A propos de la disparition programmée de la Galerie Nationale de Hongrie comme institution indépendante

1. La Galerie Nationale Hongroise
Budapest
Photo : D. R.
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Le 29 septembre 2011, dans l’équivalent hongrois du Journal Officiel (Magyar Közlöny), László Baán, directeur du Szépm ?vészeti Múzeum (Musée des Beaux-Arts) depuis décembre 2004, a été nommé Commissaire du Gouvernement et doté des pleins pouvoirs pour planifier un nouveau quartier des musées à Budapest. Ce plan comprend [1], la fusion de la Galerie Nationale de Hongrie et du Musée des Beaux-Arts.

Vingt jours plus tard, le 20 octobre, un nouveau décret gouvernemental a confirmé la decision déjà annoncée de la fusion des deux plus grandes collections de beaux-arts de la capitale sous la direction de László Baán. La date limite pour aboutir à l’union de ces deux musées est le 29 février 2012.

Cette décision a été prise par le gouvernement sans qu’il s’entoure d’aucun avis ou conseil de nature muséographique ou d’histoire de l’art. Elle est fondée exclusivement sur une initiative du directeur nouvellement nommé Lászlo Baán (qui, on peut le noter, est un économiste, pas un historien de l’art et n’a pas été formé comme professionnel de musée), en écartant d’emblée toute discussion avec les spécialistes. Même le directeur de la Galerie Nationale de Hongrie, Ferenc Csák, et son équipe n’avaient pas été informés de cette décision. Il a démissionné en novembre en signe de protestation (voir l’article dans The Art Newspaper).

D’autres oppositions, remettant en cause les raisons et la logique d’une telle fusion ainsi que la manière dont la décision a été prise, sont venues de forums professionnels dédiés à la muséologie, à l’histoire de l’art et à la critique d’art (voir ici). Cette question a été ignorée par les medias (aussi bien les journaux que les revues culturelles et que la télévision d’Etat). Les interview données par László Baán ont seulement porté sur la fusion, mais en se contentant de la mentionner dans le contexte du nouveau quartier des musées de Budapest, pour lequel il est également mandaté par le gouvernement. Le projet envisage également la construction de nouveaux bâtiments pour d’autres collections. Dans le plan tel qu’il est esquissé, un des nouveaux édifices est décrit de manière vague, comme une galerie qui pourrait montrer quelques peintures hongroises de la Galerie Nationale accrochées aux côtés de celles des contemporains français, allemands, et d’autres peintures provenant du Musée des Beaux-Arts.

Ces plans sont encore assez vagues et doivent se concrétiser et être présentés seulement à la mi-2012. A l’exception de la rhétorique à propos des musées devant s’élever à « des statuts européens et internationaux », le but principal semble pour le moment d’obtenir un support financier de la Communauté Européenne pour le projet du quartier des musées. A ce propos, László Baán a publié une interview dans The Art Newspaper.

2. Une salle de la Galerie Nationale Hongroise
Budapest
Photo : D. R.
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Une comparaison peut aider à clarifier, pour nos collègues à l’étranger, les raisons pour lesquelles ce projet est si dévastateur, pas seulement pour les professionnels du monde de l’art, mais aussi pour les visiteurs des musées hongrois, qui s’intéressent à leur patrimoine culturel : la fusion de la Galerie Nationale Hongroise avec les collections du Musée des Beaux-Arts équivaut au directeur de la National Gallery de Londres décidant, sans consultation avec ses collègues conservateurs, de fusionner la collection de la Tate Britain avec celle de la National Gallery, sous sa direction exclusive. Il n’aurait bien sûr aucun pouvoir pour le faire, et le gouvernement britannique n’aurait pas davantage la possibilité de rendre obligatoire cette fusion par décret, dans le cas improbable où il aurait à traiter une demande aussi absurde et dommageable.

La situation à Budapest est lamentablement différente. Le seul argument qu’avance en faveur de ce projet la personne désignée par le gouvernement, László Baán, est que le Musée des Beaux-Arts est la plus ancienne des deux institutions et qu’ainsi la Galerie Nationale Hongroise, qui n’est vieille que de cinquante-cinq ans comme collection d’Etat autonome, devrait être réunie à nouveau à l’ancienne institution, afin de créer un musée « aux standards européens ». Cet argument, si on peut l’appeler ainsi, ignore le rôle unique tenu par la Galerie Nationale, dont il pourrait être privé si l’on suivait cette proposition. La référence simpliste aux « standards européens » des musées est une pure propagande. En suivant la logique absurde de « ce que le musée était au début », tous les musées hongrois existants pourraient se fondre en un seul Musée National Hongrois, qui fut fondé en 1802 et d’où, au cours de deux siècles, tant techniquement qu’institutionnellement, tous les principaux musées de Budapest sont issus.

La grande collection de la Galerie Nationale inclut des productions artistiques de mille ans d’histoire de la Hongrie, et son fonds le plus important est formé des tableaux et des dessins hongrois des XIXe et XXe siècles. Elle conserve plus de 130 000 objets et elle est le résultat de plus de deux cents ans de collection et de mécénat. En bref, elle est le lieu de mémoire [2] de la culture visuelle hongroise à travers les âges. Elle est conservée sur la colline du château dans l’ancien Palais Royal, qui abrite également deux autres collections publiques importantes, la Országos Széchenyi Könyvtár (la Bibliothèque nationale) et le musée de la ville de Budapest. Il serait bien sûr impossible physiquement de faire tenir la collection de la Galerie Nationale à l’intérieur du bâtiment du Musée des Beaux-Arts, qui a des problèmes de place. Si la Galerie Nationale doit être déplacée, elle exigerait un bâtiment entièrement nouveau.

La version publiée du plan de Baán prévoit de déplacer la Galerie Nationale en dehors du Palais Royal. Transporter une collection si importante et précieuse vers plusieurs destinations encore inconnues est non professionnel, dangereux et arbitraire, comme de nombreux historiens de l’art hongrois de renom l’ont déjà souligné [3]. Dans tous les cas, la décision du gouvernement a mis fin à l’indépendance de la Galerie Nationale Hongroise et a ainsi retiré à son personnel dévoué et professionnel la responsabilité de représenter la collection dans le monde de l’art international et particulièrement dans le paysage muséal européen. La perte de son autonomie et de sa spécialisation signifierait aussi la fin de sa « visibilité » hors de la Hongrie.

Toutes les capitales d’Europe ont plusieurs musées de beaux-arts, parmi lesquels on trouve d’importantes collections patrimoniales d’art national. Cela confère au pays concerné sa culture visuelle particulière et donne aux visiteurs étrangers une expérience qu’ils ne pourraient pas avoir ailleurs. Toute métropole devient plus intéressante si elle a plusieurs musées proposant des perspectives culturelles variées, aussi bien nationales qu’internationales. Dans le cas de Budapest, il est difficile de comprendre qui pourrait avoir intérêt à détruire une institution qui remplit une fonction importante, c’est à dire de servir de point central pour la culture visuelle de la nation. Diluer cette institution dans un méga-projet hors de prix, manquant à la fois de rationalité culturelle et économique, pour un vague statut “européen” ou “mondial” ne peut pas être dans l’intérêt du pays.

Le 13 décembre 2011, un historien de l’art émérite, Enik ? Buzási (un ancien collaborateur scientifique d’un des départements de la Galerie Nationale Hongroise), ainsi que deux autres spécialistes (Katalin Sinkó, ancien collaborateur scientifique de la Galerie Nationale Hongroise, et Eszter Gábor, ancien collaborateur scientifique du Musée des Beaux-Arts), ont lancé une pétition sur Internet contre la dissolution de la Galerie Nationale Hongroise. En quelques jours, 2500 personnes ont signé cette pétition et ce nombre augmente chaque semaine. Notre appel aux décideurs politiques a pour but qu’ils comprennent les coups portés à notre patrimoine par ce projet de dissolution, particulièrement en ce temps de crise financière alors que le budget considérable qui va lui être consacré manque désespérément ailleurs pour les arts. Nous demandons de manière urgente une pause afin de réfléchir avant que ce projet n’aille plus loin, d’autant qu’il ne peut être dans l’intérêt ni du gouvernement, ni du pays, de détruire une institution nationale, symbolique sur le plan culturel.

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