Fontainebleau préempte plusieurs pièces du service de Cambacérès

7/12/20 - Acquisitions - Fontainebleau, Musée Napoléon - Une série de pièces issues du service en porcelaine de Sèvres offert par Napoléon Ier à Cambacérès passait en vente aujourd’hui chez Osenat à Fontainebleau : le musée Napoléon Ier du château de Fontainebleau ne pouvait laisser passer une telle occasion et a très logiquement fait usage à quatre reprises de son droit de préemption, en ciblant les pièces de forme et en renonçant sagement aux assiettes qui étaient également proposées. L’emblématique sucrier ovale couvert (ill. 1) qui inaugurait l’ensemble, accompagné de son plateau, fut préempté pour 12 500 € marteau : il s’agit de l’un des deux sucriers à tête d’aigle livrés le 17 août 1807 pour la somme de 225 francs. La prise du couvercle est formée d’une tête d’aiglon émergeant d’un œuf et se détachant sur une base de godrons. Venait ensuite le compotier rond à dauphins (ill. 2) constitué d’une coupe circulaire reposant sur quatre dauphins, qui fut adjugé 3 800 € et aussitôt préempté. Le service comportait huit compotiers à dauphins, prisés 130 francs pièce.


1. Manufacture impériale de porcelaine de Sèvres
Sucrier ovale sur plateau, 1805-1807
Porcelaine dure - 28,5 x 25 cm
Préempté par le Musée Napoléon Ier du Château de Fontainebleau
Photo : Osenat
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2. Manufacture impériale de porcelaine de Sèvres
Compotier rond à dauphins, 1805-1807
Porcelaine dure - 9,5 x 24 cm
Préempté par le Musée Napoléon Ier du Château de Fontainebleau
Photo : Osenat
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Osenat proposait ensuite une jatte à fruits hémisphérique (ill. 3) ornée d’un décor de papillons et d’insectes se détachant sur un délicat fond bleu pâle, à l’instar du sucrier aigle : elle fut préemptée pour 3 800 € marteau. Il y en avait quatre dans le service, chacune valant alors 100 francs. Réunies en un seul lot, les deux dernières pièces de forme vendues chez Osenat aujourd’hui ont été également préemptées pour 4 800 € marteau : il s’agit de deux des huit compotiers coupe, prisés 66 francs pièce en 1807, qui s’ornent de la même frise de lierre, de fleurs en rosace et de fleurons sur fond pourpre que le sucrier, le compotier rond et la jatte à fruits.


3. Manufacture impériale de porcelaine de Sèvres
Jatte à fruits hémisphérique, 1805-1807
Porcelaine dure - 21,1 x 14,1 cm
Préemptée par le Musée Napoléon Ier du Château de Fontainebleau
Photo : Osenat
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4. Manufacture impériale de porcelaine de Sèvres
Deux compotiers coupe sur piédouche, 1805-1807
Porcelaine dure - 6,5 x 21 cm chacun
Préemptés par le Musée Napoléon Ier du Château de Fontainebleau
Photo : Osenat
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Neuf assiettes du service formaient les lots suivants dans la vente Osenat, mais elles n’ont pas été préemptées : la conservation du château de Fontainebleau avait certainement souhaité concentrer ses efforts sur les pièces de formes, plus importantes, d’autant que deux assiettes de ce service ont récemment pu intégrer les collections. Elles avaient été acquises en 2014 et en 2015 auprès de Camille Leprince et de la galerie Vandermeersch. La première (ill. 5) d’entre elles représente le château de Fontainebleau mais l’angle de vue est plutôt original : on n’y voit pas l’iconique escalier en Fer-à-cheval ou la célèbre Porte Dorée mais une vue perspective prise depuis l’extrémité de l’étang des Carpes, entouré d’allées rectilignes scandées d’arbres. C’est le peintre Jean-François Robert, actif à Sèvres entre 1806 et 1843, qui fut chargé de peindre la scène dont le titre figure au dos de l’assiette : Vue de l’étang de Fontainebleau et de la cour des Fontaines dans l’éloignement.


5. Manufacture impériale de porcelaine de Sèvres
Assiette décorée d’une Vue de l’étang de Fontainebleau et de la cour des Fontaines dans l’éloignement, vers 1806
Porcelaine dure - 23,3 cm
Fontainebleau, Musée national du château
Photo : RMN-GP/A. Didierjean
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6. Manufacture impériale de porcelaine de Sèvres
Assiette décorée d’après la fable Le Renard et le Buste, vers 1806
Porcelaine dure - 23,5 cm
Fontainebleau, Musée national du château
Photo : RMN-GP/A. Didierjean
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La seconde assiette (ill. 6) est peut-être encore plus originale : elle est décorée d’une fable ! En effet, le service comportait initialement des vues d’Italie mais la commande fut modifiée et des vues de différents palais impériaux (les Tuileries, Fontainebleau, Trianon, Meudon....) vinrent s’y adjoindre, ainsi que des représentations des fables d’Ésope ! Comme le précise à nouveau le dos de l’assiette, c’est Le Renard et le Buste qui est ici illustrée. Ce choix iconographique ne peut que surprendre sur la table de l’un des plus grands dignitaires de l’Empire. Les circonstances et le destinataire de cette prestigieuse commande sont en effet bien connus : la réalisation du service débuta en 1805 et les 72 premières assiettes ainsi que les pièces de forme étaient prêtes à l’été 1807. La manufacture - devenue impériale de Sèvres - les livra alors « pour le compte de l’Empereur à S. A. S. le prince Cambacérès, archichancelier de l’Empire, à l’occasion du mariage de la princesse Stéphanie ».

Napoléon avait fait du juriste Jean-Jacques-Régis de Cambacérès (1753-1824) l’un des principaux personnages de l’Empire, celui-ci faisant souvent office de Premier ministre : l’ancien consul, devenu archichancelier, s’était installé dans l’ancien hôtel Molé et y menait grand train, recevant fastueusement parmi ses collections de mobilier ancien. Sa table était aussi réputée que celle du redoutable Talleyrand, installé non loin de là, dans l’hôtel de Galliffet, qu’il quitta en 1807 pour l’hôtel Matignon. La princesse Stéphanie (1789-1860) était la nièce de l’impératrice Joséphine, qui l’adopta avec Napoléon en 1806 avant de la marier peu après avec le prince Charles de Bade, héritier du margraviat devenu grand-duché ; ce genre d’alliance devenait peu à peu monnaie courante, le propre fils de Joséphine ayant été marié avec la fille du prince-Électeur de Bavière, devenu roi. Le mariage fut célébré en avril 1806 mais Cambacérès dut attendre plus d’un an son fameux service à fond pourpre, qu’il fit enrichir en décembre 1807 de 24 assiettes supplémentaire et d’un vase illustrant le mariage, où l’archichancelier de l’Empire pose entre le couple impérial et le couple des mariés.


7. Manufacture impériale de porcelaine de Sèvres
Sucrier ovale sur plateau, 1805-1807
Porcelaine dure - 25 x 25 cm
Fontainebleau, Musée national du château
Photo : RMN-GP/A. Didierjean
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8. Manufacture impériale de porcelaine de Sèvres
Sucrier ovale sur plateau, 1805-1807
Porcelaine dure - 25 x 25 cm (détail de l’aiglon dans son œuf)
Fontainebleau, Musée national du château
Photo : RMN-GP/A. Didierjean
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En novembre 2016, le premier des deux sucriers (ill. 7 et 8) du service de Cambacérès passait en vente chez Osenat à Fontainebleau : il y fut préempté par le musée Napoléon Ier, pour la même somme que celui dont il vient tout juste de s’enrichir (voir la brève du 20/11/16) ! On y reconnaît les mêmes éléments décoratifs que sur les autres pièces du service, la frise or du marli et le fond pourpre. Dans son essai consacré au service dans l’ouvrage [1] de référence Napoléon & Sèvres, L’art de la porcelaine au service de l’Empire, Christophe Beyeler rappelle que Cambacérès avait fait tendre les murs de sa salle à manger de soie pourpre assortie à la couleur du service. Il y reçut un soir le roi de Prusse, qui, ébloui par la splendeur de la vaisselle, désira commander un service identique orné de paysages et de fables. Mais on lui fit remarquer que la pourpre devait rester exclusivement réservée au service de l’Empereur et il ne put acquérir auprès de la manufacture de Sèvres qu’un service à thé de seize pièces à fond burgos. La majorité des pièces du service de Cambacérès sont passées en vente publique aux États-Unis en 1997 puis en 2010 mais on put aussi les admirer au Bard Graduate Center de New York, qui organisa en 1997 une grande exposition sur Alexandre Brongniart (1770-1847), l’emblématique directeur de Sèvres sous l’Empire, dont le catalogue demeure une référence en l’attente d’une rétrospective française...

9. Manufacture impériale de porcelaine de Sèvres
Compotier à pieds dauphins, 1809
Porcelaine dure - 8,7 x 24,4 cm
Fontainebleau, Musée national du château
Photo : RMN-GP/A. Didierjean
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Le Musée Napoléon Ier du château de Fontainebleau possède désormais un ensemble modeste mais cohérent de ce service et pourra donc exposer côte-à-côté les deux sucriers à têtes d’aigle qui en constituent vraisemblablement les pièces de forme les plus importantes. Ces précieux objets issus du service de Cambacérès pourront aussi rejoindre les pièces du service de dessert « fond rouge, papillons et fleurs » avec lesquelles il partagent un même vocabulaire formel - ce second compotier à pieds dauphins en témoigne - mais aussi certains motifs, comme les papillons peints au naturel sur un fond bleu pâle. Ce service, initialement commandé pour Compiègne, fut finalement livré au château de Fontainebleau en 1809 et accompagna Napoléon dans son exil sur l’île d’Elbe. Aujourd’hui largement dispersé - un exceptionnel ensemble de 22 pièces de ce service s’arracha récemment pour une somme considérable chez Christie’s à New York lors de l’une des ventes Rockefeller - notamment outre-Atlantique, ce prestigieux service à dessert resta longtemps absent des collections publiques françaises mais plusieurs assiettes ainsi que le compotier cité plus haut permettent de se faire une idée de sa splendeur.

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