L’hôtel Lambert : un projet de restauration encore bien imparfait

Hôtel Lambert
Façade sur la Seine
Paris
Photo : D. Rykner
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Le 18 décembre 2008, consultée sur le « projet de réhabilitation » de l’hôtel Lambert élaborée par l’agence d’Alain-Charles Perrot, la Commission du Vieux Paris avait exprimé son opposition unanime.

Quatre mois plus tard, après un débat public intense, en dépit des observations d’Alexandre Cojannot (le spécialiste de Louis Le Vau introduit in extremis dans petit conseil scientifique chargé de suivre la restauration), et des très nombreuses recommandations de la Commission supérieure des Monuments historiques (section Travaux) du 9 mars dernier, le projet continue de susciter de légitimes inquiétudes, même si on peut relever des évolutions positives (voir l’article « Hôtel Lambert : des bienfaits de la polémique »). Le mardi 5 mai après-midi, lors d’une séance extraordinaire de la Commission du Vieux Paris, l’architecte en chef a présenté en effet un projet, qui ne matérialise toujours pas les évolutions annoncées, et offre encore de nombreux points obscurs, ambigus, voire carrément inquiétants.

Commençons par l’essentiel. Si l’on en croit le dernier jeu de plans, présentés lors de cette séance, le projet prévoit bien d’installer sous un gros quart du jardin suspendu des "locaux techniques" de grandes dimensions (250 m2 sur deux niveaux de sous-sols, sur sept mètres de profondeur), bâtis en « cuvelage » (selon la légende portée sur le plan) avec les risques bien connus de déstabilisation des fondations voisines en cas de crue (les crues décennales monteraient à mi-hauteur de ces parois étanches, mais les reflux latéraux bien plus haut encore). Quand on prétend redresser le grand escalier (qui a joué sur ses souples pilotis), peut-on jouer avec la stabilité de l’ensemble de l’hôtel ?

Sous la cour, pour le garage souterrain qu’il prévoit toujours d’y creuser, l’architecte annonce avoir renoncé au cuvelage au sens précis du mot (l’eau des crues pourrait s’y engouffrer), dont acte, mais pourquoi diable rester fixé sur l’idée d’un garage en sous-sol : il y avait une logique à cela, lorsqu’il s’agissait de garer sept ou huit véhicules, mais, comme le P.L.U. (plan local d’urbanisme) de l’île Saint-Louis interdit d’accroître le nombre de places et les surfaces de parking, pourquoi dénaturer de manière irréversible la cour pavée d’un des plus beaux et des plus authentiques hôtels du Grand siècle pour placer en sous-sol quatre voitures qu’on savait garer précédemment en surface ? Il serait quant même à la fois plus respectueux du patrimoine et plus chic de garer sa voiture dans l’espace des anciennes remises de carrosses que dans un sous-sol bétonné inondable.

Le troisième point d’inquiétude reste l’ascenseur débouchant dans l’ancien cabinet de Nicolas et Jean-Baptiste Lambert. On ne peut que se réjouir qu’on ait renoncé à percer son plafond à poutres et solives peintes (ce qui permet de sauver du même coup l’escalier de Lassus, qui conduit à l’appartement néogothique des combles), et l’on peut remercier vivement le nouveau propriétaire de ce sacrifice, puisqu’il s’agissait selon l’architecte de sa seule exigence ; mais, puisque cet ascenseur ne sert plus qu’à monter du rez-de-chaussée, qui a fort peu de hauteur, au rez-de-jardin, est-il, tout compte fait, nécessaire ? Ne peut- le repousser derrière une cloison voisine, voire se contenter du petit escalier de dégagement qu’on y trouve, pour jouir d’une pièce qui ne soit pas défigurée par le débouché incongru d’un ascenseur ?

Certains points semblent acquis : conservation des huisseries anciennes, plus nombreuses que ce qui était acté dans le dossier initial (mais leur remontage reste à préciser) ; maintien de l’appartement néogothique aménagé dans le comble du corps principal avec ses vitraux (mais quid de la grande cheminée qui y est associée ?) et de l’escalier de Lassus, qui y mène (dont il faudra veiller à améliorer l’enduit extérieur) ; abandon du projet de remplacer par d’improbables restitutions les éléments du XIXe siècle de la cage du grand escalier.

Cependant restent encore bien d’inquiétantes incertitudes sur le passage des réseaux de fluides liés au mode de régulation de la température choisie (les plans montrés ne fixent l’emprise que de quatre gaines verticales), comme des réserves sur des altérations gratuites des distributions initiales (déplacement de la cloison de l’ancienne bibliothèque qui crée une antichambre obscure) et sur des choix patrimoniaux discutables (remplacement des lucarnes existantes pour créer une uniformité fallacieuse ; restitution de pots-à-feu non documentés, et en tout étant de cause surdimensionnés ; surélévation du muret fermant le jardin vers le quai, au risque d’altérer les rapports visuels de proportions.

S’il est légitime et prudent de prévoir un suivi du chantier, il reste encore, à notre sens, à opérer quelques révisions majeures du parti de restauration pour pouvoir se réjouir sans amers regrets de ce qui attend ce chef d’œuvre de l’architecture française.

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