Comment la grande roue bafoue chaque année les fuseaux de protection de Paris

1. Grande roue sur
la place de la Concorde
Septembre 2016
Photo : Didier Rykner
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Chacun a pu suivre le spectaculaire revirement de la municipalité parisienne au sujet de la grande roue (ill. 1) implantée place de la Concorde (voir l’article). La mairie, outre les questions tenant à l’association de son image avec celle de Monsieur Campion, est gênée par deux actions en justice de Sites & Monuments actuellement pendantes au fond. Elles pourraient bien démontrer une violation caractérisée de son propre plan local d’urbanisme par la municipalité, document que la DRAC doit également prendre en compte…

Renvoi au fond par le juge des référés

Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, par ordonnance du 20 octobre 2017, rejeté la demande de référé suspension formée par Sites & Monuments contre l’autorisation donnée par la DRAC d’installer une grande roue sur la place classée de la Concorde entre le 11 novembre 2017 et le 23 mai 2018 (soit pour une durée supérieure à 6 mois). Rappelons qu’un référé, qui ne peut être formé qu’au soutien d’une action principale, a pour but de suspendre les travaux en attendant qu’il soit statué sur le fond du dossier. Le juge peut en effet mettre un certain temps à se prononcer. L’action dirigée par Sites & Monuments contre la précédente autorisation de la grande roue, en date du 18 novembre 2016, n’a ainsi toujours pas été tranchée par le tribunal (elle n’avait alors pas été doublée d’un référé).

Deux conditions sont mises à l’accueil d’un référé suspension par le tribunal [1] : une « urgence doit le justifier », tandis qu’il doit être fait « état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » (conditions cumulatives).

Le juge des référés n’a, en l’espèce, statué que sur la première de ces conditions, jugeant que l’urgence n’était pas caractérisée « eu égard à la nature particulière du projet, autorisé périodiquement depuis plus de vingt ans et au caractère temporaire et facilement démontable des installations prévues ». Il rejetait donc le référé « sans qu’il soit besoin de rechercher si les moyens invoqués sont propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée [2]. ».

Le juge considère, en substance, que les Parisiens ayant subi la grande roue pendant plus de 20 ans, il n’y avait pas d’« urgence » particulière à suspendre son installation cette année plutôt qu’une autre, la décision au fond pouvant être attendue. La roue sera probablement démontée lorsque le juge se prononcera, mais rien ne dit que les irrégularités invoquées à l’appui de l’annulation de son autorisation puissent être régularisées lors d’une future demande d’autorisation.

Si les travaux sur les monuments classés sont dispensés de permis de construire, l’autorité d’urbanisme (Anne Hidalgo) n’en doit pas moins donner son « accord » afin de s’assurer du respect du plan local d’urbanisme de Paris [3]. La DRAC doit, à cette fin, mettre l’autorité d’urbanisme à même statuer [4] et « prendre en compte » ses éventuelles prescriptions [5]. Or, cet « accord » n’a jamais été donné par la mairie s’agissant des deux autorisations attaquées par Sites & Monuments, et pour cause.

Une implantation violant les règles de hauteur et les fuseaux de protection de Paris

L’installation d’une grande roue de 70 m de haut, plus de six mois par an, place de la Concorde, viole en effet le Plan local d’urbanisme de Paris.

L’article UG 10.1 du règlement du PLU [6] prévoit ainsi « qu’aucune construction, installation ou ouvrage nouveau [ces deux derniers termes s’appliquant parfaitement à la grande roue] ne peut dépasser : - la hauteur plafond fixée sur le terrain par le Plan général des hauteurs » mais également «  - les plans ou surfaces constitués par les fuseaux indiqués sur le plan des Fuseaux de protection du site de Paris ».


2. HPlan des hauteurs du PLU de Paris.
La Grande Roue (trait noir), mesurant près de 70 m,
se trouve dans une zone limitée à 25 m.
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Or, le Plan général des hauteurs [7] limite, en toute hypothèse, celle-ci à 25 m place de la Concorde (ill. 2), soit un dépassement de 45 m pour la grande roue…


3. Fuseaux de protection du PLU de Paris.
La Grande Roue (trait noir), mesurant près de 70 m,
est concernée par trois fuseaux limitant respectivement
les hauteurs à 5 m, 15 m et 28 m.
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Des « fuseaux de protection [8] » (ill. 3), « plus contraignants que les hauteurs plafonds [9] », protègent également Paris. Ceux-ci définissent « des vues remarquables perceptibles de l’espace public (vues panoramiques, faisceau de vues ou échappées sur un monument) » en imposant « des surfaces ou ensembles de surfaces (plans ou surfaces gauches) que ne peuvent pas dépasser les constructions nouvelles ».

Le fuseau K, partant de la grille des Tuileries en direction de l’arc de Triomphe, limite à 5,33 m [10] la hauteur de nouveaux « ouvrages » ou « installations » sur la place de la Concorde, soit une hauteur comparable à celle de la grille des Tuileries, point de départ du fuseau. La grande roue dépasse ainsi de plus de 64 m la hauteur réglementaire.

Le fuseau G, partant de l’Assemblée Nationale en direction de l’église de la Madeleine, en marquant un pallier au niveau des façades de Gabriel, limite à 15,33 m [11] la hauteur à l’emplacement de la grande roue. Il s’agit d’un moyen terme avec les 25 m de l’hôtel de la Marine [12]. La grande roue dépasse ainsi de plus de 54 m la hauteur de ce fuseau.

Plus généralement, le fuseau A, partant de l’arc de Triomphe en direction du Louvre, limite à 28,30 m [13] la hauteur sur la place de la Concorde, chiffre comparable aux dimensions du pavillon de l’horloge du Louvre [14]. La grande roue dépasse ainsi de plus de 41 m la hauteur de ce fuseau.

Il convient par conséquent de trouver un nouvel emplacement pour la grande roue… qui se situe hors des sites patrimoniaux et évidemment des fuseaux de protection de Paris, sauf à vouloir à nouveau bafouer les dispositions de son PLU.

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