Devant l’inacceptable, les conservateurs du Louvre sortent de leurs réserves

Les réserves du Louvre-Lens
Photo : Didier Rykner
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D’un côté : une ministre de la Culture incompétente dans le domaine des musées et du patrimoine et totalement indifférente à leur sort, et un président-directeur du Louvre sûr de lui et sourd aux protestations de ses équipes ; de l’autre côté : des universitaires, des conservateurs, des archéologues et des historiens de l’art, français et étrangers. Qui a raison ? Le choix ne devrait pas être compliqué s’il n’était pas politique, donc pipé. Les réserves du Louvre doivent partir à Liévin, à 200 km du musée, dans leur quasi-totalité. Ainsi en a décidé le gouvernement, qui désormais fait le forcing pour rendre le projet irréversible.

Nous avons déjà expliqué ici pourquoi cette idée équivaut à dépecer le Louvre de son outil de travail. Dans plusieurs interviews récentes donnés à La Voix du Nord, au Journal du Dimanche, au Figaro et à Connaissance des Arts, Jean-Luc Martinez, le président-directeur du Louvre, fait preuve d’un incroyable mépris pour ses anciens collègues dont il est aujourd’hui le chef : « À part prendre le train de temps en temps pour venir travailler à Lens une journée, cela ne changera rien aux habitudes des conservateurs ni à leurs prérogatives » dit-il par exemple. Cette affirmation laisse entendre que les conservateurs protesteraient pour leur petit confort, refusant de passer, de temps en temps, une journée à Lens, comme si là était le cœur du problème. Nous avons donc décidé de donner la parole à ces conservateurs du Louvre, dont plusieurs, faisant partie des sept départements du musée, ont accepté de nous parler.
Ces interviews sont en eux-mêmes un événement. Les conservateurs, tenus par nature au sacro-saint « devoir de réserve », ne sont pas habitués à s’épancher ainsi dans la presse. Qu’ils le fassent en aussi grand nombre est un signe de la gravité de la situation. Bien sûr, ces contributions sont anonymes : en France, ce beau pays des droits de l’homme, un fonctionnaire doit forcément acquiescer aux ordres les plus inacceptables, ou risquer des sanctions qui peuvent être lourdes. Pourtant, le devoir des conservateurs, inscrit dans le code du patrimoine comme plusieurs nous l’ont rappelé, c’est notamment de « conserver, restaurer et étudier » les collections qui leur sont confiées. Ce projet étant contraire à ces missions, et mettant en danger les collections, ils estiment de leur devoir de s’y opposer.

Nous avons nous même interrogé ces conservateurs, et nous confirmons qu’ils travaillent tous au Louvre. Nous mettrons une interview en ligne tous les jours à partir d’aujourd’hui, et nous les complèterons avec d’autres de personnalités extérieures, anciens conservateurs ou directeurs du musée, conservateurs et historiens de l’art étrangers, universitaires français... Tous ces témoignages et toutes ces explications sont accablants pour la direction du musée et le ministère de la Culture. Ils prouvent que cet envoi des réserves du Louvre à Liévin va démanteler le plus grand musée du monde et un pan de la recherche française dans l’indifférence générale puisque le grand public n’est pas immédiatement et directement touché. Il nous semble participer d’un processus plus large qui voue une haine à la culture classique et dont les médias se font les échos tous les jours. Que ce projet soit porté par un archéologue, spécialiste des antiquités grecques et romaines, rend la chose encore plus incompréhensible.

Quant à ceux qui nous reprocheraient de ne donner la parole qu’aux opposants, nous leur répondrons que nous ne connaissons personne qui y soit favorable. Nous savons par exemple que plusieurs des directeurs des départements, qui sont par force solidaires du président-directeur du Louvre, sont en réalité contre ces réserves à Liévin. Si un conservateur, un historien de l’art, un archéologue ou un universitaire reconnu voulait venir ici défendre ce projet, nous lui donnerions bien entendu la parole. Pour l’instant, répétons-le, nous n’en connaissons aucun.

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