Baltard à la casse (bis repetita)

1. Vue aérienne des prisons de Perrache
A gauche, la prison Saint-Paul d’Antoine Louvier,
avec son plan rayonnant (système panoptique)
A droite, la prison Saint-Joseph de Louis-Pierre Baltard
Photo : Google Map
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Certes, il ne s’agit pas cette fois de Victor Baltard mais de son fils Louis-Pierre. La similitude est pourtant accablante : près de quarante ans après le massacre des Halles, le gouvernement s’attaque à un autre bâtiment majeur construit par un Baltard, la prison Saint-Joseph de Lyon pour laquelle le Ministère de la Justice a déposé en février une demande de permis de démolir.
Dans la grande braderie patrimoniale à laquelle se livrent les ministères français, sous l’égide et la bénédiction du président de la République, les bâtiments les plus menacés sont évidemment ceux qui ne bénéficient pas d’une protection au titre des monuments historiques. Contrairement à ce qu’affirme régulièrement Michel Clément, le directeur du Patrimoine, en France, de nombreux édifices méritant d’être protégés ne le sont pas. Comment expliquer que la prison Saint-Joseph, plusieurs fois étudiée par des historiens de l’architecture, répertoriée soigneusement par les services de l’Inventaire (le dossier est disponible sur Internet) - et dont Pierre Pinon, spécialiste de l’architecture du XIXe et auteur d’un remarquable ouvrage sur les Baltard, nous décrit ici même l’intérêt - ne soit même pas inscrit sur l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques ?


2. Vue de la prison Saint-Paul, d’Antoine Louvier
(au fond), prise de la gare de Perrache
Photo : D. Rykner
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Le crime qui se prépare ne concerne d’ailleurs pas seulement la prison de Baltard. Celle-ci jouxte la prison Saint-Paul, construite une trentaine d’années plus tard, en 1860, par les soins de l’architecte départemental Antoine Louvier, et qui doit aussi être détruite alors qu’elle mériterait tout autant une protection.
Le vandalisme officiel ne connaît plus de bornes. Nous avons voulu connaître la position du ministère de la Culture mais le week-end de Pâques approchant, nous n’avons pu avoir d’interlocuteur. Le scandale est d’autant plus grave qu’on ne peut ici prétexter l’état des bâtiments, qui ne menacent pas ruine, même s’ils sont vétustes. Il serait tout à fait possible de les réutiliser. Les exemples abondent d’anciennes prisons reconverties en hôtels de luxe, en résidences universitaires ou en musées... [1] L’Université de Lyon II Lumières s’est d’ailleurs déclarée intéressée par les bâtiments mais a reculé devant le prix demandé par le Ministère de la Justice : 23 millions d’euros [2]. On croit rêver : l’Etat ne peut sauver un monument historique parce que le prix qu’il se demande à lui-même est trop élevé. Quelle meilleur preuve du total désintérêt de nos édiles pour le patrimoine et de leur unique préoccupation : trouver de l’argent, par tous les moyens possibles.

Des étudiants en histoire de l’art de Lyon II ont décidé de se battre contre cette décision inique. Ils ont mis en ligne un blog que l’on trouvera à cette adresse, et lancé une pétition [3].
Devant la mobilisation naissante, le Préfet du Rhône a pris en mars la décision de suspendre le permis de démolir et de mettre en place un « moratoire » de six mois, jusqu’au 15 septembre. Ce délai trop réduit (d’autant qu’il courra en partie sur les mois de juillet et d’août) devra être mis à profit pour « étudier les possibilités de reconversions et trouver un repreneur ». On ne peut qu’être d’accord avec Oriane Rebillard et Julien Defillon, les auteurs du blog, qui écrivent : « Ce laps de temps risque fort de ne pas être suffisant pour mettre en place une véritable étude de reconversion, faire appel à des projets et mobiliser des investisseurs et architectes du patrimoine », d’autant que les derniers prisonniers ne seront transférés qu’en juin. En réalité, le préfet n’a aucune envie de sauver ces bâtiments et il s’en est justifié dans le journal régional de France 3, le 1er avril, en affirmant craindre le coût du gardiennage et l’apparition de squats... On imagine en effet combien il doit être complexe de garder une prison vide d’intrusions extérieures !

3. Vue des prisons de Lyon, prise de l’autre côté du Rhône
A gauche, Saint-Joseph, à droite, Saint-Paul
Photo : D. Rykner
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A ceux qui pourraient trouver dérisoire un tel combat, nous conseillons de jeter un coup d’œil aux quelques photos que nous publions ici et sur celles, très nombreuses, que propose le site de l’Inventaire. Elles prouvent l’intérêt architectural évident de ces deux monuments. La prison Saint-Paul, édifiée par un architecte moins connue, n’est pas moins remarquable, notamment l’ancienne chapelle et sa coupole, à l’architecture particulièrement austère, bien en adéquation avec les lieux. Le plan rayonnant se conforme au modèle de prison panoptique, prôné par Jeremy Bentham à la fin du XVIIIe siècle dans son ouvrage Panopticon. Il s’agissait de permettre une surveillance plus simple avec un nombre de gardiens réduit, grâce à une tour centrale.

Le quartier Perrache, cerné par les voies de chemin de fer, l’autoroute et l’échangeur routier, est un espace particulièrement peu accueillant. La gare a été défigurée par l’immonde verrue dont on l’a affublée dans les années 1970. La réutilisation des prisons Saint-Paul et Saint-Joseph devraient aller de pair avec une réhabilitation complète de cet ensemble, qui verrait la gare du XIXe siècle délivrée de ce que les lyonnais appellent le blockhaus. Une opération complexe à réaliser mais qui redonnerait un peu d’humanité à ce quartier défiguré par le maire bétonneur Louis Pradel.

Lire l’article de Pierre Pinon sur la prison Saint-Joseph de Baltard.

English version

Didier Rykner

Notes

[1Une recherche sur Internet permet d’en trouver un très grand nombre : la prison Charles Street à Boston, devenu le Liberty Hotel, ou la prison Kronohäktet à Stockholm, également transformée en hôtel. A Avignon, l’ancienne prison Sainte-Anne va également être convertie en un établissement hôtelier de luxe. Le journal Le Progrès, cité par le blog Sauvons les prisons de Lyon, cite également la prison de Coulommiers, transformée en bibliothèque, celle de Bâle devenue le musée des Instruments de musique ou de Salamanque un musée d’art contemporain.

[2Nous n’avons pas pu joindre non plus, en raison des congés scolaires, l’Université de Lyon II. Son intérêt pour ces édifices et le prix de 23 millions d’euros a été divulgué par plusieurs journaux lyonnais.

[3Regrettons que le site utilisé pour gérer la pétition soit aussi mal fait et n’affiche que les prénoms (à moins que l’on ne mette son nom complet dans le champ "prénom")... Le résultat d’une pétition vaut par le nombre, mais aussi par les qualités de ses signataires.

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