L’ordonnance sur les carrières, première conséquence de la loi d’exception

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Une carrière de pierre
Photo : Pixabay
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Nous nous étions fortement opposés, avec beaucoup d’autres, à la loi d’exception pour la restauration de Notre-Dame. Si celle-ci a pu être en partie restreinte, si le président de la République a finalement renoncé à la construction d’une flèche contemporaine sur la cathédrale (sans pour autant abandonner l’idée d’un geste sur les abords, qui nous inquiète déjà [1]), il reste que ce texte permet de légiférer sur ordonnance pour un certain nombre de points dérogeant notamment au code de l’environnement.
La première ordonnance vient d’être publiée, et elle doit théoriquement être ratifiée par le Parlement dans les trois mois. Et sans surprise, car ce cas de figure avait déjà été évoqué pendant les débats, elle concerne un sujet particulièrement sensible : la réouverture ou l’extension de carrières de pierre.

Cette ordonnance est extrêmement dangereuse pour l’environnement, en invoquant une nécessité due à la restauration d’un monument historique. Alors que ce sont souvent les mesures prétextant la protection de l’environnement qui s’oppose au patrimoine (éoliennes, isolation des bâtiments par l’extérieur, etc.), voilà donc le cas inverse, tout aussi scandaleux, de menaces sur l’environnement engendrées par une soi-disant urgence patrimoniale.
Remarquons, bien au-delà des champs couverts par La Tribune de l’Art, qu’Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs ne fonctionnent que grâce à des lois d’exception. Lois d’exception pour les Jeux Olympiques, loi d’exception pour le Brexit et loi d’exception pour la restauration de Notre-Dame. On sait ce qu’il en est : ces exceptions qui excluent les pouvoirs publics des règles qui s’appliquent au droit commun, parfois cachées sous le terme d’expérimentation (voir cet article) ont vocation à prospérer, et à devenir pérennes [2]. Aujourd’hui il s’agit de la restauration de Notre-Dame, demain un autre prétexte sera trouvé, et l’exception deviendra la règle.

La raison de cette ordonnance est une fois de plus la rapidité de la restauration exigée comme préalable, dès le lendemain de l’incendie, par Emmanuel Macron. Cela est d’ailleurs expliqué dans le « Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-1395 du 18 novembre 2020 dispensant d’obligation de compatibilité avec les schémas régionaux des carrières les décisions d’exploitation de carrières justifiées par les besoins de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris », « rapport » qui n’est d’ailleurs pas beaucoup plus long que son titre ! On y lit en effet que « Cette dérogation vise à faciliter la délivrance dans les meilleurs délais des autorisations d’exploitation de carrières nécessaires pour approvisionner le chantier de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. » Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, a surenchéri selon une dépêche AFP : « Cet engagement est une nouvelle preuve de notre volonté de faire tout ce qui est nécessaire pour faciliter les travaux de restauration et atteindre l’objectif fixé par le président de la République d’achever le chantier de reconstruction de cette cathédrale si chère aux Français en cinq ans ». Il s’agit rien de moins que de supprimer des procédures dont l’objectif est la protection de l’environnement et des paysages pour obéir à un délai exigé par le président de la République, dont on sait qu’il était beaucoup trop court lorsqu’il a été fixé, et qui l’est devenu d’autant plus que le chantier a subi de nombreux retards, notamment dus à la pollution par le plomb et à la pandémie.

Ceci est d’ailleurs d’autant moins nécessaire qu’il a depuis été largement admis qu’il était possible de rouvrir la cathédrale au public, et d’accueillir les fidèles et les touristes, peut-être même en 2024, sans pour autant avoir terminé le chantier qui pourra se poursuivre sans difficulté au sommet de l’édifice. À quoi sert donc cette ordonnance qui n’est pas nécessaire, sauf pour aller plus vite que ne le permettent les procédures habituelles ?
Or, celles-ci ne sont pas inutiles. Une carrière peut constituer un grave traumatisme pour un paysage, et il est légitime de s’entourer de toutes les précautions nécessaires avant d’en exploiter une. Dans le monde d’avant, l’ouverture, la réouverture ou l’extension d’une carrière était soumise à une enquête publique. À l’issue de cette enquête publique, des autorisations sont accordées, ou non, toutes susceptibles de recours devant la justice administrative. Cela prend du temps, mais ce temps est nécessaire compte tenu des enjeux. Vouloir supprimer ces étapes, c’est risquer des catastrophes environnementales, uniquement pour satisfaire l’hubris présidentiel. La question des matériaux nécessaires aux restaurations et de leur disponibilité est réelle, mais si elle peut être résolue pour les autres restaurations en France, il n’y a pas de raisons qu’elle ne puisse l’être pour la cathédrale.

Il est donc nécessaire de l’affirmer haut et fort : cette ordonnance est inutile et même dangereuse. Elle sera, bien entendu, adoptée par un Parlement aux ordres. Espérons au moins que le passage devant l’Assemblée nationale, et surtout celui devant le Sénat permettra de débattre publiquement de cette question fondamentale.

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