimée. Même si cette organisation avait déjà été très affaiblie en 2010, les inspecteurs des monuments historiques, quand ils se rendaient en région, avaient encore un véritable poids dans les décisions qui pouvaient y être prises, non seulement en raison de leur indépendance, mais aussi parce qu’ils représentaient directement le ministre : le chef de l’Inspection était directement nommé par celui-ci, sur proposition du directeur général des Patrimoines. Désormais, n’ayant même plus le rôle de contrôle qu’ils avaient auparavant, simples employés d’une délégation sans réel pouvoir, les « inspecteurs », qui n’auront plus d’inspecteurs que le titre (en supposant qu’ils le conservent), ont disparu. Sans compter qu’une délégation est même inférieure, hiérarchiquement, aux sous-directions [1].
Philippe Barbat nous répond que « le chef de cette délégation va bénéficier d’un emploi fonctionnel de directeur de projet. Dans l’administration de l’État, cela a un sens très fort et ces emplois ne sont accordés que rarement aux administrations. Ce n’est donc en rien une dégradation du prestige de la fonction par rapport à la situation du chef de l’inspection. » Il semble en réalité que cet emploi fonctionnel de chef de projet (alors qu’il s’agit d’une action permanente) ne soit créé que pour permettre à la personne qui a mené la mission de préfiguration de cette délégation, et qui est pressenti pour en prendre la tête, de ne pas régresser administrativement et financièrement. Rien n’assure à terme sa pérennité. Ajoutons à cela le manque d’effectif, aggravé par de nombreux départs à la retraite. Philippe Barbat, lors de la présentation de cette nouvelle organisation le 14 décembre, a dit que cette nouvelle délégation devrait comme les autres faire des sacrifices ! Si l’Inspection n’avait pas été tuée par la nouvelle organisation, elle l’aurait été par le manque de postes.

Prosper Mérimée a donc bien été assassiné comme nous le disions dans notre précédent article, et s’il n’est peut-être pas encore mort, il est clairement en soins palliatifs. Ce n’est qu’un énième renoncement d’un ministère de la Culture dont le rôle ne cesse de se dégrader depuis des années. Nous espérions que Roselyne Bachelot pourrait mettre un terme à cette évolution. Manifestement, nous nous trompions.

Didier Rykner

Notes

[1Il n’était même pas certain que cette délégation puisse figurer dans l’arrêté, car seuls les services et les sous-direction sont du niveau du décret. Une délégation relève normalement de la décision (inférieure au décret).

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