Déconsacrer Notre-Dame ? Soyons sérieux. Une réponse à Michel Pastoureau

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La rose sud de la cathédrale Notre-Dame de Paris
Photo : Albertus teolog (CC BY 3.0)
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Monsieur Pastoureau,

Faut-il que vous soyez arrivé au bout de votre si grande intelligence pour ne plus pouvoir vous retrancher ailleurs que derrière le mépris ?
Ainsi vous proposez aujourd’hui au cœur des colonnes du Journal La Croix de déconsacrer Notre-Dame et de la transformer en musée. On aurait pensé qu’une proposition si grave et historique venant d’un grand historien reposerait sur quelques arguments valables mais qu’en est-il ?

Vous nous parlez des touristes qui n’entreraient dans la cathédrale que pour photographier…
Mais qu’allons-nous dire à nos petits enfants ? Que nous aurions assumé l’une des plus grandes ruptures historiques de l’histoire parce que nous avons reculé devant quelques perches à selfies brandies par une centaine de touristes en short ? Avez-vous donc une si piètre opinion de l’histoire de France pour penser que Notre-Dame qui se tient encore debout malgré les flammes qui la ravagèrent l’an dernier devrait abdiquer face à un homme qui se prend en photos ?
La modernité vous fait-elle peur à ce point qu’il faudrait lui abandonner nos trésors ?
Allons, ce n’est pas sérieux.

Le mépris dans lequel vous vous abîmez vous conduit de surcroît à des incohérences… On a peine à imaginer qu’un touriste qui ne viendrait – selon vous – à Notre-Dame ni pour regarder l’architecture, ni les œuvres d’art, ni pour se livrer à quelque dévotion mais pour photographier y viendrait car il serait au courant que le sacre de Napoléon s’y tint en 1804, que le Te Deum de la victoire y retentit en 1944 ou qu’une cérémonie en mémoire de Charles de Gaulle réunissant 80 chefs d’État s’y serait tenue en 1970. Cela ferait de l’écervelé tout juste bon à se photographier frénétiquement que vous voulez nous décrire un érudit bien éclectique et bien curieux.
Pensez-vous vraiment pouvoir parler du Te Deum de la victoire avec un touriste qui se prend en photo ?
Là encore, ce n’est pas sérieux.

Vous nous dites ensuite qu’il ne vous vient jamais à l’idée d’entrer à Notre-Dame pour prier. Mais enfin, cher Monsieur Pastoureau vous savez très bien que la dévotion personnelle du chrétien ne saurait avoir pour cadre les augustes voûtes de pierres de Notre-Dame. Avez-vous oublié la sensibilité médiévale, la prière au cœur de la chapelle privée, les livres d’heures ? Vous savez très bien que les nefs des cathédrales ont toujours été abandonnées aux divagations bruyantes des pèlerins et des curieux et que c’était pour se prémunir de ces nuisances que les chanoines érigèrent un jubé pour réserver le chœur à leur prière. Ne nous faites pas croire que vous confondez le Notre-Père qu’on réserve à sa prière du soir avec ce pour quoi on a construit Notre-Dame, c’est-à-dire de grandes et fastueuses liturgies aux dimensions du diocèse de Paris comme la messe chrismale qu’on aurait dû célébrer en ses murs il y a quelques jours.
Vous allez donc confondre les prières et les dévotions personnelles avec les liturgies des cathédrales ?
Allons, là encore, ce n’est pas sérieux.

Vous nous proposez ensuite de transformer Notre-Dame en musée. Avez-vous une si piètre opinion des musées pour que ce choix ne soit inspiré que par le dépit. A vous lire, le Louvre et les grands musées du monde ne semblent être que des halls de gare assaillis par une masse de touristes photographes. Il semble pourtant que la France peut être fière de ses musées, fière de ses collections, fière de son visitorat. Quel pays serions-nous si, par dépit, nous transformions une ruine en musée ? Et avec projet scientifique et culturel ? Que dirions-nous à ces touristes ? Qu’ils viennent visiter le musée du moindre mal, celui de la solution la moins imparfaite ? Vous-même, pensez-vous sincèrement que la Sainte Chapelle, située à deux pas, n’a d’intérêt que parce qu’elle est plus spectaculaire, plus lumineuse et plus colorée ?
Croyez-vous que c’est ainsi que la France conçoit ses musées et ses monuments historiques ?
Là encore, ce n’est pas sérieux.

Vous nous parlez d’une cathédrale dont le seul intérêt serait de la visiter par l’extérieur… Faut-il qu’un médiéviste tel que vous méprise à ce point ses collègues modernistes pour oser dire cela ? Étiez-vous tellement en désaccord avec Jacques le Goff pour à ce point balayer le temps long du Moyen-Âge et ne trouver aucun intérêt au Magnificat de Jouvenet, aux Mays, au Maître-autel de Nicolas Coustou avec ses statues de Louis XIII et de Louis XIV. Est-ce digne d’un homme de votre qualité, d’un médiéviste aussi brillant que vous, d’appeler à gommer certaines fantaisies de Viollet-le-Duc ? Est-ce cohérent d’un historien des couleurs de prétendre qu’il serait inutile d’admirer celles des roses ?
Seriez-vous revenu aux préjugés des années 1960 et négligeriez-vous à ce point le patrimoine ?
Une fois encore, ce n’est pas sérieux.

Vous êtes un grand historien Monsieur Pastoureau, sans doute le plus grand médiéviste de notre pays. Vous ne méritez pas de souiller votre carrière avec cette tribune si mal inspirée.
Et, au fond, vous avez été si peu sérieux qu’on ne peut qu’en conclure que vous ne le pensez pas vraiment.

Revenons pour finir sur ces hordes de touristes et ces selfies qui vous font si peur. Avez-vous donc si peu foi en Dieu que vous l’imaginez incapable d’aller chercher un incroyant au milieu des foules que vous décrivez ? Rappelez-vous la conversion de Paul Claudel, le 25 décembre 1886. Il n’était pas seul face à la Vierge au Pilier lorsque se produisit l’événement qui domina toute sa vie. Lorsqu’en un instant son cœur fut touché et qu’il crut, il était, nous dit-il quelques lignes plus haut « coudoyé et bousculé par la foule » et il assistait « avec un plaisir médiocre, à la grand’messe. »

Voyez-vous monsieur Pastoureau, vous pensez peut-être que rien de bon ne peut sortir de ces hordes que vous méprisez mais Dieu n’est pas de votre avis. Alors laissons-lui disposer comme Il l’entend des foules qui viennent dans Sa maison.

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