Deux façons d’écrire l’histoire. Le legs Caillebotte

Auteur : Pierre Vaisse.

Cela fait déjà près de trente ans que Pierre Vaisse, dans un article publié dans le Bulletin de la société de l’histoire de l’art français en 1985, avait rectifié une erreur qui s’est propagée durant tout le XXe siècle : le legs Caillebotte aurait été refusé par l’administration des Beaux-Arts pour être finalement accepté uniquement en partie et à contre-cœur, privant les musées français d’œuvres de premier plan. La démonstration était claire, précise et documentée.
Malgré cela, la légende du refus continua de perdurer, dans certains livres ou sur internet. C’est sans doute pour cette raison que le même auteur vient de publier, aux éditions Ophrys et en partenariat avec l’Institut national d’histoire de l’art, un petit ouvrage où il s’attache d’une part à reprendre l’affaire depuis le début en se basant sur les archives et les témoignages d’époque, puis de refaire l’historique de la légende en s’interrogeant sur les raisons qui peuvent l’expliquer.

Nous ne referons pas ici la démonstration limpide de Pierre Vaisse qui convaincra tout lecteur de bonne foi. On résumera simplement le déroulé des événements.
Le legs fut en réalité accepté dans sa totalité et les réserves qui y étaient associées, qui tenaient seulement au manque de place au Musée du Luxembourg, furent d’abord parfaitement comprises et acceptées par les exécuteurs testamentaires, Pierre-Auguste Renoir et Martial Caillebotte.
Ce n’est que dans un deuxième temps que le frère du peintre revint sur son accord, poussé en cela par son notaire pour des raisons que les documents ne permettent pas de comprendre. Plutôt que de consentir à ce qu’une partie du legs soit exposée dans un premier temps aux châteaux de Fontainebleau et de Compiègne qui servaient alors comme annexes des musées nationaux (et qui étaient ouverts au public), il préféra s’assurer que seules les œuvres qui pouvaient être exposées au Musée du Luxembourg fassent partie du legs, les autres revenant à la famille.

Cette solution était évidemment regrettable mais elle n’était pas le fait de l’administration représentée essentiellement par Henry Roujon, le directeur des Beaux-Arts et Léonce Bénédite, le conservateur. Pierre Vaisse montre d’ailleurs à quel point ce dernier était anxieux, avant même l’épisode du legs, de faire entrer dans son musée des œuvres des impressionnistes dont il comprenait à cette époque l’importance. Ajoutons qu’il fallut construire une extension spécialement pour exposer le legs ce qui ne témoigne pas vraiment d’un manque d’enthousiasme. On rajoutera qu’à peine quelques années plus tard, en 1900, l’Exposition universelle présentait dans la section intitulée la Centennale de l’art français une salle entière consacrée aux impressionnistes, ce qui lui donne, comme le remarque Pierre Vaisse, un « caractère autrement officiel que la réaction individuelle d’un artiste, quelque chargé d’honneurs qu’il fût ». Cet artiste, c’est Gérôme qui avait fait connaître publiquement son opposition au legs. Quant à la lettre de protestation de l’Académie des beaux-arts, elle fut envoyée en 1897 au moment de l’ouverture de la salle Caillebotte et n’avait donc pu influencer un soi disant refus, d’autant que comme le fait remarquer Pierre Vaisse, le fait que le ministère ne daigna même pas lui répondre témoigne de la perte d’influence de cette institution à la fin du XIXe siècle.

En réalité, le vent avait déjà tourné, et si l’opposition à l’impressionnisme était réelle au début du mouvement, celle-ci commençait à fléchir sérieusement. Mais la postérité ce cette histoire du legs refusé, qui trouve son origine, comme le montre le livre, dans des écrits peu fiables d’Octave Mirbeau et d’Arsène Alexandre, a sans doute une raison simple : il permettait de renforcer la vision manichéenne que certains avaient et continuent d’avoir de l’art de la fin du XIXe siècle. Les méchants se doivent d’être très méchants et les gentils très gentils. Que cela soit bâti sur des erreurs historiques n’a finalement aucune importance : le mythe paraît toujours plus beau que la réalité.

Pierre Vaisse, Deux façons d’écrire l’histoire. Le legs Caillebotte., Institut National d’Histoire de l’Art et éditions Ophrys, collection Voir Faire Lire, 2014, 118 p., 18 €. ISBN : 9782708014107.

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