Inquiétudes pour la statue de Louis XIV sur la place Saint-Sauveur de Caen

Comment peut-on faire confiance à une législation des monuments historiques, pourtant encore très performante sur le papier malgré les nombreuses attaques qu’elle a subies ces dernières années, si les fonctionnaires en charge de la faire respecter agissent à l’opposé ? En effet, ces lois supposent - c’est bien le moins - que les responsables soient à la fois compétents dans ce domaine, mais aussi et surtout qu’ils aient la « fibre » patrimoniale. Car il faut comprendre qu’ils ont théoriquement TOUS les pouvoirs. L’administration des monuments historiques peut par exemple, autoriser le déclassement d’un monument historique et sa destruction. Dans l’absolu, aucun monument n’est parfaitement protégé. Certes, l’aval du préfet et parfois en dernier recours du ministre de la Culture est nécessaire, mais les pressions politiques vont en général plutôt dans le sens du vandalisme qu’elles ne s’y opposent. Aussi, lorsque le système lâche au niveau de ceux qui sont censés le faire fonctionner n’y-a-t-il plus grand espoir.

1. Statue de Louis XIV par Louis Petitot
Caen, place Saint-Sauveur
Etat actuel
Photo : La Tribune de l’Art
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Un exemple édifiant nous est offert par la curieuse affaire qui touche la sculpture de Louis XIV en empereur romain (ill. 1) de la place Saint-Sauveur de Caen. Cette statue en bronze, due à Louis Petitot et inaugurée en 1828 a connu de nombreuses vicissitudes. Elle fut fondue en réparation du monument détruit qui se trouvait sur la place Royale devenue place de la République à la Révolution. Après avoir été plusieurs fois déplacée, elle fut installée place Saint-Sauveur en 1963, en remplacement d’un autre monument fondu par les Allemands pendant l’Occupation.
La place Saint-Sauveur (ill. 2) est l’un des rares ensembles urbains de Caen à ne pas avoir péri sous les bombardements. Sa réfection est une heureuse initiative de la mairie (ill. 3) : elle était encore naguère un parking mais elle sera désormais rendue aux piétons après avoir été entièrement repavée en réutilisant pour une grande partie ses pavés anciens. Mieux encore, on évitera l’affreux mobilier urbain dont de nombreuses villes gratifient leur espaces publics, et la façade de l’église Saint-Sauveur sera restaurée. La sculpture (dont on rappelle qu’elle n’était pas à l’origine à cet endroit) sera déplacée d’environ 30 mètres et placée dans la perspective du portail classique de cette église.


2. Vue de la place Saint-Sauveur avant les travaux
Photo : Wikimedia Commons
GNU Free documentation license
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3. Projet de la mairie de Caen pour la place Saint-Sauveur
© Agence Bertrand Paulet (projet non définitif)
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4. Socle de la statue de Louis XIV par Louis Petitot
Caen, place Saint-Sauveur
Etat actuel
Photo : La Tribune de l’Art
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Bref, il y aurait donc lieu de se réjouir de cette réhabilitation… si le Directeur Régional des Affaires Culturelles, Kléber Arhoul, un ancien sous-préfet de Nogent-le-Rotrou, n’avait pas décidé de laisser sa marque à Caen. Sa première idée était en effet de remplacer le socle du Louis XIV par un nouveau piédestal en plexiglas réalisé par un artiste plasticien. On trouve encore sur internet des traces de cette idée qui fut heureusement révélée par la presse locale, engendrant de nombreuses réactions. Pour parvenir à ses fins (le remplacement du socle est inscrit noir sur blanc dans un communiqué de la mairie daté du 19 janvier 2012), il prétextait notamment son mauvais état [1], ce qui est faux comme on peut le voir sur nos photos (ill. 4), et n’aurait de toute façon rien justifié : tant la sculpture que son socle sont protégés par une inscription aux monuments historiques.

Il est incroyable qu’un DRAC propose un tel vandalisme. Habituellement, ces hauts fonctionnaires sont plutôt là pour protéger le patrimoine d’initiatives d’élus. A Caen, apparemment, c’est plutôt le contraire.
La mairie semblait pencher au départ davantage pour une mise en lumière de la place. Le DRAC l’ayant convaincue de passer une commande publique, un comité de pilotage mis en place et les réactions locales ont permis de réorienter ce projet vers une réflexion autour de la statue de Louis XIV comme nous l’a confirmé François Alleaume, chargé de mission Arts Visuels et Commande publique à la direction de la Culture de la Ville de Caen.
Le cahier des charges confirme ce qu’il dit : la commande porte finalement sur l’ensemble de la sculpture et n’impose pas à l’artiste le remplacement du socle [2]. Il n’empêche que, si ce programme n’est pas précis au point d’imposer le remplacement du socle, il est suffisamment flou pour permettre à peu près n’importe quelle proposition. Nulle part dans le cahier des charges il n’est précisé que l’œuvre est protégée au titre des monuments historiques, ni que les façades de deux hôtels particuliers et d’une maison de la place le sont également.

David Guiffard [3], conseiller aux arts plastiques à la DRAC, nous a dit que le patrimoine ne devait pas s’opposer à la création contemporaine. Nous refusons cet argument qui tend à placer systématiquement les protecteurs du patrimoine dans le camp des détracteurs de l’art contemporain. Si cela peut arriver, ce n’est aucunement la position de La Tribune de l’Art. Mais il est pour le moins étrange de livrer une œuvre d’art protégée à un artiste contemporain pour qu’il puisse l’insérer dans sa propre composition.
Il ne s’agit pas de s’opposer à la commande d’une sculpture contemporaine pour Caen qui pourrait embellir ainsi nombre de quartiers reconstruits très vite et plutôt mal après la guerre. On peut simplement s’interroger sur la pertinence d’une telle idée sur la plus ancienne place conservée d’une ville détruite à 80%, pour un montant estimé à 150 000 €. La réhabilitation de la place Saint-Sauveur, que l’on doit mettre au compte de la mairie, ne peut pas et ne doit pas se faire au détriment d’un élément patrimonial majeur comme cette sculpture de Louis XIV.

Il n’est pas impossible qu’un artiste doué et conscient de l’enjeu fasse une proposition tout à la fois intéressante sur le plan artistique et respectueuse du site et de son histoire. Mais il conviendra donc d’être particulièrement vigilant dans le choix qui sera réalisé. Car tous les fonctionnaires du ministère de la Culture en charge de faire respecter le patrimoine de cette place sont placés sous l’autorité de Kléber Arhoul.

Didier Rykner

Notes

[1On lit en effet dans Ouest-France qu’à l’occasion de la rénovation de la place, il expliquait « Nous en profiterons également pour restaurer [la sculpture] car le socle notamment est très abîmé. »

[2Voici le texte intégral du paragraphe « définition de la commande » : « La réflexion engagée par le comité de pilotage s’est portée en premier lieu sur la statue de Louis XIV, sur l’histoire de son implantation et sa fonction sur la place. En effet, le projet urbain de la place Saint-Sauveur engendrera une nouvelle visibilité de cet espace public, une nouvelle perspective de ses volumes et de ses ambiances et une nouvelle lisibilité de ses contours ou de ses limites. Il apparaît dès lors que la statue et son socle devraient prendre un sens nouveau sur lequel les candidats devront s’interroger. Ainsi le principe de la création devra prendre en compte les volumes constitués par la statue et par son socle.
La commande publique doit aussi se réaliser avec un regard global sur le site de la place Saint-Sauveur. Elle contribue à la requalification urbaine de l’espace public. A l’image des créations artistiques présentes dans les grandes capitales européennes, cette création permettra une rencontre sensible entre les créateurs contemporains et le patrimoine de la ville. A travers cette commande, la ville de Caen souhaite fortifier le lien entre les usagers de la place et la création contemporaine.
L’œuvre participe à l’appréhension du monde et de l’espace où elle est implantée. Le programme de la commande est ouvert à l’ensemble des pratiques contemporaines. Les usages de la place par le public, la formalisation des entrées de la place pourront faire partie des paramètres à prendre en compte dans la commande publique.
 »

[3Nous avons cherché à joindre Kléber Arhoul qui nous a renvoyé vers David Guiffard.

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