Château d’Ancenis : Frédéric Mitterrand face à ses responsabilités

1. Château d’Ancenis
Au fond le manoir Renaissance.
A droite, les restes de l’enceinte.
22 janvier 2012
Photo : Loïc Ménenteau
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Nous avions, il y a un peu plus d’un an et demi, posé en quelques articles la question : « à quoi sert la législation des monuments historiques ? ». L’un d’eux portait sur le château d’Ancenis menacé par le Conseil Général de Loire-Atlantique, avec la complicité active de la ville et de la Direction Régionale des Affaires Culturelles, d’une construction moderne médiocre à quelques mètres du logis Renaissance (voir l’article).

Malgré la mobilisation de nombreuses associations, rien n’y a fait. Une extension a même été ajoutée au projet d’origine, et les travaux ont commencé il y a quelques semaines (ill. 1).
Mais à ce scandale déjà conséquent s’en est ajouté un nouveau, qui relève du code pénal. Celui-ci prévoit en effet (article 322-3-1) une peine pouvant aller jusqu’à sept ans de prison et 100 000 € d’amende pour « la destruction, la dégradation ou la détérioration » [...] [d’] « un immeuble ou objet mobilier classé ou inscrit en application des dispositions du code du patrimoine ».


2. Partie de l’enceinte du château d’Ancenis
Etat en 2004
Photo : Nicolas Faucherre
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3. Partie de l’enceinte du château d’Ancenis
Etat du 21 janvier 2012
Photo : Nicolas Faucherre
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L’arrêté de classement du château d’Ancenis, datant du 2/11/77, inclut l’ « ensemble des restes de l’enceinte y compris les tours, poternes, bastions et courtines ». Or, et les photos que nous publions ici le prouvent sans contestation possible, une partie des restes de cette enceinte a été démolie lors du creusement des fondations du nouveau bâtiment [1]. A gauche (ill. 2), on voit une photo prise en 2004, à droite le même endroit pris en janvier 2012 (ill. 3). En repérant certaines pierres caractéristiques et en comparant les deux images, on peut constater qu’il s’agit bien du même mur et que celui-ci a été largement mutilé (ill. 4).


4. Comparaison entre l’état 2004 et l’état janvier 2012.
Malgré la différence d’échelle des deux prises de vue
et la différence d’état, on repère clairement les pierres semblables
(notamment celles qui sont entourées) et on voit l’étendue des dégâts.
A gauche, le mur a été en partie détruit.
A droite, on ne sait si une partie a été détruite
ou « seulement » enfouie.
Photos : Nicolas Faucherre
Photomontage : Didier Rykner
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Le Directeur Régional des Affaires Culturelles, Georges Poull, a pourtant osé affirmer à Ouest-France, dans son édition du 25 janvier [2] qu’ « il n’y a pas de destruction [de monuments historiques] ».
Nous avons interrogé le conservateur régional des monuments historiques de la DRAC Loire-Atlantique, Luc Caudroy. Celui-ci nous a d’abord déclaré qu’« 1,50 m de fondations ont été sécurisées ». Nous lui avons demandé s’il ne s’agissait pas d’un monument historique, et si la « sécurisation » ne signifiait pas plutôt « destruction ». Il a seulement consenti à reconnaitre qu’une partie a effectivement été « enlevée », selon son propre terme, mais a répété qu’il s’agissait de fondations et que le sol n’était pas classé.

5. A gauche, trace d’une porte
Etat 21 janvier 2012
Photo : Nicolas Faucherre
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Chacun pourra constater qu’il ne s’agit pas d’un sol, qu’évidemment ces vestiges de l’enceinte étaient classés comme on le lit dans l’arrêté de classement (« l’ensemble des restes de l’enceinte ») et que l’« enlèvement » ou la « sécurisation » a bien consisté à démolir une partie de cette enceinte classée monument historique. On admirera les litotes qu’emploient les responsables pour ne pas parler de « démolition » d’un bâtiment. Nous connaissions déjà le terme « déconstruction », il faudra désormais dans un dictionnaire des synonymes ajouter ceux de « sécurisation » et d’« enlèvement ».
Nous ajouterons qu’il n’y a pas besoin d’être archéologue ou architecte pour constater qu’il n’y avait nul besoin de « sécuriser » cette portion de mur qui apparaît bien solide et, qu’au pire, en supposant que son état l’aurait exigé, il fallait la consolider. Et on conclura qu’il ne s’agit aucunement de fondations comme le prétend Luc Caudroy, mais bien d’une partie d’élévation comme nous l’a confirmé Nicolas Faucherre, professeur d’art médiéval à l’université de Nantes. Les photos (ill. 5) montrent les traces d’une porte que les récents travaux ont démoli. On distingue en effet la feuillure du piédroit, raclée par le godet de la pelle, et le trou de la gâche. Luc Caudroy pense qu’il s’agit de fondations car elles étaient en partie enterrées, comme si le niveau du sol n’avait pas bougé entre le Moyen-Age et nos jours. On voit ici une conséquence de la possible nomination comme « conservateur régional des monuments historiques » de fonctionnaires n’ayant, malgré ce titre, aucune compétence dans ce domaine [3]. Et en supposant même qu’il s’agirait de fondations, depuis quand celles d’un monument historique entièrement protégé ne sont-elles pas protégées ?


6. Vue du chantier sur le château d’Ancenis.
En face, emplacement du bâtiment principal.
A gauche, celui de l’annexe. L’ensemble traverse la courtine.
Au fond, se voit la Loire, ce qui démontre que le château,
placé sur un des plus beaux balcons sur la Loire estuarienne,
sera occulté par le bâtiment médiocre que va édifier
le Conseil Général.22 janvier 2012
Photo : Loïc Ménenteau
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7. Vue de la coupe de l’enceinte
Il est probable qu’une partie existante a été détruite
Etat 22 janvier 2012
Photo : Loïc Ménenteau
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On signalera par ailleurs que l’extension dont nous parlions plus haut sera construite à l’extérieur de la courtine et que l’ensemble des bâtiments traversera donc celle-ci de part en part (ill. 6). La cassure dans la courtine semble fraîche (ill. 7) et il est fort probable, même si nous n’en avons pas la preuve pour cet endroit, que là aussi une partie des remparts a été « sécurisée »...
Il est certain, quoi qu’il en soit, que cette extension, contrairement à ce qui était prévu à l’origine [4], touchera un bâtiment classé. Ce n’était donc plus simplement l’Architecte des bâtiments de France qui devait donner son avis, mais bien le ministère de la Culture, via la DRAC. Luc Caudroy nous a d’ailleurs confirmé qu’une procédure d’ « adossé à un monument historique » avait été instruite, et que le ministère de la Culture avait donné un avis favorable. Si l’on ne pouvait accuser le ministre actuel d’être à l’origine de la situation, puisque la procédure initiale avait été menée avant son arrivée, et s’il est peu probable qu’il ait été tenu au courant de ce chantier, il est cependant pleinement responsable de l’autorisation donnée, via la DRAC, pour cette extension.

La question que l’on posait au début de cet article pourrait finalement se résumer à celle-ci : « à quoi sert le ministre de la Culture ? ». La seule réponse que celui-ci peut et doit apporter est de demander l’interruption immédiate des travaux, faire constater par un expert indépendant - puisque ses fonctionnaires affirment l’inverse, contrairement à l’évidence - la destruction partielle d’un monument historique, et prendre les sanctions qui s’imposent. Faute de quoi, comme souvent hélas dans ce genre de dossier, la réponse sera : « à rien ».
En l’absence de réaction du ministre, ce sera alors une nouvelle fois aux citoyens de s’opposer au vandalisme officiel : l’Association pour la protection et la promotion du Château d’Ancenis a engagé un recours au Tribunal Administratif contre le permis de construire et les travaux en cours. Celui-ci, pour l’instant, n’est hélas pas suspensif.

English Version

Didier Rykner

Notes

[1Il est extraordinaire de constater que, dans une lettre adressée le 1er septembre 2010 à l’association A2PCA, le préfet affirme que « l’enceinte du château n’est pas protégée au titre des monuments historiques » pour ajouter deux lignes plus loin : « le classement au titres des monuments historiques [...] concerne uniquement les parties suivantes : l’ensemble des restes de l’enceinte y compris les tours, poternes, bastions et courtines [...] ». Soit tout et son contraire, le mensonge et la vérité, dans la même phrase.

[2Château d’Ancenis : le chantier peut continuer, propos recueillis par Roberte Jourdon.

[3Luc Caudroy, qui a passé une grande partie de sa carrière au ministère de la Défense, fait office de Conservateur Régional des Monuments Historiques [précision rajoutée après la parution de l’article]. Fort heureusement, d’autres conservateurs régionaux des monuments historiques sont parfaitement à leur place.

[4Le conservateur des monuments historiques avait instruit tout le dossier en affirmant qu’on se situait seulement en « abord » de monument classé. Nous avions d’ailleurs, lors de la rédaction de notre premier article, contacté la DRAC qui se lavait d’avance les mains de cette affaire sous prétexte qu’on ne touchait pas au monument, et qui nous avait renvoyé vers l’ABF...

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