L’exposition Jacques Stella à Lyon : enjeux et commentaires

C’est à l’occasion des 350 ans de sa mort (survenue en 1657) que le Musée des Beaux-Arts de Lyon, puis celui des Augustins de Toulouse rendent hommage à Jacques Stella, peintre lyonnais ayant longuement séjourné en Italie, à Florence et à Rome, avant de s’installer à Paris pour une carrière riche en commandes, au temps de Richelieu et Louis XIII, puis de la régence d’Anne d’Autriche. L’actuelle présentation lyonnaise lui rend honneur de façon magistrale, malgré toute la difficulté du sujet.

Enjeux : saisir un peintre multiforme et complexe.

Il faut dire que l’artiste souffre encore, malgré les multiples expositions où l’on put voir ses œuvres - il est vrai, souvent les mêmes -, d’une réputation assez peu reluisante. On le dit froid ; son œuvre connu, à ce jour, est essentiellement religieux, ce qui attire peu et conduit souvent à le qualifier de mièvre. Il a noué une longue amitié avec Nicolas Poussin : on aurait pu souligner la nécessaire exigence que celle-ci pouvait impliquer, et donc rechercher chez Stella la hauteur du style ; au lieu de quoi il est rapidement passé pour un imitateur sans talent.
Autant dire que ses admirateurs, encore trop peu nombreux, se réjouissent de la présentation de son art dans toute son ampleur. Avec eux, et avec Sylvain Laveissière, qui a repris le flambeau laissé par son ami disparu Gilles Chomer, préalablement chargé de cette rétrospective, je voudrais rapidement dire la difficulté de l’exercice.
La mauvaise réputation de l’artiste a entraîné l’attribution d’un certain nombre d’ouvrages qui ne sont pas dignes de lui, en particulier pour la peinture sur pierre, dont il a appris la technique à Florence et qu’il a pratiqué au long de son existence, comme en atteste la part très importante figurant à Lyon. Son plaisir était, notamment, de partir des suggestions du support, des veines et accidents consécutifs à la formation de la pierre, pour en jouer et construire sa composition ou asseoir tel ou tel motif. Il n’y a souvent rien de tel dans ce qui peut apparaître sous son nom en la matière.
L’artiste signait volontiers, datait souvent, localisait même, parfois, tout en désignant à l’occasion sa ville d’origine. Ce qui aurait pu être facteur d’une compréhension aisée aura finalement posé problème. L’un des enseignements de l’exposition est que ce genre d’indication doit être pris avec beaucoup de prudence, et qu’il faut se garder, en particulier, de considérer telle ou telle date comme un élément fiable de la chronologie. Pour un cas réglé, tel celui du retable de Provins que Félibien dit peint en 1656, mais qu’un faisceau d’indices - date sur l’œuvre, sur son dessin préparatoire, et mention probable du marché perdu dans un répertoire du Minutier Central des notaires aux Archives nationales - fixe plutôt en 1654, tant d’autres délicats. Ainsi du tableau qui lui fait face à Lyon, L’apparition de la Vierge à sainte Élisabeth de Hongrie, apparemment réalisé à la même date si on lit ce que le peintre est censé avoir écrit au bas - il est vrai dans une des parties les moins bien conservées ; ce que corroborerait le dessin passé chez Éric Coatalem, pareillement daté. J’y reviendrai plus loin.
Il faut dire que Stella ne nous facilite pas la tâche. Il ne dédaigne pas la répétition, sur laquelle il brode de subtiles variations, en particulier dans le domaine du tableau de dévotion - mais pas seulement : on verra à Lyon une méditation continue sur un thème qui a fait sa gloire, L’enfant Jésus retrouvé par ses parents dans le Temple, à travers cinq versions peintes. L’abondance des Vierges et autres Saintes familles participe des réflexions qu’un artiste, tel Raphaël dans ses années florentines, peut entreprendre pour éprouver son vocabulaire et sa grammaire artistiques. Pour l’historien de l’art qui doit ensuite débrouiller l’écheveau, cela complique sérieusement le travail, d’autant que Stella reprend volontiers un motif à des années de distance.
Enfin, parmi les principaux obstacles à la juste perception de son art, il y a la famille. En effet, Jacques, resté célibataire, a fait venir auprès de lui les enfants de sa sœur et d’Etienne Bouzonnet, orfèvre, pour leur enseigner la peinture, le dessin et la gravure. En reconnaissance, ils ont aussitôt accolé à leur nom celui de l’oncle, qui servait souvent seul à les désigner, de leur temps. Or Antoine a eu une brève mais intense carrière de peintre. Entré à l’Académie en 1666, son style s’est formé auprès de l’oncle et de Poussin, qui accepta de le conseiller lors des quelques années passées à Rome (1658-1663). Quant à Claudine, que Mariette, célèbre amateur du XVIIIè siècle, plaçait au-dessus de Jacques même, elle a également pratiqué la peinture (deux sont actuellement connues) et le dessin, ce dont l’exposition lyonnaise rend compte. Si on ajoute le frère de Jacques, François, dont rien n’a encore été identifié, on mesure toute les confusions possibles.
Sylvain Laveissière paraît avoir fait le même constat et a construit sa réponse avec beaucoup de pertinence. Il donne ainsi une excellente idée de l’ampleur de la palette artistique de Stella, graveur, dessinateur, peintre - qui s’est mêlé d’architecture par des répertoires d’ornements mais aussi en produisant le dessin de certains des grands retables qui lui ont été commandés, ainsi que des “perspectives” - et qui a abordé tous les genres.

Choix et impératifs muséographiques.

Au miroir des relations tissées entre Nicolas Poussin et Jacques Stella figure l’amitié de Sylvain Laveissière et de Gilles Chomer, disparu trop tôt pour mener à bien le projet qui lui tenait tant à cœur. De fait, l’exposition est aussi un hommage à l’historien d’art. Ses notes, ses idées, ses pistes sont reprises, exploitées, reformulées par le conservateur du Louvre. Sur cette base, ce dernier a voulu une présentation de ce qu’il y a de plus sûr de l’artiste. À quelques exceptions près, sur lesquelles je vais revenir, c’est un sans faute.
Par chance, et malgré des supports qui pourraient appeler leurs conservateurs à la prudence, il a essuyé très peu de refus. Avec lui, on regrettera l’absence de La libéralité de Titus sous les traits de Louis XIII (Cambridge, Fogg Art Museum, USA), ou de la suite des dessins sur la vie de saint Philippe de Néri (Yale University, USA), notamment. Certains ouvrages, trop fragiles, telle L’assomption de Pastrana, de 1624, première peinture datée, ne pouvaient participer à l’hommage à leur créateur. Mais ce qui est là porte suffisamment haut sa réputation pour ne pas trop s’y attarder.
Le parcours proposé relativise la question de la chronologie, dont tout historien d’art qui se penche sur la production du maître reconnaît, avec Pierre Rosenberg, l’aspect peu linéaire. Il s’articule en 16 sections - moyen de souligner, justement, la complexité de son art et de son évolution. Y est ajouté, pour apporter un début de réponse sur le problème des confusions avec sa famille, un petit ensemble concernant Claudine Bouzonnet Stella.
Je vais en reprendre à la suite le détail mais parmi les apports notoires et les réussites incontestables, il faut signaler l’effort porté sur la formation italienne, notamment dans son aspect graphique, étoffée par un grand dessin comparable dans son ambition à la Cérémonie du Tribut, chef-d’œuvre de la vingt-cinquième année (1621) ; l’heureuse présence de la Judith en prière avant de décapiter Holopherne, probable commande Borghese, chef-d’oeuvre renversant dans l’émulation entre art et nature, qui montre ce fameux rideau d’or dont Stella, selon Félibien, avait trouvé lui-même le secret ; la pièce consacrée aux grands retables ; la présence d’éléments profanes ou sacrés allant à l’encontre d’une réputation dévote que la nièce a sans doute voulu promouvoir, tel le magnifique David et Bethsabée qui sert pour la communication de l’exposition.

Quelques clés pour dégager la cohérence de l’oeuvre.

Une telle manifestation permet de tester les hypothèses émises sur un peintre. Je voudrais en profiter pour esquisser ici une approche globale de son œuvre à partir des pistes ouvertes par la rétrospective de Lyon, en abordant les données biographiques, les problèmes de datation pour lesquels le recours à la gravure, compagnon fidèle de l’artiste, semble l’allié le plus sûr, et l’évolution du style (typologie des personnages, coloris...).

L’homme

Les données biographiques nous sont connues par la “Vie” qu’André Félibien lui a consacrée dans son grand ouvrage d’Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellents peintres, dans le tome qu’il publie en 1688. Certaines informations sont de première main : on remarquera que le catalogue d’ouvrages qu’il réunit concerne essentiellement la période parisienne, et principalement la Régence ; d’autres, manifestement, proviennent des Bouzonnet, chez qui il a recopié des passages de la correspondance que Poussin a échangé avec Stella. Un des apports du catalogue tient à la remise en cause de certaines de ces informations, dans certains cas justifiée (il n’a jamais pu être chef de quartier à Rome), dans d’autres moins convaincante. Reprendre le décompte des années passées en Italie par François, le frère cadet, selon les données d’archives (p. 42-44 du catalogue) tend finalement à confirmer ce que dit l’historiographe : séjour de 1624 à 1627, puis en 1633-1634, soit cinq ans. Au demeurant, son statut au sein de l’Académie de Saint-Luc diffère de celui de Jacques en raison de cette moindre présence. Sans m’appesantir sur un travail remarquable par ailleurs, parce que riche en informations mais aussi en questions, je veux revenir sur deux points : le séjour florentin et le départ de Rome [1].

1. Ici attribué à Jacques Stella (1596-1657)
La Flagellation du Christ
Plume et lavis - Dimensions inconnues de l’auteur
Paris, Ecole nationale supérieure des beaux-arts
Photo : ENSBA
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Je soumets ici à l’étude un élément qui pourrait, à nouveau, donner raison à Félibien, une fois admise la confusion quant à l’évènement qui donne à Stella l’opportunité de se faire connaître. Je l’ai dit ailleurs [2], je pense qu’il est arrivé à Florence au moment des noces de Catherine, sœur du Grand-Duc, avec Ferdinand Ier de Mantoue, et qu’il en repart pour participer aux célébrations à Rome des canonisations de Philippe de Neri, Thérèse d’Avila, Ignace de Loyola et Isidore le Laboureur, qui eurent lieu en 1622. Ce qui correspond aux cinq ou six années évoquées par le biographe.
L’élément en question est un dessin conservé à l’ENSBA, signé curieusement “Stellarii(?)” et daté de 1618. Il s’agit d’une Flagellation du Christ (ill. 1) manifestement d’un jeune artiste marqué par l’art maniériste flamand (sensible dans le costume ou les types), qui le transpose dans un décor florentin tel qu’il apparaît dans les autres témoignages graphiques de son séjour en Toscane. La signature, bien caractérisée, correspond à ce que l’on peut attendre de Stella à pareille date (ill. 2) . Son caractère autographe ne fait aucun doute. Sa forme curieuse doit être dû à une latinisation, et les circonvolution sont déjà présentes, mais timidement.

2. Détail de la signature de La Flagellation du Christ (ill. 1)
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Venons-en au départ de Rome. J’aborde ce problème dans une autre page Internet, ce qui me permet de ne pas trop m’étendre ici. L’emprisonnement au prétexte de quelque amourette ne me semble pas pure invention mais recouvrir une réalité politique complexe qui devait échapper aux Bouzonnet ou qu’il n’était plus bon d’évoquer. Il faut replacer l’histoire dans sa chronologie.
Stella s’est résolu a quitter Rome, selon toute vraisemblance pour se rendre en Espagne à la demande du roi. La décision est prise avant février 1633, date de la lettre à Langlois (autre heureuse trouvaille de l’exposition), et la destination ibérique est confirmée par tout un faisceau d’indices. Parmi eux, des peintures remises par les Barberini (famille siégeant sur le trône papal par l’intermédiaire d’Urbain VIII) à l’ambassadeur espagnol, ou le petit portrait sur cuivre en médaillon, miniature témoins de son art virtuose qui dût servir de morceau de présentation, signé et daté de 1633 (mais malheureusement non retrouvé).
Or la guerre couve entre Paris et Madrid. Elle sera ouverte à partir de 1635. Si l’on voit dans l’emprisonnement de Stella la résultante de ce contexte et une forme d’intimidation pour retenir un peintre reconnu et l’empêcher de servir le roi ennemi, les incohérences ou les enjolivements du passage consacré au retour en France s’éclairent.
Ainsi de la visite du cardinal Barberini, non pour admirer la Vierge que Stella avait dessinée au charbon sur le mur, mais sans doute pour discuter des intentions de l’artiste ; ainsi du retour avec l’ambassadeur de France (sous surveillance ? sous protection ?) ; ainsi du détour par Milan, gouverné par le cardinal Gil de Albornoz, représentant de l’Espagne au Sacré collège, dont la proposition de diriger l’Académie locale constitue une ultime tentative de le rallier au parti espagnol, sans doute, que Stella décline, non pour le roi d’Espagne, de fait, mais pour celui de France ; d’où, après un séjour dans sa ville natale, le voyage pour Paris qui n’est absolument pas sur la route de l’Espagne depuis Lyon : l’ordre de se mettre au service de la couronne française ne dût pas attendre qu’il soit arrivé dans la capitale mais dût être intimé dès les derniers mois à Rome.

Problèmes de datation.

Je voudrais maintenant ouvrir quelques pistes de réflexion concernant la chronologie. En premier lieu, certaines datations doivent être, à mon sens, revues. Je prendrais deux cas précis de remises en cause profondes, mais qui éclairent d’un coup la question.
Le premier concerne les Jeux et plaisirs de l’enfance. Il faut, je crois, suivre les indications de Mariette qui précise (et les travaux érudits l’ont confirmé) que François de Poilly et Jean Couvay avaient entrepris les premières planches à la suite des illustrations de L’histoire de Notre-Dame de Liesse, publiée en 1647. Poilly part pour Rome l’année suivante, ce qui pourrait expliquer l’interruption de l’entreprise. L’ensemble est publié dès 1657, ce qui situe l’achèvement par la nièce du temps de Jacques. Au passage, je le répète ici, cela ruine l’hypothèse qui voudrait y lire un sous-entendu politique faisant allusion à la Fronde.
Le second cas est celui du carton de tapisserie (qui n’a pu être déplacé étant donné son format mais qui sera évidemment visible à Toulouse, où il est conservé). La date de 1650 lui a été assignée à la suite des informations réunies pour l’exposition sur la Tenture de la vie de la Vierge, commande majeure pour Notre-Dame de Paris inaugurée par Philippe de Champaigne et à laquelle ont participé Stella et Charles Poerson (chacun fournissant les dessins des bordures, puisque les angelots, notamment, témoignent de leurs styles) [3].

L’année 1650 est celle du tissage à Bruxelles du Mariage de la Vierge, peint par Stella, dix ans après les cartons de Champaigne exécutés à partir de 1638 (voire 1636). Puis à partir de 1652 tous les autres cartons attribués à Poerson sont traduits en tapisseries. Selon moi, le tissage donne une date butoir après laquelle la peinture ne peut avoir été réalisée, mais ne saurait être employé trop strictement pour la situer : la disparition de Richelieu dès 1642 peut avoir perturbé l’avancement de l’ouvrage.
L’argument du style permet d’abord de revenir sur cette hypothèse. D’une part, il faut reconnaître que l’ensemble des cartons donné à Poerson montre une hétérogénéité de langage difficile à imaginer en si peu de temps (1652-1657), alors que l’artiste est en pleine maturité. On y rencontre les influences de Vouet, de Rubens, de Stella, de Michel Corneille (au point qu’on peut se demander, d’ailleurs, s’il n’est pas tout de même l’auteur du carton du Christ retrouvé par ses parents dans le Temple), de Champaigne ou de Le Sueur, carrefour improbable si on les suppose exécutés dans un si faible écart chronologique. Considérer au contraire qu’il s’agit d’une entreprise accompagnant l’évolution de l’artiste sur une dizaine, voire une quinzaine d’années au moins, permet de mieux le comprendre.
D’autre part, pour Stella, le rapprochement avec le raffinement “atticiste” ou “expressif” du “regard” daté de 1647 (cat. 99 et 100), du Jugement de Pâris de 1650 (cat. 110), de la Vierge autrefois à la Malmaison, de la même année (cat. 111), voire des peintures de 1645 (cat. 84, 87 et 90) montre combien les figures de l’imposant carton conservent une saveur naturaliste dans les types physiques de certains personnages (tel le prétendant rompant son lys), un goût maniériste dans l’élongation serpentine de la Vierge et une élégance qui appartiennent aux premières années en France. L’impact de Carrache et de ses suiveurs n’a pas encore laissé place à la méditation assidue du modèle antique révisée auprès de Raphaël, pour la délicatesse, et de Giulio Romano, pour la puissance.

3. Jacques Stella (1596-1657)
Sémiramis appelée au combat, 1637
Huile sur ardoise - 36,1 x 53,5 cm
Lyon, Musée des Beaux-Arts
Photo : Musée des Beaux-Arts de Lyon
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Si on le place au contraire auprès de la Sémiramis (ill. 3) de 1637 (où l’on retrouve le motif strictement inversé et pareillement traité de la jeune femme vue de trois-quarts dos, se retournant, cat. 54), des peintures pour Saint-Germain (sans doute vers 1638-1639, cat. 74 et 75), de celle de Barnard Castle de 1639 (cat. 59) ou des dessins pour l’Imprimerie royale, il trouve naturellement place auprès de cette production d’inspiration encore nettement bolonaise, qu’il s’agisse de suivre les Carrache, Guido Reni ou le Dominiquin. À mon sens, la commande lui fut donc passée en même temps, ou très peu de temps après que l’on ait fait appel à Champaigne.
Au demeurant, lorsque Michel Le Masle déclare vouloir donner une tenture de tapisserie sur le thème de la Vie de la Vierge pour le choeur de Notre-Dame au nom de Richelieu, il annonce un ensemble de quatre pièces, vraisemblablement les quatre premiers épisodes d’un cycle en ayant compté, finalement, quatorze. L’annonce faite en mars 1638 peut avoir été précédée de la commande des cartons (et Guillet, qui mentionne ceux de Champaigne, les situe en 1636). Placer le tableau de Toulouse vers 1638 paraît donc non seulement possible mais vraisemblable.
La typologie vient à l’appui de cette révision. Dans les premières années parisiennes, l’artiste semble varier ses visages par des études encore sur nature, certaines têtes semblant caractérisées comme un portrait, détaillant les traits et la chevelure, malgré une tendance “à l’antique” déjà présente. Vers 1650, voire depuis 1645 environ, l’évocation de la statuaire gréco-romaine dans la poursuite de l’idéal plastique devient une constante et participe de cette distance que l’artiste aime a introduire dans la perception de l’image qu’il produit (les détails familiers étant, eux, chargés de compenser cette distance en y introduisant l’univers du spectateur). En conséquence, les visages se géométrisent, et la lourdeur de certains profils évoquent la demie-lune, le drapé devient lourd, les plis amples, et l’artiste refuse les effets de drapé bouffant, en particulier ceux des manches qui tournent, ou des vêtements, maintenus haut autour de la taille ou tombant, fréquents dans les années 1630 (cf. cat. 49, 52, 54, 55, 57, 58, 67, 73, 81 et 105). Le cat. 113, de 1651, qui reprend un schéma mis au point à cette époque (cf. cat. 58), est instructif sur ce point, puisqu’il utilise le motif de la manche tombant en lui conférant un effet tout différent.
On peut faire de même pour le coloris. Celui pratiqué au retour d’Italie a la profondeur de l’école bolonaise, emploie une palette large aux couleurs franches, baignées dans une lumière encore relativement chaude en contraste avec des ombres qui peuvent être très présentes, comme en témoigne en premier lieu l’Adoration des anges de 1635 (cat. 56, voir aussi cat. 54 et 59, de 1637 et 1639). Stella en atténue progressivement l’éclat, tend à substituer le rose au rouge, développe, par l’alliance de l’architecture et des rehauts lumineux blancs, cette lumière laiteuse qui frappe dans le retable des Andelys (cat. 81) ou dans la Clélie (cat. 96). Les dernières années sont l’occasion de revenir à des ombres plus profondes d’où se dégage une gamme caractéristique presque criarde de vert, rose et jaune plus ou moins éteints, souvent associée à des bleus sonores et aux effets de moire, dont peuvent donner une idée Le Repos de la Sainte Famille de Madrid (1652 ; cat. 114), le retable de Provins (1654, cat. 118) ou, pour des peintures non datées mais pour lesquelles on s’accorde à une situation aussi tardive, les pendants sur l’histoire de Salomon (cat. 108 et 109), le Ravissement des Sabines (cat. 107) ou L’Embaumement du Christ (cat. 125 ; voir brève du 12/5/05).
Il s’agit d’un schéma général dans lequel il faut associer les aspects du dessin et du coloris et qu’il faut moduler suivant le sujet et son cadre. On notera, sur ce point, la difficulté à les appliquer aux peintures d’architectures, dans la mesure où la minéralité y est dominante, et où les figures sont de faibles dimensions ; de même, le support intervient, le cuivre rehaussant le caractère précieux de la gamme chromatique, le marbre noir ou l’ardoise en assourdissant l’impact. Sans doute leur pratique, poursuivie durant toute sa carrière, a-t-elle joué, d’ailleurs, dans ses recherches, et donc dans l’évolution de son style. D’où cette persistance à dérouter...

Stella, peintre d’architectures.

Ces “architectures”, qui évoquent immanquablement Jean Lemaire, posent un problème dont Sylvain Laveissière a bien conscience. Le premier point concerne le David (cat. 51), dont la date avait fait l’objet d’une lecture qui semble bien fautive ; je n’ai pas lu 1634 mais 164., le dernier chiffre demeurant illisible. De fait, cela correspond mieux au raffinement et à l’élégance de la “danseuse Borghese” mais aussi à la plénitude et à la souplesse des formes féminines, plus proches de la Clélie (cat. 96) que de la Sémiramis (cat. 54) et, a fortiori, des dessins et gravures de la fin du séjour romain.

4. Jacques Stella (1596-1657)
L’Adoration des anges, 1635
Huile sur toile -142 x 199 cm
Lyon, Musée des Beaux-Arts
Photo : Musée des Beaux-Arts de Lyon
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J’ai déjà suggéré que le Jugement de Salomon (cat. 52) soit rapproché de ces derniers, même s’il est trop tôt, encore, pour exclure les toutes premières années françaises. Les types physiques sont très marqués par le naturalisme pondéré de Dominiquin. Plus nettement romain, peut-être, La lapidation de saint Étienne (cat. 53) prend son sens auprès de l’Allégorie Borghese (cat. 46, 1633) et du frontispice de 1632 pour un ouvrage d’Alfonso Pallavicini (p. 36, fig. 2, réemploi de 1666), avec son ampleur dansante, son canon trapu et les types physiques ronds, plus proche de Reni, aussi. L’Adoration des anges de 1635 (ill. 4 ; cat. 56) prolonge un peu cette veine, qui doit peut-être aussi au regard sur Charles Mellin. Le caractère changeant de l’artiste, à cette date, éclate si on compare ces éléments au dessin de l’Ashmolean Museum, de 1631 (cat. 45) et à la gravure qui en est rapprochée (voir plus bas, ill. 17).
Le naturalisme bolonais semble comme corrigé sur l’antique dans la très élégante Libéralité de Titus (p. 108), qu’il faut rapprocher, par le travail sur les formes, des frontispices publiés en 1640 (cat. 71 et 73) et 1641 (Introduction à la vie dévote, à l’Imprimerie royale). Entre-temps doit se placer le monumental Mariage de la Vierge (cat. 105).
D’autres peintures, pour lesquelles, très souvent, le nom de Lemaire est cité, à tort, doivent être rendues à Stella :

 Domine quo vadis (ill. 5) installé sous un arc de triomphe [4], vers 1640 (?) ;

5. Ici attribué à Jacques Stella (1596-1657)
Domine quo vadis, vers 1640 ?
Huile sur toile - 61 x 49,5 cm
Localisation actuelle inconnue
© D.R.
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 Vénus montrant ses armes à Énée (ill. 6) [5], à situer vers 1645, époque où les personnages comme les drapés sont d’une densité accrue ;

6. Ici attribué à Jacques Stella (1596-1657)
Vénus montrant ses armes à Enée, vers 1645
Huile sur toile - 60 x 48 cm
New York, Collection particulière
© D.R.
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 Mariage d’Hercule [6] (ill. 7) qui partage certaines de ces figures avec un tableau de Personnages romains devant le tombeau d’Achille ? (ill. 8) [7], dans lequel on retrouve le motif du mendiant de la Sainte Anne de Rouen (cat. 74). Il est à situer vers 1645 ; les mariés du premier tableau reprennent le schéma du célèbre bas-relief des Noces de Thétis et Pelée (Louvre, collection Campana) ;

7. Ici attribué à Jacques Stella (1596-1657)
Le Mariage d’Hercule et Déjanire, vers 1645
Huile sur toile - 60 x 90,5 cm
Localisation actuelle inconnue
© D.R.
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8. Ici attribué à Jacques Stella (1596-1657)
Personnages se rendant au tombeau d’Achille, vers 1645
Huile sur toile - 92 x 126,5 cm
Localisation actuelle inconnue
© D.R.
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 Personnages apportant des fleurs à un temple (Mercure apercevant Hersé ?), (ill. 9). L’exposition (et le petit ensemble évoqué ici) devrait permettre de faire tomber les réticences à son propos (le tableau est encore considéré comme de Lemaire, dont les figures sont plus lourdes, dans le catalogue par Philippe Malgouyres des peintures françaises, paru en 2001 [8]). De tous, celui-là semble le plus tardif : les types physiques sont proches du Jugement de Pâris (cat. 110) et du Ravissement des Sabines (cat. 107) et les drapés ont cette sculpturalité antique de la dernière période. Il est à dater vers 1650.

9. Ici attribué à Jacques Stella (1596-1657)
Personnages apportant des fleurs à un temple
Huile sur toile - 82 x 103 cm
Rouen, Musée des Beaux-Arts
Photo : Musée des Beaux-Arts de Rouen
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Je terminerai par un dessin sans doute préparatoire à une composition ambitieuse : un Portement de croix(ill. 10), qui vient de passer en vente chez Christie’s à Paris [9] sous une attribution à l’Ecole française du début du XVIIe siècle ; l’annotation qu’il porte, peut-être due à Dezallier d’Argenville (dont le paraphe apparaît en bas à droite avec sa numérotation) chez qui il était ainsi classé, avait été négligée pour proposer une situation au tout début du XVIIè siècle, peut-être autour de Dubreuil ou dans la suite de Caron ; ce qui est d’autant plus significatif que le Testament de Claudine inventorie une peinture de ce dernier. Mais le parti graphique est à rapprocher du dessin préparatoire au Ravissement des Sabines (cat. 106), et un détail comme les petits enfants dans l’angle inférieur gauche forme presque signature ; l’aspect menu des figures invite à une datation vers 1635-1640.

10. Ici attribué à Jacques Stella (1596-1657)
Le Portement de Croix
Lavis - 29 x 19,3 cm
Localisation actuelle inconnue
Photo : Christie’s Paris
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Le recours à la gravure.

Les lignes qui précèdent en témoignent, les références gravées (donnant un terminus ante quem) sont un outil d’autant plus précieux pour la chronologie de Stella qu’il a abondamment produit pour ce medium. Pour ma part, par exemple, la découverte du frontispice pour le Goffredo (ill. 11) de l’Imprimerie royale (reproduit dans le “Dossier de l’art” édité à l’occasion de l’exposition, mais pas dans le catalogue), confrontée aux images de L’histoire de Notre-Dame de Liesse (ill. 12) a immédiatement éclairé la situation du Marc-Antoine de Budapest (cat. 91 ; ill. 13). Cela demande un minimum de précaution, permettant d’acquérir des certitudes : ainsi fallait-il arriver à la conclusion que la suite gravée pour l’ouvrage de Saint-Perès avait été publiée d’abord en 1647 et que le projet avait pris corps en 1644, en ce cas précis. Ce qui du même coup date assez précisément l’étude préparatoire très libre du Louvre pour l’une de ses images.

11. Gilles Rousselet,
d’après Jacques Stella
Frontispice pour Il Goffredo, 1644
Gravure
Paris, Bibliothèque nationale de France
Photo : BnF
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12. François de Poilly,
d’après Jacques Stella
Le Vœu de la Vierge réalisé
Illustration pour L’histoire miraculeuse
de Notre-Dame-de-Liesse
,
gravure pour l’édition de 1647
Paris, Bibliothèque nationale de France
Photo : BnF
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13. Jacques Stella (1596-1657)
La Mort de Marc-Antoine
Huile sur toile - 53 x 40,3 cm
Budapest, Musée des Beaux-Arts
Photo : Sylvain Kerspern
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Je prendrai un autre exemple, identifiant par là-même un ouvrage sur lequel Isabelle de Conihout s’interroge (p. 41). La Clef des philosophes, dont le frontispice (ill. 14) est orné d’une gravure de Couvay d’après Stella (selon la juste attribution de Mariette), est un ouvrage de Léonard de Marandé, qui l’avait d’abord appelé Le théologien françois ou la clef des philosophes, et dont le titre plus complet est Abrégé curieux et familier de toute la philosophie, logique, morale, physique et métaphysique, et des matières plus importantes du théologien françois ; le privilège lui en est accordé le 8 janvier 1640, et l’achevé d’imprimer date du 8 janvier 1642 [10]. Le dessin de Stella date donc, au plus tard, de 1641.

14. Jean Couvay
d’après Jacques Stella
Frontispice pour Abrégé curieux (...)
ou la Clef des Songes
, publié en 1642
Gravure
Paris, Bibliothèque nationale de France
Photo : BnF
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Le catalogue

Au long des remarques qui suivent pour préciser tel ou tel aspect consigné dans le catalogue, je donnerai, chaque fois que cela sera possible, une indication de date. Deux mots encore, avant de m’y consacrer : elles résultent d’un déjà long voisinage avec le peintre, et d’une relation privilégiée qui finit par introduire, par-delà les siècles, une sorte d’affection. Ce sentiment, j’en suis sûr, était partagé par Gilles Chomer. Sylvain Laveissière et les différents partenaires de l’exposition, devant sa réussite, méritent amplement notre gratitude.

I. Portraits Première salle, première section ... et premier problème. Jacques Stella s’est peint plus volontiers que Poussin : en particulier sur le toit d’un appentis en train de représenter La cérémonie du Tribut, dans la gravure de 1621, dans un médaillon de cuivre publié jadis en Espagne (hélas non repéré aujourd’hui) en 1633, avec sa mère dans l’effigie aujourd’hui à Vic-sur-Seille ou dans le retable de Provins, en 1654. Ses traits, bien connus, se retrouvent dans un tableau appartenant au Musée des Beaux-Arts de Lyon depuis le XIXe siècle, qui a porté de nombreuses attributions, avant qu’on ne propose d’y voir un autoportrait. J’y crois volontiers. Le rapprochement avec le tableau de Vic-sur-Seille est instructif. Ce dernier semble moins épargné par le temps, et la facture est un peu plus heurtée. Mais la façon de modeler le visage, dans les meilleures parties, est identique, et on rapprochera le rendu de la coiffe bressanne de Claudine de Masso, ici, du pourpoint noir de Jacques, là. Comparer avec les effigies de 1633 et de 1654 (voir sur la page “varia” du site “D’histoire & d’@rt") conduit à une datation assez éloignée du premier terme, à mon sens, dans les deux cas. Le double portrait bénéficie de comparaison possible avec le dessin, de 1654, représentant Madame de Masso, manifestement plus âgée, en sorte qu’une réalisation vers 1645, eniviron dix ans plut tôt, paraît vraisemblable. Le situer vers le temps où Jacques installe sa mère auprès de lui, à Paris, en 1643 - comme un témoignage laissé à sa famille restée à Lyon ? - est envisageable. Celui de Lyon doit être assez proche mais sa raison d’être reste problèmatique. S’il s’agissait de célébrer l’ordre de Saint-Michel (obtenu en 1644 selon Félibien), on s’étonne qu’il ne l’arbore pas - alors qu’il apparaît à Provins. Il est vrai qu’il s’agit, à l’instar de l’effigie que Poussin donne (donnera ?...) de lui-même, d’une image insistant sur les fondements théoriques et légendaires de l’art : sanguine tenue à la main pour souligner le rôle du dessin, et ombre portée sur le fond, pour évoquer l’origine supposée de la peinture, dans la version mettant en scène Dibutade (qui traça à partir de l’ombre sur le mur le contour du portrait de l’homme qu’elle aimait, pour en conserver le souvenir alors qu’il devait partir).

III. Rome, 1623-1634 : l’œuvre graphique

 À propos de la suite de Yale sur saint Philippe de Néri, p. 77. Une des illustrations reprend les éléments d’une peinture en largeur conservée au Palais Barberini [11] (ill. 15) ; les différences, notamment les deux personnages longilignes (à rapprocher de l’Adoration des bergers du Musée Magnin), suggèrent une datation plus précoce, à la suite de la gravure du Tribut et du dessin de la foire du Prato dont l’esprit se retrouve, et la mise en rapport, de fait, avec les travaux exécutés à l’occasion des fêtes de canonisations de 1622, qu’elle pourrait préparer.

15. Jacques Stella (1596-1657)
La Rencontre de Saint Philippe de Néri
et de Félix de Cantalice
, 1622
Huile sur toile - Dimensions inconnues de l’auteur
Rome, Palazzo Barberini, Galleria d’Arte Antica
Photo : Sylvain Kerspern
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IV. Rome, 1623-1634 : peintures et dessins

 Cat. 28. Le songe de Jacob (Los Angeles, County Museum of Art). Une datation vers 1625 pourrait être proposée. Un rapprochement est à faire avec la Sainte Cécile de Rennes (ill. 16), de 1626 (pour le type d’ange au visage ovale allongé, au nez fin, et la façon de les peindre) ; le visage vu de dessous de Jacob se retrouve dans les gravures de 1624-1625, voire dans la suite de Yale. La comparaison avec la gravure florentine (avec habits toscans pour Jacob) laisse peu d’espoir d’en faire une création du même temps.

16. Jacques Stella (1596-1657)
Sainte Cécile, avec vue sur la villa Médicis, 1626
Huile sur cuivre - 66 x 54,5 cm
Rennes, Musée des Beaux-Arts
Photo : Service de presse
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 Cat. 30 et 31, La Décollation de saint Jean-Baptiste et Une musique à la lumière d’une chandelle (dessins ; collection particulière et Amsterdam, Rijksmuseum). Deux exemples de caravagisme, aux signatures laborieuses (celle de la Décollation de saint Jean-Baptiste, au moins, semble incontestable). J’ai déjà proposé de situer le n° 31 dans le contexte florentin, où travaille Artemisia Gentileschi (que Stella retrouve d’ailleurs à Rome à proximité de son domicile) et où séjourne brièvement Honthorst autour de 1620.
La technique du n° 30 me semble toute florentine (on pense à Cigoli), et à rapprocher des n° 8 et 11.

17. Jacques Stella (1596-1657)
Nativité
Pierre ou marbre - Dimensions inconnues de l’auteur
Bath, Holburn Museum
Photo : Sylvain Kerspern
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- Cat. 35, La Sainte Famille visitée par sainte Elisabeth, Zacharie et saint Jean-Baptiste ; Dieu le Père, le Saint-Esprit et des angelots portant les instruments de la Passion. Cette merveilleuse acquisition du musée de Lyon (voir brève du 15/11/06), que j’avais également repérée lors de sa vente, pourrait être une peinture très précoce (vers 1620-1625). La cambrure des enfants est celle de la gravure qui les fait danser davant une hôtellerie (cat. 9) alors que ceux de la Sainte Cécile (ill. 16), par exemple, l’ont perdue. On peut rapprocher également les personnages, de ceux de la Nativité (ill. 17) de Bath (où se retrouvent les deux figures longilignes du dessin Magnin, évoqué plus haut).


 Cat. 41, La Tentation de saint Antoine (dessin ; Paris, Musée du Louvre). A situer dans le contexte florentin, par rapport à Callot et à l’art toscan du temps, de même que le recto.

 Cat. 45, Un guerrier oriental et sa suite sur une colline boisée avec un camp militaire à l’arrière-plan (dessin ; Oxford, Ashmolean Museum). Je reproduis ici la gravure de Greuter (ill. 18) que j’ai publiée en 1994 et qui est citée dans le catalogue. Un dessin préparatoire (ill. 19) est passé en vente à Drouot le 27 avril 1990 (chez Arcole), sous le nom de Federico Zucarro (n° 239). On peut regretter que l’estampe ne figure pas dans l’exposition, puisque sans être datée, elle peut être assez précisément cernée (vers 1631) et qu’elle propose des éléments d’ancrage pour le Jugement de Salomon (cat. 52).

18. J.F. Greuter d’après Jacques Stella
Pomis sua nomina servan
Gravure
Paris, Bibliothèque nationale de France
Photo : BnF
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19. Jacques Stella (1596-1657)
Pomis sua nomina servan
Lavis - Dimensions inconnues de l’auteur
Localisation actuelle inconnue
Photo : Arcole
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De la même époque doit dater une petite peinture sur cuivre en mains privées, passée en vente chez Christie’s à Londres le 21 septembre 2006 (sous le nom de Francken !) représentant Dalila coupant les cheveux de Samson (ill. 20). On en rapprochera notamment la gravure d’Audran reproduite p. 36 (fig. 1 du catalogue), où se trouve notamment le même type de casque en escargot, et, bien sûr, l’Allégorie Borghese du Louvre (cat. 46). Le visage de Dalila peut encore être rapproché de celui de la Vierge de l’Annonciation de Pavie (1631, cat. 39) ; le schéma architectural se retrouve aussi, notamment, dans la gravure montrant La mort de Chrispe pour un ouvrage de Tristan L’Hermitte publié en 1645.

20. Ici attribué à Jacques Stella (1596-1657)
Dalila coupant les cheveux de Samson
Huile sur cuivre - 24,8 x 20,6 cm
Collection particulière (avant restauration)
Photo : Christie’s Londres
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V. De Rome à Paris

21. Jacques Stella (1596-1657)
Le Sommeil de l’enfant Jésus avec trois angelots
Huile sur marbre - 32,1 x 28,2 cm
Lyon, Musée des Beaux-Arts
Photo : Service de presse
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- Cat. 63, Le Sommeil de l’Enfant Jésus avec trois angelots (ill. 21). Tout porte à croire qu’il s’agit d’une commande royale, en raison de l’inscription sur l’oreiller (elle aurait donc pu glisser vers la section suivante). Le tableau mentionné en note 4 doit être celui passé peu après par la galerie de Jacques Leegenhoek (Paris).

 Cat. 64, Sainte Cécile jouant de l’orgue (Paris, Musée du Louvre). Aux autres versions mentionnées de cette œuvre du Louvre, il faut ajouter un exemplaire passé chez Éric Coatalem, apparemment plus tardif (cf. le traitement de la manche et du visage) et moins décoratif.

 Cat. 66, La sainte famille avec un ange qui prépare la bouillie (Toulouse, Musée des Augustins). La place de ce charmant tableau dans cette section a de quoi dérouter. Le lien peut se faire avec la méditation des enseignements de Rome, de Raphaël et de Giulio Romano, mais c’est une constante de l’œuvre de Stella qui va croissant. Le type physique de la Vierge, qui doit surtout à Léonard, se retrouve dans un tableau présenté dans l’exposition Raphaël et l’art français (p. 93) sous le nom de Michel II Corneille (ill. 22) mais que j’ai toujours considéré comme de Stella, à cette époque, soit vers 1645-1650. Elle était alors dans la collection J.S. Johnson, après avoir été montrée à la Galerie Heim à Londres durant l’été 1974 et correspond au n° 12 du Testament et inventaire de Claudine Bouzonnet Stella (“ La Vierge à l’Enfant-Jésus sur ses genoux qui tient un chardonneret sur une cerise, et auprès, une corbeille de fruits”). J’ajoute que je souscris à l’identification faite par Michael Szanto à propos du “petit ménage” du même document avec un tableau en collection particulière que j’avais signalé comme tel à Gilles Chomer. Enfin, une Vierge à l’Enfant (ill. 23) conservée dans l’église de Loguivy-de-la-Mer que M. Christian Adrien, en me la signalant, rapprochait de Blanchard, doit être rendue à Jacques Stella, ce que la découverte d’une gravure de Poilly (non publiée par José Lothe dans son ouvrage sur les deux frères graveurs, lacunaire à propos de Stella) a confirmé.

22. Ici attribué à Jacques Stella (1596-1657)
La Vierge à l’enfant au chardonneret
sur une cerise

Huile sur toile - 82,5 x 66 cm
Localisation inconnue
© D.R.
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23. Ici attribué à Jacques Stella (1596-1657)
Vierge à l’enfant
Huile sur toile - Dimensions inconnues de l’auteur
Loguivy-de-la-Mer, église
Photo : Sylvain Kerspern
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VI. Peintre du roi, peintre d’église

 Cat. 74 et 75, Sainte Anne conduisant la Vierge au Temple et Saint Louis faisant l’aumône (ill. 24). Le Saint Louis me semble voisin de style de la Sémiramis (1637, cat. 54 ; ill. 3), plutôt que des frontispices de 1640 (cat. 70 et 73). Cette date semble avoir été lue sur la Sainte Anne mais ne s’y trouve pas. Les contacts pris avec le musée de Rouen n’ont pas permis d’élucider ce mystère. Sans aller jusqu’à remonter à 1635 (année pour moitié occupée par le séjour lyonnais) comme je l’avais un peu hâtivement proposé en 1994, la date m’en semble toujours trop tardive, un an ou un an et demi à peine avant le retable des Andelys, réalisé durant l’hiver 1641-1642 (cat. 81), et deux ans après La Libéralité de Titus (reproduit p. 108). En fait, j’échangerais volontiers leurs datations : ce dernier vers 1639-1640, la Sainte Anne vers 1638.

24. Jacques Stella (1596-1657)
Saint Louis faisant l’aumône
Huile sur toile - 135,5 x 105 cm
Bazas, musée apothicairerie, dépôt de l’église Saint-Jean
Photo : Didier Rykner
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25. Jacques Stella (1596-1657)
La Vierge donnant de la bouillie à l’Enfant Jésus,
avec un angelot soufflant sur le réchaud

Huile sur toile - 66 x 52 cm
Blois, Musée communal du château
Photo : Service de presse
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26. Jacques Stella (1596-1657)
Le Christ mort sur les genoux de la Vierge
Huile sur toile - 65 x 53 cm
Limoges, Musée municipal de l’Evéché
Photo : Didier Rykner
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- Cat. 76 et 77, La Vierge donnant de la bouillie à l’Enfant Jésus, avec un angelot soufflant sur le réchaud (ill. 25) et Le Christ mort sur les genoux de la Vierge (ill. 26). Ce qui semble bien être une mise en pendant peut dérouter, sur le plan du style. Le tableau de Blois (La Vierge donnant de la bouillie...), en excellent état, s’inscrit dans la tradition de Bronzino et fait revivre le coloris maniériste toscan en plein XVIIe siècle à Paris. Celui de Limoges, moins bien conservé et dont le bleu a viré en plus d’un endroit, nuisant à la lecture du drapé, propose un langage “doloriste” qui fait penser à l’Espagne. Le sentiment religieux s’en retrouve dans le petit cuivre de 1643 (cat. 78, Le Christ mort en collection particulière) et dans l’Embaumement de Montréal (cat. 125), dont il est formellement le plus proche. Un tondo aujourd’hui non localisé, signé et daté de 1651, montre un sujet voisin de celui de Blois, à situer aussi dans la dernière production de l’artiste.

 Cat. 88 à 90, L’Apparition de la Viege à sainte Elisabeth de Hongrie en présence de saint Jean l’Evangéliste et de saint François d’Assise (retable de Bellecour et deux dessins). Le dessin de Nancy est manifestement préparatoire, tandis que celui de la Galerie Éric Coatalem, identique au tableau achevé pourrait être un ricordo ; au bas à droite se trouve une inscription, non une signature qui donne pour date 1654. Le style du tableau et celui du bozzetto de Nancy, dont on peut rapprocher les anges de ceux d’un Saint-Augustin conservé au Louvre, au faire lui-même proche du Baptême du Christ dessiné en collection particulière (cat. 85), situent l’œuvre certainement en 1645.

27. Jacques Stella (1596-1657)
La Vierge donnant la bouillie à l’enfant, un ange ne prière
et un angelot soufflant sur le réchaud
, 1651
Huile sur toile - Dimensions inconnues
Localisation actuelle inconnue
© D.R.
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28. Jacques Stella (1596-1657)
L’Apparition de la Vierge à sainte Elisabeth de Hongrie
en présence de saint Jean l’Evangéliste
et de saint François d’Assise

Huile sur toile - 352 x 242 cm
Versailles, Eglise Saint-Symphorien de Montreuil
Photo : Didier Rykner
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Parmi les œuvres accessibles par Internet, je signalerai, entre autres, une peinture autrefois donnée à Bourdon et actuellement cataloguée comme Licherie (ce qui n’est pas plus convaincant) au Los Angeles County Museum of Art, montrant La Vierge tenant l’Enfant à qui lui présente un œillet, apparemment dans un cadre évoquant l’Égypte. Une datation vers 1643 paraît envisageable, notamment par rapprochement avec la Purification de la Vierge de Béziers (commande originellement donnée à Poussin et réalisée avant son départ de Paris par l’ami Stella).

VII. Sujets classiques

 Cat. 92, Vénus et l’Amour dans la forge de Vulcain (collection particulière). Lorsqu’elle était chez les frères Pardo, j’avais cru lire pour date 1641. Le dernier chiffre me paraît aujourd’hui impossible à déterminer mais il faut noter que la pose de la déesse est identique à la Vierge de la Madone Sublet de Noyers (cat. 65), ce qui doit en effet situer aux débuts des années 1640 cette vision très “stellesque” de la famille de l’Amour.

 Cat. 93 et 94, Allégorie de l’Astronomie et Allégorie de la Sculpture (Luxembourg, collection particulière). Le rapprochement fait avec le tableau d’Oldenbourg était d’abord stylistique, pour donner un équivalent à deux peintures dont l’attribution pouvait encore étonner ; je ne pense pas que cela en fasse un troisième élément d’un ensemble, d’abord parce qu’il ferait doublon avec l’un des deux tableaux passés par la galerie Coatalem, ensuite parce que ce qui rapproche ces derniers tient aussi au type physique et à l’apparence identique du personnage principal, très différent en Allemagne. Ce qui soutient l’idée de quelque héros grec endossant la responsabilité de l’invention des arts ou de leur enseignement aux hommes.

 Cat. 95, Clélie passant le Tibre, dessin (collection particulière). Si je partage les réticences à propos du dessin Polakovits, le dessin Chantilly me paraît plus acceptable, tant il colle à l’inventivité de la composition (même si on peut se demander s’il ne s’inspire pas autant du Bain de femmes de Poussin que de la version rubénienne du thème), pour laquelle il propose des variantes.

La veine classique de Stella peut encore être étoffée, par exemple :

 Diane au repos (ill. 29) tondo passé comme “école de Vouet” dans les ventes à Paris, palais Galliera, les 31 octobre 1974 et 7 mars 1975. Le type de profil est celui, par exemple, de la femme du frontispice de La mort de Chrispe, gravé par Daret pour l’édition de 1645 de cet ouvrage de Tristan Lhermitte.

29. Ici attribué à Jacques Stella (1596-1657)
Diane au repos
Huile sur toile - Diamètre : 144 cm
Localisation actuelle inconnue
© D.R.
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 oserais-je une bacchanale ? Le musée Magnin (Dijon) en conserve une située dubitativement dans l’école italienne, dans le catalogue qui en a été dressé par Arnauld Brejon de Lavergnée [12], n° 128. La présence de putti nombreux au type physique concordant, comme celui de la jeune femme au centre (à rapprocher de l’Allégorie Borghese), incite à l’attribution à Stella, sans doute dans les dernières années à Rome ; à rapprocher également du dessin d’Orléans (cité dans le catalogue de l’exposition p. 104, en note). Voir, enfin, mon étude sur le site “Dhistoire & d’@rt

VIII. Thèmes sacrés

 Cat. 105, Le Mariage de la Vierge (Toulouse, musée des Augustins). La révision de date proposée ici appelle de nouveaux commentaires. Le rapport avec les premiers Sacrements de Poussin n’a de raison d’être que par la source commune, Raphaël ; en l’occurence, il s’agit pour Stella d’un emprunt réinventé de L’école d’Athènes, y compris dans l’idée d’une circulation latérale, depuis le groupe de jeune femmes jusqu’au prétendant malheureux et rageur, qui devient circulaire avec la perspective et les petits personnages du fond. Il faut limiter l’intervention d’un éventuel spécialiste pour la bordure, tant il est certain que les angelots sont du maître (comme d’ailleurs on reconnaît ceux de Champaigne et de Poerson dans celles des autres tapisseries).

IX. L’effet Poussin

Je me suis assez battu contre l’idée reçue qui faisait de Stella un suiveur de son ami pour commenter longuement cette section. La note qui précède dit assez quelle prudence elle appelle, tant la chronologie de Stella demeurait problèmatique. Si la comparaison s’impose pour L’Enlèvement des Sabines (cat. 107 ; ill. 30), elle nuit à la perception de la profonde originalité du Jugement de Pâris (cat. 110) ou des pendants sur l’histoire de Salomon (cat. 108 et 109). Stella ne place pas la sagesse du roi dans son jugement, mais dans la reconnaissance qui en est faite, et à travers lui, celle de la toute-puissance divine. Est-ce parce qu’il s’agit de commenter le Jugement de Salomon de Poussin ? L’attribution désormais acquise du tableau de Vienne (cat. 52) sur ce sujet donne beaucoup plus d’éléments de comparaison (abondance des spectateurs, motifs féminins...), en sorte que c’est bien plus une méditation poursuivie à partir de sa création qu’une réaction au chef-d’œuvre de son ami. Sylvain Laveissière, en les réunissant, va aussi dans ce sens, consciemment : pour poussinesques qu’ils peuvent sembler, ils montrent un art tout différent, et celui qui propose le plus d’affinités avec l’ami normand est aussi celui qui a rencontré les plus grandes réticences auprès des spécialistes de celui-ci à l’égard de l’hypothèse Stella...

 Cat. 107, L’Enlèvement des Sabines (ill. 30). Le style désigne une datation tardive, comme celle des ouvrages évoqués par l’historiographe qui ont pu être identifiés.
Parmi les tableaux mis en avant par Félibien cité dans la notice, un Triomphe de David est peut-être préparé par un dessin conservé au musée de Châlons-en-Champagne, annoté ... “Poussin”.

30. Jacques Stella (1596-1657)
L’Enlèvement des Sabines
Huile sur toile - 116 x 164 cm
Princeton, The Art Museum, Princeton University
Photo : Didier Rykner
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31. Ici attribué à Jacques Stella (1596-1657)
Le Triomphe de David
Plume et lavis - Dimensions inconnues de l’auteur
Châlons-en-Champagne, Musée
© D.R.
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X. Derniers sujets sacrés

 Cat. 124, La Mort de saint Joseph (dessin, Vienne, Akademie der Bildenden Künste, Kupferstichkabinett). La date de 1657 est-elle autographe ? Elle situerait le dessin dans les derniers mois d’existence de Jacques Stella. Le statut de cette feuille, étonnant, prête à discussion ; et pourtant, les profils du Christ et de sa mère appartiennent à la typologie de Jacques, non à celles d’Antoine ou de Claudine. L’usage du lavis se retrouve, par exemple, dans le dessin préparant L’embaumement de Montréal (cat. 125) passé par la galerie Coatalem ; il ressemble beaucoup aussi à ce qui peut désormais être rendu à Claudine. On peut se demander s’il ne s’agirait pas d’une ultime méditation de l’oncle sur la mort, que la nièce aurait complété, notamment dans la partie supérieure. La comparaison avec le tableau apaisé de Grenoble accroit encore la charge émotionnelle de cette feuille. Quant au Noli me tangere qui en est rapproché, du Fogg Art Museum (Cambridge), je suis rapidement revenu sur l’hypothèse Antoine au profit de l’oncle, vers 1648 s’il faut tant soit peu tenir compte de la date.

XI. D’après nature

 Cat. 126, La Mort astrologue (dessin, collection particulière). Il faut rétablir la lecture de l’inscription, très instructive : “Le medessin mons. Renodot à l’original de ceste mort”. Il s’agit du célèbre Théophraste Renaudot, qui disposait depuis 1646 et jusqu’à sa mort en 1653, au titre d’historiographe du roi, d’un logement dans la galerie du Louvre. Il était donc voisin de Stella. Il se pourrait qu’il s’agisse d’une esquisse pour un tableau peint pour le gazettier en 1648. La note humoristique est d’autant plus percutante que Renaudot connaissait la disgrâce, après la mort de ses protecteurs Richelieu et Louis XIII.

 p. 210, sous la référence à la vente Bénard 2817. L’un de ses dessins, montrant l’activité de maréchaux-ferrants (ill. 32), existe en mains privées, et m’a été signalé par son propriétaire à l’instigation de Guy Grieten.

32. Jacques Stella (1596-1657)
Maréchaux ferrants autour d’un cheval
Plume et lavis - Dimensions inconnues de l’auteur
Collection particulière
© D.R.
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Un dessin présenté comme de Claudine Bouzonnet Stella et montrant Trois relieuses (plume et encre brune, lavis gris, 16,2 x 24,5), vendu le 6 juillet 2001 à Drouot (Tajan, n°87), revient à Jacques, dans ses dernières années.

XIII. Les Pastorales

 Cat. 142, Claudine Bouzonnet-Stella, d’après Jacques Stella, Le repas champêtre, eau-forte et burin. Un dessin en rapport est conservé au Kunsthaus Heylshof de Worms et visible sur Internet.

 p. 224-226. L’ensemble de dessins présenté, en dehors de la Mascarade (Février), passée dans différentes ventes et dernièrement par la galerie Éric Coatalem, et de La cueillette des pommes (Septembre), du Getty, n’était guère connu (la notice du cat. 157 mentionne Juin du Fogg Art Museum, Cambridge). J’avais fait le rapprochement du premier avec la suite gravée éditée par Mariette, auquel cet apport donne une ampleur particulière. Mais ces gravures ne portent pas de nom d’inventeur, et les sanguines plus que les autres, à mon sens, posent problème. La technique très ferme et sommaire est très différente de celle, souple et modulée, du dessin de Vienne (cat. 102, La Sainte Famille). Le nom de Le Brun vient immédiatement à l’esprit et renvoie, à mon sens, à un artiste d’une génération plus jeune, ayant peut-être connu Vouet (chez qui on trouve des partis schématiques comparables). Je souhaite ici avancer un nom précis : Louis Testelin. L’artiste est connu, notamment, pour avoir pratiqué l’image satirique, pour des gravures publiées par le même Mariette (gravées notamment par Louis et Pierre Ferdinand).

33. Louis Testelin (1615-1665)
Le retour de Gonesse
Plume et lavis - 28,3 x 43,1 cm
Poitiers, Musée Sainte-Croix
© D.R.
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Que ce soit à la pierre noire ou à la sanguine, les dessins repérés à Poitiers, Rouen, New York, Montpellier, au Louvre (actuellement sous le nom de Le Brun) ou à Rennes [13] montrent ce faire appuyé, aux hachures fermes, avec des types physiques puissants aux faces larges et rondes et aux traits sommaires, et des costumes contemporains comparables (avec en particulier le chapeau occultant le visage). Il pratiquait également le lavis tel qu’il se voit dans les autres dessins liés à cette suite.
La concordance dans la diversité des techniques au service de types physiques caractérisés permet de rendre le tout à Testelin. Ce qui clarifie le statut de la Mascarade, dont l’inspiration et certains types physiques renvoyaient à mon sens au séjour italien, mais avec une technique éprouvée qui ne pouvaient prendre place qu’en France - où il fut d’ailleurs gravé et publié. Signalons encore, au passage, que le Getty se trouve ainsi privé de peinture de Jacques Stella : la Galatée peinte faisant partie de ses collections avec une attribution à son cercle doit, à mon sens, être rendue Charles-Alphonse Dufresnoy.

XV. Claudine Bouzonnet Stella

 Cat. 176, L’Annonciation (Paris, collection particulière). Je ne crois pas à l’attribution à Claudine de cette Annonciation, ni à son rattachement à la suite de la “petite” Vie de la Vierge de Claudine. L’artiste laisse une réserve en bas pour la lettre absente des autres dessins, alors que le format est identique. Il m’a toujours semblé pouvoir conserver le nom de Jacques à son propos. L’indication des plis par le lavis est plus fouillé que dans les dessins de Claudine, d’un arrangement simple. La composition gravée manque à la BnF [14].
J’ai déjà abordé le catalogue de la nièce dans une étude pour le Bulletin de la société de l’histoire de l’art français [15] en 1994, à laquelle je me permets de renvoyer avec d’autant moins de scrupule que l’exposition confirme certaines des hypothèses émises alors et qui peinaient à s’imposer. Je dois également reparler des Bouzonnet sur le site “D’histoire et d’@rt”, en page “varia
Il me semble néanmoins souhaitable de revenir rapidement sur quelques points.
Tout d’abord, je dois augmenter le catalogue de 1994 en diminuant celui d’Antoine publié en 1989. La découverte du dessin préparatoire à la gravure de Landry de La réception du Dauphin dans la confrérie du Rosaire confirme les compétences exercées de Claudine dans le domaine du portrait. Aussi, il faut lui rendre un portrait en médaillon catalogué comme d’Antoine au Louvre. La consultation des anciens catalogues (et la connaissance des gravures de Claudine) donnait la clé - à la suite de Mariette, une fois de plus.

L’éventail de ses talents s’en trouve encore agrandi. Il faut parler peinture. Un exemple sûr (certainement assimilable au n° 125 de la transcription annotée du Testament par Michaël Szanto, p. 248) est fourni par le Christ apparaissant à saint Martin (ill. 34) de l’Ermitage, signé et daté de 1666. Il montre que le pinceau se faisait encore plus délicat que les dessins ou les gravures, plus directement héritiers du style puissant de l’oncle même si la comparaison montre une moindre autorité et une tendance plus effusive et affectée chez la nièce. C’est ce qui m’avait motivé à “déclasser” la Naissance de la Vierge (ill. 35) alors au Fogg Art Museum de Cambridge sous le nom de Jacques au profit de Claudine, sorte de prolongement du dessin du même musée (p. 232 et 237). Si les personnages du fond montrent des types physiques puissamment rendus, les anges autour du berceau sont d’un style gracile et élégant qui est celui employé pour ceux qui portent le Christ dans le ciel, à l’Ermitage. Les visages au nez plongeant, les moues, les coiffures, les attitudes, l’arrangement des drapés, abondants jusqu’à joncher le sol, qui se voient dans le dessin redécouvert et dans la peinture, aujourd’hui en mains privées, assoient cette attribution.

34. Claudine Bouzonnet-Stella (?-1697)
Le Songe de saint Martin
Huile sur toile - 82 x 64 cm
Saint-Petersbourg, Musée de l’Ermitage
Photo : Sylvain Laveissière
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35. Claudine Bouzonnet-Stella (?-1697)
La Naissance de la Vierge
Huile sur toile - 71 x 56 cm
Collection particulière
Photo : Christie’s
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36. Claudine Bouzonnet-Stella et / ou Jacques Stella
L’Annonciation
Huile sur toile - Dimensions non connues de l’auteur
Meaux, Cathédrale
Photo : Sylvain Kerspern
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Cela m’amène à m’interroger sur le statut d’une peinture manifestement du cercle le plus étroit de Stella. L’Annonciation (ill. 36) de la cathédrale de Meaux est, depuis le XVIIè siècle, attachée à ce nom. Elle a été rapidement considérée comme une copie, ce que la qualité encore visible tend à remettre en cause. Dans la mesure où la composition s’inspire largement du traitement du sujet par Jacques dans sa suite de 22 dessins sur la Vie de la Vierge (ill. 37) confirmant que l’attribution ancienne avait quelque valeur, j’ai avancé l’idée dans ma thèse sur La peinture en Brie au XVIIè siècle (1990), reprise dans l’article de 1994, qu’il s’agisse d’une commande assumée par Claudine, seul à même de le faire au moment où le tableau est censé être arrivé à Meaux, par le mécénat de l’évêque de Ligny. Depuis, visitant régulièrement la cathédrale de Meaux, j’en suis venu à me demander si l’intervention de Jacques lui-même n’est pas plus importante qu’on ne l’a dit. La comparaison avec le Saint Martin et la Nativité obligent à constater un souffle bien plus large et puissant à Meaux, et des types physiques nobles tels que Jacques les pratique. Certains détails (tel le vêtement de Gabriel) laissent présager un bel effet lumineux. Lorsque l’œuvre a été classée au titre des Monuments Historiques, j’ai insisté, en tant que membre de la Commission des Objets Mobiliers du département, sur cette ambivalence persistante, et sur le fait qu’il puisse s’agir au final d’un tableau de l’oncle, éventuellement terminé par la nièce. Il faut donc espérer une restauration prochaine pour pouvoir en décider.

37. Jacques Stella (1596-1657)
L’Annonciation
Plume et lavis - 35,8 x 26,5 cm
Localisation actuelle inconnue
© D.R.
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XVI. Les jeux et plaisirs de l’enfance

 Cat. 180 et 183, Claudine Bouzonnet-Stella, d’après Jacques Stella, Le Dada et Le Masque. Ils ont été gravés par Jean Couvay vers 1647

 Cat.181, Claudine Bouzonnet-Stella, d’après Jacques Stella, Le Volant. Le texte évoque le Volant et l’image montre le Sabot, tous deux gravés par François de Poilly vers 1647. On comprend, devant le travail de Couvay assez peu convaincant, et compte tenu du départ de François de Poilly pour Rome en 1648, que l’entreprise ait été suspendue jusqu’à ce que Claudine soit en mesure de la terminer...

Voir aussi l’article sur l’exposition Stella par Didier Rykner (mis en ligne le 8/12/06)

Voir aussi l’article sur l’ouvrage de Jacques Thuillier : Jacques Stella 1596-1657.

Sylvain Kerspern

Notes

[1Je reviens également sur la documentation concernant l’homme dans la page “Archives” du site “D’histoire & d’@rt”.

[2"Jacques Stella ou l’amitié funeste", GBA, t. CXXIV, 1994-II, n°1509, octobre, p. 117-136

[3Cf. La Vierge, le roi et le ministre. Le décor du choeur de Notre-Dame de Paris au XVIIè siècle, Musée des Beaux-Arts d’Arras, 1996.

[4Cf. Arnauld Brejon de Lavergnée, “Who was Pierre Lemaire”, Burlington Magazine, nov. 1998.

[5Cf. Arnaud Brejon de Lavergnée,“Diverses facettes de l’art de Jean Lemaire”, Gazette des Beaux-Arts, février 2000, p. 88-89 ; “Jean Lemaire”.

[6Vente Drouot Paris 17 mars 1987, salle 5 et 6 n°157 ; vente du 12 juin 1994, Paris, Hotel George V, “Importants tableaux anciens”, n° 125.

[7Vente Drouot, 3 décembre 1993, n° 161.

[8Philippe Malgouyres, Peintures françaises du XVIIe siècle. La collection du musée des Beaux-Arts de Rouen, Somogy Editions d’Art, Paris, 2000.

[915 novembre 2006, n° 103.

[10Exemplaire de la B.N.F. R-1835.

[11Cf. cat. expo. San Filippo Neri e l’arte. La regola et la fame, Rome, 1995, pl. I et fig. 41

[12Arnauld Brejon de Lavergnée, Dijon, musée Magnin. Catalogue des tableaux et dessins italien (XVe-XIXe siècles), Editions de la Réunion des Musées Nationaux, Paris, 1980.

[13Voir en dernier lieu David Simonneau, “Louis Testelin, dessinateur”, Rencontres de l’école du Louvre. Dessins français aux XVIIè et XVIIIè siècles, Paris, 2003, 169-183.

[14Qui renferme deux versions du sujet par l’atelier, l’une entièrement par Claudine pour le Missel romain traduit par Voisin, 1660, Estampe, Microfilm E 73532 ; et une autre d’Antoinette d’après sa sœur aînée, E 73568.

[15Sylvain Kerspern, « Mariette et les Bouzonnet-Stella. Notes sur un atelier et un peintre graveur, Claudine Bouzonnet-Stella », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, Année 1993, Paris, 1994, pp. 31-41.

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