Après les Serres d’Auteuil, Hidalgo s’attaque au lac Daumesnil

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1. Île de Bercy dite aussi île aux Oiseaux
Site prévu pour l’aménagement de la baignade
Photo : Didier Rykner
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« Le lac Daumesnil est un lieu emblématique de l’art des jardins du XIXeme siècle, unique par son raffinement et sa dimension dans le bois de Vincennes, où s’apprécie pleinement la mise en scène orchestrée par Alphand. Il se voit comme un tableau incitant à la promenade contemplative. » Ces phrases peuvent être lues dans le rapport de l’inspectrice des sites (p. 3) qui devait se prononcer sur le projet de la Ville de Paris d’aménager une « baignade à traitement biologique dans le lac Daumesnil du bois de Vincennes » (ill. 1). L’avis donné est négatif, ce qui n’a pas empêché la commission des sites de donner leur accord à ce projet, notamment grâce aux fonctionnaires présents dans cette instance qui obéissaient au préfet.
En tant qu’ensemble paysager créé au XIXe siècle, sous Napoléon III, le lac Daumesnil et ses environs relèvent de l’art des jardins, et entre donc pleinement dans le champ de La Tribune de l’Art. Bien au delà néanmoins, ils constituent un ensemble de biodiversité évident, à la lisière de Paris. Le projet de baignade dans ce lac est donc une menace à double titre : pour le patrimoine historique, et pour le patrimoine naturel.

2. Panneau de la Mairie de Paris décrivant quelques
espèces d’oiseaux présents sur le lac Daumesnil
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Il suffit d’ailleurs d’aller se promener dans ce havre de paix pour constater que les oiseaux y sont nombreux, comme l’indique elle même la ville de Paris sur un panneau d’information (ill. 2). Or ce lieu est désormais gravement menacé, à court terme, par le projet de la mairie.
Celui-ci consiste en l’aménagement pendant trois mois - en réalité cinq mois, de mai à octobre, si l’on prend en compte l’installation et l’enlèvement des structures temporaires - d’une aire de baignade sur l’île de Bercy, l’une des deux îles du lac, également appelée île aux Oiseaux. Pendant ces trois mois, 75 000 personnes fréquenteront ce site, jusqu’à 2200 par jour et 1000 simultanément. On imagine ce que cette foule, dans un endroit fréquenté par diverses espèces d’oiseaux et reconnu en 2015 « ensemble arboré remarquable » par la ville, obtenant d’ailleurs le label « Arbres remarquables de France », va occasionner comme dégradations, d’autant que la surface concernée est naturellement réduite par la petite taille de l’île et du lac.

3. Plan du projet d’aménagement de la baignade
sur le lac Daumesnil
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Il est prévu en outre de nombreux travaux pérennes qui vont dénaturer définitivement ce site classé. Ainsi, la profondeur actuelle du lac oscille entre 50 et 70 cm, ce qui n’est pas suffisant pour le transformer en piscine. Des travaux lourds sont donc planifiés, pour excaver le lac sur une surface totale de 8000 m2 afin de créer trois bassins, de 25 cm, 1,50 m et 2,50 m de profondeur (ill. 3). Pour entourer cette excavation, 250 mètres linéaires de murs de soutènement en béton sera construit en périphérie de cette excavation.
La berge de l’île sera également bétonnée sur 208 m2 de surface et le sol de deux clairières au sud de l’île sera creusé (sur près de 2400 m2 au total, et sur 2 m de profondeur, afin de créer des stations de filtrage des eaux. Cela nécessitera l’abattage de six arbres (en bonne santé comme le rappelle le rapport).
À ces aménagements présent toute l’année, s’ajouteront pendant cinq mois par an toutes les installations temporaires : plateaux en bois, flotteurs, etc.

Comme l’explique le rapport de l’inspectrice des sites (qui constitue un excellent résumé des nuisances de ce projet), « [sa] présentation minimise les répercussions sur le site du lac Daumesnil » (p. 7), notamment les vues perspectives qui masquent complètement les aménagements évoqués plus haut. Comme le dit l’inspectrice : « ces éléments de forme interrogent sur la sincérité du dossier », interrogations qui sont d’autant plus pertinentes que celui-ci a été préparé par les services d’Anne Hidalgo.
Surtout, comme l’explique l’inspectrice, « pendant et hors exploitation le paysage du lac Daumesnil présentera des altérations temporaires et définitives » (p. 8). Elle démontre que les structures en béton qui se trouveront à 40 cm sous l’eau seront « apparents, ainsi que les différences de profondeur des bassins ». La zone de baignade, dont le fond sera recouvert d’une membrane imitant la couleur de la vase, « aura une couleur différente du reste du lac [1] même hors période d’exploitation ». « Ces bassins fragmenteront l’unité du lac, par les différences de profondeurs qui affectent la couleur et par la vision sous l’eau des rebords des bassins. ».

Le rapport insiste aussi sur la pérennité menacée du patrimoine arboré. Pour résumer (nous renvoyons à sa lecture) les travaux divers comme la création d’un caniveau en limite de berges et l’excavation des berges menace leur système racinaire qui s’étend largement. Pourtant, comme le rapport le souligne « le cachet du paysage du lac repose largement sur ces arbres majestueux » (p. 10).
Par ailleurs, la surfréquentation du lieu qui est actuellement très paisible, contribuera à la fragilisation des arbres.

Nous citons ici in extenso la conclusion du rapport : « Le projet de baignade au lac Daumesnil ne permet donc pas de garantir le maintien de l’état et de l’aspect du site et la pérennité de ses caractéristiques paysagères et naturelles cela d’autant plus qu’aucun dispositif n’est prévu pour contenir la fréquentation du site.
La modification du miroir d’eau par le caractère maçonné de la zone de baignade, l’artificialisation des sols et la dégradation du couvert arboré portent une atteinte certaine au site classé et au lieu-emblème du caractère pittoresque du bois de Vincennes, motif fondateur de son classement.
Les mesures d’accompagnement environnementales proposées ne permettent pas de nuancer l’appréciation sur le volet paysager de cette opération.
Ce projet appelle un avis défavorable au titre des sites.
 » (p. 12)

4. Murin de Daubenton, espèce de chauve-souris
présente sur le lac Daumesnil, qui chasse à la surface de l’eau
Photo : Gilles San Martin/CC BY-SA 2.0
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Ce rapport pointe donc notamment la dénaturation du site historique du lac Daumesnil et les menaces sur le patrimoine arboré. Il faut y ajouter un certain nombre de remarques ayant trait aux oiseaux. Ceux-ci sont nombreux comme le souligne l’étude d’impact du projet d’aménagement, document rédigé sous l’égide de la mairie de Paris (voir p. 26) : « 42 espèces d’oiseaux ont été observées lors des inventaires parmi lesquelles 24 sont protégées ». On y trouve aussi d’autres espèces protégés comme l’écureuil roux, ainsi que cinq espèces de chauve-souris.
Or, « la forte présence de bactéries indicatrices de pollution fécale due à la forte présence d’oiseaux aquatiques empêche la baignade dans le lac » (p. 24). Est-ce bête non ? Les oiseaux font leurs besoins dans le lac, les inconscients. Il faut donc s’en débarrasser. Le projet prévoit donc, pendant la période d’exploitation, d’empêcher les oiseaux de venir sur les eaux de baignade. Pour cela, en dehors des heures d’ouverture au public de la baignade, dix jets d’eau seront mis en place, qui auront également pour objectif de « rafraîchir l’eau [sic] pendant les périodes caniculaires » (p. 19 de ce document). Les oiseaux seront donc priés d’ « aller sur les autres surfaces du lac » ! Même chose pour l’une des espèces de chauve-souris, le Murin de Daubenton (ill. 4), qui « chasse presque exclusivement au ras des eaux calmes et peut être gênée par les perturbations de la surface » (p. 20 de ce dernier document). « Ce système la privera donc momentanément d’une fraction limitée de son terrain de chasse. (0,8ha seront équipés de jets d’eau sur les 10,2ha du lac de Daumesnil) ». Or, sur un autre document, le procès-verbal de la Commission départementale de la Nature, des Paysages et des Sites de Paris, p. 21, on apprend que « ce plan d’eau couvre une surface d’environ 10 hectares au sein desquels se trouvent deux îles de 2,5 hectares chacune ». La surface de l’eau est donc au mieux de 5 hectares. Contrairement à ce que dit la Mariie de Paris, le terrain de chasse de cette chauve-souris ne sera pas réduite d’environ 10% mais bien de presque 20%.
Personne ou presque ne semble par ailleurs s’être préoccupé de ce que deviendront les paons qui ont élu domicile sur cette île. Au nombre d’une vingtaine, dont un paon blanc, ils seront évidemment gravement menacés sur un espace de 200 mètres sur 100 mètres envahi par plus de 2000 baigneurs par jour. Une pétition spécifique a été lancée, que vous trouverez ici, en plus de celle opposée au projet.

Alors qu’Anne Hidalgo affiche ouvertement des prétentions écologiques, la politique qu’elle pratique est en réalité complètement inverse. La maire de Paris n’aime rien tant que bétonner les rares espaces verts de la capitale, surtout lorsqu’il s’agit de sites classés, le lac Daumesnil après les Serres d’Auteuil, et tout cela sous le regard complice de l’État. Ce projet par ailleurs fort coûteux - 9,5 millions d’euros annoncé, pour trois mois d’exploitation - fait actuellement l’objet d’une enquête publique. Vous pouvez y participer soit en vous rendant à la mairie du XIIe ou en donnant votre avis sur internet sur ce site où se trouvent également tous les documents. Nous nous sommes rendu sur place pour consulter les cahiers où peuvent être consignées les avis, quasiment unanimement opposés, tout comme ceux exprimés sur le registre dématérialisée. Il est essentiel de participer à cette enquête publique en y laissant vos observations, même s’il ne faut pas se faire d’illusion : les conclusions de ce type d’enquête s’opposent très rarement aux projets, même si, comme ici, les avis négatifs de la population consultée l’emporte et de loin, sur les avis favorables. On sait en plus ce qu’il en est de la concertation avec Anne Hidalgo. Soit vous êtes d’accord, et elle fait ce qu’elle veut, soit vous n’êtes pas d’accord, et elle fait aussi ce qu’elle veut. Anne Hidalgo a toujours raison, contre tout le monde. La seule manière de l’empêcher définitivement de nuire se présentera en 2020 aux élections municipales. En espérant qu’elle n’aura pas, d’ici là, réussi à détruire aussi le lac Daumesnil.

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