Fontainebleau annule une exposition, avec l’aval du ministère de la Culture

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1. Couverture du dossier de mécénat de l’exposition « L’Art de la fête à la cour des Valois »
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Alors que les musées s’interrogent sur les conditions de leur réouverture, et les modalités à mettre en œuvre, alors que la plupart d’entre eux s’organisent pour reporter ou prolonger les expositions, un établissement public vient de faire un choix différent et très discutable (pour ne pas dire davantage).

Il s’agit du château de Fontainebleau, qui a décidé d’annuler, purement et simplement, « L’Art de la fête à la cour des Valois » (ill. 1), qui devait initialement commencer en septembre, et qui avait été repoussée un temps au 10 octobre. Comme on peut l’imaginer, l’exposition est entièrement prête sur le papier, et il ne restait plus qu’à faire venir les œuvres.
Celle prévue au printemps 2021 sur Napoléon et Fontainebleau est reportée à l’automne de la même année 2021. Le château de Fontainebleau prend ainsi prétexte de la situation sanitaire pour renoncer à toute exposition pendant plus de deux ans, la dernière, consacrée à la Maison de l’Empereur, s’étant terminée en juillet 2019.

Si la justification est bien l’épidémie, il ne s’agit en réalité pas d’une question sanitaire, mais budgétaire comme nous l’a dit Jean-François Hébert, le président de l’établissement, qui nous a confirmé que le château rouvrira. Celui-ci nous a assuré que l’annulation de l’exposition est pour lui un crève-cœur, mais que son coût ne peut être supporté alors que le déficit d’exploitation de cette année est déjà à presque deux millions d’euros, et que la subvention du ministère n’est que de 2,4 millions d’euros par an.

Lorsque nous avons contacté le ministère, personne hors du château n’était encore au courant de cette décision, qui semble surtout prise sous l’influence de son administration, le président étant absent de Fontainebleau depuis le début de la crise, confiné dans une autre région de France, et le poste de directeur des collections étant vacant depuis plusieurs mois. Le ministère, qui apprenait donc la nouvelle, nous a pourtant répondu que : « tous les efforts ont été faits pour tenter de maintenir cette exposition », quand en réalité rien de sérieux n’a été fait.
Après nous avoir confirmé que le château allait rouvrir, il a ajouté : « comme vous le savez, dans un château-musée, l’offre d’exposition n’occupe pas la même place que dans un musée, et en l’espèce nous ne pouvons qu’espérer que le public sera heureux de pouvoir retrouver les espaces et le domaine du château ». Eh bien non, nous ne savons pas - et pourtant cela fait quelques années que nous travaillons dans ce domaine - que les expositions dans les châteaux-musées n’étaient finalement pas très importantes et qu’on pouvait en disposer ainsi.

2. Budget de l’exposition « L’Art de la fête à la cour des Valois » tiré du dossier de mécénat
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Si la question budgétaire ne peut être négligée, celle-ci est fortement biaisée. En effet, le chiffre que nous a donné Jean-François Hébert d’un budget de 750 000 € ne correspond curieusement pas à celui qui figure dans le dossier de mécénat, document adressé aux mécènes potentiels de l’exposition et que l’on trouve encore en ligne sur le site du château [1]. Celui-ci (ill. 2) précise en effet les différents postes de coûts, pour un montant total de 577 000 euros. Mais si l’on enlève le coût du catalogue d’exposition (qui sera tout de même publié, heureusement) et celui de la création d’un costume de bal du XVIe siècle, parfaitement inutile, on arrive en réalité à une dépense d’un peu plus de 500 000 euros. Rappelons que le Festival de l’histoire de l’art, événement national dont il serait logique qu’il soit pris en charge par le budget du ministère de la Culture, coûte chaque année (et en 2021 donc) presque 600 000 euros au château de Fontainebleau. On voit donc que le coût de cette exposition n’est pas une raison suffisante pour l’annuler.

Par ailleurs, d’autres solutions existaient, parmi lesquelles le report au début 2021 de l’exposition sur les Valois, qui aurait permis d’épargner le budget 2020 et de prendre le temps de trouver un budget supplémentaire pour 2021.
Plus largement, la question est bien celle du ministère de la Culture. Bien qu’il multiplie les petites phrases, comme dans un entretien qu’il vient d’accorder au Monde : « la culture aura un rôle majeur à jouer pour nous permettre de retrouver des jours meilleurs », Franck Riester donne en réalité l’impression d’être surtout spectateur d’un spectacle dans lequel il ne joue aucun rôle [2].
Celui-ci ne va donc pas lever le petit doigt pour sauver cette exposition dans un de ses grands établissements. Imaginons le retentissement que cela aura dans toute la France des musées et des monuments. Comment imaginer que les élus locaux, parfois peu enthousiastes sur la culture et prenant exemple sur l’État, ne soient pas enclins à annuler les expositions prévues dans les musées de province si le ministère lui-même est prêt à rayer d’un trait de plume une exposition aussi pointue que l’art de la fête sous les Valois ?

3. Bruxelles, vers 1575
Henri III, Louise de Lorraine et le château de Fontainebleau
Tapisserie de la tenture des Valois
Florence, Musée des Offices
Photo : Wikmedia (Domaine public)
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Car celle-ci n’est pas une manifestation uniquement constituée d’un rassemblement d’œuvres disparates comme on en voit parfois. Comme c’est souvent le cas à Fontainebleau (un musée qui, jusqu’ici, a toujours fait de magnifiques expositions, à la fois scientifiques et susceptibles de plaire à un large public), il s’agissait d’un projet remarquable, portant sur une époque majeure de l’histoire du château. Celui-ci avait obtenu un partenariat exceptionnel avec le Musée des Offices, qui lui prêtait ainsi deux pièces de la tenture des Valois, dont celle où l’on voit Henri III et Louise de Lorraine, avec au fond le château de Fontainebleau (ill. 3). On devait également y voir trois dessins de Léonard de Vinci provenant des collections royales britanniques, et tous les dessins de costume de Primatice existants (dont plusieurs inédits), venant de Paris, de Stockholm et de Florence. Bref, il s’agissait d’une exposition exceptionnelle qui ne peut se résumer uniquement à son catalogue.

Alors que le patrimoine et la culture apparaissent, en ces temps difficiles, encore plus importants qu’ils ne l’étaient auparavant, comment un grand musée national peut-il ainsi renoncer à ce qui fait son essence même, avec l’aval du ministère de la Culture ? Le monde d’après sera décidément encore pire que celui d’avant, car personne ne tirera les leçons de cette crise : la culture n’est pas un luxe, elle n’est pas un gadget, elle est ce qui nous maintient vivants.

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