L’état des églises parisiennes (2) : Notre-Dame-de-Lorette

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1. Hippolyte Lebas (1782-1867)
Église Notre-Dame-de-Lorette, Paris
Photo : Didier Rykner
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Alors que le World Monument Fund a inscrit deux églises parisiennes sur sa liste des monuments en péril (voir notre article), penchons-nous ici sur l’une d’elle : Notre-Dame-de-Lorette (ill. 1). Construite par Hippolyte Lebas lauréat d’un concours lancé en 1822, l’église fut édifiée sur un modèle de basilique paléochrétienne entre 1823 et 1836. Son décor peint fut pour sa part exécuté par pas moins de vingt-six peintres, appartenant à des courants artistiques différents. Les néoclassiques se sont partagés les peintures de l’abside et de la nef, les romantiques ont, en partie au moins, envahi les bas-côtés tandis que les chapelles de coin (à l’exception de celle à gauche de l’entrée, due à Merry-Joseph Blondel, un élève de Jean-Baptiste Regnault) ont été réservées aux « nazaréens français » (Victor Orsel, Alphonse Périn et Adolphe Roger). Cette disparité stylistique, qui fut fort critiquée à l’époque, est l’une des caractéristiques qui rend l’église d’autant plus précieuse aujourd’hui, en en faisant l’un des endroits où l’on peut découvrir le mieux la peinture française sous la Monarchie de Juillet.

2. François-Édouard Picot (1786-1868)
Le Couronnement de la Vierge
Peinture du cul-de-four, après restauration
Paris, église Notre-Dame-de-Lorette
Photo : Didier Rykner
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Ces décors ne sont pas seulement intéressants à titre documentaire. Beaucoup d’entre eux sont d’une qualité remarquable. Architecturalement, et picturalement, Notre-Dame-de-Lorette, entièrement classée aux Monuments Historiques, est un véritable bijou. Cela rend son état lamentable d’autant plus inadmissible. Les couvertures ont été refaites il y a plusieurs années, ce qui assure au moins qu’il ne pleut plus à l’intérieur comme naguère à Saint-Philippe du Roule. Mais si la ville a consenti à restaurer l’année dernière le cul-de-four de François-Édouard Picot (ill. 2 ; voir l’article), un grand nombre de peintures murales sont dans un état de dégradation avancé et, pour l’instant, rien n’est prévu pour leur restauration [1]. Par ailleurs, des problèmes structurels ont obligé à étayer la chapelle des Morts décorée par Blondel.

On verra plus clairement dans le film qui accompagne cet article (réservé pendant quinze jours aux abonnés) l’état dans lequel se trouve l’édifice. On en fera rapidement le tour pour examiner les peintures murales les plus en danger.



Notre-Dame-de-Lorette par latribunedelart


La première chapelle à droite, celle des Fonts Baptismaux, est due à Adolphe Roger. Une grande partie du décor est très abimée (ill. 3) et recouverte de papier japon, dont le rôle est d’empêcher la matière picturale de tomber. Ce type de protection permet d’attendre la restauration, mais il reste provisoire et ne peut demeurer en place trop longtemps car cela peut être dangereux pour la peinture. Cette solution transitoire dure à Notre-Dame-de-Lorette depuis plusieurs années, ce qui va rendre encore plus délicate une restauration qui n’est toujours pas programmée.
Même les peintures des bas-côtés, que l’éclairage très faible de l’église laisse d’ailleurs dans une obscurité regrettable, et qui semblent plutôt en bon état, ne doivent pas l’être partout comme on peut le voir à proximité de la chapelle des Fonts Baptismaux (ill. 4).


3. Adolphe Roger (1800-1880)
Décor de la chapelle des Fonts-Baptistmaux
État actuel
Paris, église Notre-Dame-de-Lorette
Photo : Didier Rykner
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4. Bas-côté droit de l’église Notre-Dame-de-Lorette
près de la chapelle des Fonts-Baptistmaux
Photo : Didier Rykner
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La chapelle de l’Eucharistie au fond à droite a été peinte par Alphonse Périn, l’ami de Victor Orsel. Toutes les peintures basses ont été entièrement décapées et refaites par des restaurateurs vandales il y a plus de trente ans (à l’époque, le XIXe siècle était si mal considéré qu’on a dû penser que cela n’avait aucune importance de tout repeindre). Si ces piliers n’ont donc plus aucun intérêt artistique, il n’en va pas de même pour les parties hautes dont l’état, notamment celui de la coupole, est difficile à apprécier en raison du contre-jour et de l’absence d’éclairage. Il semble cependant, sous réserves, qu’elles ne soient pas en danger immédiat. On ne peut en revanche en dire autant de la chapelle de la Vierge qui lui fait face, due cette fois à Victor Orsel qui y travailla de longues années. Elle constitue son chef-d’œuvre et un jalon dans l’histoire de la peinture française. À ce titre, elle est sans doute l’une des plus importantes de l’église. Son état est désastreux, elle est là aussi recouverte de papier japon et se désagrège à vue d’œil comme le montre les dégradations survenues entre juin 2009 (ill. 5) et aujourd’hui (ill. 6).


5. Victor Orsel (1795-1850)
Décor de la chapelle de la Vierge
État en juin 2009
Paris, église Notre-Dame-de-Lorette
Photo : Didier Rykner
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6. Victor Orsel (1795-1850)
Décor de la chapelle de la Vierge
État en septembre 2013
Paris, église Notre-Dame-de-Lorette
Photo : Didier Rykner
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Le décor de la chapelle des Morts enfin, celle qui se trouve à gauche de l’entrée, a été réalisée par le néoclassique Merry-Joseph Blondel. Victime des fumées d’un incendie il y a déjà fort longtemps, on ne peut que deviner la qualité des peintures qui subsistent sous la suie. Une grande partie est également détruite par les infiltrations d’eau (et aucun papier japon n’a jamais été appliqué). Elle est en outre, nous l’avons dit, étayée, sans compter qu’une guérite en verre abritant l’accueil de l’église dénature encore davantage ce bel ensemble.


7. Merry-Joseph Blondel (1781-1853)
Décor de la chapelle des Morts
Paris, église Notre-Dame-de-Lorette
Photo : Didier Rykner
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Si les peintures de la nef, en hauteur, dues à des élèves de David [2], de Gros [3], de Girodet [4] et Guérin [5] semblent dans un état acceptable, comme le sont sans doute les deux compositions à gauche et à droite du chœur peintes respectivement par François-Joseph Heim et Michel-Martin Drolling, on ne peut en dire autant de la coupole et, surtout, des écoinçons.
Réalisée par Pierre-Claude-François Delorme, un élève de Girodet, cette coupole est un autre chef-d’œuvre qui représente La Translation de la Maison de Lorette. Le même artiste est responsable des écoinçons dont au moins un est presque totalement détruit au delà même du restaurable, alors qu’il aurait pu être sauvé. Nous l’avions photographié en juin 2009, il y a à peine plus de quatre ans. On verra sur nos photos la forte progression des dégradations qui commencent maintenant à gagner un autre évangéliste.


8. Pierre-Claude-François Delorme (1783-1859)
Écoinçons de la coupole du chœur
État en juin 2009
Paris, église Notre-Dame-de-Lorette
Photo : Didier Rykner
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9. Pierre-Claude-François Delorme (1783-1859)
Écoinçons de la coupole du chœur
État en septembre 2013
Paris, église Notre-Dame-de-Lorette
Photo : Didier Rykner
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La comparaison des photos prises entre juin 2009 et septembre 2013 est accablante pour la municipalité parisienne. Voilà dans quel état Paris laisse disparaître un de ses plus beaux monuments. Imagine-t-on une autre grande capitale d’un pays développé en faire autant ? Et elle n’est pas la seule église en péril comme nous le disions plus haut. Qu’on regarde dans cet article, dans quel état se trouvent les peintures murales de l’église Saint-Merri, également remarquée par le World Monument Fund !

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